Nodosus John Butcher Angarhad Davies Matt Davis Dominic Lash Dimitra Lazaridou Chatzigoga Empty Birdcage Records EBR007
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/nodosus
John Butcher - saxophones
Angharad Davies - violin
Matt Davis - trumpet
Dominic Lash - double bass
Dimitra Lazaridou-Chatzigoga – zither
Septième album d’Empty Birdcage Records, le label du guitariste Daniel Thompson, lequel label s’affirme dans une véritable continuité par la diversité des orientations esthétiques au sein du courant de la musique improvisée britannique, laquelle est plus une communauté amicale voire familiale qu’un conglomérat d’artistes reliés par une appellation musicale, « free », « non-idiomatic improvisation ». Matt Davis et Angarhad Davies ont fait partie du mouvement « London New Silence » a/k/a lower case en compagnie du harpiste Rhodri Davies, le frère d’Angarhad , de Mark Wastell, Phil Durrant etc… au début des années 2000. Matt Davis publia même un superbe album solo pour Confront Records de Wastell et John Butcher a souvent travaillé avec Rhodri en duo. On retrouve Angarhad et John au sein du groupe Common Objects (whitewhashed with lines). Dimitra Lazaridou-Chatzigoga qui joue ici de la cithare s’est agrégée à ce milieu d’avant-garde pointue et il n’est pas rare d’entendre le contrebassiste Dominic Lash en compagnie de John Butcher (cfr deux récents albums réunissant Butcher et Lash avec John Russell : But Everything now left before it arrived (Meenna-962) et discernment (Spoonhunt SHCD003). Tout ça pour dire qu’il n’y a rien d’hasardeux dans la démarche de ces cinq créateurs sonores : leurs recherches musicales sur les timbres, les sonorités et la multiplicité focalisée de leurs agrégats et combinaisons sont aussi basées sur une proximité humaine et une sociabilité partagée. Nodosus est constitué de deux parties : part one et part two (24:04 et 28:03) et développe de lents mouvements où éclosent bien des textures curieuses et particulières obtenues par une utilisation extrême et radicale des instruments au bord du murmure, du bruissement et du presque silence. Ces sons étirés, grésillants, sifflés, bruiteurs, impurs, s’associent, s’agrègent, se stratifient, se distinguent, se soustraient, disparaissent ou s’obstinent, grondant, striant la matière, tremblant, ondulant légèrement, oscillent, se dilatent, s’exaspèrent pour faire un forcing jusqu’à un silence abrupt (20ème minute de part two). De ce silence momentané s’élève lentement un souffle, un chuchotement d’objet froissé, le grondement insaisissable de l’archet et le sifflement de merle des harmoniques de l’archet sur les cordes du violon qu’on confond avec le sax soprano lequel fait vibrer légèrement l’anche fantômatique dans le bocal avec un zeste de souffle. Enchaînement aléatoire d’événements sonores minutieux mais modulé inconsciemment dans une cohérence collective impalpable et évidente à l’oreille. Le merveilleux !
Je me dois d'ajouter encore des commentaires à mon texte précédent ! En effet, je viens de recevoir ce jour (19 janvier 23) la copie CD de cet album Nodosus plus de deux mois et demie après son expédition par le label !! En cause, le processus de dédouanement orchestré par la Poste Belge. Celle-ci retient le colis (inférieur à 100 gr) et m'informe quelques semaines plus tard que je dois remettre une copie de la facture (très élevée, vous pensez !) sans pour autant désigner l'envoyeur (le responsable du label) dans sa missive via la poste. Je m'affaire ensuite sur la plate-forme web de la Poste avec la référence du courrier et là aussi , je constate que le cliché du colis est absent, contrairement à la procédure. Je leur réponds via leur plate-forme en informant qu'il est nulle part indiqué le nom de l'envoyeur : de qui s'agit-il ? En effet, cela pourrait bien être quelqu'un d'autre qui m'envoie un CD Demo. Finalement, je reçois une lettre de leur part m'indiquant le nom de l'envoyeur. N'ayant aucune image du colis (il y est bien indiqué DemoCD Commercial Sample) , je leur envoye une preuve de paiement PayPal à ce label et avec encore quinze jours de patience, le CD arrive enfin !!
Pour rédiger la chronique valablement, il est indispensable d'écouter le CD physique dans une véritable chaîne Hi-Fi et non pas un fichier digital (même) wav. avec mon Ibook Air et ses haut-parleurs. La connection Bluetooth vers ma chaîne (ampli Cambridge) ne fonctionne quasi-jamais. La prise de son (Shaun Crook au Café Oto - Mixé et masterisé par John Butcher) est optimale, le moindre détail de la musique prend sa place dans l'espace sonore. Les sons se déplacent en suspension et leurs fréquences et leurs timbres respectifs s'interpénètrent sans s'annihiler les uns les autres ; certains se ramifient, enflent, se réduisent, muent, s'éteignent.La maîtrise de l'émission sonore est remarquable vu leur ténuité, leur quasi-insignifiance volumique, fétus, pollens, gouttes, fumeroles, grincements dérisoires. La combinaison collective des sonorités et son aspect ludique au ralenti des cinq improvisateurs font qu'on puisse parler de minimalisme interactif. Non seulement, les peintures colorées de Beverley Waller sur la pochette dépliante des EBR Il ("The Land Resonates") sont belles et originales, mais en plus, un texte poétique d'Helen Frosi y figure. Une mention "musicien - responsable de label intelligent, avisé et inspiré" à Daniel Thompson. Soit il propose des excellents duos de lui-même avec ses comparses Benedict Taylor et Colin Webster en CD physique, mais deux autres CD's sont consacrés à un solo de percussion inhabituel de Steve Noble et au projet Nodosus dans une direction esthétique différente de la sienne. En digital only, il y a son bref hommage en solo à John Russell (for John) et deux autres projets réunissant Martin Hackett Phil Wachsmann et Daniel (ha th wa) et Hutch Demouilpied Matt Hutchinson et Sue Lynch (crunch). Aucun de ces albums ne ressemblent au précédent et on voit petit à petit défiler plus de collègues qu'il estime sans pour autant travailler avec eux, plus que ses proches collaborateurs (Benedict Taylor) avec qui il joue régulièrement. Et cela, sans doute, pour être en phase avec l'esprit collectif de cette communauté plutôt que de se mettre en scène et de se refermer sur sa "micro-scène". Exemplaire.
Eternal Triangle Toshinori Kondo Massimo Pupillo Tony Buck I Dischi di Angelica - IDA 052
https://idischidiangelica.bandcamp.com/album/eternal-triangle
Reçu cet album en digital file du label I Dischi di Angelica, lequel est aussi une structure de concerts et d'un festival trentenaire située au cœur de Bologne depuis une trentaine d’années. Angelica draine des artistes de nombreuses sphères alternatives, expérimentales et musiques improvisées. Un innovateur de la trompette tel que Toshinori Kondo (RIP) se devait de rejoindre leur catalogue de CD’s au même titre que Cecil Taylor, Phil Minton & Veryan Weston, Tristan Honsinger, Leo Smith, John Tilbury, Terry Riley, Misha Mengelberg, Anthony Braxton, Roscoe Mitchell, Pauline Oliveros, Plakki Vlakkula, Charlemagne Palestine, Christian Wolff, John Cage, Fred Frith, Lindsay Cooper, Peter Brötzmann etc… et mon favori de l’étape transalpine Gianni Gebbia. Cet Eternal Triangle voit Kondo aux côtés du batteur Tony Buck et du bassiste de Zu, Massimo Pupillo, rencontré aussi en compagnie de Mats Gustafsson. La musique jouée ici met en évidence les paysages interstellaires et galactiques de la trompette du free-jazzman nippon processée et transformée en habiles strates sonores vocalisées en suspension autour d’une planète exocentrée évoquant un orgue électronique ou un synthétiseur avec une bonne dose d’écho et de loops. Aussi bruissements de clochettes et tintinnabulements des cymbales à peine frappées. La trompette joue des gammes étirées et perverties par les effets électroniques. Cette tapisserie sonore perturbée par une massification des strates et leur compression, l’emballement des boucles et des collisions intersidérales décole dans une troposphère étoilée. Il y a indubitablement une invention sonore et une ambition esthétique à ne pas se contenter de l’acquit, mais plutôt chercher des voies de traverses et des tensions parfois peu soutenables. C’est le genre de musique dont je ne recherche pas l’écoute, mais je dois avouer que la qualité du travail est au rendez-vous. On n’engage pas un Tony Buck pour des ronds de jambes pour gogos. Et le son de la trompette ainsi filtrée ou réverbérée a quelques charmes. Des points de rupture nous catapultent vers l’inconnu… Cette musique s’adresse au public de l’électro – ambient – post rock - planant de base etc… et réussit à le tirer vers le haut, le dense, la recherche d’agrégats sonores curieux. Pour un large public averti et friand d’électronisme cosmique. Car de ce point de vue, Toshinori Kondo a plus d'un tour dans son sac avec sa boîte à malices intersidérales
Cochlea Joao Madeira & José Oliveira 4BR Records 4BRcd002
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/cochlea
Enregistré en 2015 et publié en 2022 par un micro-label portugais comme je les affectionne, ce duo contrebasse (Joao Madeira) et percussions (José Oliveira) cultive la recherche sonore et gestuelle affairée en sollicitant un assortiment diversifié de manipulations instrumentales, de techniques alternatives étendues. La caisse, la touche et les cordes de la contrebasse sont palpées, frottées, assourdies, vibrent avec un objet au travers des cordes ou frottées minutieusement au bord du chevalet. L’archet actionne aussi les rebords des cymbales ou un accessoire pressé sur la peau d’un tambour. S’engage un dialogue interpénétré par les sons de Joao et José, tant leur connivence est profonde et qu’il est sensiblement impossible de les distinguer l’un de l’autre. On oublie la source sonore qui réside au creux de leurs instruments pour se concentrer sur les sons eux-mêmes, habités et investis par la conscience profonde du silence et du ressenti de leurs actions intimes. Cochlea Part I en est le prélude pour dix minutes qui semblent hésitantes, tentativesques le temps que la concentration et l’écoute mutuelle s’établisse dans la transe qui les réunit. Dans Cochlea Part II et ses 28 longues minutes, l’auditeur aspiré par leur incessante activité ludique suit le moindre contour, les détails infimes et le tournoiement anarchique des sons et des frappes qui se confondent comme s’il y avait seulement un seul musicien à l’œuvre. Dynamique sonore imparable. Un superbe témoignage d’improvisation libre à la fois pointu, tranchant et feutré, « chambrisme raffiné » exige même si le duo s’introduit de la sorte : Percussive Double Bass et Bastard Percussion. Abonnés de la formidable scène improvisée (collective !) portugaise émergée ces 20 dernières années, Madeira et Oliveira sont des improvisateurs collectifs par excellence.
Je rappelle l’existence de duos enregistrés contrebasse – percussion qui valent le détour : Nisus de John Edwards & Mark Sanders, 13 Definitions of Truth de Peter Kowald et Tatsuya Nakatani, There Must Be A Reason Damon Smith & Jeremy Bryerton et Off Course de Joëlle Léandre et Paul Lovens. Je suis témoin que ce Cochlea est à la hauteur de ces merveilles.
Joao Madeira Aqui,Dentro Miso MCD49.22
https://joaomadeira.bandcamp.com/album/aqui-dentro
Contrebasse solitaire pour une projection intense dans les graves les plus profonds. Sur la base d’un concept, Joao Madeira crée un tissu vibrant organique autour d’un ostinato obsédant, lent, un drone grave, un son de moteur indifférencié, une vibration sous-marine, sur la même seule note à laquelle il imprime un bref glissando. L’œuvre Aqui, Dentro se subdivise en deux Parte, Parte 1 et Parte 2 (24 :12 et 16:50). Après la dixième minute de Parte 1, une cadence s’imprime et les frottements s’accélèrent progressivement par étapes pour évoluer dans une course monocorde qui s’estompe un peu vers la 15’ pour libérer des sonorités adjacentes et créer une sensation rythmique. Le musicien joue avec la structure de base ralentissant et adoucissant la pression de l’archet et lui faisant revêtir de nouvelles durées. En se dirigeant vers la fin de ce long morceau, le mouvement se ralentit graduellement et s’apaise pour s’évanouir progressivement vers le silence. Cette translation unique à travers cette musique continue autour de cette vibration boisée basique est réalisée avec une belle classe et un véritable savoir – faire maîtrisé. La Parte 2 initie un glissement col legno à peine perceptible sur la surface des cordes et quelques pizz isolés et un peu résonnants. Une autre réalité toute différente prends corps comme un fantôme, une vision extatique du presque rien. On se laisse rêver dans cette ode au silence qui entoure le contrebassiste dans le studio. Mais Joao Madeira concocte une surprise en combinant notes graves isolées et cordes assourdies et cette légère vibration qui rejoint le silence, le vide. Cette musique ne se veut pas "excitante", mais nous porte à une réflexion apaisée et à une forme de méditation. Le temps s’écoule vers le néant, la solitude nous réunit.
P.S. À l'écoute de Aqui,Dentro de Joao Madeira, l'auditeur ne doit pas conclure que cet artiste est essentiellement un compositeur "minimaliste" et lui coller définitivement cette étiquette. Sur la pochette de son duo Cochlea avec le percussionniste Jose Oliveira, chroniqué plus haut, Joao se décrit lui-même avec une forme d'auto dérision "Percussive Double Bass" et dans ce contexte sa musique est pointilliste, grinçante, tortueuse et se décline dans une foul'titude de détails sonores, glissandi, frictions de cordes, sifflements, grondements, actions sonores lesquels se situent dans un univers très différent.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
14 janvier 2023
John Butcher Angarhad Davies Matt Davis Dominic Lash Dimitra Lazaridou Chatzigoga/ Toshinori Kondo Massimo Pupillo Tony Buck/ Joao Madeira & José Oliveira
Free Improvising Singer and improvised music writer.
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"soprano lequel fait vibrer légèrement l’anche fantômatique dans le bocal"
RépondreSupprimerLe chroniqueur aurait-il l'opportunité de demander à un saxophoniste de lui montrer (pudiquement) son bocal puis son anche ?! et de constater l'impossibilité de faire vibrer l'une dans l'autre (a fortiori sur un soprano !!!). Merci.
Cher anonyme , j'ai (le chroniqueur) comme amis une belle brochette de saxophonistes de première grandeur dont certains sont régulièrement chroniqués ici. Voici ce que l'un d'entre eux vient de me déclarer pour une toute récente chronique : "it's an amazing text! the first real great review of this cd, no one has really understood that meeting like you did Jean Michel ! et encore : "anyways, thanks for this fantastic well accurately written review of this trio you did" it's a phenomenal review, your sensitivity and knowledge is miles ahead of other writers" ... le signataire de ces trois phrases a enregistré plus de 100 albums et est universellement reconnu dans la profession comme un artiste d'exception. Moi , je n'ai jamais joué de saxophone , je ne sais que vocaliser...
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