8 juillet 2017

Dave Rempis Fred Lonberg-Holm Paal Nilssen-Love/John Butcher & Gino Robair/ Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Carlos Santos / Ernesto Rodrigues Philip Greenlief Tom Swafford/ Evan Parker John Edwards Steve Noble


Ballister Low Level Stink Dave Rempis Fred Lonberg-Holm Paal Nilssen-Love Dropa-Disc #005 Lp et DVD


Ballister est le trio énergétique du saxophoniste Dave Rempis et du violoncelliste Fred Lonberg-Holm, tous deux Chicagoans, avec le batteur Norvégien Paal Nilssen Love. Ce groupe est actif depuis 2010 et n'est pas à son premier enregistrement. Low Level Stink documente avec beaucoup de bonheur un excellent concert à Anvers le 22 mars 2015, lors d’une des Oorstof Concerts Series organisées par deux allumés incontournables, Koen Vandenhout et Christel Kumpen, les responsables de Dropa-Disc. L’enregistrement a été réalisé par Michaël W.Huon. Je ne peux que saluer l’existence de ce label Dropa-Disc, émanation discographique de l’équipe de Sound In Motion / Oorstof. On trouve des labels de musique improvisée (« sérieux » !!) dans quasi tous les pays d’Europe sauf … en Belgique, mis à part les quelques numéros de Wimpro de Fred Van Hove et consorts. Ils venaient de sortir PEN (Evan Parker, John Edwards et Steve Noble Drpa-Disc #004) en cd et voici le LP de Ballister accompagné par le DVD contenant la vidéo du concert.  Un trio sax alto, violoncelle et batterie, cela nous fait penser à Dogon A.D., ce disque mythique de Julius Hemphill avec le violoncelliste Abdul Wadud et le batteur Phil Wilson. On retrouve une évocation de ce trio historique sur la deuxième face dans un mode un peu plus contorsionné et noisy. Fred Lonberg-Holm est un très remarquable improvisateur au violoncelle, capable d’exceller dans l’improvisation de chambre remplie de détails et avec une dynamique digne de la meilleure musique contemporaine (cf Battuto avec Mats Gustafsson John Corbett Terry Kapsalis et Lonberg-Holm  - label Random Acoustics ou son excellent duo avec John Russell sur Peira). Mais comme Fred tourne depuis plus de vingt ans avec des poids lourds comme Ken Vandermark, Mats Gustaffson, Peter Brötzmann, Frode Gjerstad, Dave Rempis, Paal Nilssen-Love, Louis Moholo… etc… lesquels pratiquent une musique énergétique voire explosive, il a dû amplifier son violoncelle, et pour agrémenter ses improvisations, ajouter une panoplie d’effets électroniques et de pédales, un peu comme un guitariste noise. Un sérieux client. Dave Rempis est un altiste tranchant et fougueux imprégné de jazz et capable de sortir des sentiers battus, surtout quand il est emporté par le drive impétueux de Paal Nilssen-Love, percussionniste au don d’ubiquité peu commun sur la scène internationale. Cela dit, ces trois artistes font vivre cette musique en la transformant continuellement à travers des échanges variés, contrastés où l’énergie maximum, hurlante, peut se métamorphoser en conversation pastorale soufflée du bout des doigts à la limite dentelle. Free « Free-Jazz » complètement improvisé qui ne dédaigne pas le funky-binaire (cfr séquence en fin de la première face), mais où le violoncelliste n’hésite pas à plonger en solitaire dans les entrailles de son violoncelle. En début de deuxième face du vinyle, Paal-Nilsen Love initie une belle recherche de timbres et de frottements à laquelle répond les sons soutenus et tournoyants du violoncelle en mode vièle d’Asie Centrale (ghidjak – kementché) de Fred Lonberg-Holm, introduisant le souffle rêveur de Dave Rempis. Cette phase s’enchaîne imperceptiblement dans une somptueuse évocation du trio Hemphill-Wadud-Wilson dans Dogon A.D. (label M’Bari 1972 réédité en 1975 par Arista Freedom). Est-ce un emprunt réalisé consciemment ou une coïncidence ? Mais le trio s’échappe vite de cette piste pour en pervertir les éléments et improviser collectivement sans arrière-pensée. Le  batteur se fait alors discret sur les toms partageant  l’espace sonore avec la musique de ses collègues. FLH joue curieusement avec les effets et le chant de DR, au départ élégiaque, gonfle peu à peu, l’énergie du souffleur se met à croître insensiblement jusqu’à chauffer à blanc, entraînant  progressivement ses deux camarades vers un  intense momentum énergétique, noisy extrémiste. Une très belle construction en crescendo dont un triangle rectangle reproduirait fidèlement l’augmentation progressive de l’intensité, du volume et de la puissance sonore. Ils évitent quand même de terminer en fanfare en laissant le violoncelliste divaguer et disparaître dans un fade-out, un peu comme une bande magnétique en fin de course. Toutes les séquences s’enchaînent naturellement, spontanément et avec une belle logique. Un travail rondement mené. C’est ce qui rend, à mon avis cette expérience vraiment attirante.

Bottle Breaking Heart Leap  John Butcher & Gino Robair alt.vinyl av060

Le percussionniste Gino Robair a mis au point un système d’effets électroniques, la Blippoo Box,  intégré à son jeu de percussionniste où le frottement de cymbales à l’archet, l’usage d’un e-bow et la résonance sur les peaux jouent un rôle majeur. Comme son travail sort vraiment du champ de la percussion conventionnelle, il appelle cela « Energized Surfaces ». Sa cymbale fétiche est découpée asymétriquement avec de belles courbures de manière à ce qu’il puisse obtenir une large gamme/ échelle de sons en en frottant le bord à l’archet. Il forme un duo fixe avec le saxophoniste John Butcher depuis de nombreuses années avec plusieurs CD’s à leur actif. Pour leur nouvelle parution, un concert de 2012 à Leeds enregistré par Simon Reynell, propriétaire de l’excellent  label another timbre. Contrairement à la plupart des associations sax – percussions, leur musique est orientée vers une recherche de sons, de timbres même si vers la fin de la première face, Gino Robair joue sur son tom avec des baguettes. Ce qui est important dans le jeu de Robair, c’est le timing de ses actions. On s’en rend compte lorsqu’on le voit jouer : la virtuosité, c’est d’agir ou de réagir à la fraction seconde près. John Butcher vocalise dans son saxophone avec une démarche bruissante, tordant et pliant les sons, faisant chuinter les notes, alliant la notion de bruits au cœur du jeu musical. J’aime particulièrement la deuxième face où les deux artistes enchaînent de subtils cadavres exquis où l’énergie est intériorisée et les sons de chacun se complètent, divergent, surprennent, s’écartent, créent des allusions et suggestions réciproques avec une grande variété de dynamiques et de modes de jeux. Lesquels sont concentrés dans de courtes séquences épurées et décidées dans l’instant.  Un super vinyle de musique improvisée vivante, ce qui nous change du recyclage du free-jazz à tous les étages.


Cyclic Symmetry Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Carlos Santos Creative Sources CS374 CD.


Ernesto Rodrigues, violon alto et Guilherme Rodrigues, violoncelle se retrouvent avec leur camarade (et graphiste maison Chez CS) , Carlos Santos, qui ici propose ses field recordings enregistrés à Lisbonne, S. Miguel Island, Açores et Bergen en Norvège. Le titre, à lui seul est tout un programme : Cyclic Symmetry. Une note des artistes : we advise the listener to ear the piece in a continuous loop. En français : nous conseillons à l’auditeur d’écouter la pièce dans une boucle continuelle. Un seul morceau de plus de 73 minutes joué sans interruption, si ce n’est des silences parsemant son exécution. Les deux cordistes jouent de longues notes soutenues sans solution de fin (drones) jusqu’à un silence blanc et émergent à nouveau en changeant la texture et en modifiant insensiblement l’attaque et la hauteur et créant un sentiment de glissando infinitésimal en agrégeant parfois un son plus aigu. La séquence silencieuse de quelques dizaines de secondes ressurgit après un léger fade out. La pochette est illustrée d’un paysage coloré et minimaliste avec une ligne d’horizon plane et droite, un ciel bleu, un soleil brun et une lune blafarde que traverse en parallèle un tracé rectiligne de deux tirets au milieu exact du dessin. Autour de cet axe horizontal central, s’articulent des ellipses inachevées et de mesures variées. On sait  que la mesure entre les deux foyers et tous les points du tracé d’une ellipse est équidistante. C’est ce feeling d’infini qui transparaît dans tout l’album avec de menus changements de dynamique et de timbre. De subtils gargouillis aquatiques quasi irréels des enregistrements de terrain interviennent par petites touches çà et là. Les Rodrigues ont investi l’improvisation radicale / expérimentale en essayant des idées et des concepts en constante évolution avec une réelle consistance et un supplément d’âme. Au lieu de chercher à caractériser leur démarche multiforme, je préfère écouter leurs différents enregistrements (souvent différents les uns des autres) avec attention en admirant les détails de leur exécution/ improvisation.

Sidereus Nuncius Ernesto Rodrigues Philip Greenlief  Tom Swafford Creative Sources CS349 CD

Publié dix ans après son enregistrement lors du Seattle Improvised Music Festival 2006, ce trio alto (Ernesto Rodrigues), violon (Tom Swafford) et sax ténor (Philip Greenlief), est un bon exemple de la pratique improvisée libre « normale » d’Ernesto Rodrigues en compagnie de deux excellents improvisateurs de la Côte Ouest parmi les plus actifs. Je veux dire par là que le violoniste alto portugais improvise spontanément en utilisant les nombreuses ressources de son instrument sans a priori ni concept préliminaire comme il nous avait habitué dans ses enregistrements des années 2000 (« réductionniste » « lower case » etc…) et comme sa trajectoire actuelle en témoigne toujours avec une diversité passionnante. La démarche des deux violonistes est en tous points exemplaire et Philip Greenlief s’insère remarquablement dans ce processus, essentiellement basé sur l’écoute. Si le jeu collectif a tendance à se dérouler de manière continue avec des unissons, notes soutenues et mouvements lents qui donnent à entendre de belles nuances et une dynamique soyeuse que tranchent ici et là un ou deux dérapages brefs et mordants et quelques momentums retenus. À la minute 26, une superbe plongée dans les graves grinçants au ralenti qui mène vers le final où le fil de la musique devient de plus en plus spontané, élégiaque tout en se métamorphosant sans relâche. En fait, un set de 33 minutes qui synthétise plusieurs options de l’improvisation  dans une belle symbiose / coexistence. J’ai eu grand plaisir à suivre le cheminement, et les méandres des improvisations de ces trois remarquables musiciens, sans doute une première rencontre lors de ce festival déjà lointain. C’est beau et merveilleux et méritait d’être publié.

PEN Evan Parker John Edwards Steve Noble Dropa-Disc #004

Il était temps !! Steve Noble avec Evan Parker ! Le travail d’Evan Parker est très documenté et celui-ci tient absolument à jouer régulièrement avec tous les très bons batteurs britanniques de la scène improvisée, car chacun d’eux lui donnent l’occasion de diversifier son jeu. Non seulement feu John Stevens et Paul Lytton, lequel est depuis toujours un de ses collaborateurs les plus proches, mais aussi Louis Moholo, Tony Marsh, Roger Turner, Mark Sanders, Tony Levin et Steve Noble. Bien que le batteur Steve Noble soit actif depuis plus de trente ans et a joué avec un grand nombre d'artistes passionnants (Derek Bailey, Lol Coxhill, Joe McPhee, Alex Ward, Paul Rogers), Evan et Steve n’avaient jamais enregistré ensemble de manière aussi satisfaisante que dans PEN. Quant au contrebassiste John Edwards, un géant de l’instrument avec une énergie extraordinaire, on l’a entendu fréquemment avec Parker et tous les percussionnistes précités. Parker et Edwards jouent fréquemment en  trio, respectivement avec le guitariste John Russell (House of Flowers/ Tzadik) et le batteur Mark Sanders (The Two Seasons/Emanem). Noble et Edwards forment aussi une paire inséparable avec le saxophoniste Alan Wilkinson. Donc cette réunion coule de source et contribue à un excellent concert enregistré à Anvers durant un des Oorstof Concert Series de l’association Sound In Motion. Ce sont d’ailleurs les responsables de Sound In Motion, Christel Kumpen et Koen Vandenhoudt  qui produisent ce remarquable CD sur leur label Dropa Disc. Par rapport aux albums d’Evan Parker en trio, l’intérêt principal réside dans l’apport et la sonorité de Steve Noble, un très grand batteur qui donne ici toute sa mesure. Une aisance polyrythmique ou plus exactement un entre-croisement de pulsations flottantes et de figures rythmiques libres dont le flux et la vitesse évoluent indépendamment les unes des autres. Démarrant avec des frappes sur les peaux et des coups de pattes sur les cordes de la contrebasse qui font plus qu’évoquer l’africanité, le tandem Edwards et Noble tisse des structures mouvantes et dynamiques où le souffle, à la fois lunaire, elliptique et charnu, d’Evan Parker au sax ténor n’a plus qu’à se répandre. Après 7/8 minutes splendides d’équilibre, le trio s’arrête, laissant le bassiste évoquer brièvement Jimmy Garrison pour travailler librement le son de la contrebasse. C’est alors que Steve Noble  nous dévoile toute sa sensibilité de frotteur, gratteur, piqueteur sur la surface de ses tambours, objets, woodblocks avec de fins roulements à la fois délicats et fermes en conjonction/ dialogue avec le jeu d’Edwards, Parker continuant sur sa lancée. Une fois que la percussion se met de côté en decrescendo, le souffleur lance des boucles en respiration circulaire en impliquant des harmoniques. Le paysage musical se meut continuellement esquissant parfois un pas deux de swing bluesy pour quelques secondes avant de replonger dans l’improvisation collective. Si Edwards et Noble nouent des dialogues directs entre eux et se coordonnent, E. P. maintient le cap de son discours (soliste), comme s’il volait au-dessus de ses deux compagnons qui le relient à la terre,  tout en laissant bien entendre par de subtils micro-détails des ondes mouvantes de son souffle qu’il les perçoit clairement, préférant le subtil clin d’œil invisible aux signes trop évidents de la connivence.  Si le trio d’Evan Parker avec Barry Guy et Paul Lytton se situe à un niveau insurpassable, PEN nous offre bien du plaisir et sera une très belle révélation pour beaucoup, que vous connaissiez peu ou prou le travail d’Evan Parker. Car les trois musiciens assument entièrement le fait d’improviser collectivement et Evan Parker y déroule son jeu magnificent (au sax ténor uniquement) d’un très grand lyrisme et truffé de ces fourches (intervalles - doigtés croisés) biscornues et peu académiques qui n’appartiennent qu’à lui. Pas de soprano ici, même si on se demande si ce n’est pas quand même le saxophone soprano lorsqu’Evan joue dans le registre aigu en faisant se chevaucher plusieurs phrases quasi simultanément. Un très beau disque et pochette cartonnée optimale.

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