The Octopus Subzo{o}ne Nathan Bontrager Elisabeth Coudoux Nora
Krahl Hugues Vincent Leo records CD LR 770
Un rare quartet de violoncelles pour une musique exigeante,
sans concession, inspirée de la musique contemporaine pointue et entièrement
improvisée par de jeunes artistes qui ont un réel projet et de belles idées en
commun. 14 pièces généralement courtes où chacun est tout ouïe et où
l’intention de départ se transforme parfois en cours de route. Je ne connais
que deux enregistrements de quartet contrebasses en improvisation : Rotations de Sequoia (Andrea Borghini,
Meinrad Kneer, Klaus Kürvers et Miles Perkin) et After You’ve Gone (Barre Phillips, William Parker, Joëlle Léandre
et Tetsu Saïtoh). Cet enregistrement de The Octopus semble être une véritable
première en quatuor de violoncelles improvisé, mais au-delà de l’effet de
surprise, l’auditeur se convaincra de la légitimité de l’entreprise au fil des
morceaux écoutés. Outre l’excellence de chaque violoncelliste, c’est encore
plus la mise en commun des potentiels et des idées, la symbiose et la
complémentarité de chaque voix instrumentale qui séduisent. Plusieurs fondamentaux
de la recherche musicale et instrumentale sont développés spontanément :
minimalisme, spectralisme, cadences répétitives, intervalles déconcertants, travail
sur le son, les harmoniques, le silence ou au bord de celui-ci, halos
fantomatiques, effets de miroir, agrégats sonores spécifiques aux cordes,
toutes les vibrations des doigts sur la touche, etc…. Travail éminemment
collectif : unis comme les quatre doigts de la main, deux garçons, deux
filles… il est impossible de déterminer lequel des quatre produit tel ou tel
son. Le niveau intense du travail collectif bonifie sans appel l’apport
individuel de chacun et les transcende : The Octopus atteint un niveau élevé de
réussite et de conviction qui va plus loin que la virtuosité et les qualités personnelles
déjà considérables. Il est évident, à l’écoute de Subzo(o)ne, que les
instruments à cordes frottées et leurs instrumentistes révèlent au mieux leur
nature spécifique, leur richesse timbrale et leur destinée musicale qu’en se
réunissant entre cordes et cela,
mieux que s’il s’agissait de quatre autres instruments à vent identiques, par exemple. Cet
album mérite d’être réécouté pour en saisir tous les ressorts, les angles, les
déroulements des idées, des sons et des intentions. Il y a bien sûr une volonté
de consensus, d’harmonie, d’intégrer au mieux chaque personnalité dans le
groupe. Le sens de la forme et la logique musicale rencontrent la spontanéité et
l’invention immédiates. Et donc naissent des surprises. Certains
violoncellistes improvisateurs ont gravé des albums solos (je suis très curieux
d’écouter l’album solo de l’extraordinaire
Okkyung Lee !), mais Subzo(o)ne doit bien être, en
faisant fonctionner ma mémoire, l’article incontournable du violoncelle
improvisé depuis que Tristan Honsinger
est apparu et a enregistré Garlic
and The Fever, She et On Clapping (Live Performances SAJ-10) au Flöz
à Berlin le 7 novembre 1976. Vraiment recommandé.
Enregistré en mars 2013, lauroshilau réunit les
talents conjoints de trois jeunes femmes impliquées à 100% dans l’improvisation
radicale. Saxophoniste alto (plus que) très remarquable, Audrey Lauro a acquis un son et une démarche très personnelle que
l’empathie et le sens pointu du travail du son de la pianiste Pak Yan Lau et de la percussionniste Yuko Oshima intègrent dans un flux, l’espace
et le silence en se focalisant à l’extrême sur leur vision de leur musique
collective. Leur recherche sonore individuelle est entièrement axée vers
l’équilibre et une complémentarité originale. C’est avec une belle minutie que
Pak Yan pince les cordes du registre aigu et bloque la résonnance du registre
grave. Le toucher cristallin du piano préparé rencontre les notes pures, saturées
ou détimbrées, égrenées par le souffle retenu et les sons métalliques en
suspension de la percussion. La pianiste joue aussi du hohner pianet et de l’électronique (discrète) et sa collègue
« batteuse » des samplers. Loin de se conformer aux schémas tirés au
cordeau du minimalisme « réductionniste », ces trois musiciennes
tentent avec bonheur de trouver et de découvrir ce à quoi leurs personnalités
et leurs expériences les destinent lorsqu’elles créent ensemble. Six pièces où
se font sentir la valeur de chaque note, l’intensité des gestes, la légèreté
des sons, le silence traversé, une approche zen. Une dimension picturale plutôt
qu’un théâtre gestuel. Une belle construction collective, originale et qui
offre des perspectives renouvelées d’une écoute à l’autre.
Aural Terrains est le label du compositeur, improvisateur et
artiste sonore Thanos Chrysakis. Carved
Water rassemble les efforts conjugués de Thanos Chrysakis, ici au laptop
computer et live electronics, du
Suisse Christian Kobi au sax
soprano, du Danois Christian Skjødt
aux live electronics and objects et
du Hongrois Zsolt Sörés qui truste
l’alto à cinq cordes, contact microphone,
effects, dissecting tools, sonic objects et voix. Tour à tour dense,
complexe, détaillé, minimaliste, contrasté ou hyperactif, ce quartet soudé
explore les extrêmes des sons électroniques/ électroacoustiques provenant de
techniques et de sources diversifiées élaborant un véritable voyage au travers
de paysages sonores d’une grande richesse au niveau des textures, des timbres,
des fréquences, des dynamiques. Kobi altère la voix du saxophone soprano pour
le transformer en objet sonore s’intégrant parfaitement avec la nature des sons
du groupe en utilisant des techniques alternatives cohérentes. Un nombre de
plus en plus grand de musiciens se consacrent à cette démarche électronique
bruitiste et Carved Water en est une
superbe démonstration. Certains albums représentatifs servent souvent de
documentation/ carte de visite dans le but de convaincre un éventuel
organisateur de concerts. Vu la production pléthorique d’enregistrements (cfr
le Creative Sources), on aurait
tendance à ranger ce cd dans la pile des « écoutés une fois ». Mais
la qualité, la variété des sons, leurs occurrences et transformations au fil de
la performance (Opening Concert at
the international sound installation exhibition ‘On the Edge of Perceptibility –
Sound Art’ 1. Part 1 39:04
2. 11:40 Kunsthalle Budapest) font de ce disque une manière de
manifeste. Un sens de la dérive et de la construction simultanées.
Remarquable !!
Juste retour des choses : vingt ans auparavant Evan Parker et Joe McPhee défrayaient la chronique du jazz d’avant-garde avec des
concerts et des albums en solo manifeste : Saxophone Solos (Psi), Tenor
(Hat Hut). Echoes of the Memory ouvre le disque : sux festivals de
Willisau 1975 et 1976 : Joe McPhee avait
fait des apparitions inoubliables, tout comme Evan Parker avec Alex von Schlippenbach et Paul Lovens. Daunik Lazro était lui sorti de sa
boîte par les Gates of Tshee Park, un
album qu’Hat Hut avait publié sur les conseils de Mc Phee. En 1996, le label
Vandoeuvre avait produit le trio EP-JMP-DL enregsitré au CCAM de Vandoeuvre-lez-Nancy, lors d’une tournée Européenne en 1995. A cette époque les carrières d’Evan Parker et de Joe Mc Phee s’emballent : concerts et enregistrements se
multiplient à un rythme effréné sur les deux rives de l’Atlantique et jusque
dans les pays de l’Est. Vingt ans plus tard, le contenu d’une cassette se
révèle être un des concerts de cette tournée : Willisau 1995 , là où tout
avait démarré pour Joe Mc Phee : The Willisau Concert 1975 : https://en.wikipedia.org/wiki/The_Willisau_Concert
. Malgré le son « cassette », le trio fait entendre son profond
engagement, toute sa cohésion et les particularités de chaque improvisateur.
C’est pour moi, un des meilleurs exemples de collaboration à plusieurs
saxophones : ténor et soprano pour Evan, alto et baryton pour Daunik, alto
et soprano pour Joe, sans oublier, la clarinette alto et sa pocket trumpet qui
ne le quitte jamais. Florid est un solo caractéristique
de Parker au soprano avec ses inimitables multiphoniques…. et des harmoniques
qui s’entrecroisent…. Concertino in Blue démarre lentement sur un air de gospel entraîné par le baryton de
Daunik qui décline la mélodie et la clarinette de Joe brodant un bourdon et le
ténor de Parker qui descend du grave vers le médium. Au fil des minutes,
baryton et clarinette tournent et retournent deux notes en boucle le ténor
vrille. Une belle émotion. Tree Dancing une conversation
intime, des sons vocalisés à la fois introvertis et/puis expressionnistes à
l’alto par Joe. Un motif scandé est répété en chœur avec des décalages/
battements qui permettent aux sons individuels, reliés en escaliers et spirales
de se superposer et de s’emboiter avec une réelle lisibilité. Cris ayleriens de
l’alto. L’émotion devient intense, l’horizon se remplit et s’éclaire. Les trois
improvisateurs négocient une conclusion où chacun tient un rôle particulier
décisif, boucles, spirales, glissandi, bribes de mélodies enchevêtrées, bouquet
de voix offertes, pulsations du souffle. Les voix s’apaisent, s’unissent :
deux sopranos et un alto tuilent les derniers filets de voix. Une belle
aventure !!
Duo de souffleurs pour saxophone alto, clarinettes
basse et Bb, et trombone. Frank Gratkowski et Sebi Tramontana partagent bien des
aventures et leurs musiques de manière mystérieuse comme le souligne le
saxophoniste. Iztok Zupan du label
Klopotec (et pas Iztok Kolopotek comme indiqué dans les notes de pochette) a
encore visé juste. Un enregistrement exceptionnel qui rend la dynamique de la
musique, précise, détaillée, intense, vivante…
Ce concert enregistré au théâtre Spanski Borci de Ljubljana
concentre tout ce que le jazz d’avant-garde a de meilleur en laissant de côté
ses tics, les certitudes, la routine et la facilité. Face à un marché de la
free music atone et indifférent sur le Vieux Continent, des initiatives
affleurent dans des petits pays aux quatre coins de l’Union Européenne :
Lithuanie avec No Business Records,
Portugal avec Clean Feed et Creative Sources, Suisse et ses
festivals et concerts bien payés, et maintenant la Slovénie avec une activité
soutenue et des labels comme Klopotec
et Inexhaustible Editions. C’est donc
Iztok Zupan, à qui l’on doit les
tout récents enregistrements de McPhee et Lazro, Marraffa et Guazzaloca sur son
label Klopotec, qui vient d’immortaliser l’une des plus belles conversations de la
décennie, en marge du jazz libre, de la musique contemporaine et de
l’improvisation totale, mais aussi proche de l’esprit d’une musique
populaire : folklore imaginaire ? Gratkowski qualifie les quinze pièces improvisées d’Instant Songs. La démarche de son
collègue tromboniste, Sebi Tramontana,
évoque le magnificent Roswell Rudd, tournant au tour d’un point fixe marqué par
une pulsation les mêmes deux ou trois notes
comme le fantôme de Kid Ory derrière / autour des lignes du souffleur.
Celui-ci manie avec une belle adresse la clarinette en si bémol, un instrument
ingrat. On l’entend sur son versant lyrique et mélodique agrémenté de
techniques alternatives comme dans ce merveilleux Dancer où il slappe le bec de la clarinette basse dans la tonalité
de la mélodie avec une précision confondante. S’il y a virtuosité, elle n’est
pas mise en avant mais au service de l’expression et de la qualité des
échanges. D’ailleurs, Steve Beresford ne s’y est pas trompé : on lui doit
les notes de pochette dans lesquelles ses allusions et commentaires soulignent indirectement
toute la saveur, l’inspiration et le lyrisme sincère des deux amis qui nous
ouvrent leur cœur. Revelation, Spirited,
Time and Space, Dancer, Singer, You’re Though, Series of Dramatic Events, Daydream,
Deceiver, Nocturne, etc… chaque pièce exprime des sentiments, une
intention, un feeling, une énergie concentrée, un rêve, un poème, un paysage… avec
sa dynamique propre, sa couleur sonore, des inflexions spécifiques.
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