D'abord, en introduction, je vous invite à parcourir mon site www.orynx.bandcamp.com où vous pourrez découvrir plusieurs enregistrements de "mes musiques" en tant que chanteur-vocaliste. En solo absolu : Orynx2 , 27 pièces vocales datant de 2012 et 2013, en quartet avec Jean Demey Matthias Boss et Marcello Magliocchi 876+ in Bologna le 12 novembre 2016, en duo avec Sabu Toyozumi au er-hu /vièle chinoise (Uchiyoseru) , MouthWind en duo avec Lawrence Casserley au live signal processing paru en 2011, en solo et en vinyle 45 rpm avec Andrew Liles sur la face B : The Glottal Allowance produit par le cinéaste Peter Strickland et le trio mythique Sureau Live in Bxl avec le contrebassiste Jean Demey et mon compère Kris Vanderstraeten avec qui je chante depuis dix ans.
Strings Mano Kinze. Self released .
Strings Mano Kinze. Self released .
Je regrette vraiment de
ne pas avoir essayé d’écrire au sujet de ce magnifique album, Strings, excellemment enregistré et
conçu avec amour par le guitariste Mano Kinze, respectivement aux guitares
acoustiques (avec chevalet ou archtop) et au gu-zheng, la cithare chinoise
traditionnelle. En l’écoutant, je me replonge à cette époque bénie où une
douzaine de guitaristes changeaient la face de la guitare en l’espace de
quelques années, « de l’autre côté du manche », à la suite de Derek
Bailey et Keith Rowe : Ian Brighton, Roger Smith, John Russell, Gerry
Fraser Fitz-Gerald, Fred Frith, Raymond Boni, Hans Reichel, Davey Williams,
Eugene Chadbourne, Henry Kaiser, etc… Mano Kinze habite au Nord de la
Basse-Saxe, à une quinzaine de km de la Mer du Nord et de la frontière
hollandaise assez loin des régions « où ça se passe ». Sans doute
plus frison que saxon. Son travail à la guitare se révèle très approfondi et
intense développant un art consommé de la dissonance et des variations de
doigtés et de touchers et utilisant la guitare et la cithare chinoise comme des
machines à sons résonnantes pour mettre en évidence : les intervalles sont
étirés, on requiert le presque silence et la profusion tournoyante ou
ébouriffante avec tous les états d’âme, le fil de l’improvisation de chaque
pièce suit une certaine logique secouée par des humeurs et changements de
direction imprévus. Un subtil alliage
d’invention, de maîtrise musicale et instrumentale, de spontanéité fait de cet
album une parfaite réussite. Les superpositions de doigtés et de clusters en
cascades, ricochets, élongations, vire-volte, passages épurés, enchaînements
disjoints, asymétriques, proportionnels, en tête à queue et contrastes subits,
les figures, motifs et cadences utilisées et transformées en permanence sont
rendues très souvent avec une intention particulière et un fil conducteur
spécifique à chacune des improvisations, les distinguant les unes des autres. On
l’entend aussi avec une mandoline et une fretless, aspects de sa démarche qui
m’était inconnus, ces instruments étant restés à la maison lorsque j’ai
assisté/ participé à ses concerts. Une des pièces au gu-zheng désaccordé est
complètement délirante et follement intempérée, une autre avec le même
instrument soigneusement accordé est délicate, soignée, portant la science du
développement rythmico-mélodique à un très remarquable point d’ébullition. Les quelques
pièces au gu-zheng n’ont que peu de consonance extrême-orientale et une belle
accointance avec les morceaux à la guitare. Elles complètent superbement
ceux-ci, élargissant le panorama complet de l’album et facilitant son écoute
successive. Comme j’aime beaucoup ce
type de travail guitaristique acoustique, voisin de Derek B. et John Russell,
je vais conserver soigneusement ce talisman livré dans un étui plastique
transparent et recouvert d’un beau
gribouillis joyeusement peinturluré. À suivre absolument. Rarement entendu une
musique improvisée à cordes pincées aussi convaincante. Si vous êtes un fan de John Russell, il faut
écouter Mano Kinze.
Pounding Pounc . Miroslav Pounc.
Œuvres « graphiques ». Tiziana Bertoncini - Thomas Lehn. Alessandro Bosetti - Michael
Delia, Peter Graham, Pavel Zlàmal, Frantisek Chaloupka, Petr Kofroñ Zsolt
Sörès, Hans Koch. 2015 Moravskà galerie v Brnē. Produit par Jozef Cseres.
Jozef Cseres est un
activiste extraordinaire des pays de l’Est responsable pour avoir organisé des
dizaines de concerts remarquables et souvent même exceptionnels, des
expositions, des festivals multimédia,
en Tchéquie et en Slovaquie depuis les années 80’s et cela dans plusieurs
localités. Professeur d’esthétique (etc..) à Brno, Ostrava et Bratislava, de
racine magyare, de nationalité Slovaque et habitant Brno en Silésie tchèque,
Jozef est un citoyen polyglotte érudit et un curator de haut niveau capable de
verbaliser et commenter le plus adroitement du monde la démarche des artistes
qu’il invite ou qu’il introduit auprès d’autres organisations qui partagent sa
passion et ses idées. Il a fait connaître des artistes comme Keith Rowe, Eddie Prévost, Alvin Curran,
Annea Lockwood, Jon Rose, Gordon Monahan, Lawrence Casserley, Franz Hautzinger,
Thomas Lehn, Hans Koch etc… Il cultive une affinité particulière pour l’art
total du Violon de Jon Rose et a été le Directeur du Rosenberg Museum. Et donc,
lui et quelques autres ont eu l’initiative de rassembler une série de musiciens
« contemporains » liés à la cause de l’improvisation pour la plupart
autour des compositions « graphiqes » du compositeur Tchèque
d’avant-garde Miroslav Pounc (1902-1976). Élève d’Haloys Haba, Pounc a
réalisé des compositions sur partitions graphiques colorées qui se révèlent
être de véritables tableaux d’art abstrait (Bauhaus ? Kandinsky ?).
La démarche est à mon avis intéressante. Ce compositeur se situe générationnellement entre le génial
Edgar Varèse et l’unique John Cage. Donc, il fait partie de cette génération
qui s’est engagé corps et âme à transformer les pratiques musicales à contre –
courant des nationalismes militaristes en tout genre. Et le contenu musical est
quasiment aussi radical que la musique publiée par le label Potlatch de Jacques
Oger, par exemple. Les artistes précités
offrent de très intéressantes interprétations / version de ces mystérieux
tableaux composés de cercles colorés,
emboîtements de planètes étranges, formes géométriques suspendues dans
l’espace. Peut être les artistes en donnent-ils des versions complètement
contemporaines ! Comme je ne suis pas spécialisé en musique
« composée », je me contente de me laisser bercer par les sons
instrumentaux et électroniques, drones, lents crescendi/glissandi, vibrations
interstellaires. En tout point remarquable et une véritable cohérence s’installe d’une
interprétation à l’autre, quel que soit l’interprète.
Wasteland Rosa Parlato Paulo Chagas Philippe Lenglet
Steve Gibbs Setola di Maiale SM3550 http://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM3550
Voici un quartet dont
l’instrumentation est peu courante et la musique rafraîchissante.
Crédités : Rosa Parlato :
flutes, objects, electronics, voice. Paulo
Chagas : oboe, hichiriki, sound toys, water. Philippe Lenglet : electric guitar, objects. Steve Gibbs, 8 string classical guitar,
voice. Lenglet et Parlato sont actifs dans la scène improvisée lilloise. Chagas
est un pilier incontournable de l’improvisation au Portugal dont j’ai retenu le
travail avec un excellent Wind Trio
en compagnie de Joao P Viegas et Paulo Curado. Gibbs est un guitariste
classique spécialiste de la guitare huit cordes avec un sérieux parcours,
interprète de Bach et de musique contemporaine. Wasteland : musique créée
en réseaux de sons, de phrases, d’ostinatos, de détournements sonores, sons
acoustiques et électroniques mêlés, différenciés, approches ludiques, extrêmes,
contrepoints sauvages... Et surtout une excellente lisibilité, une cohérence
dans la différence, une expressivité sans pathos, une inventivité sonore qui
pointe son nez ici et là (comme dans Motetus).
Sept compositions instantanées dont certaines culminent à plus de quinze
minutes. L’expérience d’écoute que j’en fais est très positive : en fait
l’ensemble, au premier abord « hétérogène », atteint une qualité qui
dépasse largement la somme de chacune des parties et la pratique individuelle
de chaque musicien. Déjà mêler le jeu de deux guitaristes dans un contexte
librement improvisé n’est pas aisé et ici tout se passe bien. Paulo
Chagas, ici au hautbois, est aussi flûtiste mais, sans doute, a-t-il
préféré laisser l’espace à sa collègue Rosa
Parlato qu’on entend aussi vocaliser de manière « bruitiste »
dans le grave. En outre, le guitariste, Steve
Gibbs nous donne un aperçu de son talent borborygmique dans les langages
inventés, tandis que Chagas fait bruisser de l’eau ! Tout l’album procède
d’une joyeuse et étrange invention sonore sans que le groupe ne réutilise les éléments d’une
formule / séquence sonore survenue
auparavant et ce qui passerait pour des incartades enrichit l’ensemble de
manière créative. Philippe Lenglet
et Steve Gibbs gèrent à merveille un
panorama étendu de trouvailles sonores guitaristiques, alternatives,
expérimentales, bricolées, trafiquées sans qu’on ait le sentiment qu’il s’agit
d’un système… C’est dire que l’écoute et la mémoire sont au centre de leur
activité. Il semble que la guitare de Gibbs soit préparée créant des
intervalles distendus qui se marient bien avec les sons électriques de Lenglet
et les effets de souffle de Parlato. Quand l’hautbois de Chagas se pointe, l’ensemble
devient un peu déjanté. Un peu d’humour se glisse à un moment pour détendre
l’atmosphère… Un remarquable art du dosage lequel, au fil des plages, crée un
fil conducteur imaginaire, fictif alors que le groupe développe un remarquable
démarche de groupe dont la musique se métamorphose insensiblement en se
bonifiant.
Wasteland :
c’est le lieu où on jette les déchets, mais je crois bien que les quatre
musiciens ont acquis l’art du recyclage. Remarquable !
Out and Out ! Alan Tomlinson, Dave
Tucker, Philip Marks FMR CD459-0817
Un trio avec trombone,
guitare électrique et batterie dans une série de concerts successifs. Cela nous
change du sempiternel sax-basse-batterie …. Et quel tromboniste ! Alan Tomlinson, un improvisateur
radical apparu sur la scène « anglaise » vers la fin des années 70’s
est un virtuose fracassant, énergique, délirant, doué d’une technique
hallucinante. Instrumentiste demandé dans la scène classique, il ne jouit pas
d’une grande notoriété Outre- Manche (par rapport à la position des Îles
Britanniques), mais les amateurs Londoniens (et de nombreux musiciens) lui
vouent un culte exclusif. Tomlinson a fait partie du London Jazz Composers Orchestra de Barry Guy et du London Improvisers Orchestra en étant
sans conteste une pièce maîtresse de ces deux ensembles par la très grande
précision de son jeu, son énergie folle, son sens inné du timing et son
imagination débordante. Il a aussi participé aux groupes de Tony Oxley durant
les années 80’s et à l’album Alarm de
Peter Brötzmann (FMP). Emanem avait publié Trap Street en 2002 avec Roger
Turner et Steve Beresford (Emanem 4092) et j’ai un souvenir inoubliable de leur
set incendiaire à Freedom of the City
en mai 2003 (cfr 17’53’’ dans Freedom of
The City 2003 Small Groups/ Emanem 4212). Donc un artiste majeur en raison
de ses dons inouïs au trombone beaucoup trop peu documenté. La guitare
électrique dangereusement noise et « électrocutée » de Dave Tucker et la percussion à la fois
pétaradante et délirante de Philip Marks
complètent à merveille la faconde expressionniste et les implosions vocalisées
de la colonne d’air de Tomlinson. J’ajoute
encore que Dave Tucker a joué dans The Fall et est un excellent conducteur
de grands orchestres (London Improvisers
Orchestra). C’est à mon avis un des guitaristes « noise » abrasifs
les plus compatibles avec d’autres improvisateurs acoustiques, grâce à son
excellent sens de la dynamique et de son écoute attentive. Philip
Marks a joué régulièrement avec Paul Obermayer et Rex Casswell dans un
groupe improbable : Bark ! dont Psi, le label d’Evan
Parker a publié deux albums. Et puis, Philip est un batteur qu’il faut
absolument avoir vu jouer en public. J’écris bien vu ! Enregistrées par
Marks et Tucker en 2009 dans des clubs de Birmingham et Manchester, en 2014
dans un festival à Harwich et au Klinker
Club en 2016, ces huit sélections « de scène » semblent
préférables au trio qu’un captage studio, si l’on en croit les musiciens. En
effet, comme on peut l’entendre clairement tout au long de Out And Out, on nage ici
dans la vraie vie : la véritable spontanéité de l’improvisation immédiate
balancée entre l’écoute au millipoil, l’imagination et la recherche sonore
(bien réelle) et cette capacité à
détonner, à exploser dans l’instant le moins prévisible. Les musiciens ont
beaucoup de qualités, et il y en a une qu’ils cultivent particulièrement, c’est
le sens du timing. Tomlinson a aussi un sens mélodique particulièrement aigu,
ajoutant la cerise sur le gâteau plus qu’à son tour. Sans parler de ses
barrissements dans le grave (au trombone ténor !). Le guitariste ajuste
admirablement ses excès soniques au jeu délirant du tromboniste et quand ces
deux-là s’écartent un peu dans le champ sonore, c’est le percussionniste qui intrigue : il ne ressemble à
personne d’autre et ses frappes faussement hésitantes ont un côté légèrement
loufoque. La stratégie du groupe consiste à changer de cap dans une continuité
cohérente maintenant l’auditeur/ spectateur en éveil, car on ne sait pas
toujours à quoi s’attendre même si on a une longue habitude d’écoute de ce
genre de musique comme celle de votre serviteur. Vraiment recommandable pour
épicer un festival de musique improvisée digne de ce nom.
Intention Peter Kuhn Trio FMRCD 467-1117
Trio clarinette et
clarinette basse (Peter Kuhn),
contrebasse (Kyle Motl) et batterie
(Nathan Hubbard). Neuf
improvisations collectives bien cadrées autour des cinq minutes. À l’époque
glorieuse où le free-jazz se renouvelait chaque saison et que nous eûmes pu
prendre la mesure du grand John Carter sur le sol européen, alors que les
Michel Pilz, Louis Sclavis, Hans Koch et Wolfgang Fuchs , tous clarinettistes de choc, se révélaient, un
clarinettiste américain basé à NYC, fit une rapide apparition dans les
catalogues de Black Saint (The Kill – The Peter Kuhn Quartet
1981) et Hat Hut (Ghost of a Trance – Peter Kuhn 1981) avec rien moins que feu
Dennis Charles ou Phil Wilson à la batterie, Wayne Horwitz au piano et un
William Parker alors peu connu. Et puis, il disparut aussi vite, sans avoir pu
donner toute sa mesure. Tout récemment, No Business a ressuscité une séance
ancienne et publié un nouvel enregistrement de Kuhn. Et donc, ayant porté une oreille
attentive à celle belle Intention, je peux vous dire que
c’était en tout état de cause que Dennis Charles, qui faisait alors son
come-back, et William Parker se commettaient avec ce clarinettiste intrigant.
Lyrique, chercheur, inspiré, une propension sincère et spontanée à partager
l’inclination du moment en symbiose avec ces deux camarades, Peter Kuhn suscite
un véritable trilogue. Nathan Hubbard manie les peaux et les cymbales avec ce
qu’il faut de finesse, de swing volatile et de légèreté en relation avec
l’intensité et le flux pastoral du souffleur, tandis que le contrebassiste Kyle
Moth alterne des croisements extrapolés de walking bass et des échappées à
l’archet ou sur la touche avec une forme de voicing très personnelle. Une
musique vibrante, volatile, intimiste et suffisamment énergique pour
transmettre les intentions profondes de ses protagonistes. Chaque improvisation
collective tourne autour d’une cadence, d’intervalles précis, de motifs et d’un
affect particulier dans un équilibre maîtrisé. Une vision collective de la
musique partagée. On entend des rebondissements de baguettes sur le rebord de
la caisse claire qui suggèrent la nature et des chouintements délicieux de la
clarinette basse qui confèrent une dimension champêtre, naturelle, poétique,
acoustique aux échanges. Une bien belle musique.
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