The Rain Sessions Paul Dunmall Jon Irabagon Jim Bashford Mark Sanders FMR CD 492-0618
Deux saxophones ténors : Paul Dunmall & Jon Irabagon. Deux batteries : Jim Bashford & Mark Sanders. Musique en mode Coltrane période ultime (Meditations Ascension Live In Japan Expression Interstellar Space). Cela commence en douceur avec les deux batteurs déjà arqueboutés derrière leurs fûts et cymbales, et les souffleurs qui commencent à chauffer paisiblement les anches et embouchures … avant l’accélération. Cela devient intense autour d’un leitmotiv de deux notes et des harmoniques perçantes. Ceux qui connaissent le parcours de Dunmall songeront immédiatement à l’album Utoma avec le saxophoniste ténor Simon Pickard et le batteur surpuissant Tony Bianco. Paul Dunmall a cette fois laissé de côté ses cornemuses, sax soprano et alto, flûtes et clarinettes des sessions précédentes pour se concentrer sur son instrument premier dont il est un des champions sans appel. À ses côtés, le jeune prodige américain d’origine Philippine, Jon Irabagon, qui dans ce contexte se laisse complètement aller, s’échappant avec son aîné, tel un dirigeable gonflé à l’hélium en rupture de gouvernail, en zigzag par dessus la stratosphère entre les étoiles qui tapissent la voûte céleste. Leurs méandres Coltraniens (Trane étant la source indiscutable de leur travail) établissent des trajectoires improbables dans les points de référence innombrables de la musique des sphères, traçant à profusion des allers et retours dissymétriques entre les intervalles des gammes et modes écartelés et démultipliés. Et pourtant, l’oreille et la mémoire captent des effluves – bribes de mélodies suggérant le blues et les chants africains. Cette musique qui déchire l’espace –temps, est profondément terrienne, tellurique. Elle suggère la puissance des forces de la nature. La simplicité des éléments thématiques – deux ou trois notes en tierces ou en quintes, le cri du blues, contrastent avec les sursauts désarticulés – déflagration d’énergies effervescentes qui se pressent sous le rouleau compresseur continu du ressac saisissant des roulements des deux percussionnistes. Ces deux là voguent en synergie parfaite tel un Çiva à dix bras …. Aussi et à quelques moments, les souffleurs se posent sur le sol en fracturant le timbre de l’instrument à la limite du silence… transformant la perspective. Quelques soient les hyperboles et métaphores que l’on pourrait aligner en écoutant cette musique, je me dis que si Coltrane a ouvert la boîte de pandore à de très nombreux artistes qui ont eux-mêmes ouvert le(ur) champ des possibles du jazz improvisé à sa suite, Dunmall est, avec quelques autres et l’aide de ses fidèles, un de ceux qui le (J.C.) prolongent réellement en utilisant les éléments de son univers pour le rendre vivant aujourd’hui avec leur propre expérience. Out of this world. Illustration pochette : Paul Dunmall. Moralité : un disque énorme qui tranche encore plus dans la production pléthorique de Dunmall, laquelle contient une quantité inespérée de brûlots et de gâteries irrésistibles.
PS : pas encore référencé sur le site du label (FMR publie à tour de bras : 52 CD's depuis janvier 2017 !! ) mais disponible chez Squidco pour l'avide public américain qui suit Dunmall à la trace.
GIO : Glasgow Improvisers Orchestra : The Word For It Now FMR
The Glasgow Improvisers Orchestra est un des nombreux orchestres d’improvisation qui ont essaimé suite à l’expérience du London Improvisers Orchestra depuis 1999 laquelle allie l’improvisation totale avec la pratique de la conduite, celle-ci étant basée sur une gestuelle/ signes – instructions des mains et, éventuellement de la baguette de chef. Lawrence Butch Morris a contribué à répandre cette pratique en faisant suite à Frank Zappa à l’époque des Mothers of Invention et à Charles Moffett. Le London IO a été brillamment documenté par les labels Emanem et PSI jusqu’en 2010 et se perpétue tout en ayant renouvelé sensiblement son personnel. C’est aussi le cas du présent Glasgow Improvisers Orchestra qui, lui, a été fondé quelques années après le London et a enregistré plusieurs albums pour le label FMR avec Barry Guy, Maggie Nicols, Evan Parker, George Lewis. Grâce à l’aide du CCA – Centre For Contemporary Arts de Glasgow où se déroulent leurs répétitions et leurs concerts maisons, les membres du GIO ont pu développer et mûrir une belle musique d’orchestre libertaire et des projets spéciaux, tel celui illustré par A Bit in the Air(2015) le premier enregistrement qui ouvre l’album. Parmi ceux du Glasgow qui avaient rencontré le London Improvisers Orchestra à Freedom of The City 2007( London Improvisers Orchestra Glasgow Improvisers Orchestra separately & together/ Emanem), je note la présence de piliers du groupe : Una Mae Glone, les saxophonistes Graeme Wilson et Raymond McDonald, les guitaristes George Burt et Neil Davison. On notera cette fois les présences de la pianiste Marylin Crispell et de la chanteuse Maggie Nicols. A Bit in the Airest une composition dédiée aux voix (cinq chanteuses) et aux sculptures céramiques de l’une d’entre elles (Cath Keavy). Une belle dynamique et de l’imagination pour tracer, dessiner, colorier collectivement avec talent une fresque sonore à la quelle chacun participe librement et qui s’écoute avec plaisir. Cette capacité individuelle et collective trouve son achèvement dans les deux pièces suivantes de 2013 : A Peculiar Slumber I & II signées Graeme Wilson. La partie I s’intitule From Witchever Angleet la II, Near & Remote. Si de toute évidence la musique du GIO est moins ambitieuse, complexe et brillante que celle du LIO des années 2000-2010 documentée par les CD’s Emanem et Psi, elle est vraiment intéressante avec une réelle profondeur et offre au public un réjouissant bain sonore et musical. Le développement naturel des mouvements du GIO démontre qu’un groupe large et ouvert réunissant sur la base de l’écoute mutuelle des personnalités différentes, voire même contrastées, peut trouver un dénominateur commun caractéristique : un son d’orchestre directement reconnaissable même si le personnel réuni en 2013 et 2015 diverge sensiblement. Une belle réussite.
Untold Story Anne-Liis Poll / Alistair Mc Donald Leo Records CDLR829.
Un excellent duo : Anne Liis Poll, créditée voix, kalimba, bottles, thunder tube, piano, rattle, jaw harp, wind chimes vs les live electronics d’Alistair McDonald, créent de magnifiques paysages sonores, spacieux, exotiques, bruissants, mystérieux (Inside the Two Worlds). Le talent vocal et les glossolalies- effets d’Anne-Liis sont un ingrédient majeur relayé par le travail électronique en temps réel d’Alistair qui dose remarquablement plusieurs pistes / échantillons de son chant en en multipliant les sections en canon mouvant et subtilement irrégulier (Sorrow) ou en agitant l’effervescence de l’articulation de la vocaliste (Click Clack Buzz). Rattlerest une pièce d’anthologie en ce qui concerne les effets percussifs des lèvres alliés à ceux d’un hochet ou d’un grattoir. Chaque pièce offre une perspective et une dynamique sonore et spatiale différente en prolongeant des éléments entendus auparavant et finalement, leur enchaînement forme un tout cohérent. La précision de l’enregistrement et la haute qualité de l’exécution alliées à une forme de spontanéité rendent très attrayant ce travail au départ balisé (et qui aurait pu se révéler convenu). En effet, l’Estonienne Anne-Liis Poll, chanteuse classique de formation, est une improvisatrice délurée et très expressive avec une superbe technique. Les effets sonores tirés de son instrumentarium nourrissent l’évolution du projet au fil de l’écoute des 11 pièces enregistrées. Son partenaire développe une conception « classe » de l’électronique « live » en temps réel : subtilité, synergie, précision, relative complexité et pas du tout envahissante. Techniquement : delay, filtering, live sampling, reverb. Sa capacité à jongler avec les fragments en boucle (loops) de la voix de sa collègue et des niveaux sonores n’est jamais prise en défaut. On évite souvent une série de poncifs. Une grande part d’improvisation avec une mise en scène / en sons talentueuse dans ses dimensions ludique, dramatique et expressive. Très recommandable.
Frame Trio – Luminaria FMR CD491-0618
Ayant chroniqué avec intérêt et souvent positivement les envois du remarquable guitariste portugais Marcelo dos Reisen compagnie d’artistes aussi divers que Carlos Zingaro, Miguel Mira, Vincent et Léo Ceccaldi, Kabas, Luis Vicenteou Eve Risser, j’aurais peut être évité d’encore vous resservir un de ses projets, Frame Trio/ Luminariaen compagnie de son compatriote le trompettiste Luis Vicenteet du contrebassiste du groupe Kabas, Nils Vermeulen. Un bel essai dans le dosage et la structuration équilibrée de l’improvisation libre liée au jazz d’avant-garde (ou l’inverse)par des artistes de la nouvelle génération. Bien sûr, comme viennent de me le faire remarquer des camarades un peu râleurs impliqués depuis des décennies, il y a trop d’albums – compacts…etc. Pour ceux qui connaissent déjà Vicente et dos Reis, un pièce en plus dans leur dossier et pour Nils Vermeulen, un document convainquant. Ici, Marcelo utilise l’électricité à la punk – no wave – noise ou trace des ostinati … et Luis persévère avec fruit sa découverte remarquable des effets multiples des embouchures et de la colonne d’air de sa trompette vif-éclair. Excellent. Nils Vermeulen a une inspiration bruissante et percussive qui s’allie très bien avec ses deux acolytes portugais. Un album de plus, sans doute mais sans redite interne d’une des six Luminariaà l’autre ! Gageons que le quidam intéressé qui ignore tout de ces musiciens passera un excellent moment : plaisir, découverte, énergie, originalité, conviction.
Note : FMR Records est en retard de publication sur son site . Il faut chercher les albums via un distributeur ou les artistes.
The Dorf & consord Die Vollkommene Larve Umland
Bien que publié avec l’aide du Ministère de la Culture de la Rhénanie du Nord – Westphalie et du Muzikfonds, cet album orchestral et opératique illustrant textes et lied (libretto) écrits par Ruskin Watts, eux-mêmes chantés par Marie Daniels et Wilhelm Müller König avec la musique de Jan Klare, a vu son budget pochette réduit à sa plus simple expression et les informations concernant l’oeuvre et sa réalisation sont assez ténues. Difficile alors pour un non-germanophone comme votre serviteur, d'en saisir les tenants et aboutissants et d’en rendre compte de manière appropriée. Le label Umland publie des choses vraiment intéressantes comme le duo Crazy Notions du batteur Simon Camatta avec le violoncelliste Fred Lonberg Holm , Bruit 4 d'Axel Dörner/Torben Snekkestad/ Flavio Zanuttini/ Florian Walter, La Notte de Flavio Zanuttini et Indes de Simon Camatta avec le saxophoniste Georg Wissel et le contrebassiste Achim Tang. J'ai chroniqué ces quatre excellents albums il y a quelque temps. On retrouve Camatta et Walter impliqué dans cette multiforme Die Vollkommene Larveau sein du collectif The Dorf,un orchestre imposant : deux violons, deux violoncelles, deux trompettes, cinq saxophones, quatre trombones, un tuba, un Buchla 200e, un computer, une thérémine, trois guitares, un synthé, une basse électrique et deux batteries. Consord, groupe associé au projet, est de dimension plus modeste : flûte, clarinette, fagott, saxophone, cor, trompette, trombone, tuba et deux percussions. La partition complexe et remarquablement écrite par Jan Klare est exécutée avec brio et le projet est bien rendu par l’enregistrement. La chanteuse Marie Daniels chante le rôle de la Junge Frau ou jeune femme), (l’acteur ?) Wilhelm Müller König dit les extraits de textes de « The Compleat Robot » de Michael Schiven et chante le rôle du commandant des insectes du Cosmos (Kosmos Insektenführer). L’œuvre a été enregistrée au Dorf + Umland Festival 2017. Superbe travail aux crédits du saxophoniste Jan Klare, de the Dorf, de consord et de toute l’équipe. La musique hybride emprunte à plusieurs genres entre musique savante et populaire, jazz, prog rock etc… çà swingue et çà s’écoute avec plaisir, suggérant l’atmosphère des brass bands qui pulullent au-delà du Rhin. Les arrangements sont chatoyants et les rythmes complexes et cela tourne au millipoil. C’est assez réjouissant de constater que des artistes improvisateurs radicaux publiés par Umland sont adossés à un tel projet, entreprise musicale et scénique susceptible d’intéresser festivals et lieux plus « festifs » et « large public », plus large que celui très pointu de la musique improvisée radicale, l’objet des chroniques (reviews) que je vous sers régulièrement dans ce blog. La scène improvisée radicale allemande est relativement intégrée dans la vie musicale locale et nombre de ses musiciens participent à des projets musicaux collectifs originaux créant ainsi une synergie saine et efficace. Jan Klare joue régulièrement avec Bart Maris, Wilbert De Joode et Michael Vatcher dans le groupe 1000 que j’ai repéré (Leo Records) et dont j’espère bien pouvoir écouter l’album publié par Umland . Même si ma méconnaissance de l’allemand ne me permet pas de rentrer plus à fond dans les commentaires sur Die Vollkommene Larve, je souligne la qualité sans faille du projet et l’existence du collectif the Dorf (le village), le quel a publié un album chez Leo Records que je vais essayer aussi d’écouter. Remarquable travail !
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