Lol Coxhill last French
concert :
sitting on your stairs Lol Coxhill & Michel Doneda Emanem 5028
Une paire de saxophones
soprano, un duo rare et un instrument rare et difficile. Steve Lacy, Lol
Coxhill et Evan Parker en ont jeté les bases exploratives, Lacy avec son Solo
au Théâtre du Chêne Noir en 1973 (Emanem), Parker avec ses Saxophones Solos en
1975 (Incus rééd Psi) et Coxhill avec ses Dunois Solos (nato). Parker et Lacy ont aussi enregistré en
duo et en trio avec Lol Coxhill, comme le rappele Gérard Rouy dans les notes de
pochette de ce beau CD. Récemment, Parker a gravé un excellent duo avec un
autre sopraniste, Urs Leimgruber (Twine Clean Feed). C’est donc en toute logique (et amitié) que Lol Coxhill
et Michel Doneda nous livrent ce beau témoignage de leurs dialogues un peu
après la disparition de Lol. Si la musique de Twine est brillante et fascinante, je dirais que celle de sitting
on your stairs traverse toutes les
humeurs de la mélancolie au rêve, entre la recherche éperdue du son élémentaire
et l’éclatement du temps. Les deux souffleurs se rejoignent sans se confondre
ou se rejouer (Last Duet 1). Leurs parti-pris individuels se marient et
composent un dialogue miraculé et imprévu. Le solo de Michel Doneda (5 minutes) est un beau concentré
des vibrations irréelles qu’il insuffle par le truchement d’harmoniques rares
et de multiphoniques furieusement mobiles. Après le court solo enjoué de
Coxhill, les deux souffleurs se rejoignent pour un duo bref (2 minutes) où ils
semblent résumer toute l’histoire de leur amitié. Le tour de force vient
ensuite durant deux longues suites qui s’échappent sans durer. Les duettistes
étalent leur énorme savoir-faire (des titans de l’instrument, il faut l’avouer)
dans l’esprit du jeu, leur soif de découverte et une connivence indicible.
Plutôt qu’une musique où les musiciens communient dans une intention esthétique
avec un accord quasi-total, on a affaire ici à un partage de l’instant où
chacun est à l’écoute de l’autre et le fait entendre de manière allusive,
tangentielle à travers le prisme de sa personnalité. Evan Parker, Steve Lacy et
Lol Coxhill avaient été réunis pour la première fois sur scène par Derek Bailey
lors de la première semaine Company de mai 1977. Le but du jeu était de créer
de nouvelles passerelles dans le développement de l’improvisation libre en
mettant en présence, entre autres, des improvisateurs qui ne travaillent pas
ensemble pour des raisons esthétiques. Que peut-il se passer ? Ce duo
merveilleux entre deux personnalités que tout semblerait opposer (Coxhill
travaille la mélodie avec des intervalles microtonaux et Doneda est un
sculpteur du son intégral, sans parler des traits de caractère) est sans doute
une excellente réponse et a le mérite de poser beaucoup de questions. Malgré et
grâce à cela, sitting on the stairs
est un des albums les plus profondément touchants des Emanem, Incus, FMP, ICP,
Intakt, Maya, Leo et compagnie. Une force cachée.
Hidden Forces ! Des
forces cachées ! Voilà bien une idée, un mot qui s’applique à merveille au
propriétaire de Bruce’s Fingers, le brillant contrebassiste et compositeur
(etc...) Simon H Fell. Un musicien extraordinaire dont bien des amateurs,
critiques, organisateurs, praticiens et groupies de l’univers des musiques
improvisées ignorent les capacités. Son label Bruce’s Fingers a largement
publié ses projets dans des registres les plus divers du duo elliptique avec le
saxophoniste Graham Halliwell à des Compilations géantes regroupant trois ou quatre orchestres, sans
doute parmi les réalisations les plus ambitieuses jamais abouties par un
impro-compositeur de la scène
improvisée. SH Fell se distingue par le fait qu’il ne recherche pas la
compagnie des
« pointures » de la
scène internationale pour évoluer vers la notoriété alors que son jeu de
contrebasse en fait un alter-ego des Barry Guy, John Edwards, et autres Mark
Dresser. Rien d’étonnant que son label publie l’excellent album du trio Hidden
Forces, topus, complètement inconnu entre Londres, Paris et Berlin. Gustavo Dominguez,
clarinette basse et clarinette, Marco Serrato, contrebasse et Borja Diaz,
batterie nous font entendre une musique enlevée, rythmée et dynamique autour de
thèmes rebondissants et de dérapages contrôlés. Fruit de pratiques musicales
multiples, ce trio exprime une entente profonde à travers une énergie assumée. Topus, le morceau éponyme, développe un thème lyrique à la
clarinette en mi-bémol sur un rythme de marche et une pulsation chaloupée dans
de belles variations. Ce trio aurait pu être un groupe de SH Fell, lui-même,
celui-ci participant à des trios souffleur – basse - batterie en compagnie de
ses potes Alan Wilkinson et Paul Hession ou Simon Rose et Steve Noble. Dans le troisième morceau El Hijo
secreto, la clarinette s’envole au-dessus des pizz effrénés du bassiste et se
déchiquette, s’époumonne…. Bruce’s Fingers nous présente ici du jazz libre attachant, vivant et chaleureux, ce que ne laisse pas
supposer la peinture trash et vivement colorée des mâchoires ouvertes sur la
pochette.
Parmi les forces cachées de
la scène de l’improvisation libre etc… , il faut citer le
pianiste Nicolà Guazzaloca.
Tecniche Arcaiche Nicolà Guazzaloca, piano solo Amirani Records AMRN 035
Pianiste émérite et animateur
d’ateliers, de concerts et d’orchestres à Bologne, Nicolà Guazzaloca est devenu
au fil des ans un improvisateur incontournable. Tecniche Arcaiche fait le point sur la pratique et l’expérience acquise
par ce pianiste original dans 18 pièces très courtes entre 1’10’’ et 2’30’’,
deux d’entre elles faisant 4’41’’ et 5’25’’. Une première partie de 9 pièces
tournées vers les sortilèges de la table d’harmonie et une deuxième partie des
9 pièces suivantes au clavier proprement dit. En guise de conclusion, une
improvisation de concert de 9’
résume à merveille la démarche exploratoire et jubilatoire de ce très bel
album. L’intérieur du piano est sollicité dès les premiers morceaux par
frottements et grattages alors qu’il égrène quelques notes… . Une fois
installée une ambiance pleine de mystère, il aborde les touches tout en
effectuant des pressions sur les cordes. La variété des timbres et des
résonnances, l’enchaînement des affects, l’esprit de suite entre chaque pièce
qui se répondent de l’une à l’autre jusqu’au n° 9 (alcuni modi), les hésitations, tout contribue à créer une œuvre de longue haleine qui tient
les sens en éveil.
La pièce éponyme, tecniche
arcaiche, est une subtile variation
sur des intervalles et des doigtés étranges qui allie l’introspection avec une
forme d’expressionnisme ironique. On retrouve cet état d’esprit dans les pièces
suivantes où le renouvellement des idées, l’énergie aiguisée par un magistral
sens de la forme allient l’épure stylée au mouvement constant.
On peut parcourir cette
collection de solos d’un bout à l’autre ou en sens inverse, sautant l’une ou
l’autre sans se lasser. De la free music contemporaine assumée à l’état pur,
faite d’engagement, de spontanéité et de réflexion. Son travail au clavier, un
chatoiement original dans les dissonnances, prend le temps de développer ses
idées avant de conclure par un tour de force. Un pianiste qu’il faut découvrir
et écouter d’urgence. S’il vous faut des points de références, on citera Fred
Van Hove et Veryan Weston.
C'est aussi le trente cinquième numéro du label Amirani de Gianni Mimmo, saxophoniste avec qui Guazzaloca a enregistré au sein d'un Shoreditch trio mémorable (Again). Félicitations à Amirani pour ce remarquable travail continu.
Mais aussi le jeune
violoniste alto Benedict Taylor
Emballé dans un pliage de
papier fort de couleur mauve foncé, cette auto-production est le premier jet
d’un improvisateur de haute volée parvenu à maturité, alors qu’il semble faire
ses premiers pas dans les clubs londoniens. Né en 1982, Benedict Taylor a bien
sûr un solide parcours dans le domaine de la musique contemporaine après des
études musicales approfondies. Quelques soient ses crédits dans le monde
académique, il se révèle comme un improvisateur de premier ordre sur son
instrument de prédilection, le violon alto. Celui-ci, un peu plus grave que le
violon, lui permet de distendre et faire chuinter les intervalles en variant
incessamment la dynamique. Il crée ainsi un univers microtonal original et
sophistiqué où le sentiment d’abstraction croise étrangement des altérations
proches des musiques extra-européennes. Il obtient avec son jeu à l’archet,
fait de pressions subtilement variées sollicitant des harmoniques avec une
aisance confondante, des sons vocalisés, proches d’un instrument de souffle.
Son articulation fulgurante, son sens inouï du glissando et ses portamenti
démentiels servent un art ouvert à tous les possibles. Ayant écouté les
Wachsmann, Zingaro, Jon Rose, Malcolm Goldstein et autre La Donna Smith et
Charlotte Hug à satiété, mes oreiles accueillent ici avec un immense plaisir la
découverte d’une personnalité exceptionnelle. Benedict Taylor nous fait
entendre le violon comme nous ne l’avions plus entendu depuis Phil Wachsmann et
Malcolm Goldstein. Sa musique se métamorphose dans une varitété incessante de
figures, de fréquences et de situations sonores qui toutes portent sa marque.
Un très grand musicien qui, avec une fratrie d’improvisateurs doués, est en
train de renouveler la scène londonienne (Daniel Thompson, Tom Jackson,
Lawrence Upton, Guillaume Viltard). A suivre d’urgence…….
The untrammeled traveller
Misha Mengelberg Sabu Toyozumi Chap
Chap CPCD06
Alors que Misha Mengelberg
connaît de véritables problèmes de santé, voici qu’est publié un superbe
concert du maître hollandais avec le légendaire percussionniste Sabu Toyozumi.
Deux sets enregistrés lors d’un concert intimiste au club Amores à Tokyo en
1994 nous font découvrir l’art particulier de ce poète improbable du piano.
Misha Mengelberg s’était frotté au mouvement Fluxus originel avant de s’élancer
dans l’aventure de la free-music européenne. Bien qu’on l’associe avec les
pianistes de cette scène tels Fred Van Hove, Alex von Schlippenbach, Irene
Schweizer et Keith Tippett, des improvisateurs flamboyants et virtuoses, il se
distingue par une réserve faussement hésitante et un sens de l’humour à froid.
Mengelberg aime à faire durer toutes les extrapolations d’accords dissonants et
ou consonnants jusqu’à l’absurde en rejoignant ensuite malicieusement par la tangente une
mélodie perlée et suave. Les idées les plus banales se transforment chez
lui dans des perles de culture dadaïstes. On n’est pas loin du théâtre de
Beckett transposé en musique. Avec Sabu Toyozumi, il a trouvé un partenaire
idéal qui évite les redondances évidentes pour aborder le contrepoint et la
relance dans une variété impressionnante de frappes, de roulements, de
frottements etc étonnamment
lisibles. Trois ou quatre notes de Mengelberg réitérées et ressassées dans de
multiples affects, comme s’il parlait, font naître chez Toyozumi des idées
lumineuses. Si vous voulez découvrir une fois pour toutes ce dont Misha
Mengelberg est capable de faire sur la distance (Yuku kawa no nagarewa
Taezushite fait 34’55’’ et The
Laugh Is Important 42’47’’) , ce duo
Misha – Sabu est pour vous.
Surtout que, musicien sollicité par les meilleurs pour tourner dans son
pays (Derek Bailey, Leo Smith, Brötzmann, Kowald, Mengelberg, Van Hove, John
Zorn, Rutherford, John Russell), Sabu Toyozumi est un artiste trop peu
documenté. Enregistré avec une qualité certaine et un bel équilibre, ce document
est un album quasiment incontournable. La maîtrise de la percussion,
l’inventivité exacerbée et l’empathie superbe de Sabu Toyozumi focalisent l’écoute et l’attention sur les mille et une facéties du pianiste batave, tout
comme y était parvenu Evan Parker avec le même Misha Mengelberg dans le très
beau duo « it won’t be called broken chair » ( 2006 publié en 2011
par Psi). Avec un tel compagnon, on a tout le loisir de se perdre dans les
méandres délirants de la poésie mengelbergienne sans jamais s’ennuyer. Un
monument dressé à l’improvisation libre.
On peut obtenir ce cd déjà collector car pas distribué via le label
On peut obtenir ce cd déjà collector car pas distribué via le label
www.chapchap-music.com/
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......