Treatise Cornelius
Cardew
Performed by Gerauschhersteller.
Noisemaker CD01
Paul Allen, Steve Gibson, Adrian Newton et Stuart Riddle
Limited edition of 50. À télécharger https://gerauschhersteller.bandcamp.com/releases
Paul Allen, Steve Gibson, Adrian Newton et Stuart Riddle
Limited edition of 50. À télécharger
50ème
anniversaire de la publication de Treatise. Version Intégrale.
Je pense
qu’on peut dire qu’il s’agit d’un enregistrement qui fera date et qui surclasse
par l’intérêt qu’il pourra susciter dans les milieux musique d’avant garde
alternative, expérimentale et improvisée, les opus d’artistes qui occupent systématiquement le devant de la scène. Il s’agit d'une version
intégrale (et la plus longue!) de Treatise, une partition graphique de 193 pages que le compositeur Cornelius Cardew (1936-1981) avait
réalisé entre 1963 et 1967 et qu’il avait dédié à ses camarades du groupe
séminal AMM. Tout récemment, Eddie Prévost et Keith Rowe d’AMM en ont joué (non pas
« interprété ») 12 pages choisies de cette partition graphique à Brno
en octobre dernier. Les musiciens de Gerauschhersteller, Paul Allen, Steve Gibson, Adrian Newton et Stuart Riddle se sont mis au travail
il y a deux ans pour créer et développer leur propre chemin parmi les signes,
dessins, lignes, courbes etc… de Treatise en vue d’en enregistrer une
version intégrale pour le 50ème
anniversaire de sa publication (Editions Peters. Londres). Cornelius Cardew n’a laissé aucune indication
propice à l’interprétation de son œuvre, laissant le champ à l’imagination et à
la créativité de ses futurs interprètes, si ce n’est qu’il faut l’interpréter
en improvisant (!). Ses dédicataires d’AMM en ont publié une version écourtée sur
le label Matchless, il y a plus de
deux décennies, mais se plaignent de devoir payer très cher sa réalisation aux
Editions Peters, l’œuvre n’étant finalement qu’une invitation à l’improvisation.
Chacun des « exécutants » a
toute liberté pour l’interprétation des signes. Dans l'enregistrement en 1998,
Art Lange qui conduisait l’ensemble veillait à ce que le groupe commence et
termine chacune des pages simultanément. J’ai rencontré récemment Walter et Horace Cardew,
les fils du compositeur, à Londres lors d’un concert et j’aurais bien
aimé communiquer avec eux à propos de cette œuvre. Tout au plus, le compositeur
tragiquement disparu a-t-il laissé des propos sibyllins et assez vagues à son
sujet, mais aussi des commentaires après les concerts lorsque Treatise
avait été joué.
Les
musiciens ont choisi d’interpréter chacune des 193 pages de Treatise
durant nonante secondes, mais ils auraient pu choisir des durées différentes
selon les pages de la partition. Nonante secondes, cela fait exactement quatre
heures quarante neuf minutes trente secondes... enregistrées durant une seule journée, le samedi 22 juillet 2017 à Horton and
Chalbury, Dorset dans le Village Hall de cette localité. Ces enregistrements
sont répartis en cinq CD’s . CD 1 : Pages 1-44 CD 2 Pages 45-88 CD 3 Pages
89-126 CD 4 Pages 127-164 CD 5 Pages 165-193.
Paul Allen : Drums Percussion Steve Gibson : Guitar Harmonium Pianos Adrian Newton : electronics, Live and Found Samples, Modular
and Semi-modular Synthesizers Stuart
Riddle : Electronics, Harmonium, Little Instruments, Saxophone.
Ce qui pose
déjà question est la version « complete »
de Treatise publiée par hat(now) Art
en 1999 en double CD pour une durée de 141’15’’, jouée par Jim Baker, Carrie
Biolo, Guillermo Gregorio, Fred Lonberg-Holm, Jim O’Rourke et conduite par Art
Lange. Alors que Gerauschhersteller s’étend
sur une durée deux fois plus longue. C’est vous dire que cette œuvre peut être
sujette à de très nombreuses interprétations.
La musique
enregistrée ici se situe dans le droit fil des intentions (supposées) de Cardew
et je trouve personnellement des aspects similaires dans les enregistrements de
Nuova Consonanza que j’ai écoutés.
Partition graphique … et musique visualisable qui trace une architecture en
trois dimensions, voire pluridimensionnelle, dans l’espace sonore, sans que la
durée affecte son écoute au point de vue de la concentration de l’auditeur. Les
artistes prennent le temps de jouer, de faire respirer la musique avec une
attitude zen où pointe un fil conducteur, la relation au temps, la durée des
sons, à l’élégance, alternant répétition d’éléments et émergence d’un nouveau
continent, de terres à découvrir. Horizontalité et, paradoxalement, suggestion
de polygones, de boucles, polyèdres, de courbes, de points, lignes, signaux qui
se réfèrent uniquement à l’univers de Treatise. Mais aussi nappes, notes
égrenées au piano, tintements d’une cloche, friselis, voix diffuses, saxophone
soprano qui serpente. Le groupe a aussi choisi des courts moments de silence
entre plusieurs séries de pages, plutôt que de jouer l’ensemble d’une traite. La variété des ambiances et des paysages et des intentions dans l'instant est vécue et assumée. Dans le CD 4, on aborde une esthétique Noise et il faut dire qu'à cet égard Gerauschhersteller se rapproche le plus de l'esthétique AMM, groupe pour le quel Treatise avait été conçu, que les groupes réunis par Petr Kotik et Art Lange (cfr références ci-dessous). Un travail précis et concentré sur la réalisation musicale qui rencontre les intentions et le sens (présumé) que Cardew donnait à sa démarche. Il suffit de comparer certaines de ces oeuvres sur disque. Une fois avoir écouté l’entièreté de Treatise par Gerauschhersteller, avec une certaine fascination il faut le dire,
j’ai le sentiment d’avoir participé à quelque chose d’important, de m’être
imprégné de la pensée et des réflexions de Cornelius
Cardew durant les années cruciales du développement de son travail
(1963-67). Treatise fut l’objet de plusieurs exécutions par le groupe AMM lorsqu’il en faisait partie jusqu’en
1971/72 et celle-ci a été dédiée à ses membres et écrite pour le groupe, Eddie
Prévost, Keith Rowe, Lou Gare, Christopher Hobbs et lui-même, Cornelius Cardew.
Les graphiques des quelques pages qu’il m’a été donné de voir confirment cela : on voit clairement dans la suite des dessins que se détachent un cheminement idéal pour quatre ou cinq musiciens (cfr AMM des sixties, versions de 1967, 1998, et 2017) même si en théorie c'est prévu pour un ou quelques ou de nombreux musiciens sans aucune restriction.
Une œuvre essentielle où planent toujours de nombreuses inconnues, fascinante et un modèle inégalé en matière de partitions graphiques car elle ne fait jamais obstruction aux limitations instrumentales et à l'inspiration des improvisateurs.
Pour
résumer, ce coffret de 5 CD est vraiment très bon et passionnant : je félicite chaleureusement les quatre musiciens de Gerauschhersteller pour leur superbe
travail, la qualité de la prise de son et cette parution inopinée à compte d'auteur. Je suppose qu’il reste encore quelques copies disponibles parmi les cinquante publiées, dépêchez-vous, sinon vous vous contenterez d’une version à
télécharger.
TREATISE. Autres interprétations enregistrées :
1967 :
Cornelius Cardew / the Quax Ensemble / Petr Kotik – Treatise. Petr Kotik, Josef
Vejvoda, Vàclav Zahradnik, Pavel Kondelik, Jan Hyndičica. Mode – mode 205 2XCD.
Prague 15 octobre 1967.
1984 :
AMM - Combine + Laminates + Treatise ‘84 . Eddie Prévost, Keith Rowe, John
Tilbury. Enregistré à Chicago 25 mai 1984. 32’’07’’. Matchless MRCD26 1995.
1998 : Treatise Cornelius Cardew. Jim Baker,
Carrie Biolo, Guillermo Gregorio, Fred Lonberg-Holm, Jim O’Rourke et conduite
par Art Lange. Durée de 141’15’’hat(now) Art 2-122 1999.
2001 :
Formanex -Treatise . Anthony Taillard, Christophe Harvard, Emmanuel Leduc,
Julien Ottavi. Fibrr records – fibrr 002, Entropic G.B.C. – egbc 002
2002 :
Formanex – Treatise - Cornelius Cardew Computer,
Bass, Theremin, Guitar, Electronics, Percussion, Saxophone, Objects. Anthony
Taillard, Christophe Harvard, Emmanuel Leduc, Julien Ottavi. 26’33’’ et 30’01’’.
Fibrr records - fibrr 004.
2002 :
AMM - Formanex. Anthony Taillard, Christophe Harvard, Emmanuel Leduc, Eddie Prévost,
John Tilbury, John White, Julien Ottavi, Keith Rowe, Laurent Dailleau. June
2002 Musique Action Festival Nancy. 45’57’’. Fibrr Records fibrr 006 2003
2009 :
Cornelius Cardew – Treatise. Oren Ambarchi Keith Rowe. Planam CCCPLANAM LP
Vinyle. Pages 53 58 168 169. 13’58’’ – 16’59’’
2013 :
Cornelius Cardew – N. Horvath – Treatise (Harsh-Noise Version) Sublime
Recapitulation Music – hoof070 . 60’23’’
2014 : elizabeth
Veldon – Treatise pp.168 – 173. Self Released. Deux versions différentes :
2x fILE Mp3 2x 30’00’’ ou 3x File Wav 2X
60’00’’. Elizabeth Veldon, electronics.
Broken Silence Urs
Leimgruber Creative
Works CW 1063
Depuis deux
décennies au moins le saxophoniste suisse Urs
Leimgruber travaille dans les extrêmes de son instrument le saxophone
soprano faisant de lui un des champions de cette démarche radicale
« solitaire » initiée par Evan Parker il y a plus quarante ans
(Saxophone Solos Incus 19 - 1975). Le nombre considérable de saxophonistes
« free » occupant l’avant de la scène et une bonne partie du panorama
des musiques improvisées rend l’exercice particulier et acrobatique (il faut le
dire !) d’ Urs Leimgruber avec
les harmoniques et multiphoniques véritablement bienvenu. La providence, en
fait. Mis à part deux pièces où le musicien utilise de manière poétique, la
technique du re-recording (overdubs – multitracking), c’est une véritable
jonglerie avec des sons à la limite du souffle, une harmonique volatile, qui surviennent
au départ accidentellement en faussant un doigté, en forçant le souffle, en
serrant la hanche avec la mâchoire, en vocalisant dans le bec etc… Cette
démarche est accomplie sans que la méthode apparaisse, comme si les sons venaient au jour de manière
fortuite, aléatoire. Ce qui n'est pas vraiment le cas évidemment. Dans les années 70's, outre Evan Parker, il y avait Larry Stabbins qui s'adonnait à cette pratique à la fois raffinée et ensauvagée (Fire Without Bricks avec le percussionniste Roy Ashbury Bead 5). Urs prend soin de maintenir le flottement de ses sons
fantômes et contorsionnés en relâchant la pression de la colonne d’air comme
par magie. Parfois, il crée l’illusion que le timbre est celui d’une flûte
provenant d’un continent inconnu avec une gamme extraterrestre. Contrairement à la tendance énergétique de la
plupart des souffleurs free, Urs
Leimgruber privilégie les infrasons et la nature intime et secrète du sax
soprano, instrument fétiche (et revêche) des magiciens disparus, Steve Lacy et
Lol Coxhill et de ses incontournables camarades Evan Parker et Michel Doneda. Au fil des décennies, des musiciens comme Leimgruber et Doneda ont porté cette recherche dans une dimension organique, aussi sophistiquée que profondément naturelle, qui défie l'entendement. Leur degré de contrôle et de maîtrise du son est assez phénoménal. J'ai bien écouté d'autres souffleurs de l'extrême au sax soprano qui forcent l'admiration, mais il est clair pour moi que les nuances et les pliages de la matière sonore auxquelles parvient Urs Leimgruber sont uniques et difficilement accessibles, même à des pointures qui ont atteint un niveau impressionnant. En outre, cette sculpture des sons est une pratique en soi, le fruit de décennies de travail intensif. Cette capacité technique qui,chez lui, ne revêt pas l'apparence de la très grande virtuosité (enchaînements ébouriffants de paquets de notes en triple détaché) est le vecteur de la poésie pure. Par rapport à ses précédents albums (# 13 -Leo records), il va encore plus loin, en délaissant totalement la débauche d'énergie démonstrative, pour une investigation sincère et épurée. On l'entendrait bien jouer avec les chanteurs Pygmées Baka ou les Dogon du Cameroun. En tous points exemplaire !
Matthias Müller solo trombone CD et
DL https://matthiasmueller.bandcamp.com/releases
Voici un des
rares trombonistes improvisateurs (avec Sarah Gail Brand, Paul Hubweber, Patrick Crossland, Henrik Munkeby Nörstebö etc…)
qui continuent d’explorer la coulisse, le tube, le souffle, les lèvres et les
positions, tels les initiateurs Paul Rutherford, Günter Christmann, Radu
Malfatti, les Bauer, Giancarlo Schiaffini, Vinko Globokar, Alan Tomlinson
etc… Un album solo de trombone était une
chose assez courante entre 1975 et 1983, le trombone étant un des instruments
phares de l’improvisation libre européenne. Ces quinze dernières années, la
pression du free free-jazz impose le saxophoniste leader en tête du peloton et
dans l’équipe d’échappée dans la majorité des festivals, clubs, publications de
disques. A tel point que de plusieurs trombonistes sont réduits à un rôle de
faire valoir. Et donc, c’est avec beaucoup d’intérêt que je me suis plongé dans
l’écoute de cet album radical. Trois morceaux : Bell 17:15, Valve 5:19, Slide 15:56. Bell débute par le son de l’air projeté dans le tube sans que résonne
le pavillon. De cette technique qui semble élémentaire, Matthias Müller, varie
et multiplie les effets en souffle continue, introduit subrepticement des
timbres nouveaux, active la dynamique dans un crescendo régulier et
véritablement impressionnant durant une douzaine de minutes jusqu’à ce que
l’augmentation du souffle fasse résonner la « cloche » (the bell) et
secoue la colonne d’air dans un motif/ effet tournoyant. La pièce se conclut en
ralentissant insensiblement la cadence, altérant ainsi son affirmation
énergique en une hésitation de plus en plus faiblarde comme si un ballon se
dégonflait peu à peu. Valve étire une trame mélodique dans
l’espace avec le plus bel effet. Superbe. Dans Slide, ses lèvres
percutent l’embouchure tandis qu’il fait glisser la coulisse. Matthias articule
des effets sonores (growls variés, vocalisations, percussions, grasseyements
dans le grave) en variant les paramètres entre autres en diminuant la pression
du souffle. Bruitages ou musique ?
Il construit son univers en actionnant simultanément les coups de lèvres
dans le registre grave et l’action de la coulisse en secousse. Il termine cette
séquence en decrescendo tout en maintenant son action. Une fois arrivé au
silence, MM joue une seule note soutenue qu’il agrémente petit à petit d’effets
sonores nés quasiment du silence vers une belle section en multiphoniques.
Comme précédemment, il altère méthodiquement ce qu’il vient de développer en
son soutenu (respiration circulaire – souffle ininterrompu) avec un superbe
contrôle de l’instrument. Une démarche linéaire, sans doute, tout l’intérêt
résidant dans la transformation imperceptible du son. Une attitude librement improvisée et un travail qui
s’apparente à la composition alternative. Remarquable !
Into Darkness Stray :
John Butcher Dominic Lash John Russell Ståle Liavik Solberg Illuso records IRC
009 https://ilusorecords.bandcamp.com/album/into-darkness
Je vais
encore le répéter : la formule souffleur – contrebasse – batterie (avec ici une
guitare électrique) qui avait contribué à faire avancer la pratique de
l’improvisation issue du jazz moderne a fini, au fil des décennies, à aboutir à
une impasse, du moins elle génère une torpeur propre à générer l’ennui. Dans la
phrase précédente, je répète d’ailleurs
deux verbes exprès juste pour faire sentir comme c’est ennuyeux. Cet album, Into
Darkness, vient de sortir en même temps qu’un autre du groupe Will
It Float ?, lequel réunit aussi le percussionniste trifouilleur Ståle Liavik Solberg et le guitariste
acoustique John Russell avec le contrebassiste John Edwards et le pianiste et etcetériste électronique Steve Beresford dans un joyeux charivari
ludique et réjouissant (The Shorter, The
Sorter/ Va Fongool ). J’en ai loué la fraîcheur et le plaisir partagé à
l’écart des poncifs du genre dit « ping-pong » ou « free
free-jazz » dans ma précédente livraison du 28 février. Les occurrences sonores à l’œuvre dans Into Darkness
évitent complètement la normalisation lassante du triangle
sax-basse-batterie. Un brin de folie est au rendez-vous. La démarche est plus sombre que celle de Will It Float ?, car John Russell s’est muni d’une guitare
électrique et d’un rack de pédales et change complètement d’orientation. Le
contrebassiste Dominic Lash, très
actif dans cette scène british, et le saxophoniste John Butcher, un improvisateur pointu et exigeant, complètent l’équipe. Enregistré à I’klectic à deux pas du Westminster
Bridge en décembre 2015, le quartet Stray fonctionne plutôt bien. D’une
part, John Russell comprend comment
jouer de manière abrasive et noise sans saturer le champ sonore et écraser les trois
autres, d’autre part, la prise de son et le mixage astucieux de John Butcher mettent en lumière les
équilibres en présence dans la meilleure proportion quand au partage du champ sonore
et des fréquences confrontée au déluge sonique auquel se livre John Russell,
guitariste estampillé 100% acoustique avec une guitare jazz de l’ère swing
(Django) avec caisse de résonance et chevalet. Il y a une véritable cohérence
dans ce groupe en gestation. Si je n’ai absolument rien contre la démarche dite
noise, je déplore souvent l’excès de décibels, la caricature de l’avant garde,
le manque de malléabilité et dynamique de la masse sonore, l’absence d’une
dimension ludique, de contrastes etc... que j’ai pu entendre jusqu’à présent. Il
existe aussi un album de School Of
Velocity, soit Evan Parker, Steve Noble, John Edwards et le son très
astringent et abrasif du guitariste électrique Dave Tucker (Homework/ GroB 2000), groupe sans
lendemain. Fort heureusement, la musique
de Stray
est plus réussie, plus heureuse, plus ludique par l’originalité de ses
échanges que celle de School of Velocity qui, elle,
n’était pas mal du tout, même si l’un des membres du groupe ne me semblait pas
convaincu. Chez Stray, le tracé en tire-bouchons du sax ténor de John Butcher rencontre très bien le son
électrocuté et mouvant de Russell. L’inspiration mélodique de Butcher fait
merveille et Les échanges contrastés Russell/Butcher sont joyeusement commentés
par les frappes accidentées du ludion de Stavanger. Non content de tourner avec
Russell, Beresford, Edwards, Butcher et quelques autres, Ståle (prononcez
quasiment Stole) Livaik Solberg est l’incontournable activiste du club Blow Out à Stavanger, centre régional
actif de l’improvisation radicale de Norvège (Frode Gjerstad, Paal-Nilssen Love
et cie). Si nombre de ses camarades norvégiens font dans l’artillerie lourde
Brötzm- Gustafsonnienne ou dans une démarche plus minimaliste expérimentale, Ståle Liavik Solberg est le compagnon
idéal des joyeux drilles de la (so-called) deuxième génération du Little Theatre Club (Beresford, Russell,
Todd, Solomon, Wachsmann, Brighton, Toop, Smith, Coombes etc…). Quant à Dominic Lash, il agite et cimente tout
à la fois la dynamique du groupe. Avec le batteur, ils déconstruisent tous deux
cette pseudo-complicité du tandem basse-batterie post free-jazz qui, en fait, se résume à créer
une activité de tension qui propulse le souffleur soliste - leader et à suivre cet instinct
grégaire au détriment des possibilités
de jeux, de sonorités et des accidents de parcours, arrêts subits ou
carambolages imprévus. D’ailleurs, les interventions subtiles et goûteuses de
Butcher naissent de la mêlée et des aléas combinatoires instantanées des trois
autres compères. Tour à tour basé à
Oxford puis à Londres, Dominic Lash réside à Bristol et comme pas mal de ses collègues
qui ont quitté Londres, il contribue à la décentralisation de la scène
Londonienne dans des ramifications régionales qui rameutent un public
« provincial » enthousiaste et connaisseur. Quelques soient leurs
expériences, leurs origines, leur parcours, leur âge, ces improvisateurs British
ont la capacité de se mélanger de manière originale et souvent imprévisible
quelque soient l’humeur du moment et leurs marottes du jour. À propos de
Butcher, j’ai récemment été interloqué lors de deux concerts où je sentais le saxophoniste,
un matheux très cartésien et très sérieux, un peu mal à l’aise face aux petites incartades de ses collègues habituels. Ici, il semble séduit par la folie
ambiante, car il a mis lui-même la musique enregistrée en boîte. C’est ce qui fait d’Into Darkness un document attachant
et une piste à suivre.
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