They begin to speak Linda
Sharrock Network Linda Sharrock, Mario Rechtern with : CD1 France :
Itaru Oki Eric Zinman Makoto Sato Yoram Rosilio Claude Parle Cyprien Busolini.
CD2 UK : Derek Saw John Jasnoch Charlie Collins Improvising beings ib46
L’irréductible
label Improvising beings présente le
plus large éventail qu’il est possible dans les musiques improvisées, que ses
musiciens soient très jeunes ou vieux et cela sans concession ni considération de "ligne éditoriale" quant au style. Quel autre producteur aurait donné sa
chance à François Tusquès, Alan Silva, Itaru Oki, Burton Greene, Giuseppi Logan
ou le bassiste électrique milanais Roberto Del Piano ou encore publié un
projet loufdingue de 8 cd’s avec Sonny
Simmons et des zèbres comme Anton Mobin, aka _bondage, Michel Kristof et
lui-même (leaving knowledge, wisdom and brilliance / chasing the bird)
?? Non content de publier un compact de Tusquès, ce n’est pas moins de six albums
que Julien Palomo, le responsable
d’IB, a consacrés au pianiste vétéran, montrant ainsi l’étendue de sa palette.
Il lui faut un culot extraordinaire vu les conditions actuelles (vente de cd’s en
berne), car malgré une carrière bien remplie et son implication totale dans
l’avènement du free-jazz en France (il fut le compagnon de la première heure
des Jenny Clark, Portal, Romano, Thollot, Barney Wilen, Beb Guérin, Vitet,
Jeanneau, Don Cherry et de tous les combats), François Tusquès ne jouait quasi nulle part et n’intéressait plus
un seul organisateur ou journaliste. Pour un tel label, c’est presque
suicidaire. Palomo et Improvising
Beings préfèrent s’intéresser à des artistes négligés par les médias
jazz/improvisés ou des inconnus comme Jean-Luc Petit, Henry Herteman, Hugues
Vincent, que de mettre son énergie dans
des artistes omniprésents dans les festivals et une kyrielle de labels (Brötzmann,
Gustafsson, Léandre etc..). Bref, Julien Palomo a la foi qui soulève les
montagnes, et si cette musique improvisée se vit comme une utopie, on peut dire
qu’Improvising Beings est bien le
label utopiste par excellence. Pour preuve, ce double cd de la chanteuse Linda Sharrock, autrefois diva de la
scène avec Sonny Sharrock, puis avec Wolfgang Puschnig et Eric Watson.
Malheureusement pour elle, elle fut
victime d’une attaque cérébrale et en resta aphasique, perdant l’usage de la
parole et de la motricité. Son compère saxophoniste Wolfgang Puschnig, avec qui
elle fit les beaux jours des festivals durant deux décennies, continua son
chemin et c’est avec un autre saxophoniste, Mario Rechtern qu’on la retrouve, celui-ci l’assistant dans sa vie
de tous les jours et dans sa volonté inébranlable de continuer à s’exprimer à
travers sa musique. On se souvient des
vocalises démentielles de Linda Sharrock
dans les albums légendaires de Sonny
Sharrock (Monkey Pookie Boo / Byg
et Black
Woman / Vortex avec Milford Graves). La voilà qui remet çà avec des
despérados comme Mario Rechtern au
sax alto et baryton, le pianiste Eric
Zinman, le trompettiste Itaru Oki, le
batteur Makoto Sato et le bassiste Yoram Rosilio. Improvising beings avait
déjà publié no is no (don't fuck
around with your women)
/ ib-30 et un 45 tours en édition limitée : don’t fuck around with your women / ib30ltd avec les précités. Bien que son registre et
ses moyens vocaux sont restreints par son handicap et son articulation est devenue quasi
inexistante, Linda Sharrock a conservé toute sa lucidité et mène un
combat contre le sort pour crier sa rage de vivre. Avec sa voix, son regard et
sa présence, elle conduit son orchestre depuis son fauteuil roulant, le son de
sa voix chaude et hantée agissant comme la baguette d’un conductor, un peu comme le faisaient Alan Silva ou Butch Morris
pour diriger des orchestres d’improvisateurs. Le premier cédé (They Begin to Speak studio) contient un
enregistrement studio réalisé en mai 2015 avec Rechtern, Oki, Zinman,
Sato, Yoram Rosilio auxquels se sont ajoutés l’accordéoniste Claude
Parle et le violoniste Cyprien Busolini dans trois improvisations
intitulées par leur durée (20 : 24 / 20 : 27 / 12 : 58). Le
deuxième cd (They Begin to Speak live)
propose aussi trois improvisations, celles-ci enregistrées en concert à Sheffield
(22 : 54 / 12 : 33 / 16 :19), réunissant Sharrock, Rechtern, le
trompettiste Derek Saw, le guitariste John Jasnoch et le
percussionniste Charlie Collins, des allumés de la très active scène
improvisée du Yorkshire. En studio (Studio Septième Ciel à Issy les Moulineaux),
l’affaire est chargée, compacte, intense, les huit musiciens remplissant le
spectre sonore : voix, trompette, sax, violon, accordéon piano, contrebasse
et batterie. Le quintet avec les musiciens anglais est plus aéré, fluide, mais
néanmoins tout aussi décoiffant comme dans le final des 12 :33 sous les
coups de boutoir du baryton de Rechtern. L’introduction des 16 : 19 semble
irrésolue, mais on remet ses esprits en place pour clouer un sort à la raison
des fades à la fin du concert. Je pense que c’est plus réussi que le disque
précédent, le projet et la pratique de Linda Sharrock , Rechtern et cie
ayant eu le temps de mûrir. Ces enregistrements sont le marqueur de l’irrépressible
révolte qui sourd toujours, presque cinquante ans après mai 68, dans une
réalité quotidienne de plus en plus inquiétante : les attentats à Paris,
Bruxelles et Istanbul, les centaines de milliers de réfugiés, la précarité
galopante, la Loi-Travail et Nuit Debout, le FN, le glyphosate toujours prolongé,
Donald Trump, Daech, Al Qaida, Boko Haram, la fusillade à Orlando, le racisme, la
Crimée, le Somalie, Fukushima, l’UE et le Brexit, des dirigeants
irresponsables, les fermetures d’entreprises, l’environnement, le réchauffement
climatique et la fonte de la banquise, le fracking et les incendies de Fort Mc
Murray, l’arrogance des hyper riches, les paradis fiscaux, les guerres
interminables. On a reproché au free-jazz de crier et de gueuler au lieu de faire de la musique, mais il semble
qu’aujourd‘hui personne ne contredira que, tout comme l’utopie, mais aussi l’écoute,
la confiance, la générosité, etc…, c’est devenu une nécessité.
Murmuration : Blazing Flame Steve Day
Julie Tippetts Keith Tippett Aaron Standon Peter Evans Julian Dale Anton Henley
Bill Bartlett Leo Records LR 756
Blazing Flame est le
projet poétique et musical de Steve Day en bonne compagnie : les deux
Tippett(s) excusez du peu surtout qu’on ne les entend guère au fil des années.
Peter Evans, un bon violoniste est seulement l’homonyme du trompettiste
américain qui défie la chronique. Mais le propos n’est pas là : Blazing
Flame est un projet colelctif au service des excellent poèmes de Steve Day qui
les chante parle avec une belle
assurance. Il n’est peut être pas un « vrai » chanteur et sa voix est
inspirée par celle des chanteurs rock
british plutôt que par ceux du jazz ou du contemporain. Julie Tippetts
intervient et quand sa voix se laisse aller, on est au paradis. Comme il se
doit dans la scène britannique, ces musiciens se plient complètement pour
servir le texte et les idées de Steve Day, car chez eux (les free improvisers
British), le fair-play egoless, la modestie et l’absence d’idées toutes faites
sont de mise sans qu’il soit besoin de s’expliquer. Le saxophoniste alto Aaron
Standon, le bassiste Julian Dale et le batteur Anton Henley assurent et Julie
et Keith s’insèrent avec goût et originalité sans se mettre en avant. Les
poèmes sont heureusement imprimés dans le livret de pochette ce qui me permet
d’en apprécier la richesse, la simplicité naturelle, la dimension humaine. Le
message passe et on a passé un beau moment avec des paroles, le chant de Julie,
les sons et les rythmes, l’effervescence des moments forts et les vibrations de
chaque assemblage d’instruments. Steve Day joue aussi des percussions. J’ai
toujours trouvé que comme critique, il manquait un tant soit peu de substance
mais comme artiste, il a un cœur gros comme çà.
Un bon projet
Produit par
le Pr Jozef Cseres, chercheur en
esthétique, cet album en hommage au (piano du) compositeur tchèque Leos Janáček a été enregistré dans la
maison du compositeur à Brno,
aujourd’hui le Leos Janáček Memorial,
avec des œuvres d’Alvin Curran pour
piano et électronique et des « altérations » d’œuvres de Leos Janáček et Henry Cowell par Gordon Monahan pour Piano Digital Performer Software et « Native Instruments Akoustik Piano
Software », toutes réalisées par les deux compositeurs in vivo.
Les cinq pièces d’Alvin Curran, jouées sur le piano de Janáček, ont une durée
de 5 à 11 minutes et alternent dans l’ordre du CD avec neuf morceaux de Gordon
Monahan de durée plus courte (entre 36 secondes et trois minutes). Ces
performances ont comme toile de fond la maison du compositeur, l’installation
aérienne de Monahan avec des cordes de piano tendues sur le cadre de deux
pianos installés au jardin et la rencontre, il y a nonante ans, entre Janáček et Henry Cowell à Brno. Le contexte de cette rencontre est réactualisé
dans les performances de Curran et Monahan grâce aux recherches de Jozef Cseres et de Jirí Zahrádka sur les circonstances précises où celle-ci
eut lieu. Pour qui connaît le pianiste et compositeurs expérimental Alvin Curran, on ne se trompera pas en
affirmant qu’il est un des vrais héritiers d’Henry Cowell tant pour les formes
de sa musique que par l’esprit de sa démarche. Les pièces jouées par le
compositeur sur le piano non accordé de Janáček
ont été ensuite mixées et
transformées électroniquement par lui-même et son assistant Angelo Maria Farro. Quant à Gordon Monahan, il a sélectionné des
extraits d’œuvres de Cowell et Janáček exécutées par Curran et les a ensuite
éditées et altérées avec le Digital Performer Software (piano
électronique, somme toute) dont les sons activent douze cordes de piano tendues
entre le sommet de la maison de Janáček et
deux pianos droits placés dans le jardin, six pour chaque piano. Le public
installé autour de ces deux pianos entend la vibration des cordes de ces pianos
amplifiant les sons transmis par les cordes de l’installation, mais aussi en
réaction au vent qui se lève. Tout ceci et plus encore est minutieusement
détaillé et commenté par les artistes eux-mêmes dans les notes de pochette.
L’interprétation de la démarche est magistralement synthétisée en deux pages
par Jozef Cseres, un des
personnalités les plus lucides de l’art transmédia d’aujourdhui, sous le
titre : Janáček Revisited Recomposed and Retuned. Ce texte brillant
complète admirablement les enregistrements et donne son sens à la démarche de
ce double projet. C’est d’ailleurs Cseres qui a commissionné Curran et Monahan pour ce
projet. Ce qui est certain pour moi, c’est que le processus créatif de ce projet
complexe aurait pu être décrit ultra-minutieusement et le mieux du monde par Raymond
Roussel, l’écrivain le plus curieux de l’époque de Cowell et Janáček. Toujours est-il que les sons produits par le
vent et l’installation semblent être entendues réalistement durant la pièce de
Curran The Works, à moins qu’il
s’agisse d’électronique insérée par Curran lors du mixage ultérieur. En résumé,
dans la vénérable demeure du compositeur Janáček et avec son piano en l’état, soit non accordé, deux musiciens / artistes
sonores contemporains, qui ont eux mêmes une histoire, réactualise et transforme
le son et la pratique du piano à travers l’œuvre de compositeurs du passé
avec des moyens électroniques contemporains inconnus du vivant de ceux-ci,
comme si des photos du passé se trouvaient altérées par photoshop sous les doigts
experts d’un grand artiste. J’apprécie particulièrement le traitement du son du
piano en ralentando de Curran dans Inner
Cities et son exécution des pièces de Cowell, elles-mêmes transformées par
Monahan. L’écoute de cet album à l’ambiance toute particulière nécessite un
travail de l’auditeur pour pénétrer la démarche en s’aidant des notes de
pochette et en faisant travailler son imaginaire. For Leos’s est vraiment
remarquable et la musique se situe à la hauteur de l’imagination et de tout le
mal que ce sont donnés les protagonistes pour le réaliser.
NB : Je
ne suis pas parvenu à trouver sur mon clavier la lettre s de Leos
surmontée d’un accent en forme de v qui en fait une consonne différente. Donc
ce n’est pas une faute de ma part, mais plutôt une contingence technique.
Spiderwebs in between the known and the unknown
Chiastic Society >x< 04 / Coincident Sound CS005 / Wholly Other WO17
Coproduit
par trois micro-labels et réunissant les guitaristes Tom Carter, Sandy Ewen et Ryan Edwards en concert à Houston,
Texas le 11 mars 2013, in between the known and the unknown porte bien son titre. Dès le premier des trois morceaux en duo (entre 8 et 12
minutes) qui précèdent le main course de 33 minutes en trio, le ton est
donné : Carter et Edwards font chanter une électricité saturée et
vocalisée avec des notes tenues en créant un arc d’intensités statiques et en
réitérant un motif autour de deux notes de la gamme (Inform the athmosphere). We
were isolated musically d’Ewen
et Edwards nous fait entendre deux manipulations parallèles des mécanismes et
effets sonores de la guitare avec force de micro-détails et un excellente
lisibilité. L’action des doigts et des mains tout azimut sur les parties du
manche, des micros et sous le chevalet entraîne un crescendo de l’utilisation des
effets. Les guitares devenues objets semblent piétinées, les sons fractionnés,
semi-aléatoires, fantômes, s’échappent en lambeaux du subconscient… Toute
l’improvisation est menée avec une vraie
suite dans les idées et la séparation de chacun dans le champ sonore nous fait
entendre qu’il s’agit d’un dialogue spontanément concerté. Les frottements des
cordes et le trafic sonore électrogène de The Most Obvious Choice de Carter et
Ewen prolonge le développement du
matériel de la deuxième plage vers des zones spacieuses et éthérées. Le son des
guitares électriques traitées par de effets multiples atteint une réelle
dimension organique. Le volume n’étant pas saturé, et l’attaque des cordes non
violente, c’est l’écoute qui est happée dans le réseau des timbres et des notes
tenues, suspendues dans un vol de nuages électriques jusqu’à ce que des
dissonances et des frictions dirigent
les deux guitaristes vers un bouillonnement expressionniste. La très bonne
qualité de l’enregistrement rend l’affaire lisible et les guitaristes se
concentrent sur le déroulement de leurs efforts en construisant un univers
sonore cohérent qui évoque souvent des voix humaines transformée en vagues,
ressac moussu ou crêtes de lames vers l’infini. Un lyrisme immanent sous tend
ces deux pièces où toute référence mélodique est écartée pour le chant d’une ou
deux notes en en altérant graduellement la couleur. Dans le long final A happy conjunctions of conditions and
events, les trois guitaristes réunis conjuguent les qualités et les
caractéristiques des duos précédents en implémentant encore plus de matériaux
sonores dans des congruences inédites. Peu de staccatos fébriles et aucun excès
décibélique : il s’agit d’une version
céleste du noise, lequel est à mon goût une veine trop souvent frelatée. Cette musique connaît une relative linéarité, mais celle-ci est transcendée par la richesse sonore des trois guitares
mêlées. A la dixième minute le calme revient et c’est une autre occurrence
d’idées, de motifs et d’affects qui s’établit dans un silence de réflexion et
d’écoute palpable. Une veine mélodique transparaît bientôt concurrencée par des
vibrations inopinées. La qualité de leur écoute croît au fur et mesure que les
glissandi deviennent subtils et subtilisent l’attention de l’auditeur et des
musiciens. Ceux-ci font corps dans un décor de lueurs de galaxies et
d’astéroïdes projetés dans la poussière sidérale.
J’arrête la description en vous jurant que cela vaut le détour même si le
climax est un peu long avec le casque aux oreilles. Car cette musique est
essentiellement live et doit être vécue comme une expérience cathartique. De tels apôtres du son vont assurément prendre les amateurs de rock aventureux par la main pour les emmener (irrémédiablement ?) vers d'autres cieux plus requérants.
Les
amateurs informés connaissent / reconnaissent un certain de guitaristes comme
chefs de file de la mouvance alternative / expérimentale / improvisée et ils
peuvent inscrire d’ores et déjà Spiderwebs
comme leur toile d’araignée préférée. Jimi Hendrix aurait adoré, tout comme Randy California, John Cipollina et
tous ces guitar-héros qui ne craignaient pas de plonger dans les abysses.
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