Now and Then Ian Brighton Confront Records ccs 62
Dès la première plage, la
voix de Derek Bailey commente les
relations entre l’acte de jouer et d’improviser et celui d’enregistrer. Cet
enregistrement est suivi de chasing lol,
un solo de guitare électrique de Ian
Brighton qui évoque largement le Derek Bailey bruitiste des années 70 pour
dévier ensuite vers la démarche actuelle particulière de Brighton. Lol pour Lol
Coxhill vraisemblablement.
Ian Brighton
est l’initiateur du groupe Balance, au départ un duo avec le
percussionniste Frank Perry, dont
l’album datant de 1973 et produit par le label Incus d’Evan Parker et Derek
Bailey est un témoignage absolument remarquable de musique improvisée libre
« british » des débuts. Au casting de ce quintet rare et non réédité, rien moins
que le tromboniste Radu Malfatti et
le violoniste Philipp Wachsmann, soit
deux incontournables, Brighton, Perry et le violoncelliste Colin Wood qui fit
partie du Spontaneous Music Ensemble « string » en 1976-77 et partit
ensuite en Inde.
On trouva aussi Brighton dans
l’album February Papers de Tony
Oxley avec Barry Guy et Phil Wachsmann (Incus 18) et un excellent album à
son nom, Marsh Gas où on l’entend en solo, en duos avec Radu Malfatti et
Marcio Mattos et en trio avec Roger Smith et Phil Wachsmann (Bead Records 1974).
Vu le nombre restreint d’enregistrements d’improvisation radicale à cette
époque, cela faisait de Ian Brighton une personnalité importante de la
free music londonienne naissante : certains de ses projets ont d’ailleurs été
présentés à l’ICA – Institute of Contemporary Arts où défila durant toute la
décennie la crème de la scène « anglaise ». La troisième plage, 30 years from yesterday, fait allusion au CD Eleven Years from Yesterday
(Bead/ FMR 1986) et nous fait découvrir une improvisation de 1986 avec le
personnel de ce disque (passé complètement inaperçu à l’époque) : Phil Wachsmann, Marcio Mattos à la contrebasse et le percussionniste Trevor Taylor mais sans le pianiste
Pete Jacobsen. L’écoute de la quatrième plage, alive and well, résume
très bien l’approche de Ian Brighton
à la guitare électrique basée sur la dynamique, les harmoniques, la pédale de
volume, les glissandi, le Webernisme, les sons bruissants obtenus en grattant
les cordes sur le fil ou à proximité du chevalet. Un univers proche de celui de
Derek Bailey comme on peut l’entendre sur ses deux premiers albums solos
publiés par Incus, (Solo Incus 2 et Lot
74 Incus 12) avec des colorations et des résolutions différentes. Très original
et complètement hors du champ du jazz ou du rock alternatif. Il n’hésite pas à
explorer le manche, les cordes et tous les sons disponibles en jouant tout à
fait autrement qu’on lui a appris. L’amplification
est parcimonieuse et sert avant tout à colorer sa gestuelle arachnéenne. Ces
effets sont obtenus par la manipulation de l’instrument, bien plus qu’avec des
pédales et boîtiers électroniques. Percussion discussion nous le fait
entendre avec (une bande ?) des sons de percussions par Trevor Taylor et
Frank Perry et la flûte de Nicky Heinen. Les deux derniers morceaux generation
apart et going home sont des duos avec Paul Brighton, live electronics,
lequel a assuré la prise de son. Plutôt qu’un enregistrement effectué
d’une traite en studio, now and then constitue une
anthologie d’histoires singulières et de moments qui relatent l’acte de jouer.
L’ensemble est intéressant, le boîtier métallique made Confront Records aussi
classe que la musique, la sonorité du guitariste s’y révèle unique et il y a
des choses qu’il faut découvrir si on veut se faire une idée de l’évolution de
la musique improvisée libre radicale avant son acceptation urbi et orbi. À
recommander (vous n’allez quand même pas collectionner tout Derek Bailey ? Il en faut pour toute le monde) Alors, voici de quoi vous sustenter avec
la voix du maître en prime.
Outre le saxophone sopranino
de Martin Küchen, Hermann Müntzing et lui jouent des kitchen
gadgets, strings & sticks, water, old harmonium case, toy electronics
(MK) et des flexichord, metal, wood and
plastic things, mandoline, toy synth, megaphone, failtronics, contact
microphones (HM). Avec un tel bric-à-brac, Küchen et Müntzing parviennent à
un achèvement rare dans la mise en sons, l’étalement dans le temps, et le sens
perçu par l’auditeur. 1 (22’15’’) et 2 (16’20’’) sont enregistrés avec une
dynamique remarquable et une excellente lisibilité. En poussant le volume assez
fort, on n’est jamais agressé par cette musique percussive, bruissante et
heuristique, voire charivaresque par instants. Cette pratique n’est pas neuve
per se, mais nos deux artistes l’incarnent avec beaucoup de conviction et de
bonheur. La poésie qui s’en dégage est contagieuse. Quand Martin embouche son
sopranino et égrène quelques notes libérant au moins une main, on est frappé
par la profusion de sons jamais envahissants produits par son compère. Le
deuxième morceau démontre que leur musique n’est pas un gadget ou le produit
d’effets faciles : s’impose directement, un autre univers, une autre
direction, différents de la pièce précédente.
Cela va droit au but à travers les méandres de leur imagination.
Réjouissant !
Dominic Lash Alex Ward Appliance Vector Sound VS016
Sept pièces en duo
contrebasse et clarinette composées respectivement par le clarinettiste Alex Ward (Purchase et un morceau non cité sur la pochette, Three by three ), le bassiste Dominic Lash (Oat Roe, Appliance) et
co-composées (ou librement improvisées) par les deux partenaires (Whelm, Grunt Work, Subtext). Dans la
lignée des autres compositions d’Alex Ward, ce clarinettiste marie subtilement
la démarche contemporaine vingtiémiste avec un phrasé jazz assumé. Sa
collaboration avec le compositeur bassiste Simon H Fell, SF Duo : Gruppen Modulor 1, est
un chef d’œuvre absolu dû à la plume du génial contrebassiste et au talent
exceptionnel d’Alex Ward (Download : https://brucesfingers.bandcamp.com/album/gruppen-modulor-1 ). C’est pourquoi, je n’hésite pas un instant à
repasser cet Appliance assez court
(38’), mais remarquable. Dominic Lash
enfonce le pizzicato sourd, grave et élastique avec une majesté digne de
Charlie Haden quand Alex Ward
voltige du grave à l’aigu dans tout le registre du chalumeau, contorsionnant la
colonne d’air avec le plus grand naturel lorsque la partition le requiert.
Improvisé ? Composé ? Les
moments retenus, soniques et délicats affleurent et leurs tempéraments s’emportent
soudainement. Cela joue, la musique est requérante, travaillée et ludique… Le
dialogue traverse plusieurs affects et la connivence est de tous les
instants. Le morceau Appliance contient quelques notes qui
évoquent brièvement Steve Swallow et Jimmy
Giuffre dans leur fameux trio initiateur. Le septième morceau au titre inconnu
est un magnifique parcours détaillé (vraisemblablement) par une partition
graphique d’Alex Ward. Les parties de contrebasse à l’archet soulignent
remarquablement les volutes et sinuosités de la clarinette. Contrepoint très
original. Alex Ward est non seulement un virtuose, mais aussi un compositeur
avisé. Tout cela fait un excellent album.
PS : information reçue de Dominic Lash après la publication :
I thought it might be good to clear up the muddle with the track listing - they actually missed off a title in the middle!
So the tracks are actually:
1. Purchase (Ward)
2. Oat Roe (Lash)
3. Whelm (improv)
4. Gruntwork (improv)
5. Three by three (Lash)
6. Appliance (improv)
7. Subtext (Ward)
PS : information reçue de Dominic Lash après la publication :
I thought it might be good to clear up the muddle with the track listing - they actually missed off a title in the middle!
So the tracks are actually:
1. Purchase (Ward)
2. Oat Roe (Lash)
3. Whelm (improv)
4. Gruntwork (improv)
5. Three by three (Lash)
6. Appliance (improv)
7. Subtext (Ward)
Making Rooms Weekertoft
4 cd box : Evan Parker - John
Edwards - John Russell : Chasing the
Peripanjandra, Pat Thomas solo : Naqsh,
Alison Blunt - Benedict Taylor - David Leahy : Knottings, Kay Grant – Alex Ward : Seven Cities.
Weekertoft est le label conjoint du guitariste John Russell et du
pianiste irlandais Paul G. Smyth créé dans le sillage de la série mensuelle de
concerts Mopomoso qu’anime Russell depuis 1991 au mythique Red Rose
jusqu’en 2007 et au Vortex Jazz Bar de Dalston depuis lors. Ce club
incontournable a donné une visibilité nettement plus grande à Mopomoso soutenue
par la publication systématique de séquences vidéos souvent réalisées par la
cinéaste Helen Petts et qui ont fait le
tour du monde par le truchement de Youtube. Deux extraits de mes propres concerts
au Vortex récoltent chacun deux mille vues……. Et il y en a ainsi des centaines
vues chacune des centaines de fois c’est vous dire le rayonnement de Momoposo
après seize années d’acharnement au Red
Rose où l’assistance ne dépassait pas
souvent la quinzaine d’auditeurs. Aussi, faut-il le répéter ? , John Russell a eu la clairvoyance et
l’audace d’offrir à un tas d’inconnus « débutants » leur quasi
premier gig et que ces invités sont très souvent devenus des artistes de
premier plan.
En 2013, eut lieu le Mopomoso
Tour : Birmingham, Brighton, Bristol, Oxford, Sheffield,
Newcastle, Manchester. Ce coffret rassemble des enregistrements réalisés durant
cette tournée qui eut l’heur de toucher un plus large public qu’à l’accoutumée.
Chacun des trios, duo ou solo a droit à un cd complet. Une véritable découverte
en ce qui me concerne est l’album solo du pianiste Pat Thomas. Une musique singulière, physique, cérébrale, rageuse
marquée par le jazz mais aussi la contemporéanité. Refus des effets racoleurs
et des clins d’œil, sauf à la toute fin, ce qui amuse le public. Un solide
doigté au service d’une réelle originalité : son jeu est immédiatement
reconnaissable et sa démarche embrasse plusieurs réalités du clavier et de
l’instrument au-delà d’un style. Un vrai compositeur de l’instant qui mérite le
feu des projecteurs pour autant de bonnes raisons que les Matt Shipp, Agusti
Fernandez, Sten Sandell et autres prodiges qui ont pris en main la succession de la génération
Taylor, Van Hove et von Schlippenbach. J’avais apprécié son album
solo Nur
publié par Emanem en 2001, mais je trouve que sa musique s’est réellement
bonifiée. On comparera aussi le duo voix
clarinette de Kay Grant et Alex Ward avec leur album Emanem Fast
Talk (5021) qui était composé de dix pièces tirées de cinq concerts
différents entre 2008 et 2011. Leur Seven Cities créées dans
l’enthousiasme de la tournée fait tourbillonner leurs idées pour notre plus
grand bonheur et apporte un plus à la qualité de leur collaboration. J’ai bien
sûr un faible pour ce clarinettiste magistral d’une grande musicalité et l’imagination
de sa partenaire met ce duo en valeur. Quoi dire du trio Evan Parker John Edwards et John Russell, si ce n’est qu’il s’agit
du trio british de référence de ce saxophoniste légendaire parmi ses multiples
associations. En effet, le trio avec Guy et Lytton étant international, le
bassiste vit et est très actif en Suisse et Lytton à l’est de la Belgique et
est un pilier de la scène Rhénane. La guitare radicale et entièrement
acoustique du patron de Mopomoso et de Weekertoft est vraiment pour quelque chose dans
l’excellence de ce trio: s’il y a un musicien qui joue avec tout en se distinguant avec ses harmoniques, griffures,
accords non résolus et intervalles dissonnants, c’est bien Russell. Quant à
John Edwards, on se demande comment ce freluquet arrive à faire vibrer,
grincer, mugir ou faire rêver avec autant d’énergie son gros violon … mystère.
Les jeux tricotés de Knottings créent une fusion des
cordes frottées, frappées, froissées, frictionnées avec une belle dynamique. Les
doigts de fée d’Alison Blunt commentent
sur la touche de son violon les glissandi magiques (Johannes Rosenberg en
frémit dans sa tombe !) de l’alto dégingandé de Benedict Taylor et rendent légers les grondements et froncements du
contrebassiste David Leahy, une
pince sérieuse du gros manche. On peut comparer ce trio avec cet autre où
Alison Blunt excelle en compagnie d’Hannah Marshall au violoncelle et du rare
Ivor Kallin à l’alto (Gratuitous Abuse Emanem 5020). Et là
aussi, bonus, bonus, bonus. On croit parfois avoir fait le tour mais
l’excellence musicale convainc toujours. Je ne vais pas plus m’étendre sur le
sujet car la réécoute de ce coffret réussi m’appelle….
En fait, ce coffret Making
Rooms est dans le prolongement des doubles cédés Emanem qui documentaient
le festival Freedom of the City dans
les quels figurent aussi Pat Thomas en solo (édition 2001), le duo Evan Parker
- John Russell (édition 2002) et durant lequel excellèrent David Leahy, John
Edwards (avec Dunmall/ Bianco et en duo avec John Butcher), Alex Ward (avec
Luke Barlow, mémorable) et Alison Blunt dirigeant le LIO…. Souvenirs
impérissables … !
pow gamra Paed Conca Eugenio Sanna Patrizia Oliva
Stefano Giust Setola di Maiale
Enregistré au festival Chilli Jazz / Limmitationes à la
frontière austro-hongroise, ce remarquable quartet met en présence des
personnalités tranchées avec des univers bien distincts qui tentent avec succès
d’agencer leurs flux, leurs rêves, leurs singularités en créant des espaces,
des moments d’écoute ou des vagues d’emportement. La guitare saturée et
bruitiste du Pisan Eugenio Sanna
dose son énergie brute et électrocutée en respectant la balance du groupe.
Ludique. En effet, il y a la voix amplifiée et entourée d’effets électroniques de
Patrizia Oliva (loops, réverb) qui
raconte des histoires, transforme des mots ou s’élève au dessus de la mêlée
voix blanche ou vociférée. Paed Conca
transsubstantie le souffle, la colonne d’air, les spirales, démultiplie les impacts des roulements accentués de guingois de Stefano
Giust, un vrai batteur de free-music, ou musarde par dessus les
ricochets et les harmoniques. Le jeu
détaillé, énergique et aéré de Giust attire l’écoute sans jamais envahir
l’espace sonore et se fond parfois entièrement dans les strates respectives de
ses camarades. Deux longues pièces où la
précipitation côtoie la méditation, où l’action déplace constamment les centres
de gravités dans de belles métamorphoses sonores et poétiques etc... Chacun
fait de la place à l’autre et tous œuvrent pour que chacun ait son mot à dire
avec de multiples niveaux d’énergie, de cohésion ou de charivari assumé. La
dynamique de jeu convainc bien au-delà des imprécisions de la prise de sons. Un
bon point à chacun et kudos pour ce quartet atypique.
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