Sezu Phil Gibbs Marcello Magliocchi Adrian Northover Maresuke Okamoto FMR cd 0487-0518
Guitare électrique (et banjo) : Phil Gibbs, un des plus constants alter-ego du grand saxophoniste Paul Dunmall. Percussions : Marcello Magliocchi, un véritable feu follet pugliesede la batterie alternative dans la meilleure lignée Lovens -Turner - Blume. Saxophone soprano et alto Londonien mordant et distendeur de la polymodalité : Adrian Northover. Violoncelle (et voix), Maresuke Okamoto, énigmatique improvisateur nippon éternellement frippé à la japonaise à la scène comme à la ville. Pour notre bonheur, le groupe n’est pas uniformément relié à une esthétique particulière avec un fort dénominateur commun comme par exemple le légendaire trio Iskra 1903 (Bailey Guy Rutherford). Ces artistes ayant été amenés à se rencontrer successivement au fil du temps, Magliocchi et Okamoto dans des tournées italiennes et portugaises, Northover et Magliocchi à Londres et en Italie intensivement dès 2015 jusqu’à ce jour, Phil Gibbs rencontrant ensuite Magliocchi au Vortex et Adrian Northover à I’Klectic, il s'agit plutôt d'un assemblage amical intuitif qu'une stratégie focalisée sur un dénominateur commun très sélectif. Finalement les quatre se rejoignent en octobre 17 à Londres pour une session où leurs différences se marient grâce à leur esprit de recherche. Une session ad-hoc avec des artistes qui savent évoluer indépendamment de manière intéressante. Il faut entendre Okamoto réciter une histoire incompréhensible en japonais alors que les vagues/ boucles plus ou moins répétitives du guitariste évoluent sans rapport apparent avec les frottements métalliques et grattages percussifs astringents de Magliocchi et le jeu contorsionné à peine audible de Northover. Et l’édifice tient la route. À d’autres moments, le violoncelliste répond au plus profond des intervalles alambiqués du sax soprano pointu. Règne un excellent équilibre sonore des quatre individualités dans le champ auditif. Une volubilité inextricable où l’écoute est prédominante au niveau harmonique, intervalles, bruissements en rhizomes, clés et modes suggérés. Car la suggestion est le mode principal de cette intercommunication – interaction poétique. Partout, les mini-crépitements – roulements accélérés, boisés ou métalliques du batteur commentent les échanges, communiquant une espèce de folie tout en maintenant un savant contrôle sur la qualité de ses frappes et leurs multiplicités – variétés sonores et leur cadence à la fraction de seconde. Des changements sensibles d’atmosphères pointent du nez sans qu’il n’y paraisse, alors qu’est maintenue une cadence aussi tournoyante qu’accidentée. Une capacité de prendre subitement au vol un élément remarquable dans l’invention volatile d’un des collègues et de le réintroduire subtilement … et spontanément dans des variations travaillées. Il me semble que chacun de ses artistes serait peut - être individuellement mieux mis en valeur dans une autre configuration de groupe (duos – trios ..). Mais, confronté à la réalité du moment présent, ils remplissent ces 59 minutes d’inventions, de délires sans ciller, et font valablement évoluer leurs recherches sonores au fil des sept improvisations. La cinquième atteint, sans doute, un état second de la conscience, aiguillonnée par le jeu complètement dingue et violemment microtonal de Phil Gibbs au banjo acoustique. Ce faisant, libère la furia rentrée de Magliocchi et la vélocité de l’archet d’Okamoto, Northover ayant un réel sens du cool, à la fois feutré et dynamique créant un bel espace pour ses collègues. Dans ce groupe, notez, Adrian Northover se retient d’envoyer la purée, mais je l’ai déjà entendu exploser son soprano en fortissimo avec un Marcello Magliocchi furieux. La créativité et la compréhension du groupe se bonifient dans les deux derniers morceaux, Shanty et Sezu, un peu plus longs que les précédents. Plus longs sans doute parce que la matière devient plus dense, plus vécue, plus contrastée, nettement moins prévisible et encore plus convaincante. On essaie plus, on oublie ses réflexes. Certains groupes semblent au premier abord plus réussis, comme par exemple ces duos de pointures confirmées qui sont faites l’un.e pour l’autre et ne peuvent échouer. Cette session s’affirme comme une leçon d’improvisation, de transformation de soi, de partage et de découverte où rien n’est acquis d’avance et tout est à conquérir.
Flavio Zanuttini La Notte Creative Sources CS 505 CD
Un album solo de trompette improvisé / composé dans le sillage des Axel Dörner, Birgit Ulher, Nate Wooley, Mazen Kerbaj, Franz Hauzinger, Masafumi Ezaki, Leonel Kaplan etc… artistes révélés autour de 2000 et qui ont fait parler d’eux. On croirait qu’un chapitre de la musique improvisée avait été tracé. Voici un nouveau venu qui n’a rien à envier à ses aînés. Un excellent album réunissant 9 pièces où les possibilités sonores et expressives « alternatives » sont dilatées, comprimées, étirées, croisées selon l’inspiration du trompettiste. Enregistré au plus près, un grand soin a été apporté à la technique d’enregistrement et au placement des micros. Quelques idées évoquent Bill Dixon (Secrets, Cantabile). ME & me dévoilent des hyper graves superbement contrôlés. D’étonnants effets de souffle obtenus en démontant à moitié l’instrument (Bipede). Chaque morceau apporte sa moisson de sonorités et de timbres fous. Au fur et à mesure que la musique s’écoule (comme le temps) et qu’on découvre les merveilleux détails de cette sculpture sonore vivante qui déchire l’espace, une impression d’infini se fait jour. J’éprouve beaucoup de plaisir à l’écoute de ces extrêmes de la trompette mis au service d’une pensée musicale profonde. Là où la sensibilité et le talent font corps avec une démarche formelle audacieuse. Hautement recommandable !!
KUMBOS Paulo J Ferreira Lopes – Karoline Leblanc atrito – afeito 008
Electroacoustic Composition by Paulo J. Ferreira Lopes. Celui-ci est crédité synthesizers reel to reel recordings electromechanical devices percussion. La pianiste canadienne Karoline Leblanc joue aussi du clavecin, de l’orgue et des field recordings. Le piano, on l’entend, est un Imperial Bösendorfer. Une œuvre intense de 46:36 où s’interpénètrent des traitements électroniques aux sonorités très détaillées, le clavier résonnant du grand piano, des bruissements provenant d’une installation (electromechanical devices), des bandes , des extrêmes sonores qui surviennent brusquement et se dissolvent…Plus qu’un paysage sonore, il s’agit d’un rêve, de portions du temps découpées et insérées aux autres dans une autre réalité, d’un cauchemar esquissé, le piano granitique et monstrueux nous rattachant à notre condition d’auditeur. Le son du piano semble quelque fois traité électroniquement. Karoline Le Blanc enfonce les touches graves avec puissance faisant résonner toute la caisse de résonance au maximum en symbiose avec les sons électroniques et quelques notes du piano altérées électroniquement. Œuvre complexe, dense, radicale, au cheminement imprévisible et vraiment intéressante qui mérite d’être écoutée à plsuieurs reprises pour en déceler les fils conducteurs.
Earle Brown Selected Works for Piano and Sound Producing Media Gianni Lenoci Amirani Contemporary.
Ce n’est pas le premier album du pianiste Gianni Lenoci pour Amirani tant en musiques improvisées que dans la série du label dédiée à la musique (classique) contemporaine. Cet album consacré au compositeur Earle Brown (1926 – 2002) est une parfaire réussite tant au point de vue musical qu’au niveau de la production, vraiment soignée. Pour construire leur univers en improvisant spontanément leur musique, de nombreux artistes se réfèrent directement ou indirectement à la musique des compositeurs contemporains. Edgar Varèse, Schönberg, Webern pour commencer, ensuite Cage, Stockhausen, Boulez, Berio, Xenakis, Morton Feldman. Et Earle Brown. En écoutant les œuvres choisies par l’interprète et qui datent des années 50, on retrouve ce langage contemporain qui investiguait et découvrait tout un champ de possibilités sonores du piano, des résonances alors inouïes qui n’ont pas encore fini de répandre leurs ondes de choc. Et surtout la création de formes qui mettent en exergue ces procédés de jeux, de toucher, ces vibrations, ces contrastes, cette dynamique subtile, eux-mêmes vivifiés par le métier indiscutable et la sensibilité du pianiste. S’ajoutent aussi des moyens électroniques de production sonore. À mon avis, c’est un album important car Gianni Lenoci est non seulement un très solide instrumentiste, mais il a baigné pendant des décennies dans cette musique improvisée d’avant-garde issue du jazz (free) et du contemporain. Cette pratique intense lui permet de faire vivre la musique d’Earle Brown, mieux peut-être qu’elle ne l’aurait jamais été auparavant. Malgré le fait que je n’ai jamais eu le temps d’écouter à fond ce genre de compositeurs comme j’ai pu le faire avec nombre d’improvisateurs de premier plan (cela est dû au fait que j’ai accompli une vie professionnelle à plein temps de 1976 à 2016), je perçois bien toute la puissance paradoxale de cette musique retenue où chaque son est pensé, respiré et soupesé avec soin et la qualité de l’interprétation – mise en vie de Gianni Lenoci.
Akira Sakata Simon Nabatov Takashi Seo Darren Moore Not Seeing Is A Flower Leo Records 843
Quartet « classique » sax alto : Akira Sakata (aussi clarinette voix et percussions) , piano : Simon Nabatov, contrebasse : Takashi Seo, batterie : Darren Moore. Simon Nabatov , un pianiste superlatif, trace sa carrière à coup d’albums Leo avec des musiciens superlatifs comme Frank Gratkowski. Il écope ici d’une très bonne « section rythmique». La présence d’Akira Sakata donne un supplément d’âme. On avait connu ce saxophoniste alto impétueux souffler le chaud et le froid avec le pianiste Yosuke Yamashita et le batteur Takeo Moriyama dans une aventure complètement libre durant les premières années 70 et un registre hyper énergétique voisin des trios Taylor-Lyons-Cyrille, Schlippenbach-Parker-Lovens, Brötzmann-Van Hove-Bennink. Il n’a pas baissé la garde, toujours aussi prompt à en découdre. On découvre aujourd’hui un saxophoniste alto de premier plan, avec une connaissance remarquable/ intuitive des modes et des harmonies. Qu’est ce que cela à avoir quand on joue « free », me direz vous ? À se guider dans la jungle sonore, celle des intervalles auxquels sont confrontés tous les musiciens. Il jongle avec les sons et leur hauteur relative et c’est ce qui rend son phrasé mordant, volatile et perçant vraiment attirant. On suit ses improvisations endiablées à la trace sans se lasser. La maîtrise du clavier de Simon Nabatov est confondante : ses ruissellements cristallins et ondulations de doigtés main droite - main gauche sont superbement articulés et offrent une réponse convaincante aux envolées exacerbées et sensuelles du souffleur. Le groupe est remarquablement soudé et inventif, toujours prêt à s'égarer dans le domaine des sons libres et spontanés. Le batteur Darren Moore est remarquable dans son rôle de soutien - commentateur aussi discret qu'efficace. Le bassiste Takashi Seo se démène pour tirer la musique hors de la zone confort avec une belle puissance. Les compositions – improvisations libres collectives sont rondement menées autour d’intentions précises et spontanément partagées qui transcendent les individualités. Ai écouté plusieurs albums récents de Nabatov et celui-ci est sans nul doute une pièce de choix. Du free-jazz énergique en roue libre, basé sur l'écoute et profondément musical .
Life in a Black Box Willy Kellers Quartet FMRCD0382 0714 avec Paul Dunmall Frank Paul Schubert et Clayton Thomas.
Voici comment rendre le so-called free jazz joué « complètement libre » (sans compositions préétablies et basé sur l’improvisation totale) fascinant avec le quartet schématique deux souffleurs, une contrebasse et une batterie. Je pense qu’il n’y a rien à expliquer. Cette musique peut se révéler prévisible et dans ce cas, parfois relativement ennuyeuse. Mais Life in a Black Box, enregistré live à Black Boxdans la ville de Munster le 14 février 2014 défie tous les pronostics. Ici, en premier lieu, officie le puissant batteur Willy Kellers, un phénomène de la polyrythmie dans la lignée des Milford Graves, Andrew Cyrille, Hamid Drake. Sa fougue (furia, emportement, rage de jouer, énergie folle) n’a d’égale de son invention dans le champ de la batterie conventionnelle. C’est le leader qui infuse sa vision libertaire des choses Clayton Thomas , australien basé à Berlin est un de ces prodiges organiques de la contrebasse de la trempe de John Edwards. Il donne toute sa mesure pour sortir des sentiers battus, mais aussi pour pulser autant que son acolyte à la batterie. Deux souffleurs, Frank Paul Schubert aux sax alto et soprano et Paul Dunmall au sax ténor et à la cornemuse – bagpipes jouent en communion complète. Deux longues improvisations de 33 (First Box) et 24 minutes (Second Box) qui forme l’essentiel de chacun des deux sets du concert, clôturés chacun par un morceau plus court : Interlude (9’) et Burlesque (7’). La combustion d’énergie est considérable même quand les souffleurs semblent effleurer par instants leur anche. Irrésistiblement, la musique collective évolue vers des passages extatiques – statiques qu’on n’entend jamais ailleurs. Un univers sonore dont Derek Bailey disait qu'il ne pouvait être atteint qu'avec l'improvisation libre, discipline qui requiert une bonne dose de fantaisie, qualité de choix selon lui de l'improvisateur "sérieux" dans le domaine de la liberté "totale". Dunmall ajoute un drone à la cornemuse et les fréquences s’interpénètrent mystérieusement. Dunmall et Thomas entraînent spontanément le quartet dans des zones inconnues. Le batteur et le contrebassiste tente avec succès de coller en duo l’un à l’autre comme dans un rêve éveillé. Kellers fait merveille avec des cloches et des crotales qui pointent leur nez à bon escient, conférant une dimension onirique après les déflagrations extatiques. Life In A Black Boxaltère la perception du temps et transforme intensément ce quartet dans une dimension insoupçonnée, qui assume le défi de l'improvisation libre. Vraiment à marquer d’une pierre blanche.
PS : Dunmall, musicien très stylé qui connaît son jazz moderne et traditionnel comme sa poche, se révèle comme un doux poète, un free jazzman explosif tout en étant (plus qu’) à la mesure des saxophonistes de jazz moderne révérés qui défie les lois de la gravitation comme Dave Liebman, Michael Brecker, Joe Lovano etc… . Ses triples détachés et ses harmoniques ont peu d’égaux dans le saxophone contemporain. Un cas rare d’expressionnisme réfléchi et sauvage à la fois. Comme le reconnaissait lucidement un saxophoniste de haut vol : c’est un « tueur » ! Lui et Evan Parker font la paire au sax ténor. Un autre collègue américain très remarqué m’a confié qu’il n’osait pas comparer à ces deux saxophonistes exceptionnels. C'est dire la densité de personnalités comme Kellers, Schubert et Thomas. Dunmall n’est pas plus visible sur la scène simplement parce qu’il préfère vivre dans sa campagne du Gloucestershire, ne se déplaçant hors de Grande Bretagne une ou deux fois l’an si les conditions de travail sont confortables. Donc allez l’écouter à Bristol, Cardiff, Birmingham ou au Vortex à Londres.
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......