Instant Chamber Music
Instant Chamber Music Marcello Magliocchi Matthias Boss Paulo Chagas
Maresuke Okamoto Setola di Maiale SM2340
One Hour With Three Uncles Roberto Del Piano Matthias Boss Marcello Magliocchi
Setola di Maiale SM2370
Improvisors Consort : Lisboa
Sessions Magliocchi Boss Carlos
Zingaro Paulo Chagas Paulo Curado Joao Pedro Viegas Abdul Moi – Même Setola di
Maiale SM2360
Wind Trio : Old
School New School No School Paulo
Chagas Paulo Curado Joao Pedro Viegas Creative Sources CS 224 CD
Avec un titre pareil Musique
Instantanée de Chambre ou Musique
de Chambre Instantanée, c’est selon
et c’est tout un programme. Curieusement, la pochette d’Instant Chamber
Music indique qu’il s’agit de
« web sessions » et paradoxalement, on entend bien ici une musique de
chambre avec le violoniste
Matthias Boss et le souffleur Paulo Chagas aux flûtes, hautbois, clarinettes et
saxophones qui entrecroisent lignes et volutes avec une réelle empathie. Le
percussionniste sollicite ses instruments très variés en étant conscient de la
dynamique quand le bassiste, Maresuke Okamoto, charpente discrètement
l’ensemble. Les élans lyriques de Boss et Chagas se déploient avec un réel sens
du dialogue en prenant la juste mesure des dimensions spatiales et
temporelles : ils jouent ensemble avec une ductilité sensible et cette
lisibilité qui permet à des oreilles exigeantes ou même fatiguées de déchiffrer
les frappes nuancées et variées à souhait de Marcello Magliocchi. Sans doute,
le timing est un peu lâche et cela est sans doute dû au procédé
d’enregistrement via le web (!!), mais le soin qu’ils apportent à leur
travail me fait dire qu’un concert de leur quartet est vraiment recommandable.
Cette impression est renforcée par l’excellente One Hour With Three Uncles avec à nouveau Boss et Magliocchi et le bassiste
électrique Roberto del Piano. Ce trio est l’occasion pour le violoniste de
donner sa mesure avec un swing affirmé entraînant un tandem basse/batterie
dynamique, plein de justesse et d’invention dans une musique pleinement libre.
Magliocchi a l’art d’occuper l’espace sonore sans le remplir en inventant,
commentant et relançant ses deux comparses avec un goût sûr : construction
et déconstruction, stase et précipitation, légèreté et vitesse. Quant au
bassiste, il mérite vraiment d’être écouté et découvert , sons sens mélodique
et rythmique n’est jamais pris en défaut dans un tel contexte, précis et
chambriste en sollicitant les harmoniques au détour d’une phrase. Ces trois –
là savent s’écouter au plus près avec un sens rythmique sûr qui révèle bien une
musicalité profonde. Un bel
équilibre. Cela s’écoute avec un vrai plaisir, tout comme ce rassemblement des Lisboa
Sessions en deux pièces de 36:02 et
11:07. Ici, les percussions de Marcelo Magliocchi et le violon de Mathias Boss
se sont fait inviter par Carlos Zingaro, le légendaire violoniste portugais et
un trio de vents avec le même Paulo Chagas, Paulo Curado et Joao Pedro Viegas
qu’on découvre dans Old School New School No School, l’album de leur Wind Trio. S’y ajoute la guitare préparée d’Abdul Moi-Même.
Ayant appris moi-même à la dure et par une pratique « souterraine »
au fil des ans que la musique improvisée est avant tout une affaire collective,
je serai toujours gré aux artistes qui osent produire des albums où six, sept,
huit etc.. improvisateurs d’essayer de construire un univers avec la contrainte
du nombre, de la pluralité des voix et de tous les désirs possibles. Cette mise
en commun en totale liberté nécessite une authentique auto-exigence
démocratique, une réelle sensibilité, un esprit d’à propos, un sens de la
construction musicale. Bref, une vraie modestie qui est très souvent l’apanage
des grands musiciens, du moins de ceux que j’ai eu le plaisir de rencontrer à
force de fréquenter les milieux de l’improvisation. Old School, New School,
No School, sans nul doute, exprime
l’idée (et le sentiment) que «nous faisons de la musique avec ce que nous avons
appris et ce qu’on découvre en la vivant avec ce que nous sommes et ce que
nous voulons être ». Tant pis si leur démarche n’intéresse pas ceux qui
tiennent à des définitions et rêvent à l’existence de sous – groupes étanches
de l’improvisation radicale, leur musique vit de dialogues, de
correspondances, de confidences,
d’écarts et d’unissons. C’est dans cette session lisboète que ces artistes
révèlent la profondeur de leur engagement et de leur attachement viscéral à la
liberté. Enregistrés de façon satisfaisante et relativement équilibrée, les
sept musiciens utilisent plusieurs stratégies pour faire vivre cet ensemble d’un
jour. Brièvement ou longuement surgissent ou s’insinuent répétitions, notes
soutenues, ostinatos, hoquets, contrepoints, traits mélodiques brefs, unissons,
staccatos, chassé croisé des violons, les idées et les gestes de chacun se
relaient et circulent d’un acteur à l’autre en évitant un trop évident
mimétisme. Le percussioniste avance à toute allure ou agite seulement une
cloche. L’un ou l’autre choisit momentanément le silence. Le paysage ainsi créé
évolue et se métamorphose, guidé tour à tour par les deux violons de Boss et
Zingaro, ensemble ou à tour de rôle, ou les flûtes de Paulo Chagas et Paulo
Curado. L’auditeur doit faire un effort d’écoute en fonction de la prise de
son un peu trop présente ou, sans doute, l’exiguité du lieu. Quand s’approche la vingtième
minute, des mélodies renaissent et les souffleurs (hautbois, clarinette et
soprano) libèrent un lyrisme sous-jacent avant que la percussion n’agite les
échanges. Et que les violons tapissent l’espace d’aigus. Il serait vain de
vouloir saisir les instants de cette véritable instant chamber music qui se déroule en toute simplicité. Ils finissent les
36 minutes en faisant bloc avec un motif réitéré et partagé. Le deuxième
morceau de 12’, enchaîné immédiatement offre encore d’autres couleurs et une
atmosphère. Sans aucune prétention, cette pièce vaut bien celle qui figure dans
l’album Incus 28 « Company Five » qui rassemblait Derek Bailey, Steve Lacy, Anthony Braxton, Evan
Parker, Leo Smith, Tristan Honsinger et Maarten Altena lors d’une soirée de la
Company Week 1977. Se produisant fréquemment en duos et trios pour des raisons
de lisibilité, économiques, de communauté d’intérêts et d’espace pour
l’expression individuelle, de nombreux praticiens évitent de se produire dans de tels ensembles. Et pourtant, cette excellente école
d’improvisation libre remet les pendules à l’heure et pose au musicien une
quantité de questions personnelles et existentielles, certaines restant sans
réponse. Dans cette pâte mouvementée et imprévisible où l’éphémère est roi,
l’improvisateur doit creuser et affiner son sens de l’improvisation, parfois
jusqu’au désespoir. C’est dans ces amalgames indéfinis que résident certaines
des valeurs immanentes essentielles de cette musique libre. Old School, New
School, No School fait le point sur
les croisements multiples des souffles de Joâo Pedro Viegas (soprano et
clarinette basse), Paulo Chagas (flutes, oboe, sopranino clarinet) et Paulo
Curado (flute, soprano et alto saxophone). La musique est lyrique, tour à tour
ricochante ou apaisée, questionnante ou rêveuse. Ils font comme s’ils se
parlaient sans tomber dans le travers facile des questions et réponses
immédiates. Leur maîtrise des instruments s’entend clairement au travers des
sons pleins et déliés, des pépiements, gésillements et étranglements feutrés,
et cette colonne d’air qu’on laisse s’éteindre jusqu’au silence. Si l’un
propose une phrase typée à la flûte, les deux autres répondent à ses volutes
par des hoquets et des mouvements de danse inégaux sur deux notes. Une autre
fois, c’est par des silences mesurés de ponctuations que l’un contient les
débordements de l’autre. Chaque début des onze morceaux renouvelle l’ambiance sonore de ce Wind
Trio et leurs évolutions démontrent clairement une capacité remarquable à enchaîner
toutes leurs idées avec un vrai sens collectif de l’équilibre, l’identité du
groupe se maintenant à travers les nombreux changements d’instruments. Une relative suavité des timbres
rattache ce trio à la tradition chambriste ainsi qu’à un feeling méditerranéen,
une nonchalance assumée. Ma culture de l’improvisation nettement plus nordiste,
imprégnée par les expériences anglaises et allemandes, me fait regretter un
relatif manque de « fire »
largement compensée cependant par une musicalité intelligente et une écoute
superlative.
Almost even further 6 i x Jacques
Demierre Okkyung Lee Thomas Lehn Urs Leimgruber Dorothea Schurch Roger Turner. Leo
Chacun de ses six artistes
compte parmi ces musiciens exceptionnels sur les épaules de qui peut reposer en toute confiance les performances les
plus risquées, parmi les plus inénarrables de la planète improvisation. Si la
réputation des Demierre (piano), Leimgruber (saxophone), Lehn (synthé
analogique) et Turner (percussion) n’est plus à faire, ceux qui, par exemple,
écouteront Okkyung Lee improviser en solo au violoncelle, vont redécouvrir cet
instrument sous un jour nouveau. Quant à Dorothea Schurch, c’est une vocaliste
très prisée par ses collègues en Suisse et en Allemagne. Solistes réputés, ils
sont aussi par conviction et avec la modestie la plus sincère, des partisans de
l’aspect collectif de l’improvisation, celle où la voix individuelle sacrifie
parfois sa singularité pour se mettre au service du tout. C’est dans cette voie
difficile qu’ils nous convient avec almost even further, presqu’un peu plus loin. Presque,
parce que la réussite n’est jamais totale, un musicien exigeant restant souvent
insatisfait, même pour un détail. Un peu, car dans de tels groupes, le peu est aussi significatif et complexe que
le nombre et la profusion. Plus loin,
les limites existent pour être dépassées. 6 i x se transforme insensiblement en trio, quartet,
quintet et sextet. Chaque improvisateur évolue à une vitesse différente souvent
dans une réelle indépendance, créant des espaces pour autrui, intervervant au
moment opportun, donnant un réel sens à des gestes simples et des sons
singuliers qui se posent avec une belle évidence. Des contrastes, des presques
rien appuyés, des murmures, des sons qui se meurent, tout concourt à créer un
univers tactile et lisible de bout en bout. Les quatre pièces enregistrées
(26:36, 5:52, 18:32, 8:05) s’évanouissent sans que le temps se fasse sentir. On
a l’impression que leur musique de chambre puisse revêtir les métamorphoses les
plus variées, l’imagination et l’imaginaire individuels se nourrissent et se dilatent au contact les uns des autres. Exemplaire.
Bouquet Frédéric Blondy Charlotte Hug Emanem 5026
Bouquet est le quatrième album de ou avec Charlotte Hug sur
le label Emanem et comme ses prédécesseurs, il se révèle ce qu’on pourrait
définir comme un chef d’œuvre, si c’est une chose possible dans le contexte de
l’improvisation libre ou totale.
Comme le souligne mon confrère Dan Warburton dans les notes de pochette,
l’univers de ce duo parlera « aux connaisseurs de Grisey, Xenakis, Cage et Feldman ». Frédéric Blondy
prend ici un recul par rapport à sa pratique engagée avec le groupe Hubhub ou
le duo avec Lê Quan, les deux improvisateurs établissant un rapport réciproque
de dialogue lucide et sensible qui parcourt un très large champ
d’investigation. Douze pièces aussi variées qu’il est possible, faisant appel
autant à l’intelligence musicale qu’à la spontanéité en mettant en valeur une
véritable mine de matériaux sonores, d’idées lumineuses, de pratiques
instrumentales rares, ponctuées de quelques interventions vocales de Charlotte.
Celle-ci nous avait offert une symbiose magique entre sa voix naturelle et son
alto joué en pizzicato, à l’archet ou avec sa technique remarquable de soft-bow
dans l’album Slipway to Galaxies.
Ici la chanteuse mêle sa voix aux sons instrumentaux avec un esprit d’à propos
qui fait à la fois corps avec son jeu à l’alto et avec la musique du duo. Ayant fait le choix d’utiliser
différentes techniques au piano pour cet enregistrement, Frédéric joue
magistralement le clavier « normal » comme on l’entend dans cato’s
pink cluster, l’instrument préparé
comme durant les dix minutes de thalia remontant, ou intervient manuellement dans les cordes, comme
dans la belle sultane qui arrache
littéralement l’écoute lorsqu’on choisit d’écouter directement la première
plage. Bouquet porte bien son
titre, le fait d’accorder dans le même album douze morceaux aussi différents
comme les parties d’un même tableau plein de couleurs, de souffles, de mystères
et de lueurs est à lui seul tout un art. Devrais-je convaincre un connaisseur
pointu et exigeant ou un auditeur occasionnel de la filiation ou du cousinage
de plus en plus rapproché des musiques d’improvisations avec celles des
compositeurs contemporains, Bouquet
sera mon premier choix (ex-aequo avec gocce stellari du Stellari Quartet où officie Charlotte Hug). Aussi,
Frédéric est un pianiste exceptionnel et Charlotte est une artiste unique du
point de vue de son instrument, le violon alto. Franchement, j’ai tellement de plaisir à écouter et à en découvrir tous les coins et
recoins que je ne vais tarder à conclure cette chronique pour me concentrer sur
l’écoute de Bouquet. Il met en
perspective les recherches, pratiques, racines, sentiments, talents individuels
et l’imagination de deux artistes sincères et complètement engagés dans leur
art comme rarement il est permis de l’entendre.
PS
les autres albums de
Charlotte Hug, Slipway to Galaxies, Gocce Stellari et Fine Extensions sont
chroniqués ailleurs dans ce blog .
D’autres duos très
remarquables avec le piano que je recommande, au-delà des styles : Archiduc
Concert de Paul Hubweber et Phil
Zoubek et More Dialogues de Trevor
Watts et Veryan Weston (Emanem) qui sont chroniqués dans des pages précédentes.
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