Hans Kaersten Raecke and Lawrence Casserley Sculptures of Wires and Drifts auto
production via http://www.lcasserley.co.uk
Hans Kaersten Raecke est un compositeur contemporain et constructeur d’instruments – sculptures
sonores. Il y a une vingtaine d’années, il collabora avec Hugh Davies et leur
enregistrement, KlangBilder était
vraiment intéressant et singulier : http://www.discogs.com/Hugh-Davies-Hans-Karsten-Raecke-Klangbilder/release/965996
Nous le retrouvons dans un
superbe enregistrement en symbiose avec le spécialiste du Live Signal
Processing : Lawrence Casserley.
Rien que le deuxième morceau de l’album, une pièce d’anthologie de 6’51’,
Sculpture of Wire – Draht Sculptur n° 1
vaut l’achat du CD-R. Les instruments de HKR crédités sont piano préparé et ustensiles
bruiteurs, voix, blow-metal-tin-harp,
pipes-pot
et gummiphon. Le piano préparé est utilisé comme un instrument
percussif et si Raecke en utilise d’autres (à quoi ressemblent – ils ?),
ils s’intègrent parfaitement dans la structure et les sonorités émises par le
piano. Les sons de HKR ont une couleur et une dynamique remarquables
spécialement dans l’intérieur du piano. Il imprime des pulsations qui
transcendent l’usage du piano préparé des Sonates de Cage. Tour à tour
insistantes, obsédantes ou dans une relaxation onirique ou une lévitation quasi
dansante. Une espèce de harpe métallique blow-metal-tin-harp
évoque certaines sonorités des
ShoZyg et Springs Collection d’Hugh Davies. Rappelons que Davies fut le
compagnon de Derek Bailey et Evan Parker dans Music Improvisation Company entre 1968 et 1972 et que son travail a
eu une influence sur de nombreux artistes dont Derek Bailey et que Casserley a
eu un rôle de premier plan dans l’Electro Acoustic Ensemble d’Evan Parker. Ce
qui rend ce disque fascinant est le
travail des sons de Raecke en temps réel par Casserley d’une manière complémentaire, organiquement
intégrée, colorant, déformant, répétant, décalant et transformant la matière
sonore dans une variété d’occurrences lumineuses, brillantes, sourdes, nébuleuses, vaporeuses, liquides, grinçantes,
sifflantes… Densité ou lisibilité. Saupoudrage d’effets mirifiques ou échappées
rêveuses. Chutes en apesanteur. Puissance et extrême délicatesse de
l’électronique. Cat and Mouses Machines
est une extraordinaire conversation vocalisée au travers de l’électronique et
un des instruments magiques de HKR. L’un d’entre eux est un curieux instrument
à vent fait de tubes en PVC (je crois bien !). Le jeu de H-K au piano et à la simili-harpe est volontairement espacé pour créer un temps
propice aux inventions de LC comme dans
les sobres et majestueux Drifts de 17’ qui clôturent l’album. Ce qui est renversant, c’est d’entendre
Casserley créer des sons en transformant ceux de Hans Karsten Raecke au point
où on est médusé par la « métamorphose » de leurs natures
intrinsèques. De la science fiction ! Des cailloux deviennent des fleurs,
le gris, multicolore, l’air se transforme en feu. Une réalisation très originale
dans la ligne des meilleures collaborations du genre ou l’électro-acoustique et
les instruments physiques s’interpénètrent au point de former un tout
indissoluble en étendant les solutions sonores et dynamiques dans un univers
neuf et cohérent. On pense à Furt (Barrett – Obermayer), le
fantastique duo de Casserley avec le contrebassiste Adam Linson, Integument,
ou le tandem Schnack !
unissant le trombone Paul Hubweber et son acolyte Ulli Böttcher.
Une très belle découverte
hors des sentiers battus entre un artiste sonore peu commun et un magicien du
live signal processing.
From the Discrete to the Particular Joe Morris Agusti Fernandez Nate Wooley
Relative Pitch RPR 1008 http://www.relativepitchrecords.com/releases/rpr1008.html
Ce que j’aime
particulièrement lorsque j’achète moi – même le CD plutôt que de l’avoir reçu
en service de presse (mais je ne suis pas journaliste, plutôt un praticien de
l’improvisation) est de me sentir plus libre pour exprimer mes sentiments.
C’est un tel cadeau de recevoir un cd (reconnaissance éternelle à Martin
Davidson et quelques autres) que cela devient une récompense inestimable d’y
trouver un intense plaisir d’écoute après autant d’années de soutien pour ces
musiques. Lorsque j’ai commandé ce cd à Improjazz, j’avais d’autres albums en
tête qui m’avaient fortement enthousiasmés : Kopros Lithos d’Agusti
Fernandez avec Peter Evans et Mats Gustafsson, Parallelisms avec Herb Robertson et Evan Parker toujours avec
Agusti, de parfaites réussites (labels MultiKulti et Ruby Flower). Alors je me
suis dit : Wow ! Cette fois-ci avec un troisième trompettiste de
choix, Nate Wooley, dont j’aime
beaucoup les duos très réussis avec Paul
Lytton (un lp dingue sur Broken Resaeach et Creaking
33 sur Psi) et Joe Morris
coupable de collaborations exceptionnelles avec Joe Maneri, Three Men Walking et Nate Wooley,
justement, dont mon ami Kris m’a fait la réclame. Et cette merveille toute récente, chroniquée
plus haut, Counterpoint où Joe Morris fait un superbe travail avec
Ivo Perelman et Mat Maneri. Tous les albums précités sont des modèles de
connivence, de symbiose dans le domaine de l’improvisation libre, faite
d’écoute mutuelle et d’invention de manière que chaque individu contribue à son
expression personnelle la plus remarquable tout en mettant ses collègues en
valeur. Que l’assemblage soit fructueux et fasse sens. Alors à l’écoute de cet
album From the Discrete to the Particular, je dirais que les
instrumentistes livrent chacun une partie enthousiasmante en ce qui concerne
leur voix individuelle et qui justifient à elle seule tout l’intérêt qu’on leur
porte. Le premier morceau, pris à un tempo d’enfer est ébouriffant, Automatos qui porte bien son titre avec ses fulgurances en pilotage automatique. C’est
vraiment impressionnant. Les lèvres de Wooley dérapent, il crachouille à la
vitesse grand V alors que les deux mains de Fernandez sollicitent tout le
clavier avec une puissance peu commune. Là-dessus, le trompettiste surfe comme
une fusée alors que le guitariste tient le cap par en-dessous se livrant à un
chassé croisé d’accords et de lignes sursautantes en tenant la cadence infernale.
Le deuxième, As Expected : Fernandez
lance un jeu par pincées asymétriques et petits jets de grappes de notes qui
invitent les deux autres à s’insérer. Wooley joue avec sa sourdine en survolant
à l’écart. Dans Bilocation, le piano
se fait lyrique comme dans une ballade et la guitare se pose comme si elle
égrenait des notes de contrebasse au repos et quelques belles notes en sourdine de Wooley s’élèvent discrètement avec une pointe d’aigu et des hésitations bienvenues.
C’est, comme on dit, « des jazzmen qui improvisent librement ». Les deux dernières notes du piano terminent
gravement en beauté et Hieratic commence
(continue ?) dans cette ambiance grave avec les déchirements du souffle saturé vraiment
remarquables. Ensuite l’échange s’anime avec la guitare (acoustique) devenue
bruitiste, sorte d’harpe froissée. La configuration guitare – piano est une
chose malaisée vu la nature des deux instruments et dans cet album Morris et
Fernandez creusent comment pouvoir dialoguer et coexister créativement. Je rappelle
que ni Fred Van Hove, Alex von Schlippenbach, Irene Schweizer, Howard Riley
etc… ne se sont essayés à enregistrer en duo avec un guitariste. Et que Derek
Bailey n’a quasi jamais joué en tête-à-tête avec un pianiste, mis à part le pas trop
convainquant duo avec Cecil Taylor, lequel n’est pas, à mon avis, une réussite
collective transcendante, mais plutôt un premier jet « pour voir ».
Tant la tâche est ardue. Hieratic
offre une belle coexistence dans l’espace sonore et Membrane à lui tout seul justifie l’achat de ce disque. Les cordes rassemblées
(Agusti dans les cordages) créent des ostinati fascinants pleins de vibrations métalliques commentés par le bruissement tuyauté de la colonne d’air. Un court That Mountain (3 :25) avec des sons
épars et des actions qui prennent le temps de naître et de mourir est le plus
bel épilogue à ce qui avait été joué précédemment. Chums of Chance est une belle conclusion où chacun trouve des sons
nouveaux, Agusti frottant les cordes et Morris trafiquant sa guitare acoustique
… avec les doigts (!), et laisse
l’imagination et l’instinct créer des correspondances insoupçonnées. Un art
bruitiste où chacun navigue à égalité trouvant sa place dans l’espace par le
choix judicieux de l’action sonore la plus appropriée dans une dimension
ouvertement radicale et chacun dans sa vitesse propre. Morris y est à l’archet sur
une bonne partie jusqu’à une superbe excursion solitaire comme je n’ai pas
encore entendu ailleurs. Ce trio fonctionne. Donc pour conclure mon sentiment
et mon observation : une tentative courageuse de collaboration d’artistes
incontournables qui honorent leur contrat avec énergie et conviction sans
constituer un groupe à part entière. - Le trio de Kopros Lithos, cité plus haut, fonctionne, lui, comme un groupe, si
vous voulez- . Leur créativité met en relief différentes approches musicales et
ludiques et cela se termine sur un bel exercice sonique, bruitiste à la dynamique
fort réjouissante.
Nate Wooley
et Agusti Fernandez sont des
virtuoses rompus à l’improvisation libre (qualifiée de
« non-idiomatique », vocable d’usage relatif et galvaudé) et Joe Morris se révèle être un solide
client dans ce domaine. J’ai été témoin de rouscailleurs
« non-idiomatiques » qui ont pris un jour Joe Morris à partie dans
une conversation en ligne et le pauvre a dû se défendre par écrit.
Misérables colleurs d’étiquette! La musique et sa pratique par les
improvisateurs existent pour être transcendée en la jouant et cet album est une
preuve vivante. Il faut jouer pour le
découvrir. Rien n’est acquis et tout reste à faire.
Coltrane sur le Vif par Luc Bouquet Lenka Lente
Tout comme pour Luc Bouquet, John
Coltrane est pour moi un musicien essentiel dont la passion
communicatrice et l’intense créativité ont bouleversé les âmes et le cours de
l’histoire musicale en amont et en aval, dans son évolution à travers les générations.
Et puis quel SON, quelle audace, cette densité et cette fulgurance !
Dans l’œuvre enregistrée de
Coltrane, deux ou trois grands moments sont, selon moi, les clés de voûte dans
une multitude de passages et de transitions aussi essentielles les unes que les
autres. Après l’affirmation irrévocable de son talent exceptionnel chez Miles
et Monk et l’envol à la vitesse supérieure concrétisé par les albums Atlantic
(Giant Steps, My Favourite Things, Olé), les enregistrements live du Village
Vanguard de novembre 1961 avec Chasin' the Trane, India et Impressions, les albums posthumes de la fin du JC Quartet en 1965
(Sun Ship, Transition et First Meditations) et le brûlot Interstellar Space en
duo avec Rashied Ali. Entre-temps, il y a aussi
les « classiques Impulse » Africa Brass, Coltrane !,
Crescent, Love Supreme et Live at The Birdland avec Garrison, Tyner et Jones.
Plus que ça tu meurs. L’originalité de la démarche (existentielle) de Luc
Bouquet, poète assumé de la batterie libre et de l’écoute des autres, est
d’essayer de lever le coin du voile du Coltrane in the Flesh en rassemblant
ses commentaires sur le vif à l’écoute des meilleures versions des tous les nombreux enregistrements live de Coltrane, pirates, officiels ou contractuels.
On pense au double album Afro-Blue Impressions Live In Europe publié par Pablo en 1977, dix ans après sa disparition, année qui vit aussi la publication des Other
Village Vanguard tapes de novembre 1961 par Impulse. Peu ose se risquer à acquérir
TOUT Coltrane live en « pirates » non autorisés en raison des prises
de son ou des gravures peu réussies ou par éthique. J’ai acquis ainsi en
seconde main un Live at The Sutherland Hotel est c’est assez dur ! Le
travail de bénédictin de notre ami Bouquet est bien utile pour nous aider à y
voir un peu plus clair dans des dizaines d’heures de Copenhagen, Stockholm,
Graz, Paris, Stuttgart ou au Japon dans un ordre chronologique et en prenant en
compte l’évolution depuis ses tout débuts. Coltrane est tellement vivant qu’on
entend peu de différences dans l’ambiance générale entre certains albums studio
comme Sun Ship et l’animation des concerts. Si ce n’est que dans ces
enregistrements live, les standards coltraniens se font la part du lion :
Favourite Things, Mr P.C., Impressions,
… alors qu’en studio on découvre des pièces quasiment jamais jouées en concert.
C’est le cas de Love Supreme, suite magistrale qui couvre les deux faces d’un
trente-trois tours mythique que beaucoup considèrent comme son chef d’œuvre,
sans doute parce que plus accessible et structuré. On ne trouve la suite de Love Supreme que dans ce
concert d’Antibes de 1965 qui fut publié par Esoldun au départ des archives de
l’INA il y a une trentaine d’années. Comme vous n’auriez jamais entendu
Coltrane. Elle figure dans une version double cédé Impulse de Love Supreme tout à fait officielle indisponible aujourd'hui. La famille Coltrane veille jalousement sur
l’héritage en faisant publier des documents de valeur soigneusement préparés
comme cet Offering Live at Temple University découvert tout récemment et publié par Impulse. Mais il ne
faut pas mésestimer les albums pirates. Par exemple, le concert de Graz de 1962 est une aventure insoupçonnée offrant un
son suffisamment correct pour que son écoute nous envoie au septième ciel (The 1962 Graz Concert Complete Edition Jazz Lips). On y est surpris par la seule version d'Autumn Leaves en concert et un choix de pièces de consistance qui nous font entendre le vrai Elvin Jones, celui des concerts. Certains
lieux, Stockholm ou Copenhagen se retrouvent dans des albums
différents correspondant à des tournées de 1961, 1962 et 1963, soit en Quintet
avec Dolphy ou avec le Quartet et suivez le guide Bouquet ! Au niveau « officiel », la présence
magique d'Eric Dolphy figure seulement dans les albums du Village Vanguard, Live
at the VV et Impressions,
complétés par les Other VV Tapes citées plus haut et The Mastery Of John Coltrane /
Vol. IV 'Trane's Modes' qu’on retrouve intégralement en CD dans the Complete 1961 Village Vanguard Recordings. Les
traces pirates de la collaboration avec Dolphy se révèlent encore plus
passionnantes et tout le mérite revient à l’écoute patiente de Luc pour nous
permettre de le découvrir. Autre pièce incontournable : le coffret Live Trane de 7 cd's chez Pablo records qui offre un fantastique parcours des différentes tournées du Coltrane Quartet en Europe et dont le responsable de Pablo, Norman Granz, était l'organisateur et agent.
Livre sans prétentions, ni thèse hasardeuse ou savante, Coltrane sur le Vif est un outil sûr
et amoureux pour quiconque a laissé une part de John Coltrane, le musicien universel, au plus profond de lui. Des Byrds, Jimi Hendrix et Neil Young jusqu’à Evan
Parker, Dave Liebman, Ravi Shankar et Roland Kirk, Allman Brothers etc.. la musique
de Coltrane concerne un nombre incalculable d’artistes et d’auditeurs qui ont
été touchés d’une manière si profonde qu’on peut dire que J.C. est le musicien le
plus unique du XXème siècle et d’aujourd’hui. Donc, même s’il semble s’adresser
aux spécialistes, le livre de Luc Bouquet pourra être utile à quiconque veut en
connaître un peu plus ne fut-ce que pour un moment supplémentaire de bonheur, différent par
rapport aux albums officiels réglementés et sélectionnés par la FNAC, Amazon ou Wikipédia.
"un musicien essentiel dont la passion communicatrice et l’intense créativité ont bouleversé les âmes et le cours de l’histoire musicale en amont et en aval, dans son évolution à travers les générations"
RépondreSupprimerEn amont et en aval ?!
Ô merveille, ô interstellaire communicatrice communicativité !
à l'anonyme qui semble ne pas comprendre ce que j'entends par "amont " et "aval" . C'est très simple . Quand on s'est imprégné de la musique de Coltrane avec Elvin Jones , l'expérience d'audition de la musique africaine (de villages etc...) est bouleversée . C'est le seul artiste afro -américain qui est vénéré par les musiciens classiques de l'Inde que ce soit la musique d'Inde du Nord ou d'Inde du Sud. La musique de Coltrane lui vient de sa pratique du blues - il jouait dans l'orchestre de Eddie "Cleanhead " Vinson dans les années 40 avec Red Garland , pianiste avec qui il joua par la suite. Un de ses blues les plus fameux à la base de Chasin' the Trane du Village Vanguard provient de cette époque. Par la suite son influence sera telle que plusieurs artistes de blues moderne intégreront l'expérience Coltranienne dans leur musique . Par exemple , the Allman Brothers Band ou le Paul Butterfield Blues Band avec son disque East - West en 1966. Plusieurs musiciens de jazz de sa génération suivront ces traces comme Harold Land. On retrouve un phénomène similaire avec Lennie Tristano qui donnera des cours à des musiciens plus âgés que lui et qui représentent la tradition du swing .
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