Everybody Digs Michel Doneda Relative Pitch
RPR1027
La pochette
de ce superbe album solo de saxophone soprano fait référence à (et pastiche) l’album Riverside du pianiste Bill Evans « Everybody Digs Bill
Evans » que Miles Davis, Ahmad Jamal, Canonball Adderley avaient préfacé
de manière dithyrambique pour faire sortir leur ami et collègue du relatif
anonymat dans le quel il se trouvait vers 1958. Ici, pas moins de sept
saxophonistes "soprano" de jazz ou d’improvisation exploratoire, le domaine de
prédilection de Michel Doneda, soulignent tout le bien qu’ils pensent de la
démarche musicale de ce spécialiste français du saxophone droit et la qualité
superlative de son travail instrumental. Un maître du saxophone soprano ! Evan Parker, John Butcher, Dave Liebman, Sam
Newsome, mais aussi son compagnon de scène Bhob Rainey et deux sopranistes très
remarquables qui ont travaillé tout leur Steve Lacy : l’italien Gianni
Mimmo et l’américain Joe Giardullo. On a alors une pensée émue pour Steve Lacy,
leur grand frère à tous et pour Lol Coxhill avec qui Doneda avait enregistré un
bel album en duo, Sitting on your stairs
(Emanem 5028 2011). Pour caractériser la musique de Doneda en schématisant, on
pourrait dire que son point de départ se situe dans les avancées
révolutionnaires de l’Evan Parker des Aerobatics
(Saxophone solos de 1975 – Incus 19
réédition Chronoscope et ensuite Psi 09.01)
et de son duo sauvage et insaisissable avec Paul Lytton. La démarche de
Michel Doneda se particularise par l'exploration sonore radicale où l’aspect
mélodique (la régularité des intervalles) et la construction logique (le propre
de John Butcher, un prof de maths) sont mises de côté au profit du son
« pour le son ». Dès les premiers sons de la première plage, on a
peine à croire qu’on entend un
saxophone et que les suraigus et la vibration presque métallique
proviennent d’une colonne d’air … Une quête à la fois
introspective et sauvage où les timbres
multiples rendus possibles par le jeu (des techniques de souffle
alternatives et aléatoires) semblent livrés à l’état de nature non
domestiquée. L’instrument est
particulièrement difficile à contrôler et, vu sous cet angle, M.D. en est un des
grands maîtres vivants. Les paramètres du jeu de saxophone sont ici tordus, contorsionnés,
les sons sont fragmentés, étirés, tire-bouchonnés, ou avalés/ recrachés à une vitesse
exponentielle ou flottent dans une stase hyperbolique. Les timbres se succèdent sous des formes contradictoires,
antinomiques… On a parfois le sentiment que la bande son est subitement accélérée ou savamment ralentie. Une
forme de retenue contrôlée et une dynamique sonore surréelle se font jour, privilégiant les détails infimes, « microsons », multiphoniques, glissements entre
les hauteurs de notes, harmoniques sifflées, morsures, bruitismes des clés, du
bocal et de la colonne d’air. Parfois au bord du silence... comme dans ce
fantômatique Canal…Et quand on a fait
le tour de cette grammaire et de sa syntaxe, on oublie qu’elles évoqueraient un
nouveau langage. Car la fascination des signes, des gestes, des mouvements
du corps fait voyager l’imagination et touche au sensible le plus aigu.
L’intérêt de la démarche de Doneda est qu’elle s’exprime comme dans un voyage
au travers d’un paysage inconnu qui se développe et se métamorphose en nous
d’une façon éminemment poétique. La logique du compositeur, de l’instant composer ou de l’improvisateur
« à programme » s’est évaporée au profit des sens et
leur quête instantanée. Dans la foulée des années 80 et 90, Michel Doneda était
devenu « un musicien à suivre » notoire. On regrette que
d’autres propositions musicales « improvisées », plus
« énergiques », « commerciales » (disons-le),
« productivistes », « médiatisées », etc… aient occulté un
tel talent. Michel Doneda est un artiste improvisateur essentiel, aussi peu
occupé de « concessions » que cette musique
« improvisée-radicale» est sensée l’être.
Magnifique.
Notons encore que le label CCAM
Vand’Oeuvre vient de publier un fantastique et rare duo avec Fred Frith (guitare
électrique) et Doneda (saxophones soprano et sopranino). Référence :
Vand’œuvre 1440. A ne pas rater !!
The Recedents wishing
you were here : Lol Coxhill -
Mike Cooper – Roger Turner Coffret 5 CD Free Form Association.
Enregistrements de 1985, 1995, 2000, 2002, 2003 et 2008.
Les quatre
premières plages du premier CD me sont familières, car non seulement j’étais
présent lors du concert à Waterloo le 17 août 1985, mais qu’en plus … j’en fus
l’organisateur. Le CD Emanem Waterloo 1985 d’Evan Parker, Paul Rutherford, Hans
Schneider et Paul Lytton provient du même festival. Mike Cooper est un des
trois explorateurs de base de la guitare « couchée » , traitée et manipulée avec des objets en tout genre, morceaux de verre ou de
bois, vis, gommes, ressorts, boîtes, tiges métalliques, lames etc….
avant que cette pratique soit devenue une mode. Les deux autres sont
Keith Rowe et Fred Frith qui ont tous deux joué et enregistré avec Lol Coxhill,
un incontournable du saxophone soprano, inimitable. Notre saxophoniste adoré
disparu a en commun avec Cooper une pratique « alternative » du
blues, proche du jazz libéré. Ils se sont croisés durant les années soixante.
Roger Turner est un explorateur de la percussion libérée comme il y en a quatre
ou cinq dans cette scène (Lovens, Stevens, Lytton, …). Le mélange improbable, parfois tangentiel ou
explosif, de leurs trois pratiques et sensibilités différentes, si pas
dissemblables, procure un état permanent d’anarchie et de surprise exploratoire
et s’ajuste à l’écart de toute logique. Evacuons le définitionnisme et la
mesure de toute chose vue sous la lorgnette du pseudo-rationnel… et amusons-nous ! The Recedents fut un groupe à nul
autre pareil et pareil à rien d'autre et cette série d’enregistrements qui le
prouve est complètement décoiffante. Les trouvailles sonores et accélérations
de roulement tous azimuts de Roger Turner accrochent l’oreille et entraînent
l’imagination dans un dédale volatile… Pendant qu’il ferraille avec un sens de
la dynamique hors norme, Mike Cooper redéfinit la guitare sur table
« amplifélectronoise ». C’est dans ce contexte que Lol Coxhill nous
livrait son approche la plus sonique, la plus radicale… et puis tout à trac, un
air caraïbe s’insinue… A la recherche des sons dans l’instant here and now… Au fil des ans, ce trio a
peaufiné son approche en équilibre instable jusqu’au dernier concert … Mike
Cooper et Roger Turner ont fait mettre en vente ce magnifique coffret avec un livret contenant des photos
improbables, des anecdotes, des textes, des reproductions de coupures de presse
et d’affiches qui nous replongent dans
l’esprit de cette musique rebelle. Le producteur : Vitold Oleshak un excellent pianiste improvisateur polonais qui a aussi enregistré un beau duo avec Roger Turner. Adressez-vous à http://www.instantjazz.com/instantjazz-cd.php?id=2509 pour commander ce coffret ou adressez-vous à
Improjazz.
The 80’s Concerts Sven Åke
Johansson
coffret 5 CD SÅJ
33/34/35/36/37
Rimski Wolfgang Fuchs / Mats Gustafsson / Sven-Åke Johansson Berlin 1990
Erkelenzdamm Richard Teitelbaum / Sven-Åke Johansson
Berlin 1985
Splittersonata Gunther Christmann / Wolfgang Fuchs / Sven Åke
Johansson / Tristan Honsinger / Torsten Müller / Alex von Schlippenbach Bremen 1991
Umeà Gunther Christmann / Wolfgang Fuchs / Sven-Åke
Johansson / Tristan Honsinger Umeà
1989
BBBQ Chinese Music Steve Beresford / Rudiger Carl / Han Reichel /
Sven Åke Johansson Paris Dunois 1982
Excellemment enregistrés,
ces albums livrés en coffret par Sven-Åke Johansson sur son label SAJ CD sont
bien plus que des documents de l’époque glorieuse où la free-music improvisée
libre européenne (et le « free-jazz ») connut une désaffection du
public et des organisateurs festivaliers. Un événement ! Le suédois
Sven-Åke Johansson est à la fois batteur de jazz à risques,
improvisateur libre, compositeur, musicien expérimental, poète diseur
spécialiste du sprechgesang, accordéoniste, artiste graphique et tout cela à la
fois. Il fut parmi les premiers compagnons de Peter Brötzmann et de Peter
Kowald durant les années 60, une aventure immortalisée par les albums
légendaires For Adolphe Sax et Machine Gun. Il entretient une
très longue relation de jeu et d’amitiés avec le pianiste suédois Per Henrik
Wallin, un artiste fascinant qui nous a quitté trop tôt. Son duo avec Alex von
Schlippenbach a enregistré à plusieurs reprises sur le label FMP (Live at
Quartier Latin, Drive, Kung Bore) SAJ, le label frère de FMP a été baptisé
de ses initiales après que son album solo l’ait inauguré (SAJ-01 Schlingerland
Schwingungen). Il a travaillé aussi avec le saxophoniste Alfred Harth qui,
à 16 ans, fut le premier pionnier recensé de l’improvisation tout à fait libre
(Just Music Francfort 1965) sur le continent (Canadian Cup of Cofee SAJ).
Trois des cd's de ce coffret nous le font entendre avec le saxophoniste
sopranino Wolfgang Fuchs, aussi géant de la clarinette basse, un des plus
grands souffleurs de cette scène. Le personnel de la Splitter Sonata est
presque celui du disque Idyllen Und Katastrophen (Sven-Ake Johansson
Po Torch 9). Idyllen und Katastrophen est l’album préféré de Gérard
Rouy, le spécialiste afficionado FMPiste – inconditionnel des Brötz Kowald
Schlipp Fred Lovens Fuchs Christmann Rutherford Parker Coxhill etc… - le
plus insigne de la francophonie. Gérard a vécu cette aventure en première ligne
en suivant les festivals et concerts comme photographe et journaliste pour Jazz
Magazine. Découvrir le coup d’archet oblique et le son extraordinaire de
Tristan Honsinger survolé par les morsures explosives du sopranino de Fuchs, le
chahut décalé des rimshots et friselis de SAJ au hi-hat, les grommèlements
sussurés par Gunther C. dans la coulisse est le summum de la délectation. Entre
eux s'installe une collaboration télépathique évitant le vulgaire "call
and response" gestuel. Oubliez Company, AMM et trois kilos de CD’s des
Brötzm et MatsG avec PNL… Découvrez Fuchs et un Mats Gustafsson
trentenaire citant Rimsky-Korsakoff scandé par le batteur dans un fameux squat
Berlinois avant de s ‘éclater. J’aime par dessus tout le sens de l’espace
dans les interventions percussives disruptives de SAJ, un batteur virtuose qui
décale et décompose les gestes et rudiments traditionnels de la batterie
attirant irrévocablement l'écoute et questionnant l'instant musical. Son jeu
d’accordéon est plus que mélancolique et le gesprechgesang qu'il
maîtrise à la perfection crée une dimension théâtrale vivante qui
place la musique "abstraite" des Christmann, Fuchs et Honsinger dans
un univers aussi ludique que familier. Le vécu de SAJ crée du sens
complémentaire, supplémentaire avec la justesse de tons des meilleurs
acteurs. Du grand art. L'avant-garde pour tous ! Le Britisch Bergisch
Brandenburgisch Quartet avec Steve Beresford, Rudiger Carl au ténor,
Hans Reichel et sa guitare et Johansson à l’accordéon vaut son pesant de
schnaps et de schnitzel !! Dialogues et écoutes merveilleux entre ces
personnalités que tout semble opposer !! Une musique chaleureuse et
poétique. On est ici au cœur de la fabrique
«musique-improvisée-européenne-radicale» dans ce qu’elle a d’irremplaçable.
Vous rendez-vous compte ? TROIS CD’S AVEC WOLGANG FUCHS ! Fuchs est à Dolphy,
ce que Evan est à Coltrane !!! FUCHS et un TRISTAN Honsinger épuré
avec les facéties rythmiques de Sven Ake ……… Idyllen und Katastophen
…. Et deux CD’s avec Tristan et Gunther Christmann, rejoints pour un cd par
Alex von Schlippenbach et le contrebassiste Torsten Müller .... pffff ....
dingue !
J’arrête : plus que ça
tu meurs … …… !! John Corbett est un snob !!
Consultez :
http://www.sven-akejohansson.com/de/ et commandez cela bien vite ...
Hunt at The Brook :
Daniel Thompson Benedict Taylor Tom Jackson FMR
Jouer en trio est une des
options principales de la musique improvisée libre. Le clarinettiste Tom
Jackson, l’altiste Benedict Taylor et le guitariste Daniel
Thompson se sont créés une empathie mutuelle où coexistent leurs univers
sonores individuels et un très large éventail des permutations interactives
possibles de la clarinette, du violon alto et de la guitare acoustique. Une
science du glissando et une attaque spécifique de l’archet à la fois acide,
grasse et irisée contrastent et complètent la dynamique bruissante et
pointilliste de la guitare percutée et virevoltante et les volutes goûteuses et
sursauts rengorgés de la clarinette. Sans nul doute ce trio chambriste figure
parmi les combinaisons instrumentales - sans percussion – les plus réussies
dans le sillon de Bailey - Guy- Rutherford (Iskra 1903 Mark 1) et de Butcher -
Durrant - Russell. Le partage des idées, le dialogue intense et le recyclage
permanent des options et trouvailles de tous par chacun fait de leurs six
ouvrages éphémères une somme de tous les affects suscités par leur connivence
et leur amour de jouer ensemble. Sonores et harmoniques, constructions et
désarticulations, humeurs et rires, rêves et réflexions. Des
signes : stries, pointillés, ellipses, tangentes, lueurs, ombres, suites,
conclusions et rebondissements. Il serait vain d’en vouloir suivre et mémoriser
l’évolution pas à pas, minute après minute, ce serait sans fin. Et elle finit
où elle commence. Et recommence sans que ce soit fini dans un réel
accomplissement. Plusieurs pratiques (post-classique, jazz libre contemporain,
traditionnel vivant) sont assumées et sublimées avec émotion, engagement
sincère et une retenue généreuse. On évite résolument l’expressionnisme dans
une débauche d’occurrences expressives. Cette nouvelle génération
d’improvisateurs, entendus à la Shoreditch Church, au Horse Club,
à Arch One et dans Foley Street, redessine patiemment de
nouvelles destinées aux idées d’invention, de découverte et d’inouï collectif
de la scène improvisée londonienne. Une synthèse aussi vivante est tout
aussi légitime et, surtout, authentique, talentueuse et passionnante. Voici une
musique qu’on écoute sans se lasser encore et encore.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......