Kaffe Matthews – Gino Robair Tuva: Birth's wet aroma
in fake fog Rastascan – vinyle 33 cm
45 rpm 101 copies
(« The
latter is an anagram of my name and Kaffe's name » G.R..). Recorded
May 16, 2000 at Tuva Space, Berkeley California.
Forbidden symmetries Tender Buttons Rastascan records RR
BRD 070 vinyle 33cm 45 rpm
Curieux bel objet du
label Rastascan (numéroté : 48/101) : un vinyle 45t transparent et taché d’éclats de peinture diluée rouge/violet et bleue imprimés dans la masse,
disque servi dans un pochette plastique elle-même transparente et ne laissant
que très peu de moyens d’identification. Le lettrage coloré sans espacement sur chacun des deux macarons centraux se révélant sybillin. Kaffe Matthews produit un drônage
électro mouvant et discontinu alternant répétitions décalées d’échantillons et oscillations dans lequel s’intègrent les frottements de cymbale sifflants, les
sons percussifs et les aleas vocalisés de la Blippoo box de Gino Robair. La durée du disque est
assez longue pour qu’on ait le temps de s'acclimater à la belle ambiance et de suivre les détails sonores en se demandant bien lequel des deux artistes en est
l’émetteur. Leur collaboration est vraiment cohérente et joue entièrement sur
l’écoute, l’illusion sonore, l’interpénétration des sons individuels,
l’enchaînement imprévisible des séquences, un timing subtil…. Cette publication
n’est pas annoncée sur le site de Rastascan, tout comme l’autre 45 tours format
33 cm Forbidden symmetries du trio Tender Buttons (Rastascan records RR BRD 070). Aucune info sur la
pochette extérieure, elle même un dessin mystérieux d’un réseau imaginaire, gris
sur fond presque noir, qui s'avère être un montage graphique d’un patron de haute - couture française d’une autre époque, les détails et crédits figurant dans
l’insert bleuté. Association de la pianiste Tania Chen (rencontrée à Londres), de l’électronicien /
trompettiste Tom Djll et de Gino Robair crédités tous deux
électroniques. Deux pièces de 11:53 face A et de 15:39 face B : A Red
Hat. A Blue Coat. A Piano et Go red go red, laugh white. Face A, la
pianiste réitère des arpèges isolés et interrogatifs en les parsemant par dessus
ou en dessous des sons électroniques ténus et appliqués et en s’insérant
progressivement dans une forme de dialogue tangentiel avec les vibrations
synthétiques diffuses. Il en découle une atmosphère rêveuse, légère,
mystérieuse. Un solo de piano pour environnement électronique… Symmétries interdites ?? La
deuxième face creuse le filon avec bonheur, Djll et Robair prenant l’initiative
en trouant la surface des sons et la pianiste se faisant l’écho de leurs
trouvailles. Deux beaux objets qui nous remettent l’écoute en question.
King Alcohol (NewVersion) FMP 0060 Rüdiger Carl
Inc. Rüdiger Carl Günter Christmann Detlev Schönenberg Corbett vs Dempsey
CvsD CD0032. Double cd avec des inédits.
Après la série de rééditions historiques
des albums FMP de Brötzmann et Schlippenbach, de Sun Ra, Fred Anderson etc.. et
d' inédits incroyables(*) par Atavistic/ Unheard Music Series sous sa conduite, le journaliste et
chercheur John Corbett s’est lancé
plus avant dans cette entreprise via son label Corbett vs Dempsey en exhumant
des trésors vinyliques comme les solos de Joe McPhee (Glasses,Variations on a Blue Line), le Tips de Lacy avec Steve Potts et Irene Aebi et le Push Pull de Jimmy Lyons, tous publiés initialement par Hat Hut.
Mais aussi des inédits de McPhee en solo et de Brötzmann, dont un 1971 avec
Bennink et Van Hove. Tout récemment, Esoteric
d’Olu Dara et Philip Wilson, There’ll be
No Tears Tonight, l’album alt country d’Eugene Chadbourne enregistré en
1980 (avec Zorn), un duo de McPhee avec André Jaume, des solos de Leo Smith, Billy Bang et d'Hans
Reichel datant des seventies, un Tortured Saxophone de Mats Gustafsson. Cela frise parfois la collectionnite : des intégrales des
enregistrements complets du Nation Time / Black Magic Man (4cd) et du Vassar College 1970 (2cd) de Joe Mc Phee, et des curiosités du même
en multitracking, sans parler de mini cd où on trouve un ou deux morceaux de 5 minutes. CvsD est
particulièrement focalisé sur Joe McPhee, Peter Brötzmann, Mats Gustafsson et
Ken Vandermark. Et Alan Wilkinson, Michel Doneda, Stefan Keune, Paul Hubweber,
Gianni Gebbia ??? Je dis ça, je dis rien.
Mais je ne vais pas me
plaindre de la parution du King Alcohol (New Version) du Rüdiger Carl Inc, le sixième album du
label FMP réunissant Rüdiger Carl au sax ténor, le tromboniste Günter Christmann et le percussionniste Detlev Schönenberg et enregistré en janvier 1972 à la légendaire Akademie der Künsten de Berlin. Là se
déroulaient les extraordinaires festivals Total
Music Meeting organisés collectivement par Jost Gebers, Brötzmann,
Schlippenbach, Kowald et cie. Citoyens de Wuppertal tout comme Brötzmann, Kowald et Hans Reichel, Carl et Schönenberg formaient un trio
relativement agressif avec Günter Christmann dans la lignée de la panzer
musik des Peter Brötzmann Trio ou Octet, des groupes de Schlippenbach
ou du Peter Kowald Quintet où on trouvait déjà Christmann avec Paul Lovens, une
génération d’écluseurs de fûts de bière avec des choppes d’un demi-litre !
Les albums-brûlots de ces groupes furent les premiers à être publiés par FMP et les connaisseurs les appellent
par leur numérotation. Ici, le FMP 0060, King Alcohol est dédié aux consommateurs d’alcool : This Record is dedicated
to any drinker, friends and enemies + to all dead musicians. King Alcohol : A hymn on him, the last
mighty confederate against cold, soberness, hunger, sleeplessness, and a
special kind of ghosts. Une qualité remarquable du Rüdiger Carl Inc. est la
grande lisibilité de la musique et ses équilibres parfaits, malgré l’(abus d’)alcool.
L’écoute mutuelle est poussée très loin : les musiciens combinent leurs
jeux dans une construction aussi sophistiquée et dynamique que leur musique est
expressionniste et violente. Il faut dire que Christmann et Schönenberg
évoluèrent par la suite dans une musique plus « sérieuse » : leur duo remarquable, plus proche de la musique
contemporaine, fut une des premières formations « continentales » à
se rapprocher du courant de la musique improvisée radicale britannique. Quant à
Rüdiger Carl, il continua son
parcours avec Irene Schweizer durant
plus d’une décennie avant de muer avec la clarinette et le concertina dans une
expression arty, dont le groupe COWWS fut l’accomplissement.
Schönenberg abandonna la musique au début des années 1980. Tout çà pour dire
que ce King Alcohol du R.C.Inc. constitue un court passage free
« free-jazz » dans l’évolution de ces musiciens, offrant de
véritables points communs avec l’exubérance du New York Art Quartet (John Tchicaï, Roswell Rudd et Milford Graves)
et la fureur du Live at Donaueschingen d’Archie Shepp, les mélodies thématiques et
la prégnance du blues en moins. En effet, leur musique est quasi-complètement
improvisée (free free-jazz), si ce ne sont des énoncés – signaux avec des intervalles
particuliers, motifs propices aux échanges. Même si Carl et Christmann
abandonnèrent cet idiome énergétique, une voie musicale qu’ils ont totalement
récusé – tout en assumant l’avoir incarnée durant leurs jeunes années -, leur
concert de janvier 72 est vraiment
exemplaire. Carl m’a déclaré assez récemment ne plus vouloir jouer du sax ténor
du tout, cet instrument étant pour lui la marque de cet ultra expressionnisme
banni. S’il avait continué sur cet instrument, il aurait pu rivaliser avec Larry Stabbins ou John Butcher et
se profiler comme un authentique challenger historique d’Evan Parker. Il faut rappeler que Rüdiger Carl a enregistré et
tourné avec la pianiste Irene Schweizer et le batteur Louis Moholo, alors que Parker était
(et est toujours) associé avec Alex von Schlippenbach et Paul Lovens, tout
comme Brötzmann l’était avec Fred Van Hove et Bennink. Les albums fort
appréciés de ces musiciens dans leurs trios respectifs faisant alors office de
fil rouge du label FMP et le fonds de commerce du label. Un sérieux pedigree ! En bref, Rüdiger Carl ne se
contente pas d’hurler, mais il joue en profondeur avec les sons, les
intervalles, les doigtés, l’articulation des sonorités, les harmoniques, se
révélant à l’époque un des saxophonistes les plus convaincants de la
free-music. Quant à Günter Christmann, il assume de manière rare tous les aléas
de son instrument ingrat avec une puissance étonnante qui rivalise avec celle
de feu Hannes Bauer. Il a l’intelligence musicale pour négocier les changements de cap de l’improvisation
collective, tels que passer du jeu en trio vers le duo avec le batteur en poursuivant son discours, sans une fraction de seconde d'hésitation. Dans le jeu de Christmann en duo avec le souffleur
(ALT KA #2), on entend clairement qu’il a écouté soigneusement celui d’Albert
Mangelsdorff, dont il reproduit les nuances avec émotion et une superbe
précision pleine de musicalité. Detlev Schönenberg avait développé une démarche
voisine de celle de Pierre Favre à la même époque, un album de ce dernier dans
une instrumentation similaire en compagnie du saxophoniste Jouk Minor et du
tromboniste Eje Thelin, Candles Of Vision,
faisant foi. Une maîtrise des frappes, accents et roulements coordonnés dans
une conception des rythmes libres et flottants gérés simultanément avec une
palette de petits sons détaillés qui s’inscrivent avec précision dans le flux.
Un orfèvre dont l’art tenait superbement la route face aux Tony Oxley, Paul
Lytton, Paul Lovens et Han Bennink, intimidants virtuoses qui faisaient eux
aussi partie de la même scène. Il suffit d’entendre son solo dans ALT KA
# 2, pour se faire une idée du phénomène.
Hormis sa collaboration avec Christmann, les 4 albums qui en découlent et un éphémère duo avec
le percussionniste Michael Jüllich, on ne lui connaît aucun autre association.
Il existe un album solo chez FMP (SAJ – 04), un des premiers albums SAJ publiés
vu la haute qualité de son jeu étincelant (D.T. Spielt Schlagzeug). Je pense
qu’attaché à son métier d’enseignant-soignant auprès de personnes handicapées,
il a fini par faire l’impasse sur une carrière musicale. Pour un tas de
raisons, je ne saurais que recommander ce King Alcohol, dont la séquence des
plages originales figurent au CD 1 (39’28), et parce qu’aussi, CvsD a
ajouté 70’21’’ de musique jamais publiée jusqu’à présent sous le titre ALT
KA # 1 jusque # 7. Les détails de la pochette ne
précisent pas si ce deuxième enregistrement a été réalisé lors du même concert
ou festival à Berlin. Toutefois, la qualité sonore du document est aussi bonne
que celle de l’album FMP. On découvre ici et là les amorces
de la collaboration intensive du duo Christmann – Schönenberg, qui fut à
mon avis un des groupes number one de
la free music européenne – improvisation libre des années 70. Dans l’évolution
du free-jazz, King Alcohol (New Version) est un témoignage de haute volée
concernant un tromboniste. Il n’y avait encore aucun enregistrement free-jazz à
cet égard (avec un trombone) aussi concluant du côté US à cette époque. Même si
j’apprécie sincèrement Roswell Rudd, il est évident que l’alors très méconnu
Günter Christmann était un tromboniste
plus complet, au jeu plus varié et plus raffiné tout en étant aussi lyrique et
sonore. GC fait quasiment jeu égal avec Mangelsdorf, le tromboniste le plus
doué du jazz-free avant l’arrivée de George Lewis. Il suffit de compter les
séquences où les trois musiciens combinent leurs efforts dans des formes et des
échanges renouvelés pour s’en convaincre. Christmann étant à mon avis un
artiste qui propose une démarche de l’improvisation libre aussi singulière et
originale que celles de Bailey, Prévost, Parker, Stevens, Van Hove etc… (« chef
de file ») et comme les témoignages des débuts de ces artistes ont été
réédités de manière exhaustive, il n’est que justice de contempler la pochette
et le graphisme originaux du FMP 0060 sur cet album CD cartonné, tel
qu’à l’époque de la Mierendorfstrasse,
pour en goûter tout le suc musical, souvent plus convaincant que certaines
publications complétistes. Je possède le LP FMP 0060 réédité avec la photo
rougeâtre et vitreuse de la bouteille et des verres des débuts de l’ère FMP- Behaimstrasse, l’édition originale étant hors de prix. Amen !
* Inédit incroyable : la palme revient à Hunting the Snake, un concert du Schlippenbach Quartet de 1975 avec Kowald Parker et Lovens, démentiel.
* Inédit incroyable : la palme revient à Hunting the Snake, un concert du Schlippenbach Quartet de 1975 avec Kowald Parker et Lovens, démentiel.
New Dynamics Roland
Ramanan Nuno Torres Ernesto Rodrigues Bernardo Alvares. Creative Sources CS 362 CD
On a connu le trompettiste
londonien Roland Ramanan comme
«improvisateur soliste » il y a une quinzaine d’années avec son
propre Roland Ramanan Quartet en
compagnie de Marcio Mattos au violoncelle, de Simon H Fell à la contrebasse et
de Mark Sanders à la batterie (Shaken
Emanem 4081 et Cesura Emanem 4123).
On avait noté à l’époque que Cesura
se rapprochait plus de l’improvisation libre collective, tendance confirmée en 2014
par Zubeneschamali,
un excellent enregistrement en trio avec le clarinettiste Tom Jackson et le
guitariste Daniel Thompson (Leo Records 700, chroniqué par votre serviteur). Ce
penchant pour une musique de chambre improvisée pleine de détails,
d’interactions, toute en finesse et subtilité où plusieurs techniques
alternatives et étendues sont développées et combinées les unes aux autres,
s’affirme ici dans le bien nommé New Dynamics. Le violoniste alto Ernesto Rodrigues, Nuno Torres, le saxophoniste explorateur attitré des péripéties de ce dernier,
et le contrebassiste Bernardo Alvares se
révèlent être des partenaires de choix dans cette esthétique. Comme je l’ai
signalé dans des chroniques précédentes, si le travail de Rodrigues
témoign(ai)ent d’un radicalisme « ultra » en matière d’improvisation, il a appris à adapter son jeu intransigeant à la démarche de ses
partenaires en enrichissant sa palette
sonore et musicale et sans trahir sa démarche. En outre, il a le chic pour inclure
systématiquement de nouvelles personnalités dans les projets qu’il publie sur
son label Creative Sources. Et ce
qui frappe dans ces New Dynamics, c’est la pertinence des audaces sonores du
trompettiste, assumant les difficultés inhérentes à son instrument en
métamorphosant, travestissant, sublimant le son de la trompette avec l’aide de
sourdines, de vocalisations, d’écrasements de la colonne d’air, faisant éclater
le registre aigu sans un cri et traduisant certaines nuances sonores des cordes
dans le détail de son jeu. Aussi, il a une belle imagination n’hésitant pas à
émettre des propositions fortes et tranchées qu’il transforme ensuite
spontanément pour se fondre dans le collectif. Encore une fois, les
interventions toujours renouvelées d’Ernesto Rodrigues à l’alto, se jouent des paramètres
de l’instrument et font monter les enchères. Il a un art consommé pour jouer à
l’écart de la note en glissant peu ou prou ou faisant scintiller les
harmoniques. Une véritable inspiration pour ses collègues plus jeunes. Le
saxophoniste Nuno Torres souffle dans
la marge de l’instrument, étonnamment discret et intelligemment présent. Le
contrebassiste Bernardo Alvares
choisit son matériau avec pertinence par, entre autres, des frottements
soigneusement irisés qui s’intègrent bien au groupe et agissent comme une
facteur d’unification des forces en présence.
C’est dans un climat de
confiance et d’écoute que chacun contribue au mieux à cette suite de trois
improvisations (I, II, III) en se montrant complètement en phase dans cet
ensemble subtilement interactif. Savoir arrêter un élan, une phrase, s’écarter
ou se rejoindre, faire de la place pour autrui, réagir en surprenant sont les
maîtres mots de cette démarche improvisée. Une belle réussite enregistrée à
Lisbonne en mars 2016.
Amoa hi Ernesto
Rodrigues Guilhermo Rodrigues Marco Scarassati Nuno Torres Creative Sources CS
367 CD
Fort heureusement, Creative
Sources publie des compacts insérés dans des pochettes cartonnées nettement
plus plates et commodes à ranger que les anciens jewel-box plastiques cassables
et moins esthétiques.
En effet, la production CS, au départ un micro
label radical responsable du développement du réductionnisme, new silence,
lower case et autres tendances expérimentales minimalistes (de tout acabit),
est devenue exponentielle. Elle frise aujourd’hui les 400 numéros avec une
quasi absence de personnalités « d’envergure » au point de vue de la
notoriété. On note ici et là, une fois et par hasard, les noms de Paul Lovens
et John Edwards avec Paul Hubweber ou Urs Leimgruber, Jon Rose, Phil Wachsmann ou Roger Turner. Un grand nombre des artistes du catalogue
CS sont peu connus en dehors de la région où ils opèrent et une
bonne partie des « minimalistes » qui avaient été publiés aux
premières heures du label ne s’y manifestent plus. Aussi CS publie
de nombreuses sessions d’Ernesto Rodrigues et son fils Guilhermo en compagnie d’improvisateurs portugais et étrangers
et quelques grands ensembles très
cohérents sous sa direction qui réunissent un nombre impressionnant de
musiciens portugais (Variable Geometry
Orchestra, Ensemble IKB). Pour une ville comme Lisbonne, c’est remarquable
vu les difficultés avec lesquelles se débattent les improvisateurs radicaux.
Ses enregistrements illustrent bien ses tentatives réussies à improviser librement en suivant
des démarches et cheminements diversifiés. En ce qui me concerne, Ernesto est
devenu un des improvisateurs incontournables
des années 2000 et suivantes avec Jacques Demierre, Urs Leimgruber,
Rhodri Davies, Michel Doneda, Birgit Ulher, Franz Hauzinger etc…. parmi ceux qui apportent de
l‘eau au moulin de la scène en innovant. Enregistré au plus près de l’émission du son, le groupe
d’Amoa
hi révèle les interstices, l’épiderme, les craquements, le souffle dans
l’acte de jouer en dématérialisant la spécificité de l’instrument de musique.
Chaque instrument est traité comme générateur de sons / objet sonique et envisagé plutôt
comme une sculpture sonore, pour en exposer les propriétés timbrales et
texturales de leur mécanique vibratoire. La forme musicale qui s’échappe de
leur pratique est essentiellement une expression bruitiste, une dynamique de textures, de colorations. Les valeurs
harmoniques, pulsations et accents sont soigneusement évités. La tension du
corps, des doigts ou de la bouche, en est fort relâchée, l’humeur et les
intensions expressives qui affectent les sons dans le jeu instrumental sont
neutres, indifférenciées. Plutôt qu’expression du corps des musiciens et de leurs
émotions dans l’échange, l’improvisation se focalise sur la machinerie
instrumentale comme si on en révélait la nature de ses composants : bois,
vernis et crin (les Rodrigues), tube, anche et air (Torres) et la matière d’un
curieux instrument fait maison (Scarassati). À suivre.
Workshop de Lyon. Albums, Raretés Inédits. 50ème
anniversaire
Coffret 6cd. Jean Bolcato Jean Méreu Maurice Merle Christian Rollet Patrick Vollat
Louis Sclavis Jean-Paul Autin et Jean Aussanaire.
http://www.arfi.org/album/workshop-de-lyon-coffret-50eme-anniversaire/
http://www.arfi.org/album/workshop-de-lyon-coffret-50eme-anniversaire/
Ce coffret 6CD regroupe pour la première fois tous les
albums vinyles avec en bonus des extraits de concerts, un album épuisé et des
compositions inédites de la formation actuelle du plus vieux groupe de free
jazz français.
Dès le départ, Interfréquences de l’alors Free Jazz Workshop (juin 1973) monte
clairement que les musiciens, Jean Bolcato (contrebasse), Jean Méreu
(trompette), Maurice Merle (sax alto et soprano), Christian Rollet (batterie)
et Patrick Vollat (piano) assument pleinement l’acte d’improviser tant
individuellement que collectivement. Fondé en 1967 et rebaptisé ensuite
Workshop de Lyon, cette équipe est un acteur-témoin essentiel du jazz libre et
des musiques improvisées en France. Méreu et Vollat quittèrent ensuite le
groupe (76/77) après qu’un jeune Louis Sclavis y amena sa clarinette basse de
1975 à 1987. Il fut alors remplacé par le souffleur Jean-Paul Autin. En 2003, Maurice
Merle décède et il est fait appel à Jean Aussanaire. Les albums : Interfréquences (1973), La
Chasse de Shirah Sharibad (1975), Tiens ! Les bourgeons éclatent…
(1977), Concert Lave (1980), Musique Basalte (1981), Anniversaire (1988),
Fondus (1987), Chant bien fatal (1991). En bonus extrait de concert de 1979 et
Arzana (2010).
Christian Rollet et Jean Bolcato
sont aujourd’hui les deux piliers depuis les
débuts du groupe, lequel était conçu comme un atelier – laboratoire pour
découvrir et valider de nouvelles formes musicales et de nouvelles pratiques. Membres fondateurs du collectif ARFI –
association pour la recherche d’un folklore
imaginaire, leurs initiatives et cette formule
« folklore-imaginaire » eurent un profond écho chez tous ceux qui
balançaient entre les deux pôles de la musique improvisée : disons
lisibilité / lyrisme sur base de matériau composé et structuration d’une part
et improvisation libre radicale (et totale). Art Ensemble of Chicago / Roscoe
Mitchell d’un côté ou Derek Bailey ou Gunter Christmann d’un autre. Mêlant
improvisation libre échevelée et écriture / préméditation souvent simultanément, navigant d’une idée de départ vers une autre avec enthousiasme et un sens du risque, le WdL a dépassé les écueils du free-jazz
enregistré avec sa succession de thèmes et improvisations, solo de sax, solo de
l’autre souffleur, solo de contrebasse, thème final. Une part d’humour, des thèmes gigognes, une
section écrite ébourrifante insérée dans le flux du batteur en pulsation libre
et du sax déchaîné comme lors du concert de 1979 (Les possédés), des bribes de conversation, de la recherche sonore,
des connivences spontanées et une propension à essayer plusieurs combinaisons
d’instruments comme dans les Bourgeons éclatent. Dans cet
album, se manifeste clairement ce concept de folklore imaginaire avec des
éléments issus de la musique populaire d’ici et l’influence du
« bartokisme », dans une sorte de guigue mouvante, de
thèmes-structures confrontés à la déconstruction ludique ou au délire
vocal, traces d’une identité musicale
européenne et démarquage du free-jazz US . Les morceaux, qu'ils soient signés Bolcato, Merle
ou Rollet, sont au service du son du groupe et d’une démarche
essentiellement collective. On pense à ce collectif italien, O.M.C.I. avec
Renato Geremia, Mauro Periotto et Toni Rusconi qui eut une démarche similaire,
aux groupes d’Ernst-Ludwig Petrowsky et cie ou à l’Art Ensemble des années soixante, début
septante. WdL avait (et a encore) une activité musicale incluant
l’improvisation free et la relation à un public plus large, celui qui doit encore être convaincu du
bien-fondé de celle-ci. C'est surtout par la variété de leurs modes de jeux, l'interaction joyeuse et un parti pris d'invention qu'ils se taillèrent une place enviable dans la scène française et européenne. Plutôt que par un style identifiable basé sur un discours de "soliste individuel" et une présentation austère. Les "solos" proprement dits sont la plupart du temps très courts et servent comme les pièces d'un puzzle improbable où l'effet de surprise est toujours présent. Le challenge est de faire coïncider les élans spontanés
avec l’esprit de la structure initiale. Duchêne père et fils voit le groupe
délirer de manière a-stylistique et chacun y apporte une nouvelle idée poétique
aux confins du délire. Un des points forts était le doublement de la ligne de basse jouée par Bolcato par la
clarinette basse de Louis Sclavis dont il s'échappait un peu plus tard avec des harmoniques et des glissandi passionnés. Le WdL n’avait de cesse d’enchaîner les
séquences avec des dynamiques très variées, jouant sur la structure rythmique
et mélodique par des procédés compositionnels mis en œuvre le plus spontanément
du monde et avec une réelle cohérence. L’auditeur n’a pas le temps de
s’ennuyer, son attention étant
sollicitée par les mutations et changements de perspective. L’imput de chacun
des musiciens dans la musique jouée est égalitaire, partagée de bout en bout. Un
vrai modèle du genre au centre d'une scène en ébullition. Durant les années 80, on les entendit dans des festivals avec George Lewis en invité, c'est dire. Concert Lave
est une musique plus sonore et organique comme le suggère son titre. Chaque
album reflète une personnalité
particulière du groupe dans son évolution, les écouter à la suite ne devient pas du tout ennuyeux. Mon préféré est les
Bourgeons éclatent, le manifeste d’une période intense du groupe. On ne peut qu'admirer le contrebassiste Jean Bolcato dont la sonorité et les improvisations en pizzicato ont la fraîcheur de celles d'un Gary Peacock-époque Ayler, en cultivant un irrégularité organique dans le balancement des doigts sur les cordes. Le batteur Christian Rollet a le chic de savoir arrêter son flux batteristique au moment opportun pour changer l'orientation d'une pièce en se focalisant sur le son d'un accessoire. Vers le milieu des années 80, les musiciens
se sont impliqués dans des projets de création soutenus par des autorités
culturelles ce qui leur permit de réaliser des
choses impensables autrement. Je fais remarquer que cette démarche se
révéla quand même pernicieuse par rapport à la vocation de liberté intimement
inscrite dans la musique improvisée. Si le WdL n’a plus aujourd’hui la visibilité et la dynamique de leur
jeunesse, leur enregistrement le plus récent témoigne que Bolcato et Rollet sont toujours verts et que Autin
et Aussanaire prolongent l’esprit d’émulation et de dialogue impromptu des
souffleurs du groupe original. Et surtout le plaisir de créer de la musique
ensemble.
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