Inusité :
un duo de clarinettes basses et de clarinettes contrebasses enregistré lors
d’un concert le 25 novembre 2016 au 69th Salon für Klang un Kunst à Krailing
près de Munich. Une réelle empathie se noue faite de boucles, de grasseyements,
de plaintes vers l’aigu et parfois de semi silences. On explore les graves et
même les abîmes mystérieux (Mysterious
abysm), en prenant le temps de jouer, la clarinette contrebasse n’étant pas
un instrument super maniable question articulation. Udo Schindler aime à solliciter les harmoniques et cette propension
s’adapte bien à la personnalité de son partenaire. Ove Volquartz ne se départit pas de son lyrisme immédiatement
reconnaissable, avec un choix de notes tout personnel et des doigtés complexes.
On le constate dès le début du troisième morceau, Turbulence, est un
dialogue parfait où chacun des
souffleurs croisent ses lignes, les déclinaisons de son style personnel par
une magnifique connivence réciproque : chaque instant voit s’imbriquer les sauts de
registre de l’un avec les cadences de l’autre, les pointes subtiles vers l’aigu
et les gravèlements dans une symbiose réussie. Les idées défilent, s’échangent,
les notes meurent et renaissent dans un flux à la fois spontané et étudié, les
vibrations des deux colonnes d’air du registre grave à l’aigu se complètent
comme si elles provenaient du même souffleur. Un enregistrement qui va plus
loin que la rencontre de deux musiciens aux instruments identiques : ils
réussissent à prendre leurs marques en exprimant leur personnalité profonde et
leur sensibilité tout en dépassant positivement ce à quoi l’autre était en
droit d’attendre : l’empathie, l’écoute, la complicité authentique.
Encore
un album avec le trompettiste portugais Luis
Vicente, apprécié dans Fail Better !, Chamber
4, Clocks and Clouds, In Layers, quatre opus vraiment recommandables.
Ces musiciens portugais s’activent se font connaître avec des improvisateurs
français, anglais, américains… Rien d’étonnant de les entendre faire équipe
avec une pianiste Québecquoise, Karoline
Leblanc. Free-jazz
« free » lyrique, racé et rebondissant, piano mouvant et piloté par
des mains expertes en phase avec les phrases tour à tour enflammées ou
relâchées du trompettiste, qui n’hésite pas à éructer en cisaillant la colonne
d’air. Le batteur Paulo Ferreira Lopes
drive de la pointe des baguettes avec goût et une belle sûreté rythmique, sans
oublier un sens de l’économie des gestes, le bassiste Hugo Antunes assure la pulsation première avec goût et de belles
notes rondes ou s’échappe en frottant dans les harmoniques entraînant le
trompettiste dans ses derniers retranchements, l’art bruitiste faisant
merveille. Une réelle cohérence s’établit au fil des cinq morceaux vivaces,
primesautiers, intenses, vécus et un vrai sens de l’improvisation. Au fur et à
mesure que les morceaux défilent, une interaction de qualité entre chacun d’eux
se développe comme une excroissance de l’identité sonore du groupe. Dans une
formule instrumentale hyper reconnue, les quatre musiciens captivent l’auditeur
avec brio, logique, spontanéité et sans bavardage. Une de leurs qualités est ce
sens inné de la dynamique qui apporte la légèreté indispensable aux
improvisateurs pour s’envoler. Karoline
Leblanc fait un excellent travail de musicienne de groupe (collective) et Luis Vicente se confirme encore comme
une voix particulière de la trompette (avec sourdine ou sans) qui dose ses
interventions à la perfection, jouant son rôle de première voix du quartette
avec le plus grand naturel : il joue ce qui doit être joué dans la logique
du projet. Excellent !!
Trio Now ! Live at
Nickelsdorfer Konfrontationen 23.07.2016 Tanja Fetchmair Uli Winter Fredi Proll Leo Records LRCD789
Groupe
local enregistré lors de la dernière édition d’un des festivals de musique
improvisée les plus réputés, Trio Now ! ne fait pas que de la figuration.
Saxophone alto (Tanja Fetchmair), violoncelle (Uli Winter) et
batterie (Fredi Proll), Trio Now joue une musique vivace, complètement
improvisée où chaque musicien incarne la tradition de son instrument : la
souffleuse surfe sur le tandem rythmique qui diversifie son jeu avec brio. Le
batteur envoie des roulements multidirectionnels avec une excellente dynamique
veillant à la plus grande lisibilité. Le violoncelliste improvise des lignes
irrégulières à l’archet qui complémente et pousse la saxophoniste à intensifier
ses volutes, arcatures désaxées défiant la gravité que lui permet une
articulation de première. C’est l’impression générale donnée par cette intense
rencontre, mais la réalité est difficilement descriptible car les trois
musiciens envisagent leurs improvisations dans une grande variété de cas de
figures, de situations sonores. C’est la version du free-jazz qui est passée
par l’école exigeante de l’improvisation radicale : le trio joue sur la
corde raide n’hésitant pas à explorer les sonorités, les mouvements dans une
véritable télépathie, sursautant et faisant sursauter le public. Le
violoncelliste et la jeune saxophoniste se suivant à la trace comme dans ce Proximity ou s’éloignant pour mieux se
retrouver, chassé-croisés commentés par les subtils rebonds du batteur Fredi
Proll sur les peaux. Dans ses doigtés, son articulation et sa fluidité Fetchmair
s’ingénie à se dépasser au fil des
improvisations, cette combativité pour élargir son matériau musical se
nourrissant du jeu astucieux en contrepoint du violoncelliste Uli Winter. Si Trio
Now ! semble marcher sur les traces de groupes fameux
« souffleur/ cello / batterie, où officiaient des violoncellistes
incontournables comme Abdul Wadud (avec Julius Hemphill), Ernst Reyseger (avec
Michael Moore et Bennink) ou Fred Lonberg-Holm (avec Vandermark, Frode
Gjerstad, etc), fait montre d’une réelle originalité dans la manière dont les
trois instrumentistes tissent leurs constructions interactives et les formes qui
en découlent et cela est à mettre au crédit du violoncelliste et de son
imagination. Trio Now ! a
enregistré ce concert durant les Konfrontationen 2016 de Nickelsdorf, un
festival légendaire où se produisent la gratin de la scène improvisée
(Brötzmann, Lovens, Hautzinger, Gustafsson, Mc Phee etc….). L’énergie est
palpable de bout en bout : on les sent portés par le public
(chaleureusement applaudis) -nos trois autrichiens déchaînent autant les
passions que les artistes les plus « cotés » à l’affiche. On parle de
diversité dans la société et de conserver les espèces dans la nature, ce point
de vue s’applique aussi aux musiques improvisées : ce disque prouve une
fois de plus que la scène d’improvisation internationale déborde de talents
aussi remarquables qu’inconnus.
Comme
de nombreux lecteurs le savent sans doute, j’écris principalement sur
l’improvisation libre (radicale) quasi toutes tendances, y compris sur ce que
j’appelle le free free-jazz avec parfois un détour vers des choses plus
conventionnelles lorsqu’un musicien improvisateur que j’apprécie enregistre un
beau témoignage de jazz intelligent dont il connaît les arcanes. Ainsi lorsque
le guitariste Richard Duck Baker dont j’avais apprécié l’excellent album
Outside en solo sur Emanem, m’avait envoyé un cd de son trio jazz avec John
Edwards et Alex Ward dans lequel il étendait / reconsidérait
(« revisiter » est un mot dévoyé et trop « communicant » à
mon goût) la tradition en réinventant sa pratique sur base de ses compositions
personnelles. Je n’ai pas hésité à chroniquer positivement cette musique (aussi
par estime pour ses deux acolytes)… parce qu’il avait une façon de jouer
éminemment personnelle, subtilement subversive et presqu’ironique.
Alors,
en recevant gracieusement ce Lacy Pool 2 , je suis un peu
embêté. Bien sûr, j’adore Steve Lacy
qui lui-même fut sans doute le plus intéressant interprète de Thelonious Monk.
J’aime particulièrement Rudi Mahall,
un exceptionnel clarinettiste basse dont j’ai écouté pas mal d’albums dont
l’excellent coffret de A. von Schlippenbach rejouant toutes les compositions de
Monk où Rudi fait des merveilles à la clarinette basse en faisant songer à
Dolphy – et sur les compos de Monk cela sonne incroyable. Rudi Mahall est selon moi, un artiste de première grandeur. Son album solo sur Psi Records est une merveille. J’ai acheté en son
temps cet excellent album en duo du pianiste Uwe Oberg avec la joueuse de Pi-Pa (et chanteuse dans ce disque !)
Xu Feng Xia, Looking, une des perles du catalogue Nur Nicht Nur (un label
quasiment incomparable !). Uwe a aussi enregistré un superbe album en duo
avec Evan Parker pour jazzwerkstatt que je vous recommande. Je considère avec
beaucoup d’intérêt le travail du percussionniste Michael Griener et je me suis réjoui qu’il ait enregistré avec
l’incontournable Günther Christmann : Vario 51 « push and pull » en 2013 (Alberto Braida Günther
Christmann Michael Griener Elke Schipper), Vario 41 (Boris Batschun John
Butcher Günther Christmann Michaël Griener) et participé au projet the sublime and the profane (processes between improvised music and
sounds from daily live), trois albums autoproduits par Christmann lui-même en
CD’r sur ses editions explico à un prix prohibitif (il est un des rares
artistes à qui j’achète ses éditions limitées, numérotées avec tirages photos
etc…). L’écoute de ce Lacy Pool 2 me fait dire que cet
hommage à Lacy consistant à jouer les compositions de Lacy ne sonne pas comme
il faudrait interpréter Lacy. En fait, comme lui-même Steve Lacy interprète
Monk, en accentuant le côté cubiste de la musique du pianiste Harlémite et en éléminant les notes de trop, dirais-je en schématisant. J’ai
toujours trouvé dommage ces hommages à X, Y ou Z. A-t-on jamais entendu Charlie
Parker rejouer Louis Armstrong (qu’il connaissait par cœur !) ou Miles
Davis consacrer un album à Duke Ellington ? Ecoutez la version de Deadline
de Steve Lacy en duo avec le pianiste Michael Smith (album IAI 1976) et en solo
au Total Music Meeting de 1975 à Berlin sur l’album Stabs (SAJ-05) et
comparez la à celle du Lacy Pool 2. Vous conviendrez qu’il
s’agit d’une citation, qu’on rejoue le thème, on brode autour, on rajoute des notes, il y a
du flottement, des intentions imprécises. J’ai écouté ces plages de Lacy des
dizaines de fois il y a trente quarante ans, n’ayant pas à l’époque des tonnes
de disques. J’avais ces morceaux dans l’oreille et quand je les réécoute, je
réalise que je les connais par cœur. Idem avec le Trickles, jadis enregistré
avec Roswell Rudd, Kent Carter et Beaver Harris dans l’album du même nom. Et
donc ici, je trouve que ce n’est pas çà du tout. Ce qui m’intéresse, ce sont
des musiciens qui ont quelque chose de très personnel à dire et qui jouent ce
qu’ils font le mieux. Et qu’ils soient des artistes uniques et originaux
contribuant à enrichir le message de l’improvisation et de la création musicale
instantanée, sans arrière-pensée. Et que j’ai envie de garder le disque pour le
restant de mes jours. Désolé, si mon article déplaira, mais j’aime autant
écrire ce que je pense. Cela n’enlève rien au talent de ces musiciens, bien sûr, qui comptent parmi ceux qui éveillent ma curiosité !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......