Pfff …Charles Delizée Fabbiani
Voici un remarquable document d’une musique improvisée enregistrée à trois par Fabrice Charles, trombone, Sophie Delizée, voix et Gérard Fabbiani, clarinette basse en 2008 ou 2009 un soir et un lendemain matin. Cinq pièces entre 9’25’’ et 16’48’’. Album autoproduit avec un beau texte poétique illustré dans un livret inclus dans la pochette ouvrante. On pourrait rapprocher cette musique de celle du trio Contest of Pleasures de John Butcher, Xavier Charles et Axel Dörner. C’est tout aussi intéressant, dynamique et captivant. Je viens de mettre la main dessus en juillet dernier. C’est le genre d’albums qu’on conserve précieusement dans la pile des (nombreux) incontournables qui font craquer l’enveloppe de l’espace-temps et dont les instants font coordonner par un hasard pas si fortuit de superbes occurrences sonores en tout liberté. J’ajoute encore que certains albums de Butcher ou de Dörner sont moins affriolants que ce Pfff…magique. Tout l’intérêt réside dans le travail minutieux sur le son, dans les timbres où le bruit en tant que tel est complètement intégré, dans le flux sauvage et contrôlé par l’écoute sensible et l’action précise dans l’instant qui très souvent semble ici ne pas se répéter. L’enregistrement sature légèrement par instants, mais ce n’est pas un défaut, car il est pris au plus près de l’instrument, permettant la captation de son intimité et de celle des bruissements favorisés par leur activité instrumentale à la limite des possibles sonores et au-delà. Les sons défilent au fil des secondes et se métamorphosent constamment, chaque improvisateur recherchant de nouvelles choses par rapport à la musique des deux autres et la sienne. Accents, éclats, murmures, harmoniques, diffractions du spectre sonore, intensités, craquements, effets de souffle, percussion des lèvres sur l’embouchure, vibrations minimalistes, grognements, phonèmes sourds ou voilés, variations infimes et infinies, poésie sonore, soubresauts de la glotte ou de l’anche et du bocal, sens pointu du timing, paroles subreptices d’une langue imaginaire, interactions imaginatives et illimitées et leurs coordinations instantanées imparables. Amateurs inconditionnels de l’improvisation libre et autres poètes, n’hésitez pas à contacter les deux musiciens/producteurs de cet album fantastique : www.gerardfabbiani.com. Un morceau de la session non publié dans ce cd se trouve ici : www.gerardfabbiani.com/son/ecoute.html Cliquez sur Pfff / S- 11.41 .
Ce trio sublime dépasse allègrement la somme de ses parties. Un vrai trésor.
New York, sax ténor, Ivo Perelman. Chicago, Jason Stein, clarinette basse. Une belle conversation entre deux souffleurs habiles à convoquer graves bourdonnants, glissandi et harmoniques expressives, déambulation onirique dans l’espace, souffles graveleux et étirés, mélodies impalpables, sens de la dynamique, papillonnements indicibles, étirement vers les extrêmes, articulations bousculées. Sans contrebasse, piano et batterie. Une belle conférence des oiseaux désignant à chacune des huit improvisations en duo, un nouveau domaine à explorer, des idées musicales à distendre … Entre autres, une séquence pépiante et bruissante durant la quelle les souffleurs dialoguent avec leur seuls becs … sans saxophone jusqu’au concassage cocasse des sons, canardage, si on veut.. J’aime particulièrement le jeu subtilement microtonal chaleureux (évoquant singulièrement l’Archie Shepp de the Way Ahead, The Pickaninny et Magic of the Juju) du saxophoniste. Musiciens de jazz « libre », Jason Stein et Ivo Perelman déclinent les appétences du jazz contemporain pointu avec bon nombre de paradigmes de la libre improvisation et beaucoup de naturel. Les deux artistes ont pris de la graine dans la lignée des duos d’anches de Braxton, Evan Parker, etc... Complexité, densité, intensités, évocations, univers multiples qui s’interpénètrent, musiques de l’instant et de la mémoire des instants qui viennent de s’écouler, l’essence des choses. Au fil des morceaux, Jason Stein s’accroche méthodiquement à de nombreuses échelles tel un acrobate, alors qu’Ivo Perelman dérape en altérant (presque) chaque intervalle avec sa griffe sonique personnelle, un cri apaisé : le feu qui couve sous la cendre. Vraiment un excellent disque à écouter avec ravissement.
Sans doute un des albums « musique de chambre jazz improvisé libre » les plus attachants de la galaxie Dunmall. Paul Dunmall au sax ténor et soprano, Phil Gibbs à la guitare électrique, Neil Metcalfe à la flûte baroque et Ashley Long John contrebasse… et archet ! Le contrebassiste dynamise les échanges avec une approche joyeusement percussive tant à l’archet inquisiteur qu’aux doigts puissants. On songe à Barry Guy jeune acoustique – post La Faro (sans les dégoulinades émotives d’aucun), en ajoutant qu’il est très personnel – reconnaissable. Tous les amoureux de la contrebasse se devraient de (pouvoir) l’écouter un jour. Ce niveau de jeu coule de source dans une équipe où officie le saxophoniste Paul Dunmall et le guitariste Phil Gibbs, deux des improvisateurs les plus remarquables sur leur instrument. Neil Metcalfe est un musicien secret qui injecte une belle dose de microtonalité dans les volutes aériennes de ses improvisations créant une émulation avec la propension à Dunmall à plus distendre ses notes au soprano. Le timbre de son instrument (en bois) diverge de la flûte métallique et il arrive à lui insuffler un brillant … et de subtiles blue notesinattendues sur un tel instrument. Il ajuste sans doute très précisément le cylindre de son embouchure suivant sa très longue expérience. Même si Neil, aujourd’hui septuagénaire, est peu connu hors de la communauté Londonienne, il s’est révélé après de nombreuses décennies obscures, un élément indispensable ou considéré parmi l’entourage de « pointures » telles que Dunmall, Paul Rogers, Evan Parker, Adrian Northover et de la jeune génération des Tom Jackson, Olie Brice, Benedict Taylor et Dan Thompson. Une personnalité en phase avec celle de Lol Coxhill, son ami disparu. C’est un peu vers Lol et sa voix – système ultra-personnel d’étirement des notes au micropoil inimitable, que lorgne Dunmall dans cette session. C’est sûrement une démarche spontanée de sa part, ses ressources et sa vision ne sont jamais restreintes : difficile de tracer avec précision sa personnalité et le champ de ses investigations en constante extension. On s’en aperçoit au fil de ses innombrables albums qui finissent par donner le tournis à ceux qui le suivent à la trace et mystifient les autres. Guitariste sensible et peu amplifié (quelques effets bien dosés durant cette session, Phil Gibbs tournoie, gire, réitère des arpèges sans attaque, cascade de liquides aux couleurs délicates et travaillées. Un feu follet de la six cordes qui glisse instantanément de la position « face » avec la gauche sur la touche et la droite entre le chevalet et le haut du manche, au tapping intuitif par dessus les frettes ou jusqu’à la position couchée sur les genoux où les mains et les doigts folâtrent indépendamment comme sur une harpe ou un piano, (attirant le regard amusé des auditeurs lors des concerts). Dunmall, tout à l’écoute laisse de temps en temps pagayer une telle volière et s’insère spontanément au ténor ou au soprano quand il ne délaisse pas le front mélodique à l’archet magnifique de Long John. Si les quatre évoluent tels une escadre de canards par dessus les étangs où fleurissent joncs et saules, leur sens du timing les fait aussi rebondir comme des écureuils surpris dans les hautes branches de pin sous un ciel bleu maculé de soleil. Un passage en duo au ténor (articulation chevauchante) fait se secouer les harmoniques de la flûte et entraîne les zig-zags du guitariste et soudainement, la conversation s’apaise par miracle et les sons s’étalent. Un trio s ‘enchaîne sur un autre, donnant à chaque musicien une prépondérance momentanée dans l’équilibre des forces et des attirances. Cet instantané, parmi tant d’autres aussi diversifiés qu’éphémères, éclaire la nature volatile, insaisissable de l’improvisation libre dont l’école Dunmall, Gibbs et consorts en assume la part mélodique au top de la profession, face au travail sonore ou textural de fratries plus éloignées de l’univers des musiques improvisées. Encore un album différent de la filière - filon Dunmall – Gibbs, autrefois Moksha Trioavec le grand contrebassiste Paul Rogers. Comme très souvent, il y a un élément neuf qui surgit dans le jeu du prodige du saxophone : par exemple les véritables morsures au soprano face à la guitare déchaînée de Gibbs dans la plage 5, Seascape’s. Voici une session qui sort du lot, si c’est encore possible dans la saga dunmallienne.
Quintet californien superbement coordonné et très libre. Percussions, le puissant Alex Cline, souffleurs : Dan Clucas au cornet, Peter Kuhn à la clarinette, clarinette basse et sax ténor et Dave Sewelson au sax baryton et sopranino. À la contrebasse, Scott Walton. Une successions de moments légers, puissants, explosifs, graveleux, aérés, éthérés, profonds, fragmentés, hésitants. Le free dans plusieurs dimensions avec une intelligence de l’imbrication des discours individuels dans le collectif. À cet égard le deuxième morceau du disque, The Nibbler, est un magnifique exemple de partage de l’espace sonore et du temps qui se déroule. Les interventions d’Alex Cline, proches des univers de Paul Lovens et de Gerry Hemingway, dynamisent l’ensemble. Son jeu fonctionne comme une horlogerie qui met en branle chacun de ses quatre collègues en alternance créant un subtil jeu de questions réponses réparties irrégulièrement entre les souffleurs qui s’en donnent à cœur joie. Ces improvisations minutées en canon créent une forme et un fil conducteur jusqu’au remarquable solo de percussions en contrepoint d’Alex Cline sur lequel le cornet Dan Clucas enchaîne une controverse reprise par la clarinette stylée de Peter Kuhn qui s’envole en morsure d’aigus au moment où Cline démarre. Si la musique semble fort improvisée, le bassiste Scott Walton pulse avec un drive à la Haden et on découvre petit à petit et après coup une structure qui se dessine, une histoire qui prend forme et se métamorphose en dérive sonique. Peter Kuhn, vraisemblablement démonte sa clarinette en saturant les aigus … Alex Cline a développé un jeu free en équilibre instable dynamique et virevoltant assumant la dimension « free » - libertaire dans sa démarche. Ses collègues sont propulsés, dépassés par ses roulements agrémentés de coups de cymbales, cloches et autre métaux expressifs dans une perspective contemporaine. Le pizzicato intense et puissant de Scott Walton fait tenir l’édifice malgré les coups de boutoir et démarrages du batteur, lequel active les ébats ludiques des trois souffleurs. Chacun d’eux joue un rôle précis par rapport aux autres, contrasté, complémentaire … du growl éléphantesque du baryton de Dave Sewelson aux gazouillements exacerbés de la clarinette de Peter Kuhn. Le concert se termine par une manière de blues et d’Art Ensemble… : The Way Out (Is in).Un des meilleurs albums du genre par un collectif soudé et inventif qui n’hésite pas à introduire dans son free- jazz ouvert des incartades sonores audacieuses avec une réelle indépendance/ interaction de chacun des participants.
Bellezza Fiammeggiante Eugenio Sanna Massimo Simonini Edoardo Ricci Edoardo Marraffa Mirko Sabatini Setola di Maiale SM 3280
Une équipe d’incontournables de l’improvisation transalpine : de Pise, le guitariste Eugenio Sanna, de Florence, le saxophoniste alto Edoardo Ricci aussi clarinette basse et cornetta, de Bologne, le saxophoniste ténor Edoardo Marraffa, Massimo Simonini, crédité CD, disques, bandes, live sampling Casio sk1 et Mirko Sabatini batterie préparée. Mais aussi voix, objets mégaphones, textes... Une belle bande d’allumés captés sur le vif en studio en 2000. Un bon nombre d’improvisateurs (libres) italiens se rattachent au lignage euro-jazz et « jouent de la mélodie ». Moins connus que leurs collègues rassemblés dans l’Italian Instabile Orchestra, ces musiciens sont plus incisifs et radicaux. Dès la première plage, les samples délirants et le platinisme de Massimo Simonini plante le décor, les instrumentistes interviennent par touches bien senties entre le noise pointilliste électrique de Sanna et les timbres étirés et vocalisés des deux souffleurs, Ricci, et Marraffa. L’articulation de ce dernier au ténor et ses harmoniques attirent l’écoute. Sonorités de batterie vraiment intéressantes de Sabatini. Quant à Eugenio Sanna, son inventivité sonore à la guitare électrique est très personnelle. De nombreux changements de registres et d’atmosphères qui collent avec la technique du collage instantané de Simonini. Ça dégage et déménage plus qu’à son tour. Mais durant un autre morceau, la musique se construit par bribes et courtes phrases retenues qui fusent, surprenantes et complémentaires, bruissements et dérapages s’interpénètrent avec une remarquable lisibilité. Le flux est constamment remis en question, l’aspect ludique et non-sensique des échanges mis en avant dans une belle foire d’empoigne expressionniste qui n’est pas sans rappeler les ineffables Alterations. Bellezza Flameggiante est un bel exemple de musique déraisonnable et anarchique, parfois au bord d’une transe semi-contrôlée voire chaotique par instants, état d’esprit et jeu collectif qu’il n’est possible d’atteindre qu’en improvisant librement (et une solide expérience !). En outre, ils s’efforcent de créer des instants précis, formes éphémères où chacun des musiciens est libre d’intervenir spontanément au travers de l’écoute et qui restent gravées dans la mémoire de l’auditeur, car elles n’ont pas d’autre équivalents. Les paroles, morceaux de conversations édifiantes, extraits de chansons tirées par les cheveux et samples de musiques improbables qui fusent çà et là, affirment une dimension surréaliste bienvenue. On s'amuse aussi beaucoup. Vouloir déterminer le degré de réussite, 3, 4 ou 5 étoiles est complètement illusoire avec une telle équipée. C’est à prendre ou à laisser. Moi je prends !
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......