Ensemble : Densités
2008 Chris Burn John Butcher
Simon H.Fell Christof Kurzmann Lê Quan Ninh Bruce’s Fingers BF 135
Bien qu’il joue nettement moins depuis qu’il s’est établi en
France, le contrebassiste – improvisateur – compositeur – chef d’orchestre Simon H Fell est loin de rester inactif
sur son label Bruce’s Fingers. Après des années de valse hésitation à propos
d’un mix de cet excellent concert, voici, enfin ! , la performance d’Ensemble
au festival Densités 2008 publié en Digital. Faute de pouvoir produire en
CD ou en LP ses multiples projets et aventures (et celles de ses protégés), SH
Fell a recours au digital. À l’aide d’un casque au départ de l’appli I Tunes et
avec un son très présent et détaillé, je parcours avec enthousiasme les 40
minutes de cette improvisation collective remarquablement diversifiée, soudée
et exploratoire au niveau du travail des sons. Sax ténor – piano – contrebasse
– percussions + électronique : on a là les ingrédients parfaits pour ne
pas aller bien plus loin que le free – jazz de bon papa à l’américaine (le free
free-jazz) ou la free-music tempérée issue de la pratique des conservatoires.
En fait, j’ai si peu entendu d’autres enregistrements qui partent si loin dans
la découverte des sons avec un groupe d’instruments aussi connotés « jazz
quartet ». À l’époque de cet enregistrement, S. H Fell et le pianiste Chris
Burn avaient enregistré en trio avec le pianiste Philip Thomas un
remarquable opus, The Middle Distance
(another timbre at24). Ici, Simon H Fell
et Chris Burn se sont joints au
saxophoniste John Butcher avec qui
C.B. travaille depuis les premières années 80 et au percussionniste Lê Quan Ninh, un improvisateur pointu
aussi incontournable et très original. Le musicien électronique Christof Kurzmann complète l’équipage.
Ce serait sans doute un des meilleurs témoignages de l’évolution du Chris
Burn Ensemble, un groupe focalisé sur l’improvisation radicale et le
travail sur base de partitions graphiques initié par Chris Burn, si le groupe
ne s’intitulait pas Ensemble, tout court. Je laisse libre le fait de savoir s’il
s’agit dans les faits du CBE ou si le terme Ensemble
est une allusion à celui-ci ou si… sans questionner les auteurs. Finalement, SH
Fell me confirme qu’il s’agissait bien du Chris
Burn Ensemble, mais que le pianiste a préféré l’appellation Ensemble, sans doute pour souligner
qu’il n’aurait pas formulé de marche à suivre. En effet, le seul long titre de
l’album, Densités 2008 me semble être une improvisation libre (40:51),
même si des mouvements se distinguent au fil de l’écoute : cela pourrait
être aussi une composition « très ouverte ». Impossible à
déterminer ! Pourquoi fais – je
référence au Chris Burn Ensemble ? Chris
Burn fut le compagnon alter ego de John
Butcher dès leurs débuts vers 1981/82 et son groupe, le CBE, a compté parmi ses membres, outre Butcher et
Burn, des artistes comme John Russell, Marcio Mattos, Jim Denley, Phil Durrant,
Matt Hutchinson, Stevie Wishart, Mark Wastell, Rhodri Davies, Nikos Veliotis et
Axel Dörner. Plusieurs albums ont été publiés depuis 1990 sur les labels Acta (Cultural Baggage et Navigations),
Emanem (The Place et Horizontal White)
et Musica Genera (CBE at Musica Genera 2002). Ce fut donc,
pour moi, un des groupes à suivre, ne fut-ce que parce que son parcours reflète
l’évolution de la scène improvisée libre depuis la cristallisation des radicaux
autour du trio Butcher, Russell & Durrant,
Radu Malfatti, etc… dès les années 80 jusqu’au développement d’une autre
improvisation (minimalisme, réductionnisme, lower case, EAI) dans les années
2000 (Davies Durrant Wastell Dörner). Certains de leurs enregistrements
révélaient une véritable synthèse des préoccupations musicales de cette
communauté en la reliant aux
investigations des Gunther Christmann, Alex Frangenheim, etc…Densités
2008 est une pièce d’un seul tenant et sans nul doute un témoignage de
première main de la démarche de Chris
Burn, un pianiste radical aussi à l’aise à explorer les profondeurs de la table
de résonnance, des cordes et de l’armature du grand piano qu’à interpréter
Charles Ives ou John Cage ou à mener le travail orchestral avec ses fidèles du C.B.
Ensemble. Dans Densités 2008, chacun des
participants imprime une trace très personnelle tout en intégrant l’activité
collective avec une foi débordante. La circulation des timbres, des gestes, des
battements des sons, de l’action se transmet immédiatement entre chaque
musicien avec une immédiateté et une énergie peu communes. La présence de Lê Quan Ninh donnne une dimension
organique, chamanique et ensauvagée à la dimension plus pointilliste de Butcher
et Burn. Je signale un enregistrement similaire avec ce percussionniste : Une Chance Pour L’Ombre avec Lê Quan,
Doneda, Kasue Sawaï, Kazuo Imai et Tetsu Saitoh (label Bab Ili Lef). Dans ce
contexte collectif, John Butcher est
complètement en phase avec ses collègues jouant l’essentiel dans l’instant
et en symbiose, oubliant le rôle de soliste conféré au saxophoniste et assumant
l’effacement de son style personnel dans le flux des actions sonores (J.B.
butchérise à bon escient vers la 25ème minute). Aussi, les loops de Kurzmann étonnent par leur singularité
et par la place étrange qu’ils acquièrent dans le champ sonore, intriguant
l’écoute attentive. Consciemment, le contrebassiste, Simon H Fell, trace son parcours sans sauter à pied joint sur les
sollicitations faciles, contribuant ainsi à la diversité sonore. Il faut
entendre les vibrations de la grosse caisse et le grondement de la contrebasse
suivi des murmures de chaque instrument vers la 11ème minute où
chacun propose et l’Ensemble dispose pour reconnaître de bonne foi qu’on
s’approche de l’état de grâce. Cet état de grâce ressurgit à plusieurs
reprises, l’inspiration ne se tarissant pas. Certains des sons et techniques
alternatives sollicitées pourraient composer dans un « herbier »
désincarné de type études, mais il y a une vie intense, une grande sensibilité
instantanée, des choix très subtils. Cherchez dans Youtube des associations
instrumentales et personnelles de ce type avec des personnalités d’envergure de
l’improvisation et filmées dans des festivals incontournables, il vous faudra
chercher très longtemps pour arriver à trouver quelque chose d’aussi abouti… Si
les albums du C.B.E. contenaient plusieurs compositions différentes
développant différentes idées, Densités 2008 concentre et
exemplifie la démarche de ces artistes en une seule pièce, unique, monolithique
et aboutie, point culminant d’une aventure limitée à un seul « set »
de festival. Comme s’ils avaient trouvé la meilleure voie d’une seule voix.
C’est tout ce qu’il reste à faire : investiguer, gratter, frotter,
comprimer la colonne d’air, pincer les cordes du piano, faire gronder celles de
la contrebasse en imprimant une cadence, un mouvement, des ondulations, des
accents quasi-identiques que ce soit avec la grande cymbale pressée sur la peau
de la grosse caisse horizontale et frottée avec un archet, ou un autre archet
faisant gronder les fréquences de la contrebasse et les lèvres pinçant le bec
avec fureur la colonne d’air ou faisant
à peine vibrer l’anche, alors que la table d’harmonie chavire dans un maelström
de timbres, de bruissements et de vibrations piqueté par les giclées électro.
Non – idiomatique ?? Oui, sans doute. J’ai réécouté cette remarquable
tranche de vie plus d’une dizaine de fois au casque sans passer le contenu via
l’ampli dans les haut-parleurs, car je suis obligé alors de faire reposer le
poids de mon MacBook Air sur la platine vinyle, ce qui n’est pas recommandé. Je
me force ainsi à suivre tous les détails de cette musique au casque et à
essayer de vous narrer une partie du menu de leur superbe cheminement en tapant
sur le clavier. Une de mes meilleures expériences d’écoute de ces dernières
années.
Subtle Lip Can :
Reflective
Drime Isaiah Ceccarelli Bernard Falaise Joshua Zubot Drip Audio
Subtle Lip Can est un trio dynamique d’improvisation
réunissant percussions (Isaiah Ceccarelli), guitare électrique (Bernard
Falaise) et mandoline et/ou violon (Joshua Zubot) pour une recherche sur la
gestuelle du jeu sur la guitare préparée et transformée et comme j’entends peu
le violon de JZ, avec la mandoline qui double la six cordes. Lorsque la
rotation des pincements métalliques de la guitare tournoie sans discontinuer,
le percussionniste actionne un archet sur cymbales et accessoires métalliques (Siffer
Shump). Gull Plump Fiver nous fait découvrir les sons trasheusement
électriques avec effets emmenés par le guitariste survolté, c’est punk en fait.
Cette génération d’improvisateurs se replongent joyeusement dans leur
adolescence mais le morceau évolue avec une véritable subtilité s’aérant au
final. Salk Hovered marque l’auditeur par l’épure et la retenue dans
le débit sonore et la qualité des timbres à peine électrifiés et des hamoniques
hantées provenant autant de la percussion et des cordes : fantômatique,
lunaire…. Le trio varie les ambiances, les procédés, l’esprit, le fonctionnement
du trio de morceau en morceau plutôt que de travailler une démarche clairement
définie du début jusqu’à la fin. Malgré tout, Subtle Lip Can conserve
quelque chose qui permet de reconnaître le trio d’une pièce à l’autre rien que
parce que l’enregistrement très précis nous fait goûter les colorations des
sonorités au plus près. Rommer Chanks évoque un AMM post
rock de manière assez réussie. Une musique exploratoire, subtilement électrique
au point que les sons acoustiques se fondent dans la masse imperceptiblement,
frottements en tous genres agglutinés avec soin et lisibilité (Rommer
Chanks, Toss Filler Here). Je me demande toujours où se trouve le
violon de Joshua Zubot, sans doute inclus de manière surprenante dans la masse
sonore. Toss Filler Here est un bel instant ludique. Slam
Hum et ses grincements renouvellent le discours. Un album d’impro sans
concession et un son de groupe distinctif.
Tom Jackson Ashley
Long John Benedict Taylor Keith Tippett Four Quartets Confront
Records.
Keith Tippett est
pour beaucoup de connaisseurs synonyme de jazz libre avec Elton Dean et Louis
Moholo ou Paul Dunmall, Paul Rogers et Tony Levin, voir de jazz-rock avec l’album
Lizard de King Crimson, Working Week,
l’album Cruel But Fair ou ses
légendaires très grands orchestres Centipede,
Frames et Tapestry. Vu plutôt comme un improvisateur de traverse, les
observateurs du continent ont du mal à appréhender Keith Tippett en improvisateur libre. Deux jeunes cordistes d’avant-garde,
le contrebassiste Ashley Long John
et l’altiste Benedict Taylor et
l’associé de ce dernier dans le collectif CRAM, le clarinettiste Tom Jackson se joignent au légendaire
pianiste, lui-même, muni de galets de plage, de maracas, de woodblocks et d’une
boîte à musique.
Sans batterie, la musique se meut sur les pulsations du
claviériste et de l’action saccadée de ses doigts sur les cordes. Parfois
lyrique, mais aussi atonale et sonique,
la musique est emportée avec le souffle hululant et les spirales de Tom Jackson, et les torsions
microtonales de Benedict Taylor. Des
cadences faussement répétitives soulèvent les marteaux sur les cordes bloquées
créant un effet de vagues moussues mourant sur les récifs, une fois apaisées
les lames laissent la place au grondement des notes les plus graves du piano et
du frottement/ battement des cordes de la basse dans le registre grave du piano
se confondant avec ce dernier. La
musique est essentiellement organique, découvrant des espaces peu visités,
suggérant de nouveaux agrégats et puis, d’un coup retourne aux scansions chères
à KT. Tom Jackson embouche sa clarinette basse pour colorer l’ostinato
irrégulier du pianiste et du contrebassiste. Keith Tippett esquisse un pas de danse et tous s’essayent à fausser
le tempo. Quand les battements reprennent, la clarinette basse gronde, éructe,
les harmoniques percent et survolent le continuum, la vibration du piano par
toutes ses parties, caisses, cordes, marteaux et les grincements des cordes.
Ces musiciens excellent à changer l’atmosphère et dérouter le flux volatile vers
une conclusion insoupçonnée. Le deuxième quartet, très court, débute clairsemé,
hésitant, du bout des doigts, chacun à sa marotte tout en croisant leurs lignes
avec adresse. C’est en tout point remarquable. Chacun avec son rythme propre
s’associe à l’autre et tous se complètent. Le troisième quartet semble
vaporeux, élégiaque, avec des timbres très fins, une musique de chambre
éthérée. L’altiste file des harmoniques infimes entre le chant élancé et lunaire
de la clarinette, le tremolo et les coudées de la contrebasse sur les
pincements des cordes du piano et puis joue franc jeu microtonal… Le quartet se développe, accélère, imbrique
des accents, des intervalles dans une course poursuite où personne ne mène,
mais dans laquelle tous oscillent, balancent, rebondissent. Un rythme de danse folk
surgit inopinément. Au final une musique riche, spontanée, libre, réfléchie, intense
et finalement, audacieuse. Présentée dans une boîte métallique et produite par
Mark Wastell sur son très unique label Confront
Records.
Gianni Mimmo Prossime Trascendente Amirani records
Amrn # 047
Au fil des ans, le saxophoniste soprano Gianni Mimmo a tracé sa voie et son label Amirani records contient
de vraiment beaux et / ou intéressants témoignages de ses rencontres depuis le
milieu des années 2000. Angelo Contini, John Russell, Harri Sjöström, Gianni
Lenoci, Daniel Levin, Alison Blunt, Xabier Iriondo, Lawrence Casserley et
Martin Mayes pour citer quelques-unes de ses collaborations. Sa démarche
improvisée a quelques ramifications avec celle d’un compositeur, si on
considère que le fil de ses improvisations suit la logique des intervalles très
particuliers d’une pensée harmonique sophistiquée, de structures plutôt que de
laisser cours à une spontanéité épidermique. Il y a aussi beaucoup de
sensibilité dans son jeu et un goût sûr pour la mélodie monkienne héritée de
Steve Lacy, car sa musique free résolument contemporaine, mais sans excès
radical, est solidement imprégnée par l’expérience du jazz d’avant-garde. Il
cite Roscoe Mitchell, Steve Lacy et aussi des compositeurs comme Schiarrino,
Scelsi ….
Prossime Trascendente se compose de deux projets de
compositions graphiques écrites spécifiquement pour deux groupes distincts avec une instrumentation choisie dans
l’esprit de la musique de chambre. Due Sesteti : Gianni Mimmo sax
soprano, Michele Marelli cor de basset, Mario Mariotti trompette en do, Angelo
Contini trombone, Benedict Taylor viola Fabio Sacconi. Cinque Multipli :
Gianni Mimmo sax soprano, Mario Arcari, cor anglais, Martin Mayes, cor, Alison
Blunt violon, Marco Clivati percussion. Dès le départ, il faut souligner la
qualité de son travail. Daphne offre quelques mouvements
associant les couleurs instrumentales comme si cette pièce avait été écrite par un
compositeur vingtiémiste, l’intérêt réel de cette pièce se dévoilant petit à
petit par les associations de timbres ingénieuses, de glissandi curieux et les passages
où les instrumentistes font valoir leur spécificité d’improvisateurs. Si Daphne
est plutôt basé sur l’évolution du son d’ensemble, The Nestled Thought met
en scène un jeu de questions et réponses avec un sens de l’équilibre original
basé sur des interventions solistes. La conception et la réalisation sont
particulièrement réussies par rapport à ce que requiert la partition. Les
musiciens sont appelés à tracer l’essentiel de leur propre pensée musicale dans
des instants mesurés, calibrés et destinés à former un ensemble d’actions dans
le temps. Toutefois, si cette démarche a des qualités de clarté et si ces
excellents musiciens travaillent au mieux (il faut écouter la précision dans le
jeu dans ces « semi improvisations » à la minute huit et neuf, par
rapport à leur propre langage et ce dont ils sont capables de jouer en
improvisant librement, on est en retrait
par rapport au potentiel. Je connais particulièrement bien les travaux de
Mimmo, Contini, Blunt et Taylor en long et en large pour les avoir croisés plus
d’une fois. Le déroulement de ces
compositions, très réussi sur le plan formel, et leur dynamique n’offrent pas le
contenu réel et profond de leurs personnalités d’improvisateurs, mais en incarne
plutôt une vision schématique, hiératique, stylisée. Si on se réfère à l’écoute
de la musique de Duke Ellington, on avait à l’intérieur d’une pièce montée,
calibrée et minutée, l’expression la plus profonde de chaque artiste. Ce n’est
pas vraiment le cas ici, même s’il y des passages requérants. Cinque
Multipli est formé de cinq compositions comme son titre l’indique avec
la deuxième Five Facets se subdivisant en cinq miniatures qui résument,
semble-t-il, des attitudes individuelles vis-à-vis du moment musical : observing, describing, acting with
awareness, non judging of inner experiences, non reacting of inner experiences.
Dans Eserczio
della distanza, le groupe atteint un momentum avec les phrases engagées
des souffleurs et les interventions du percussionniste Marco Clivati. Je relève aussi une surprenante courte intervention d’Alison Blunt. C’est donc un excellent
travail orchestral et on doit saluer le travail précis et achevé de tous les
musiciens. Mais cette expérience n’exerce pas sur moi-même la même fascination
que la démarche et les sons de la musique improvisée libre radicale où des
improvisateurs expérimentés associent leurs sons instantanément en révélant les
mystères de leurs instruments respectifs et conduisent l’improvisation collective avec un sens inné
de la construction musicale ou dans l’expression inouïe de la vie et de la
condition humaine. Bien sûr, dans cette mouvance musicale, il y a une bonne
dose de groupes pas vraiment intéressants, je l’avoue : cette musique est une tentative. Mais face au haut de gamme, c'est autre chose. Ici, la formule fonctionne
et les musiciens assurent. On peut comparer seulement en connaissance de cause.
Il faut bien sûr souligner l’intérêt de ce type d’entreprise ne fut-ce que pour
le jeu à la fois contrasté et empathique des associations instrumentales, des
assonances et consonances, des couleurs. Si les compositions notées graphiquement de Gianni Mimmo sont très satisfaisantes
au point de vue formel et temporel – les bonnes idées pullulent -, leur
réalisation ne permet pas, à mon avis, de mettre en valeur la spécificité
intime de chaque musicien / improvisateur, leur grammaire et leur syntaxe
personnelles, connaissant bien moi-même
certains d’entre eux. Les occurrences sonores permises par les procédés d’écriture
de Gianni Mimmo tombent parfois sur des solutions relativement conventionnelles
par rapport à l’expérience acquise en musique contemporaine depuis une
soixantaine d’années, alors que d’autres titillent l’écoute car elle délivre
plus de spontanéité et d’allant. Sans doute ce projet aurait vraiment mérité
d’être expérimenté plus avant, en public, afin de tirer le suc de l’expérience
pour un enregistrement postérieur. Toutefois, le jeu vaut vraiment la chandelle
car je suis certain que le talent de Gianni Mimmo, son expérience
d’improvisateur et ceux de ses collaborateurs, feront évoluer ce concept. Bref, le
résultat de cette démarche prête à discussion, mais cela devrait sûrement être
reçu cinq sur cinq par les amateurs entre jazz contemporain et musique
classique du XXème (Schönberg, Bartok etc..), car c’est, comme décrit plus
haut, super bien réalisé et convaincant du
point de vue formes et exécution, s'il faut le répéter.
Grosse Abfahrt :
Luftschifffeiertagserinnerungfotoalbum
Frank Gratkowski, Kjell Nordeson Lisa Mezzacapa Philip Greenlief John Bischoff
Tom Djll Gino Robair Tim Perkis Matt Ingals John Shiurba. Setola di Maiale SM 3220
Enregistré en 2009 au Mills College par ce collectif
Californien déjà publié chez Emanem à deux reprises et dont le trompettiste et
électronicien Tom Djll est l’instigateur. Il était temps que le label italien
Setola di Maiale – au catalogue exponentiel dédié à la scène expérimentale et
improvisée italienne – puisse s’ouvrir sur des musiciens passionnants provenant
d’autres horizons. D’ailleurs un habitué du catalogue Setola, le fantastique
sax alto Sicilien Gianni Gebbia a longuement travaillé avec ces Californiens et
publié des albums sur Rastascan, le label du percussionniste Gino Robair.
Généralement, Grosse Abfahrt, réunit des incontournables de la scène de la
Baie : Tom Djll, Gino Robair, le clarinettiste Matt Ingalls, l’électronicien Tim Perkis, le guitariste John Shiurba et un personnel fluctuant
invité par Tom Djll. On y a entendu Lê Quan Ninh par exemple. Ici, le
percussionniste suédois Kjell Nordeson,
un compagnon de Mats Gustafsson de la première heure établi au USA, les
remarquables soufflants Frank Gratkowski
et Philipp Greenlief, lui même une
pointure de S.F. , l’électronicien John
Bischoff et la contrebassiste Lisa
Mezzacapa. Soit dix improvisateurs radicaux qui développent un jeu
collectif particulièrement homogène. Ce qu’on peut reprocher à pas mal de
branchés qui relatent leurs expériences d’écoute est cette sorte de
fétichisation des groupes ou des personnalités qui ont acquis une aura de
notoriété ou sont devenus légendaires et le fait de se référer à des groupes
« mythiques», Spontaneous, AMM,
Company, MEV, etc… en faisant comme si d’autres associations de musiciens
ou des collectifs nettement moins reconnus sont peuplés de musiciens
« locaux » ou semi-amateurs, ou même seraient considérés comme des
imbéciles ou des demeurés, c'est qu'ils contribuent à ce que cette scène se sclérose. Grosse Abfahrt est un projet
absolument remarquable pour quelques raisons bien précises qu’on ne rencontre
pas ailleurs. Une belle surprise et une coopération continue dans le temps ! Le noyau central Djll, Perkis, Ingals,
crédité ici, en plus, aux tubes et au violon, Shiurba et Robair travaillent une
électronique ou des effets d’une remarquable finesse qui apportent des
colorations sonores vraiment particulières, reconnaissables entre mille. Je me
réfère au superbe album de la tromboniste Sarah Gail Brand avec plusieurs
d’entre eux (Super Model Super Model/ Emanem), ou le duo de Gino Robair avec ses energized surfaces et la
trompettiste Birgit Ulher : Blips and Ifs / Rastascan http://www.rastascan.com/catalog/brd062.html . Autour de ce noyau californien central à l’écoute
remarquablement subtile, les invités trouvent leur place tout en restant
eux-mêmes. Je veux dire par là que l’esprit du groupe est plus centré sur une
forme de flexibilité, de souplesse interpersonnelle plutôt qu’une démarche
restrictive, focalisée sur une type bien précis d’improvisation (radicale). On
sait qu’improviser à huit ou dix de manière satisfaisante est une gageure, et
même si ces musiciens ne se mettent pas des objectifs trop exigeants et trop
pointus, ils parviennent à conserver l’identité de Grosse Abfahrt au fil des
parutions en renouvelant une bonne partie du personnel. Sans doute les
régionaux Greenlief et Bischoff ont-ils travaillé avec eux à d’autres reprises,
mais il est évident pour un observateur informé que Mezzacapa, Nordeson et
Gratkowski sont connus pour pratiquer sous d’autres horizons esthétiques ce qui
est finalement rare pour un groupe aussi pointu. Et donc, cette attitude
ouverte élargit à la fois le potentiel et les risques encourus. On frise
parfois un peu l’éclectisme, on transite entre le sens aigu de l’épure et le
goût de l’imbrication et de l’interpénétration des actions jusqu’à des
débordements centrifuges, bien que contrôlés, ou à une manière instantanée de
cadavres exquis. Les musiciens laissent couler le son du groupe en modifiant les textures en douceur par ajouts ou retraits d'action instrumentales, créant un renouvellement d'agrégats sonores en suspension, de sons soutenus, de convergences de timbres légèrement distincts que leur instinct commande spontanément. Je n’hésite pas à
déclarer que Grosse Abfahrt est vraiment un projet collectif à suivre tout
comme le Chris Burn Ensemble, le Domino Orchestra, AMM augmenté (Sounding Music / Matchless http://www.matchlessrecordings.com/music/sounding-music), Hubbub, que sais-je : leur sensibilité des sons électroniques et leur utilisation mesurée et
parcimonieuse est assez unique. Entre chacun des spécialistes de l'électronique règne une belle empathie comme si chacun d’eux étaient
complémentaires et agissaient en symbiose. Des ramifications interpersonnelles
prolifèrent, des associations de timbres, d’accents, une recherche de sons sur
une idée bien précise, le dosage des phrases, le feeling des réactions, … heuristic music ? Bref, on entend
un fonctionnement de groupe très typé sans qu’il soit compromis par la liberté
exacerbée de tous et chacun à la fois. Le titre à coucher dehors, Luftschifffeiertagserinnerungfotoalbum, exprime sans doute la complexité inextricable des points de vue et des philosophies (individuelles et collectives) qui sous-tendent la libre improvisation, même à la limite du fouillis. Ce titre fait référence aux dirigeables allemands d'il y a un siècle (rien à voir avec Jimmy Page, rassurez-vous), et, peut-être, l'idée de devoir se diriger soi-même dans la masse des courants aériens et les nuages est une image qui convient à ce type de musique. C'est finalement aisé d'assurer un concert en duo ou trio, un groupe plus large est une affaire qui peut plus facilement se révéler indigeste. Remarquable réussite donc !
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