Ballister Low Level Stink Dave Rempis Fred
Lonberg-Holm Paal Nilssen-Love
Dropa-Disc #005 Lp et DVD
Ballister
est le trio énergétique du saxophoniste Dave
Rempis et du violoncelliste Fred
Lonberg-Holm, tous deux Chicagoans, avec le batteur Norvégien Paal Nilssen Love. Ce groupe est actif depuis 2010 et n'est pas à son premier enregistrement. Low Level Stink documente avec beaucoup de bonheur un excellent
concert à Anvers le 22 mars 2015, lors d’une des Oorstof Concerts Series
organisées par deux allumés incontournables, Koen Vandenhout et Christel
Kumpen, les responsables de Dropa-Disc. L’enregistrement a été réalisé par
Michaël W.Huon. Je ne peux que saluer l’existence de ce label Dropa-Disc,
émanation discographique de l’équipe de Sound In Motion / Oorstof. On trouve
des labels de musique improvisée (« sérieux » !!) dans quasi tous
les pays d’Europe sauf … en Belgique, mis à part les quelques numéros de Wimpro
de Fred Van Hove et consorts. Ils venaient de sortir PEN (Evan Parker, John Edwards et Steve Noble Drpa-Disc #004) en cd
et voici le LP de Ballister accompagné par le DVD contenant la vidéo du
concert. Un trio sax alto, violoncelle et
batterie, cela nous fait penser à Dogon
A.D., ce disque mythique de Julius Hemphill avec le violoncelliste Abdul
Wadud et le batteur Phil Wilson. On retrouve une évocation de ce trio
historique sur la deuxième face dans un mode un peu plus contorsionné et noisy. Fred Lonberg-Holm est un très remarquable improvisateur au violoncelle, capable
d’exceller dans l’improvisation de chambre remplie de détails et avec une
dynamique digne de la meilleure musique contemporaine (cf Battuto avec Mats Gustafsson John Corbett Terry Kapsalis et
Lonberg-Holm - label Random Acoustics ou
son excellent duo avec John Russell sur Peira).
Mais comme Fred tourne depuis plus de vingt ans avec des poids lourds comme Ken
Vandermark, Mats Gustaffson, Peter Brötzmann, Frode Gjerstad, Dave Rempis, Paal
Nilssen-Love, Louis Moholo… etc… lesquels pratiquent une musique énergétique
voire explosive, il a dû amplifier son violoncelle, et pour agrémenter ses
improvisations, ajouter une panoplie d’effets électroniques et de pédales, un
peu comme un guitariste noise. Un sérieux client. Dave Rempis est un altiste tranchant et fougueux imprégné de jazz
et capable de sortir des sentiers battus, surtout quand il est emporté par le
drive impétueux de Paal Nilssen-Love,
percussionniste au don d’ubiquité peu commun sur la scène internationale. Cela
dit, ces trois artistes font vivre cette musique en la transformant
continuellement à travers des échanges variés, contrastés où l’énergie maximum,
hurlante, peut se métamorphoser en conversation pastorale soufflée du bout des
doigts à la limite dentelle. Free « Free-Jazz » complètement
improvisé qui ne dédaigne pas le funky-binaire (cfr séquence en fin de la
première face), mais où le violoncelliste n’hésite pas à plonger en solitaire
dans les entrailles de son violoncelle. En début de deuxième face du vinyle, Paal-Nilsen Love initie une belle
recherche de timbres et de frottements à laquelle répond les sons soutenus et
tournoyants du violoncelle en mode vièle d’Asie Centrale (ghidjak – kementché)
de Fred Lonberg-Holm, introduisant
le souffle rêveur de Dave Rempis.
Cette phase s’enchaîne imperceptiblement dans une somptueuse évocation du trio
Hemphill-Wadud-Wilson dans Dogon A.D.
(label M’Bari 1972 réédité en 1975 par Arista Freedom). Est-ce un emprunt
réalisé consciemment ou une coïncidence ? Mais le trio s’échappe vite de
cette piste pour en pervertir les éléments et improviser collectivement sans
arrière-pensée. Le batteur se fait alors
discret sur les toms partageant l’espace
sonore avec la musique de ses collègues. FLH joue curieusement avec les effets
et le chant de DR, au départ élégiaque, gonfle peu à peu, l’énergie du
souffleur se met à croître insensiblement jusqu’à chauffer à blanc,
entraînant progressivement ses deux
camarades vers un intense momentum
énergétique, noisy extrémiste. Une très belle construction en crescendo dont un
triangle rectangle reproduirait fidèlement l’augmentation progressive de l’intensité,
du volume et de la puissance sonore. Ils évitent quand même de terminer en fanfare
en laissant le violoncelliste divaguer et disparaître dans un fade-out, un peu
comme une bande magnétique en fin de course. Toutes les séquences s’enchaînent
naturellement, spontanément et avec une belle logique. Un travail rondement
mené. C’est ce qui rend, à mon avis cette expérience vraiment attirante.
Bottle Breaking Heart Leap John Butcher & Gino Robair
alt.vinyl av060
Le percussionniste Gino Robair a mis au point un système
d’effets électroniques, la Blippoo Box, intégré à son jeu de percussionniste où le
frottement de cymbales à l’archet, l’usage d’un e-bow et la résonance sur les
peaux jouent un rôle majeur. Comme son travail sort vraiment du champ de la
percussion conventionnelle, il appelle cela « Energized Surfaces ». Sa cymbale fétiche est découpée asymétriquement
avec de belles courbures de manière à ce qu’il puisse obtenir une large gamme/
échelle de sons en en frottant le bord à l’archet. Il forme un duo fixe avec le
saxophoniste John Butcher depuis de nombreuses années avec plusieurs CD’s à
leur actif. Pour leur nouvelle parution, un concert de 2012 à Leeds enregistré
par Simon Reynell, propriétaire de l’excellent
label another timbre. Contrairement à la plupart des associations sax –
percussions, leur musique est orientée vers une recherche de sons, de timbres
même si vers la fin de la première face, Gino Robair joue sur son tom avec des
baguettes. Ce qui est important dans le jeu de Robair, c’est le timing de ses
actions. On s’en rend compte lorsqu’on le voit jouer : la virtuosité,
c’est d’agir ou de réagir à la fraction seconde près. John Butcher vocalise
dans son saxophone avec une démarche bruissante, tordant et pliant les sons,
faisant chuinter les notes, alliant la notion de bruits au cœur du jeu musical.
J’aime particulièrement la deuxième face où les deux artistes enchaînent de
subtils cadavres exquis où l’énergie est intériorisée et les sons de chacun se complètent,
divergent, surprennent, s’écartent, créent des allusions et suggestions réciproques
avec une grande variété de dynamiques et de modes de jeux. Lesquels sont
concentrés dans de courtes séquences épurées et décidées dans l’instant. Un super vinyle de musique improvisée
vivante, ce qui nous change du recyclage du free-jazz à tous les étages.
Cyclic Symmetry Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues
Carlos Santos Creative Sources CS374 CD.
Ernesto Rodrigues, violon alto et Guilherme
Rodrigues, violoncelle se retrouvent avec leur camarade (et graphiste
maison Chez CS) , Carlos Santos, qui
ici propose ses field recordings enregistrés à Lisbonne, S. Miguel Island,
Açores et Bergen en Norvège. Le titre, à lui seul est tout un programme : Cyclic
Symmetry. Une note des artistes : we advise the listener to ear
the piece in a continuous loop. En français : nous conseillons à l’auditeur
d’écouter la pièce dans une boucle continuelle. Un seul morceau de plus de
73 minutes joué sans interruption, si ce n’est des silences parsemant son
exécution. Les deux cordistes jouent de longues notes soutenues sans solution
de fin (drones) jusqu’à un silence blanc et émergent à nouveau en changeant la
texture et en modifiant insensiblement l’attaque et la hauteur et créant un
sentiment de glissando infinitésimal en agrégeant parfois un son plus aigu. La
séquence silencieuse de quelques dizaines de secondes ressurgit après un léger
fade out. La pochette est illustrée d’un paysage coloré et minimaliste avec une
ligne d’horizon plane et droite, un ciel bleu, un soleil brun et une lune
blafarde que traverse en parallèle un tracé rectiligne de deux tirets au milieu
exact du dessin. Autour de cet axe horizontal central, s’articulent des
ellipses inachevées et de mesures variées. On sait que la mesure entre les deux foyers et tous
les points du tracé d’une ellipse est équidistante. C’est ce feeling d’infini
qui transparaît dans tout l’album avec de menus changements de dynamique et de
timbre. De subtils gargouillis aquatiques quasi irréels des enregistrements de
terrain interviennent par petites touches çà et là. Les Rodrigues ont investi
l’improvisation radicale / expérimentale en essayant des idées et des concepts
en constante évolution avec une réelle consistance et un supplément d’âme. Au
lieu de chercher à caractériser leur démarche multiforme, je préfère écouter
leurs différents enregistrements (souvent différents les uns des autres) avec
attention en admirant les détails de leur exécution/ improvisation.
Sidereus Nuncius Ernesto
Rodrigues Philip Greenlief Tom Swafford Creative Sources CS349 CD
Publié dix ans après son
enregistrement lors du Seattle
Improvised Music Festival 2006, ce trio alto (Ernesto Rodrigues), violon (Tom
Swafford) et sax ténor (Philip
Greenlief), est un bon exemple de la pratique improvisée libre « normale »
d’Ernesto Rodrigues en compagnie de deux excellents improvisateurs de la Côte
Ouest parmi les plus actifs. Je veux dire par là que le violoniste alto
portugais improvise spontanément en utilisant les nombreuses ressources de son
instrument sans a priori ni concept préliminaire comme il nous avait habitué
dans ses enregistrements des années 2000 (« réductionniste »
« lower case » etc…) et comme sa trajectoire actuelle en témoigne
toujours avec une diversité passionnante. La démarche des deux violonistes est
en tous points exemplaire et Philip Greenlief s’insère remarquablement dans ce
processus, essentiellement basé sur l’écoute. Si le jeu collectif a tendance à
se dérouler de manière continue avec des unissons, notes soutenues et
mouvements lents qui donnent à entendre de belles nuances et une dynamique
soyeuse que tranchent ici et là un ou deux dérapages brefs et mordants et
quelques momentums retenus. À la minute 26, une superbe plongée dans les graves
grinçants au ralenti qui mène vers le final où le fil de la musique devient de
plus en plus spontané, élégiaque tout en se métamorphosant sans relâche. En
fait, un set de 33 minutes qui synthétise plusieurs options de
l’improvisation dans une belle symbiose
/ coexistence. J’ai eu grand plaisir à suivre le cheminement, et les méandres
des improvisations de ces trois remarquables musiciens, sans doute une première
rencontre lors de ce festival déjà lointain. C’est beau et merveilleux et
méritait d’être publié.
PEN Evan Parker John Edwards Steve Noble
Dropa-Disc #004
Il était temps !! Steve Noble avec Evan Parker ! Le
travail d’Evan Parker est très
documenté et celui-ci tient absolument à jouer régulièrement avec tous les très
bons batteurs britanniques de la scène improvisée, car chacun d’eux lui donnent
l’occasion de diversifier son jeu. Non seulement feu John Stevens et Paul
Lytton, lequel est depuis toujours un de ses collaborateurs les plus proches,
mais aussi Louis Moholo, Tony Marsh, Roger Turner, Mark Sanders, Tony Levin et
Steve Noble. Bien que le batteur Steve
Noble soit actif depuis plus de trente ans et a joué avec un grand nombre d'artistes passionnants (Derek Bailey, Lol Coxhill, Joe McPhee, Alex Ward, Paul Rogers), Evan et Steve n’avaient jamais enregistré
ensemble de manière aussi satisfaisante que dans PEN. Quant au contrebassiste John
Edwards, un géant de l’instrument avec une énergie extraordinaire, on l’a
entendu fréquemment avec Parker et tous les percussionnistes précités. Parker
et Edwards jouent fréquemment en trio,
respectivement avec le guitariste John Russell (House of Flowers/ Tzadik) et le batteur Mark Sanders (The Two Seasons/Emanem). Noble et
Edwards forment aussi une paire inséparable avec le saxophoniste Alan
Wilkinson. Donc cette réunion coule de source et contribue à un excellent
concert enregistré à Anvers durant un des Oorstof Concert Series de
l’association Sound In Motion. Ce
sont d’ailleurs les responsables de Sound In Motion, Christel Kumpen et Koen Vandenhoudt qui produisent ce remarquable CD sur leur
label Dropa Disc. Par rapport aux
albums d’Evan Parker en trio, l’intérêt principal réside dans l’apport et la
sonorité de Steve Noble, un très grand batteur qui donne ici toute sa mesure.
Une aisance polyrythmique ou plus exactement un entre-croisement de pulsations
flottantes et de figures rythmiques libres dont le flux et la vitesse évoluent
indépendamment les unes des autres. Démarrant avec des frappes sur les peaux et
des coups de pattes sur les cordes de la contrebasse qui font plus qu’évoquer
l’africanité, le tandem Edwards et Noble tisse des structures mouvantes et
dynamiques où le souffle, à la fois lunaire, elliptique et charnu, d’Evan Parker
au sax ténor n’a plus qu’à se répandre. Après 7/8 minutes splendides
d’équilibre, le trio s’arrête, laissant le bassiste évoquer brièvement Jimmy
Garrison pour travailler librement le son de la contrebasse. C’est alors que
Steve Noble nous dévoile toute sa sensibilité
de frotteur, gratteur, piqueteur sur la surface de ses tambours, objets,
woodblocks avec de fins roulements à la fois délicats et fermes en conjonction/
dialogue avec le jeu d’Edwards, Parker continuant sur sa lancée. Une fois que
la percussion se met de côté en decrescendo, le souffleur lance des boucles en
respiration circulaire en impliquant des harmoniques. Le paysage musical se
meut continuellement esquissant parfois un pas deux de swing bluesy pour
quelques secondes avant de replonger dans l’improvisation collective. Si
Edwards et Noble nouent des dialogues directs entre eux et se coordonnent, E. P.
maintient le cap de son discours (soliste), comme s’il volait au-dessus de ses
deux compagnons qui le relient à la terre, tout en laissant bien entendre par de subtils
micro-détails des ondes mouvantes de son souffle qu’il les perçoit clairement,
préférant le subtil clin d’œil invisible aux signes trop évidents de la
connivence. Si le trio d’Evan Parker
avec Barry Guy et Paul Lytton se situe à un niveau insurpassable, PEN nous
offre bien du plaisir et sera une très belle révélation pour beaucoup, que vous
connaissiez peu ou prou le travail d’Evan Parker. Car les trois musiciens
assument entièrement le fait d’improviser collectivement et Evan Parker y déroule
son jeu magnificent (au sax ténor uniquement) d’un très grand lyrisme et truffé
de ces fourches (intervalles - doigtés croisés) biscornues et peu académiques
qui n’appartiennent qu’à lui. Pas de soprano ici, même si on se demande si ce
n’est pas quand même le saxophone soprano lorsqu’Evan joue dans le registre
aigu en faisant se chevaucher plusieurs phrases quasi simultanément. Un très
beau disque et pochette cartonnée optimale.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......