28 juin 2016

Peter K Frey & Daniel Studer Zurich Concerts (Butcher Demierre Hemingway Koch Mayas etc..) - David Toop 's Into the Maelstrom - Beyond Jazz Plink Plonk and Scratch

Zurich Concerts  15 years of Kontrabass Duo Studer-Frey : Peter K Frey and Daniel Studer with John Butcher Jacques Demierre Gerry Hemingway Harald Kimmig Hans Koch Magda Mayas Giancarlo Schiaffini Jan Schlegel Michel Seigner Christian Weber Alfred Zimmerlin. Leo Records CD LR750/751

Voilà bien un double album insigne du courant de l’improvisation libre en Europe ! Deux contrebassistes suisses créent un duo (cfr le superbe album Zwei/ Unit Records) qui devient, comme on le voit ici, un projet de rencontres avec des musiciens avec qui ils ont travaillé. Deux générations : Peter K Frey est né en 1941 et Daniel Studer en 1961.  Le premier, PKF, fait partie des pionniers de la free music : on se souvient, il y a bien 40 ans, du radiateur en fonte de la pochette du trio Voerkel Frey Lovens (FMP 0340). Daniel Studer –DS - est au départ un musicien de formation classique passionné par l’impro et il a vécu une quinzaine d’années en Italie et joué dans la scène locale avant de retourner à Zürich où il enseigne la musique. Multigénérationnel donc, collectif et original : ce n’est pas vraiment courant qu’un duo de contrebasses convie des improvisateurs de tous bords à jouer en trio, quartet, quintet et septet en concert et dans un projet phonographique. C’est une autre topographie sonore, spatiale, ludique que de jouer avec une seule contrebasse. Aussi, les autres musiciens sont invités pour des bonnes raisons d’avoir travaillé auparavant en profondeur avec chacun des deux contrebassistes et certaines relations sont très anciennes comme le violoncelliste Alfred Zimmerlin et le guitariste Michel Seigner qui formaient le trio Karl Ein Karl avec Peter K Frey dans les années 80.  Le clarinettiste Hans Koch et le pianiste Jacques Demierre sont des incontournables superlatifs de la scène suisse. J’apprécie personnellement la démarche radicale de Demierre avec la carcasse du piano et les cordages. La pianiste Magda Mayas, qui n’a rien à lui envier, personnifie la nouvelle génération qui rafraîchit la pratique improvisée et le tromboniste italien Giancarlo Schiaffini, celle des pionniers de la première heure. GS et DS ont d’ailleurs collaboré durant la période romaine du contrebassiste. Qui de mieux recommandé que John Butcher  pour le saxophone ou Gerry Hemingway aux percussions ? Le violoniste Harald Kimmig et Alfred Zimmerlin jouent souvent en trio avec DS et les deux contrebassistes ont invité un autre pilier helvétique de la contrebasse, Christian Weber et le bassiste électrique Jan Schlegel pour former un curieux quartet de contrebasses. Cinq pièces au personnel composite sur le CD 1 et trois morceaux en trios sur le CD2, respectivement avec Hemingway, Butcher et  Jacques Demierre. Ils sont intitulés avec les initiales des participants « à la Company 1977 » . Pour initier la face 1, cela donne : + HKGS1 = Frey/Studer/Koch/Schiaffini n°1, soit deux contrebasses clarinette basse et trombone . Majestueux ! C’est tellement bon qu’on publie un deuxième morceau,  +HKGS2 pour dix autres excellentes minutes. Cette première face contient aussi le trio écartelé avec Magda Mayas , +MM, le quartet de contrebasses + basse électrique pour 23 minutes intenses et mystérieuses et se termine par un merveilleux ensemble de cordes avec Hans Koch comme souffleur. Son timbre s’immisce subrepticement entre pizz, frottements et col legno  du monstrueux et élégant : + JDHKHKMSAZ. On y trouve donc les cordes du piano de Demierre, le violon de Harald Kimmig, le violoncelle de Zimmerlin, la guitare de Seigner et les deux contrebasses de PF et DS. Cà a l’air d’être un peu labyrinthe tout comme la programmation des deux cd’s, mais il suffit de se laisser entraîner par les deux contrebasses et leurs acolytes pour voyager. J’aime particulièrement ce double album parce qu’il reflète tout ce que j’apprécie dans la pratique de l’improvisation sur scène du point de vue de la musique qui est produite et que j’écoute et dans la façon dont les associations de musiciens et d’instruments sont mises en place. Synergie, complicité, recherche dans l’absolu et vers l’inconnu, écoute mutuelle, musique éphémère, sensations volatiles, moments inoubliables ou enfouis dans la mémoire. Gerry Hemingway laisse le temps et l’espace aux deux contrebassistes pour développer leur univers en commentant avec beaucoup d’à-propos le flux des actions, des timbres et des lignes qui se lient = + GH. Un tandem de contrebasses qui explore le ventre résonnant a quelque chose  d’absolu dans l’imaginaire de l’improvisation, car au départ cela semble moins étincelant qu’un saxophone exalté ou un piano dans les mains d’un virtuose. C’est une gageure et on y trouve une poésie à nulle autre pareille. Les trois plongent dans les tréfonds des échanges pour essayer de ramener des perles. On pense aux plongeurs grecs qui ramènent quelques éponges après de nombreux efforts sous un soleil brûlant ! Notre tandem aime prendre le temps de faire résonner les notes et de transformer le son et a une personnalité particulière quant à l’alchimie des sons. Dans l’esprit du meilleur chez Barre Phillips, Peter Kowald, Uli Phillip, John Edwards. En plus, on a très souvent l’impression qu’il n’y a qu’un seul musicien tant leur jeu est coordonné. Et Hemingway et Butcher ont l’intelligence de la situation. Dans : + JB qui dure une demi heure, les volutes du saxophone de Butcher et les froissements de sa colonne d’air sont complètement imbriqués dans les traits tirés par DS et PF. Il offre ce qu’il y a de mieux à jouer avec deux archets et s’abandonne dans un bourdonnement lorsque les doigts et les archets font vibrer les gros violons au plus profond de leur intimité ou la pointe de son soprano sursaute ici et là sue la pointe des pieds. On trouve une réelle qualité de dialogue, même si la musique « n’explose pas » comme chez Mats, Brötz et consorts. C’est avant tout le processus de recherche et de recalibrage permanent des intensités et des intentions qui est à l’œuvre ici. Dans le CD 1 se trouve une dimension où, pour schématiser, les contrebassistes servent leurs invités et, dans le CD2, les solistes invités mettent en valeur le duo de contrebasses. Le bref final de six minutes avec Jacques Demierre est un marqueur : + JD… Le pianiste piquette le jeu de cordes par-dessus l’affairement des cordistes puis silence abrupt par surprise juste avant la dernière minute, silence d ‘où émergent comme dans un songe des sons presque muets, fugaces, une vibration de la corde meurt. Il y a beaucoup de choses à méditer, à découvrir, à rêver dans ces faces. La musique naturelle est avant tout une affaire d’écoute et de réceptivité totale. C’est magnifique lorsque deux improvisateurs se confient au travers du même instrument dont ils connaissent intimement les moindres vibrations. Un rêve quand l’utopie est communiquée à onze autres collègues et amis ! Je vote donc dix sur dix. Leo Records marque ici une vraie pierre blanche en ouvrant son immense catalogue à cette superbe production avec l’aide de Pro Helvetia. Je m’excuse auprès de Leo Feigin de n’avoir pas chroniqué Zurich Concerts immédiatement. Mais il s’agit d’un projet à plusieurs dimensions, composite, propre à la réflexion et qui nécessite un long moment de réceptivité pour son écoute et sa digestion. 

David Toop Into  the Maëlstrom : Music, Improvisation and the Dream of Freedom Before 1970 Bloomsbury.
Voici un excellent essai / étude qui remonte aux racines / origines de la musique improvisée radicale principalement britannique. Avec le livre de Derek Bailey, Improvisation Its Nature and Practice in Music, et les opus d’Eddie Prévost, sans doute, un document indispensable pour qui n’a pu se plonger dans l’effervescence créatrice de cette scène en Grande- Bretagne à Londres ou ailleurs à l’époque. Si David Toop avance quelques thèses qu’il faut cerner précautionneusement en se documentant par l’écoute d’enregistrements ou, éventuellement, en rencontrant des témoins actifs de cette période, son travail rend justice aux musiciens qui ont contribué. Au menu, des témoignages de première main, des souvenirs précis de David Toop lui-même, lorsqu’il raconte son premier concert d’AMM ou le Little Theatre Club ou ceux de Fred Frith à propos du festival de Cambridge 69 lorsque John Lennon et Yoko Ono furent interrompus par John Stevens, John Tchicaï et Trevor Watts. Mais aussi de musiciens d’aujourd’hui comme Jennifer Allum, Adam Linson, Marjolaine Charbin, nés après 1970. L’étendue des références qu’elles soient historiques, musicales, sociologiques et culturelles et leur validité dans le contexte de sa recherche sont vraiment impressionnantes. Kurt Schwitters, John Cage, Percy Grainger, Lennie Tristano, Ornette Coleman, Albert Ayler, Joe Harriott, Alan Davie, le Spontaneous Music Ensemble, John Stevens, Trevor Watts, Lindsey Kemp, AMM , Eddie Prévost, Lou Gare, Keith Rowe, Cornelius Cardew, Terry Day et le People Band, le Little Theatre Club, Evan Parker, Derek Bailey, Gavin Bryars, Nuova Consonanza, Musica Elettronica Viva, mais aussi Cream et Ginger Baker ou Erroll Garner etc… sont inclus dans le parcours en évoquant leur contexte esthétique et historique avec un souci du détail et une fine analyse qui évitent le jargon académique ou l’à peu près mécaniste de la majorité des journalistes. Les sujets abordés s’emboîtent dans le fil de sa pensée avec un réel à propos. Aussi, j’ajoute que pour ceux qui méconnaîtraient la personnalité de DT, il a été très actif dans cette scène londonienne dès la fin des années soixante et a participé intensivement à la vie des lieux et collectifs séminaux comme le Little Theatre Club et le LMC. Evan Parker, musicien impliqué journellement à 200% dans cette mouvance depuis 1965, il y a tellement dans ce texte que cela sera « du nouveau » même pour ceux parmi nous qui pensaient connaître le sujet. David Toop essaye avec succès d’aller au cœur des choses, des événements, des relations entre musiciens et événements, cernant personnalités, lieux, contenu esthétique et pratiques musicales avec lucidité dans le contexte des swinging sixties et de l’évolution des arts du XXème siècle. Il donne ainsi la parole à quantités d’artistes en sélectionnant leurs écrits ou leurs interviews et par le truchement de ses réflexions. Une recherche ouverte où chacun peut connecter sa propre expérience. Son extraordinaire expérience d’artiste, de supporter de la scène, d’écouteur de musiques et de découvreur à l’affut des tendances de fond et son talent de journaliste/ écrivain  transcendent ce livre passionnant, sincère et vécu. Indispensable. Nécessite une lecture intense pour un francophone. Je n’ai pas envie d’épiloguer et de commenter plus avant, car ce chef d’œuvre mérite une lecture approfondie et une longue méditation avant de pouvoir disserter à son sujet.


Trevor Barre Beyond Jazz: Plink, Plonk and Scratch the Golden Age of Free-Music in London 1966 72
J’ai survolé ce bouquin écrit par un fan, Trevor Barre, qui avait écouté intensivement de nombreux concerts de musique improvisée libre au début des années 70’s et épisodiquement par la suite jusqu’à ce qu’il raccroche ces quinze dernières années. Des chapitres sont dédiés au Spontaneous Music Ensemble, à AMM, à John Stevens, Evan Parker, Derek Bailey, Barry Guy, Paul Rutherford, Tony Oxley, Paul Lytton, Terry Day etc…. C’est bien documenté avec des références aux enregistrements historiques parus sur Island (Karyobin du SME),CBS et Rca Neon (Tony Oxley et Howard Riley), Incus Records (Bailey, Parker-Lytton, Iskra 1903) etc. C’est un excellent point de départ pour quiconque essaie de s’informer et Trevor Barre a une connaissance amoureuse de cette musique. Là où le bât blesse, c’est d’abord l’influence de la critique rock et des discographies de la rock scene où on analyse la musique d’un groupe en fonction des disques commerciaux parus. Par exemple : le titre de Super Groupes d’un chapitre sous lequel est rangé le trio  Iskra 1903 (Barry Guy, Derek Bailey, Paul Rutherford) en référence au groupe Cream (Clapton, Jack Bruce, Ginger Baker). Il y a donc dans ce livre des allusions à la scène du rock et c’est vrai que Terry Day, John Stevens et Keith Rowe étaient des étudiants des Beaux-Arts devenus musiciens, tout comme Pete Townshend des Who et beaucoup d'autres. Veut-on rendre l’œuvre lisible pour ceux qui sont imbibés de culture rock et ne savent plus s’en défaire ?  Mais, finalement, je trouve que de telles considérations desservent ce projet d’écriture dédié à une musique aussi marginale. J’apprécie moi-même beaucoup les Who et leur batteur Keith Moon, et tant qu’à faire, il aurait fallu souligner le lien pas si ténu que cela entre le jeu de Moon et la pratique et la réflexion de percussionnistes improvisateurs libres. En effet, Paul Lytton et Roger Turner (percussionniste actif dès 1966/67 avec le saxophoniste Chris Briscoe à Brighton) n‘hésitent pas à parler de son influence en raison de la conception personnelle et novatrice de son jeu. C’est d’ailleurs ce genre de choses qui intéresserait les lecteurs. En traitant des musiciens phares en tenant compte des quelques disques qui sont parus entre 1966 et 1972 : Bailey, Parker, Guy, Rutherford, Oxley, AMM etc, il omet une chanteuse incontournable dans la scène « Little Theatre Club » dès 1968 et qui s’est produit régulièrement au sein du Spontaneous Music Ensemble en 68 et 69. Elle chanta avec Stevens et Watts au premier Total Music Meeting en novembre 1968 à Berlin : Maggie Nicols, une des artistes les plus influentes au sein de la communauté londonienne. Son nom est cité dans le texte mais on ne lui consacre pas un seul paragraphe sous prétexte qu'elle n'a pas enregistré avant 1972. Or on l’entend dans Oliv, le troisième album du SME enregistré en 1969, et sa performance est plus que remarquable (cfr réédition Emanem). Pourquoi cette omission vis-à-vis d’une artiste incontournable dont l’art éminemment personnel est particulièrement difficile à imiter (utilisation d’intervalles sériels avec un naturel confondant) ?  On peut dire la même chose de Julie Tippetts qui chantait avec le SME en 1971 (Birds of a Feather /BYG). J’ai écrit à Trevor Barre pour le lui signaler en le félicitant pour ses efforts, mais il m’a informé que le chapitre Maggie Nicols surviendrait dans le volume suivant, consacré à la période 1972 – 78 (?). Je pense que cela revient à de la discrimination pour une artiste qui a investi énormément sa vie durant, entre autres en animant des ateliers suivis par des dizaines de musiciens. Ce référencement relatif aux disques parus tombe très mal : par exemple le nom de Radu Malfatti est évoqué comme un artiste «récent» (années 90 ?). Or, on trouve sa trace dans les albums Balance /Incus 11 (une année trop tard !) et Ramifications /Ogun, tous deux enregistrés en 1973 avec le «gratin» : Wachsmann, Harry Miller, Paul Lovens, Irene Schweizer et Rudiger Carl.  En parcourant la discographie d’Incus, cela aurait sauté aux yeux de suite. Malfatti a joué avec Stevens (dès 1971) ainsi qu’avec Parker, Lytton, Harry Miller et Chris Mc Gregor à Londres à cette époque et il y a séjourné longtemps. D’ailleurs les archives de FMP /Jost Gebers indique qu’en novembre 1972 (un mois avant la dead-line fatidique !), Radu Malfatti se produit en trio avec Evan Parker et Paul Lytton au légendaire Total Music Meeting à Berlin. Il s’agit là non pas d’une jam (mot cher aux seuls contempteurs du rock) mais d’un travail professionnel dans un lieu et un événement parmi les plus importants de la scène de l’époque avec un des deux ou trois duos les plus essentiels de cette musique. Cela fait de Malfatti un incontournable et cela compte tout autant qu’un disque ou alors à quoi cela sert de jouer de la musique en public devant des centaines de personnes qui se déplacent et découvrent ?? En ne considérant que les artistes publiés et encensés, on adopte une attitude typiquement bourgeoise et capitaliste : on ne prête qu'aux riches. Or on sait qu'un bon nombre de musiciens uniques et de très haut niveau ont travaillé intensément sans avoir enregistré durant des années, voir deux décennies : on pense au violoniste Malcolm Goldstein. 
En fait, si on veut couvrir la période 66-72, il est indispensable de citer la majorité des artistes impliqués dès cette période en tenant compte de leur contribution par la suite. Par exemple, un créateur comme Phil Wachsmann est actif dans l’improvisation libre dès 1969 et il a le même âge qu’Evan Parker. On peut citer ainsi, outre Wachsmann et Malfatti, Larry Stabbins, Marcio Mattos (arrivé à Londres en 1969 et engagé par Stevens dès son arrivée, cfr l’album du SME The Source / Tangent 1970), David Toop, Frank Perry, Ian Brighton, Gerry Gold, Colin Wood, John Russell, Veryan Weston (arrivé au LTC en 1969), Harry Miller (son duo avec Malfatti est exemplaire : Bracknell Breakdown/ Ogun), en décrivant succinctement leur activité, même s’ils sont encore jeunes. Par exemple, il n’aurait pas été inutile de préciser que Wachsmann jouait des pièces de musique contemporaine alternative où il y avait une place relativement importante pour improviser. C’est en 1969 qu’il fit le saut vers l’improvisation totale, car il était devenu évident pour lui que les indications de la partition étaient devenues superflues. Son témoignage est indispensable, car une des sources de l’improvisation libre britannique se trouve dans la pratique de la musique composée contemporaine sérielle et post sérielle. Exemples : Stockhausen faisait improviser ses musiciens en 1969 (Aus Den Sieben Tagen) et Cornelius Cardew et Hugh Davies ont été ses assistants, Bailey a transcrit du Webern pour la guitare et écrit et interprété ses propres pièces écrites et les membres de MEV sont des transfuges de l'univers des Conservatoires. Je schématise un peu fort car ce sujet nécessite une étude. Il y a beaucoup à dire sur cette transition en contemporain d'avant-garde vers l'improvisation libre, ses motivations et ses conséquences. 
Je reviens au critère du disque paru et des classements qui en découle. C’était à l’époque tellement difficile de produire un enregistrement et de pouvoir le distribuer que c’est quasi de la discrimination vis-à-vis d’artistes (aujourd’hui reconnus) qui se sont engagés à jouer cette musique et surtout à en gérer sa pratique (lieux, concerts, répétitions etc), de les considérer uniquement sur la base d’un disque paru alors qu'ils s'étaient démenés pour s'exprimer. Cet artifact est souvent le sommet de l’iceberg et  certains albums légendaires sont des créations de studio : leur personnel n’a (quasi) jamais joué sur scène. Par exemple, Karyobin et So What Do You Think We Are du SME qui réunit Stevens, Wheeler, Bailey, David Holland avec Evan Parker pour Karyobin et Trevor Watts mais pour So What. Ou Topography of the Lungs (Bailey Bennink Parker). Quant au fameux octet de Brötzmann (Machine Gun), c'est un assemblage international réuni pour les festivals où il y avait de quoi payer les musiciens : ils se sont peut être réunis une dizaine de fois en trois ou quatre ans. Or le SME ou Derek Bailey et ses acolytes jouaient plusieurs fois par semaine au LTC et dans un tas d'autres lieux. C'est cette activité régulière qui contribue au développement de cette musique et pas quelques enregistrements qui ne seront pas distribués : on trouva très vite des centaines de copies Karyobin et Ichnos d'Oxley en solde pour une livre chez Woolworth.  Tout ça pour dire que  la musique est un art éphémère qui s’envole pour l’éternité une fois jouée (cfr les mots célèbres de Dolphy) et l’improvisation libre en est la meilleure expression. Alors les disques parus sont essentiellement des marqueurs, des références. Disparus, l’atmosphère du lieu, les corps , l’allure des musiciens, les incartades de John Stevens et les folies de Jamie Muir. On aurait dû d’ailleurs consacrer un paragraphe important au percussionniste Jamie Muir, compagnon improbable de Bailey, Parker et Hugh Davies dans Music Improvisation Company (M.I.C. ECM 1005 1970). Il fut l’un des collaborateurs préférés de Derek Bailey dès 1968 et sa pratique et sa personnalité ont eu une influence sur l’attitude sur scène de Bailey et de plusieurs autres musiciens, y compris Han Bennink, lequel a assisté fréquemment aux concerts hallucinants du People Band à Amsterdam, non sans conséquences sur son comportement scénique. Muir a disparu par la suite après une année chez King Crimson et revint jouer avec Bailey en 1980/82. On peut d’ailleurs voir sur youtube un concert de King Crimson à Bruxelles en 1973, cela vous fera une idée du personnage ! Cette omission est un peu dommage, car Trevor Barre se répète presque d’un chapitre à l’autre en suivant une structure rigide. Il aurait pu faire aisément de la place pour rendre son panorama plus réaliste et vivant en ajoutant ces artistes,  qu’ils aient enregistré ou non. Je suis désolé de faire de telles remarques, car notre auteur s’est démené et est bien méritant : ce livre a un réel intérêt du point de vue des références. Mais il n’est pas à la hauteur du sujet, très complexe et dont les débuts sont mal documentés et reposent principalement sur des souvenirs personnels et des archives telles la discographie /sessionographie de John Stevens qui figure dans le site de Peter Stubley. Pour retracer cette aventure, il est nécessaire de questionner ses participants : ils se prêtent volontiers au jeu de questions réponses et aiment raconter leurs histoires. En les regroupant et en les confrontant, une fresque humaine se détache. Il ne suffit pas d'aimer cette musique, avoir été témoin dans le passé, venir écouter des concerts et posséder une collection de disques pour pouvoir rendre compte valablement du processus créatif. Il y a lieu de se livrer à un travail de recherche à l'écoute de l'expérience humaine des protagonistes qu'ils soient notoires (Evan Parker, Trevor Watts, Eddie Prévost) ou peu connus (Richard Leigh, Robin Musgrove le "chauffeur de John Stevens"). Si déjà un auteur "non musicien" a une expérience d'organisateur de concerts, même des gigs aux entrées ou de prise de sons, cette activité le confronte à l'opinion des artistes, à leurs réflexions et leur desiderata. Ces échanges de vue sont indispensables pour se créer un jugement valable. Si les compliments de Barry Guy figurent sur la couverture, le contenu de ce livre ne fait pas l’unanimité chez les acteurs de premier plan qui ont vécu cette époque. Les valeurs essentielles de cette musique me semblent quelque peu occultées. A consulter, bien entendu,  pour ceux qui sont peu au fait de la genèse et de l'évolution de cette musique car Beyond Jazz: Plink, Plonk and Scratch rassemble des informations qu’il serait malaisé de retrouver facilement même en cherchant dans le web. Mais pour un praticien qui est bien informé etc... ce livre n'apporte pas vraiment une dimension supplémentaire.  NB : J’ai perdu mon exemplaire !


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