16 avril 2023

Adam Bohman/ Franz Hautzinger & Éric Normand/ Jack Wright & Ben Bennett / Samo Kutin & Pascal Battus / Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues & João Madeira

Adam Bohman Music and Words 3 Paradigm Discs
https://adambohman.bandcamp.com/album/music-and-words-3-2

Troisième CD d’Adam Bohman intitulé Music & Words 3 publié par Paradigm Discs, le label de Clive Graham. Clive et Adam Bohman participèrent activement au groupe Morphogenesis. Le catalogue de Paradigm contient un unique triple CD du légendaire Gentle Fire, l’Up Your Sleeve d’Alterations, des albums de Morphogenesis, bien sûr et un mix d’inédits et/ ou rééditions de cassettes ou de vinyles rares d’Adam Bohman, Trevor Wishart, Max Eastley, Daphne Oram, Pauline Oliveiros, Dight Frizzell, Amnon Raviv , etc… même William Burroughs. Cet album Music and Words 3 d’Adam Bohman contient à la fois des pièces/ chansons délirantes des années 80 parues en cassette (« Music ») alternées avec des extraits improbables de ses talkin’tapes enregistrées avec un mini-cassette de poche lors de ses pérégrinations en tournée (« Words »). En fait, Adam enregistre beaucoup à tout moment en décrivant les situations, ce qui vient de lui arriver, les personnes avec qui il se trouve, les lieux où il déambule décrits minutieusement. Il adore aussi lire des menus détaillés des restos cheap en indiquant le prix. L’album débute avec trois morceaux de « musique » (comme ce At Grand Parents/ Hearing Aid ??) et enchaîne sur une série de 6 talkin’tapes enregistrées à Brighton en 2009 alternant d’autres morceaux répertorié « musique ». Parmi ceux-ci se distingue un Unpleasant Discharge Blues n°1 où interviennent des parties de trompette en multi-tracking low-fi et une vague backing track. En fait , Adam jouait de la trompette au début de sa carrière jusqu'à ce qu'il ait éviscéré un violon désaxé. Il y a aussi des chansons improbables telles The Yellow Rose of Zork, Dominic the Dragon Fly, Montague the Toothbrush, une version délirante et potache de Maggie May de Rod Stewart, chansons dont la mise en place est disons aléatoire. On trouve aussi sous cette dénomination « Music » des collages contrastés et bruitistes low-fi utilisant des sons électroniques saturés et édités avec un sens du contraste et de la diversion réussi = Bitumen Sex, Scrum Quartet ou les Interruptions 2. Le tout réalisé avec des cassettes bon marché et les moyens du bord. Une fois la suite des Brighton Pt1 à Pt6 écoulées alternant avec les morceaux/ chansons décrits plus hauts, on trouve à nouveau trois pièces « Music » : Montague the Toothbrush , Maggie May et à nouveau une autre improbable narration outdoors « at Grandparents » . Ces trois morceaux enchaînent avec quatre séquences de description spontanée in situ à Clacton on Sea truffées de détails anodins, parfois croustillants ou nonsensiques de ses observations méticuleuses de l’environnement. Ces quatre séquences de Clacton on Sea éditées au départ d’un de ces auto-reportages potaches et candides, alternent avec des divagations telles que Talkin’ about Manilow , Melancolic Alcoholic, ou une dernière chanson , Foster’s Champions qui clôture cette bien curieuse troisième anthologie « music and words ». À la fois non-sensique, chargée de sens, enfantillage, humour septième degré, patiemment descriptif et indescriptible, sardonique, délirant, sarcastique, faussement candide, prosaïque, infantile, désenchanté, persiffleur, l’art verbal/textuel sans queue ni tête ni antécédent d’Adam Bohman a tout gagné à être produit auditivement par l’avisé Clive Graham, un des plus éminents Bohmanologues en activité. Ne ratez pas un concert de Secluded Brontë ou des Bohman Brothers, cela vous donnera sûrement l’envie de vous pencher sur ses Music and Words.

unbelievably late Franz Hautzinger & Éric Normand tour de bras / inexhaustible editions tdb90054/ie-051
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/unbelievably-late

Depuis Gomberg, le premier album solo de Franz Hautzinger à la quartertone trumpet, le paysage de la trompette est universellement chamboulé ; de même pour le Trumpet d’Axel Dörner et le Kunststoff de Birgit Ulher avec Ute Wassermann. Mais il ne suffit pas de découvrir quelques facettes inouïes de la « méta-trompette » amplifiée, d’enregistrer au plus près de l’instrument, de faire bourdonner la colonne d’air et percuter l’embouchure. Cette recherche doit nourrir un message poétique, une narration musicale, faire du sens pour l’auditeur. La nouveauté de ce postulat sonore et instrumental peut très bien se transformer en gimmick, posture ou auto-caricature. Mais un musicien de la stature de Franz Hautzinger est bien conscient que cette esthétique relativement « minimaliste » d’infrasons basée sur des techniques de souffle aussi contraignantes pourrait aboutir à une voie sans issue et sa démarche pourrait finir par tourner en rond. Comme ses deux collègues (Axel et Birgit), Franz recherche sans relâche les moyens, l’inspiration et l’énergie pour faire avancer expressivité, technique et trouvailles dans ses improvisations en compagnie d’un ou deux collègues qui partagent sa vision musicale. Les six pièces ci-enregistrées en 2020-21 entre 4 et 9 minutes chacune conjuguent bien des atouts. On est médusé par sa capacité à faire évoluer sur la durée ces effets sonores, bruissements de l’embouchure, coups de langue et frémissements des lèvres ces passages chuintants ou sifflants de l’air délicatement pulsé dans le tube, notes tenues acides …. Les interventions discrètes et diversifiées d’Éric Normand, ses effets électroniques ou le toucher subtil des cordes de la basse électrique (instrument ingrat dans ce contexte) contribuent superbement à la mise en valeur de leurs dynamiques conjointes à cet esprit de neutralité – no man’s land sonore d’interaction tangentielle, cette fantômisation mystérieuse des sons instrumentaux. Mention spéciale pour la sensibilité d'Éric Normand. Par de là le bruissement sonore se dégage un sens secret de micro-mélodie et d’intuitions harmoniques indéfinissables basées sur l’écoute et cette expérience de longue haleine. D’avoir persévéré dans cette voie singulière leur a ouvert les portes de signes et syntaxes neufs ou renouvelés par 731des coïncidences ludiques conscientes ou spontanées. Un bien curieux univers sonore destiné à une écoute apaisée et concentrée. Excellent !

Jack Wright – Ben Bennett Augur Palliative Records
https://milmin.bandcamp.com/album/augur

Enregistré et réalisé dix ans après leur album Tangle, Augur est l’augure d’un des plus scintillants enregistrements en duo entre un/des saxophones (alto-soprano) et un percussionniste, le souffleur Jack Wright, plus de quarante années d’improvisation au compteur, et son « cadet », Ben Bennett, le lutin – esprit frappeur percutant ses instruments à même le sol, les talons nus enfoncés sur les peaux de ses deux tambours sur cadre… Ce duo n’a rien à envier au duo SME de Face to Face (Watts - Stevens), il y a … un demi-siècle, année lumière de l’improvisation radicale. Ou encore, Roy Ashbury et Larry Stabbins dans Fire Without Bricks, Roy jouant aussi ses instruments épars sur le sol. Jack Wright est sans doute un des plus anciens « free-improvisers » en activité aux U.S.A. et un des plus engagés esthétiquement et socialement. C’est aussi un virtuose du saxophone qui cache bien son jeu, pointant ses triples détachés quand c’est l’instant, canaillant l’anche à la Lol Coxhill, soutirant harmoniques, morsures, multiphoniques , glissandi, bourdonnements, et vocalisations en interagissant adroitement avec son collègue. L’exigence de qualité supérieure de leurs échanges est évidente et très remarquable. Chacun d’eux suit son chemin à fond dans leur univers sonore personnel et distinctif et coïncide à des instants précis, vif-argent, dans les recoins des accents marqués ou des silences propices. Il faut surtout voir le Ben Bennett frapper avec une précision étonnante et éclatée rebords et peaux alors que l’on devine l’impassible bonhomie de Jack Wright, et sa figure d’écrivain philosophe voyageur. Celui-ci canarde et tarabiscote ses articulations sauvages du son, sursautant dans les aigus ou zigzaguant dans les intervalles écartelés par-dessus les rebonds, chocs, frappes sèches et raclements de son alter-ego tirant d’infinies nuances de frappes sur deux peaux souvent sourdinées avec les pieds, les mains, ou un gros woodblock voyageur. Ben souffle aussi dans des membranes tendues sur deux cylindres ou un tube connecté à une membrane arrosée d’eau dont il tire de curieux effets de volatiles siffleurs ou criards… Bref, c’est de l’improvisation dynamique interactive de haut niveau et un spectacle visuel, le batteur virevoltant des baguettes comme le lutin du Bois aux Roches de notre enfance. L’imbrication mutuelle est très sophistiquée alors que leur musique a un aspect « sauvage » organique. Hautement recommandé !! PS : Le label estampillé « Palliative » est un euphémisme pour une gesticulation sonore aussi émoustillante.

Samo Kutin Pascal Battus living bridges edition friforma eff-014
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/living-bridges

Un bon génie du son alternatif d’envergure hante les hauteurs de Slovénie. Il a nom Samo Kutin et sa rencontre avec Pascal Battus, notoire guitariste français bruitiste, ici crédité rotating surfaces, objects, cymbals, s’annonce vraiment passionnante pour devenir envoûtante tout au long des sept pièces enregistrées dans des lieux inhabituels avec des résonances particulières « old stable in lesno brdo, ou tkalca cave in rakov skocjan ». Samo manie des vièles à roue, objets et des résonateurs acoustiques. Je me souviens d’un album sauvage avec Martin Küchen (Stutter and Strike/ Sploh) et un autre complétement hanté avec Lee Patterson (The Universal Veil That Hangs Together Like A Skin/inexhaustible editions). Si Sutter & Strike avec Samo étaii aussi vénéneu qu’allumé et orgiastiques, le présent compact i-e étire des drones sonores sourdes, grésillantes, sifflantes, métalliques, industrielles, frottements grinçants etc… avec une belle dynamique et des densités irréelles. Impossible de définir la source sonore, l’instrument ou les objets actionnés. Mais question qualité de timbres alliée à la profondeur de champ auditive, l’ionisation des vibrations et les imbrications de strates sonores en flux mouvant et oscillant, l’auditeur exigeant a décroché la martingale. Les notions de minimalisme, de lamination et autres avant-garderies récurrentes qui souvent/ parfois génèrent la morosité et la vulgate didactique, n’ont cours ici. Même quand le morceau débute avec une cymbale frottée et ses harmoniques tenues, une expressivité, une truculence parfois s’impose. Des scories craquèlent, d’autres frictions d’objets ou de cordes s’élèvent, enflent, s’ajoutent, résonnent, crachouillent, ahanent. Le septième morceau nous envoie dans un autre monde. On est au pays des farfadets, des nutons cosmiques, de la lutherie sauvage, et l’alap des sorcières des Alpes de Kamnik Savinja s’apprête à voir bouillonner un rituel mystérieux.
Edition friforma est une succursale de l'incontournable inexhaustible editions.

Cosmos Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues João Madeira Creative Sources CS 731CD
https://ernestorodrigues.bandcamp.com/album/cosmos

Trio alto (Ernesto Rodrigues), violoncelle (Guilherme Rodrigues) et contrebasse (João Madeira). Il n’y a rien à faire , je suis friand des groupes d’improvisation réunissant exclusivement des instruments à cordes de la famille des violons. Que ce soient les associations au tour des Rodrigues père et fils, surtout avec leur ami Madeira qui les connait si bien, que le String Trio d’Harald Kimmig Alfred Zimmerlin et Daniel Studer ou le Stellari Quartet qui réunit Phil Wachsmann, Charlotte Hug, Marcio Mattos et John Edwards, je suis toujours aux anges tant la qualité de son, l’intime proximité de chacun des cordistes, la conviction qu’il s’agit de la meilleure combinaison instrumentale pour violon, alto, violoncelle et contrebasse. En outre, l’alto, instrument, très exigeant, a cette particularité d’être plus riche au niveau textures et densité des timbres que le violon. Voilà ! On n’a de cesse de d’écouter et réécouter leurs spirales et volutes infinies, pizz puissants et sauvages, harmoniques filtrées, accents nasillards, contrepoints spontanés, et leurs assemblages mouvant d’idées et d’esquisses concertées et déconcertantes, cadences brisées, fuites en avant, tutti vibratiles, échos fébriles, col legno subtils, ralentandos touffus, cafouillages hystériques, col legno subtils, sonorités s’amplifiant par la magie des pressions plus intenses de l’archet, …. Cascades et touffus sous-bois, landes désolées et ample rivière qui s’écoule presqu’en silence. Les figures et leurs évolutions traversent bien des paysages sonores et de multiples colorations. L’auditeur en retire un sentiment d’infini, une plénitude sans nom, celui d’une écoute intense et d’un trilogue forcené où le moindre son compte même s’il est avalé par le temps. L’énergie du free primal conjoint à une science musicale raffinée. Sans doute une de leurs meilleures réalisations parmi beaucoup d’autres.
P.S. : On a entendu les Rodrigues avec Matthias Bauer et Dietrich Petzold (dis-con-sent) ou Klaus Kürvers et Julia Brussel (Fantasy Eight) ou dans l'Iridium String Quartet, pièces de choix du tout-violon-alto-cello-basse sur le label Creative Sources vers lesquels vous feriez bien de vous ruer, ça vous changera des saxophonistes testostéronés et des guitaristes destroy.

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