Axel Dörner & Itaru Oki Root Of Bohemian
Improvising beings ib 36
Le label Improvising Beings se distingue encore par son imprévisibilité. Réunir les deux chercheurs de la trompette Itaru Oki et Axel Dörner pour un album duo, il fallait y penser et même plus, dans le conformisme ambiant des préjugés qui consiste à mettre ensemble des musiciens qui ont la même étiquette, il faut oser ! Surtout en France, pays du rationalisme et de la discussion à propos de tout.
Axel Dörner est faut-il le rappeler, le parangon de la trompette du réductionnisme des années 2000, du New Silence etc… représentée en France par le label Potlatch. Itaru Oki est un bohême japonais qui fit partie du cercle rapproché des Frank Wright, Alan Silva, Noah Howard, Bob Reid, américains émigrés qui hantaient l’American Center durant les seventies. Il fut de l’aventure du Celestrial Communication Orchestra d’Alan Silva à l’époque de l’IACP. Son travail sur la trompette et ses instruments inventés avec pavillon fou et tubes extravagants sont remarquables et plein d’ingéniosité. Ecoutez son très beau Chorui Zukan en solo (Improvising Beings ib23). À Paris, on ne l’entend guère qu’avec Abdou Bennani, Makoto Sato, Alan Silva… On se souviendra d’un article de Jean- Louis Chautemps intitulé « la crise du bœuf » qui déplorait le manque de rencontres et de tentatives de jouer à Paris et cela datait des années septante. Mais n’épiloguons pas… Voici une très belle rencontre, une mise en commun improvisée de l’espace sonore, un dialogue subtil mettant en évidence les techniques alternatives, voire aléatoires de la trompette. Différents et semblables, évitant les clichés de la trompette « free », nos deux chercheurs trouvent le moyen de tenir l’auditeur en haleine par toutes les occurrences sonores, interactives, la prodigue multiplicité des effets de souffle et mises en parallèle des singularités. Il arrive bien qu’Oki dornérise et qu’Axel le rejoigne sur son terrain des aigus flageolants et des glissandi. On évite la virtuosité au bénéfice d'une complicité de deux musiciens qui deviennent tout l'un pour l'autre. Vraiment original et inattendu.
Anton Mobin & Benedict Taylor
Stow / Phazing
Raw Tonk Records RT008
Violon
alto providentiel de la scène londonienne,
Benedict Taylor collabore ici avec
l’artiste bruitiste/sonore Anton Mobin, crédité aux prepared chambers. Ces sons
évoquent le travail de feu Hugh Davies et ses ShoZyg ou la table d’objets amplifiés d’Adam Bohman. Une ferraille
amplifiée et légèrement traitée par le dispositif crée un riche univers sonore
pleins de vibrations électroïdes, de frémissements métalliques brumeux, de cordages
bourdonnants, de ressorts vibrants. Le jeu d’archet à la fois délicat, bruissant et
coloré de Taylor se conjugue à merveille avec les inventions de son acolyte,
lequel a effectué le mixage, excellent. L’inventivité sonique de l’altiste est
sans relâche et le rapproche de la démarche de Malcolm Goldstein. Vu la difficulté de l’instrument, le violon
alto, on peut d’ores et déjà affirmer que notre violiste est un musicien rare,
comme sa collègue Charlotte Hug. Il y a peu d’altistes qui atteignent le niveau
d’excellence des grands violonistes et certains d’entre eux hésiteraient
fortement à s’exhiber avec un alto ! Les sons et la dynamique d’Anton Mobin font de lui un artiste de premier plan dans le domaine des objets
amplifiés. Son travail n’a rien à envier à Hugh Davies. Que du contraire !
Sa capacité à faire se mouvoir un flux d’idées et de propositions qui font jeu
égal avec un instrumentiste improvisateur aussi exceptionnel que Benedict
Taylor fait de lui un artiste à suivre, autant que son partenaire. Une belle indépendance assumée avec une écoute
pointue de part et d’autre. Une exploration des timbres, du frottement de
l’archet dans ses derniers retranchements,
des doigtés les plus out, un jeu bruitiste animé par une énergie
folle et contrôlée: c’est ce qu’autorise une technique fabuleuse à laquelle répond le sens de l’invention très sûr du chambriste préparé. Donc, pour conclure un superbe dialogue
requérant et assumant tous les risques et écueils de l’improvisation.
Frode Gjerstadt Louis Moholo Sult FMRCD 369-0214
Conversations
sur la pointe des pieds et toutes en finesse de deux poids lourds du jazz
libre. Le sud-africain Louis Moholo
est connu pour son drumming intense et chargé depuis l’époque où il jouait avec
Mike Osborne, Dudu Pukwana, Irene Schweizer, Brötzmann il y a fort longtemps.
Mais comme Frode Gjerstad, il a
fréquenté le légendaire John Stevens et en qualité de confrère de la communauté
improvisée radicale londonienne, ce batteur africain en connaît un rayon en
matière d’improvisation libre. Il crée ici un univers percussif en tenant
compte du silence et de la dynamique et en phase avec ses racines africaines.
Une superbe qualité de frappe sur les peaux qui évoque presque les zarbistes
iraniens et leurs tambours sur cadre soufi. En effet on croirait entendre une batterie à
main nue. Les cymbales complètent discrètement les roulements et battues
mettant en évidence la légèreté dynamique, un peu comme la tampura dans la
musique indienne. Frode Gjerstad contorsionne la clarinette en glissant vers
les harmoniques aiguës. Quand vient un motif mélodique presqu’oriental, Moholo
entonne une marche qui s’égaie ensuite sous les
articulations disjointes du souffleur et les déchirements du souffle, accélérant la cadence et le débit sans se départir de cette dynamique
rare. C’est un parfait exemple
d’équilibre entre deux artistes qui cherchent à dépasser les tendances habituelles
du free-jazz improvisé pour trouver dans leur pratique une fraîcheur, une
lisibilité à travers laquelle l’émotion
n’est pas feinte. Au saxophone alto, Gjerstad explore l’expressivité des
volutes en les mettant de guinguois et en picorant avec inspiration dans son
stock de phrases comme si c’était tout neuf. Un rythme africain vient poindre
dans le duo avec l’alto et se déboîte par magie. Dans chaque morceau, le
batteur nous offre un développement nouveau de ses rythmes croisés et
pulsations libérées, comme dans Sult 2 avec ses changements de
métrique. Dans cette séquence, Gjerstad joue d’une clarinette alto alternant
rêveries et morsures. Le batteur fait des merveilles. Pas
étonnant que Louis Moholo a enregistré en duo avec Leo Smith ! Pour ceux qui
aiment le son naturel de la batterie sans clichés, c’est une belle pièce à
conviction. Vraiment superbe et à conserver pour les soirées au coin du feu.
Paul Dunmall & Tony Bianco
Autumn FMR
CD392-0115
La saga
dunmallienne continue ! Avec son acolyte, le puissant Tony Bianco à la
batterie, Paul Dunmall ajoute encore un exploit à son extraordinaire
trajectoire d’improvisateur sans pareil au saxophone ténor, et dans cet album à
l’alto. Un concert explosif, une véritable sincérité dans l’improvisation et
dans l’engagement. Jazzman jusqu’au bout des ongles, le souffleur est avant
tout un chercheur de l’au-delà du Coltranisme inspiré par les grands maîtres du
ténor du vieux Ben à Shorter et Evan Parker. À partir de cette expérience et d’une
pratique compulsive, Dunmall crée les improvisations les plus remarquables au
saxophone ténor alliant un sens inné de la construction et une fureur emportée.
Musicalité exceptionnelle sans tic coltranien. Passant des triples détachés sur
des intervalles parfois biscornus à une vocalisation forcenée, ce sont tous les
états de chauffe de l’instrument qui se révèle à notre fascination. Ici c'est l'alto qui est sollicité sur Echoes of London et on entend clairement qu'il "n'est pas un altiste". Mais au diable, l'intensité elle est au maximum ! Sur la pochette des feuilles mortes, car l’arbre
n’arrête point de grandir. Un colosse du saxophone incontournable en compagnie
d’un batteur polyrythmicien de la veine de Rashied Ali. Plus que çà tu meurs !
P.S. J'ai déjà débattu à propos de ce duo mais bis repetita placent !
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