Paul Rutherford Sabu Toyozumi The Conscience NoBusiness
records NBCD 99.
Paul Rutherford.
Tromboniste lunaire, lunatique, essentiel, fin mélodiste et chercheur de sons inouïs, amateur
de litotes oniriques à travers les timbres fous et la phrase musicale, improvisateur
« complexe » qui aime à changer sans arrêt tous les paramètres de son jeu, mais
aussi le Chet Baker de la free-music pour son lyrisme désenchanté. En 1999,
lors d’une tournée japonaise avec le batteur Sabu Toyozumi, il a trouvé sans doute un des meilleurs comparses
possibles pour créer une musique d’éternité. Si Paul Rutherford fut un compagnon essentiel - de premier ordre - pour Derek
Bailey, Fred Van Hove, Lol Coxhill, Evan Parker, Paul Lovens, Barry Guy, Phil
Wachsmann, Paul Rogers, Alex von Schlippenbach, etc… cfr ma biographie de ce
musicien (http://orynx-improvandsounds.blogspot.be/2013/01/paul-rutherford-1940-2007.html
) , la personnalité de Sabu Toyozumi est un peu plus secrète et son parcours
assez improbable. Ce batteur avait joué au sein de l’AACM à Chicago avec les
membres de l’Art Ensemble of Chicago en 1971 (Roscoe Mitchell, Joseph Jarman,
Malachi Favors), mais aussi Anthony Braxton, Leo Smith, et les percussionnistes
Steve McCall et Don Moye en un trio mémorable. Par la
suite, il fit un séjour à Paris en jouant avec Boulou Ferré, Glenn Spearman,
Braxton, Takashi Kako etc… et fut sélectionné dans une audition à Tokyo par
Charlie Mingus lui-même pour tenir la batterie dans un projet d’enregistrement
de la musique du légendaire contrebassiste : https://www.discogs.com/Charles-Mingus-Charles-Mingus-With-Orchestra/release/10156636 !! Rien que çà
!!
Dans les années 70’s, il fut
le percussionniste phare de ce collectif informel d’improvisateurs
japonais avec le trompettiste Toshinori Kondo, le bassiste Motoharu
Yoshisawa, les saxophonistes Mototeru Takagi et Kaoru Abe, saxophoniste mort
trop jeune. Ces quatre musiciens ont été amenés à jouer et à enregistrer successivement (et avec succès !) en
compagnie de Milford Graves (Meditation Among
Us 1977 Kitty Records) et ensuite de Derek Bailey (Duo and Trio Improvisations 1978 Kitty records). Mais le franc-parler de Sabu au sujet de
questions très vitales déplut fortement au promoteur/ journaliste Aquirax Aida
qui pilotait les sessions et les tournées avec Graves et Bailey. Et donc Aida, qui mourut quelques mois plus
tard et à qui Bailey dédia son album
solo acoustique, Aida, fit appel au
percussionniste Toshi Tsuchitori, un artiste plus centré sur les musiques du
monde et évinça Sabu de l'entreprise. Aussi, cette année-là, notre homme traversa l’Afrique par ses propres moyens,
du Caire jusqu’à Accra au Ghana, en passant par le Centrafrique et en bravant tous les périls ! En clair, Sabu Toyozumi est un artiste atypique. Mais après cet épisode, il
eut sa revanche : il devint un des
deux ou trois musiciens improvisateurs japonais les plus demandés dans son pays.
John Zorn, Fred Frith, Peter Brötzmann, Derek Bailey, Peter Kowald, Tristan
Honsinger, Barre Phillips, Misha Mengelberg, Fred Van Hove, Evan Parker, Mats
Gustafsson, Paul Rurtherford, Leo Smith, Joseph Jarman et John Russell ont
tourné longuement dans tout le Japon en sa compagnie. Il sillonne aussi l’Extrême
Orient, l’Amérique latine et l’Europe avec qui est intéressé à jouer avec lui
sans aucune considération pour la notoriété et l’impro-business. Il est aussi
le seul percussionniste avec qui Han Bennink a réalisé un disque en duo (Dada) et ainsi qu'avec Misha Mengelberg (the Untrammeled Traveller).
Dans cet album duo, The
Conscience qui est le long titre qui ouvre l’album, Sabu ponctue et
commente le jeu de Paul avec les peaux et cymbales et un curieux son métallique
provenant d’un objet industriel, inscrivant des rythmes africains ellipsoïdes
autour des improvisations du flegmatique tromboniste, lequel chantant dans la
coulisse sur tous les tons, avec des accents et
intervalles qui n’appartiennent qu’à lui, demeure complètement
imperturbable, prolongeant sans cesse son questionnement des harmonies, des
séries de notes extrapolées des séquences chères à Dolphy et Webern, vocalisant
dans son embouchure tout en faisant sortir des harmoniques très précises, sans
être gêné le moins du monde par l’hyper activité du batteur. Celui-ci a une
maîtrise complexe des rythmes croisés, multiples, flottants, marqués ou
suggérés, accélérant ou décélérant les libres pulsations jusqu‘à plus soif. Parmi
les improvisateurs libres pionniers, on imagine mal un couple mieux
assorti : don de soi, partage total, invention, tension, fascination,
amitié, sincérité, candeur. Un magnifique album de Paul Rutherford et à
mon avis la meilleure rencontre improvisée de Sabu Toyozumi en duo sur disque (depuis Overhang Party avec Kaoru Abe en 1978 ) !
Couleur de l’Exil Kent Carter Sylvain Guérineau improvising beings Ib61
Couleur de l’Exil all music by Kent
Carter & Sylvain Guérineau,
contrebasse et saxophone ténor : jouée, écrite, expression spontanée. Le
contrebassiste propose des sons, minimaliste, improvise sur le geste et le son,
l’archet précis, une nouvelle idée par morceau qu’il poursuit, triture, étend,
ponctue. Le saxophoniste évoque, convoque, des boucles aériennes, changeantes,
joue la mélodie qui vient, disert ; un son
chaleureux, des notes franches, qui chante. Temps marqués, pieds,
scansions élidées, chant suspendu, chapelet de notes ou saut de blanches et
noires. Ils s’écoutent sans se répondre, mais en se comprenant. Graves
impavides, col legno insistant, battuto, ostinato, crin baladeur, pizzicato
grinçant, archet superbe, le bois ressenti, les cordes en vibration, leurs sons
rencontrent ceux du souffle, qui gémit, se plaint, éructe, ressasse. Couleur de l’Exil est le titre de beaux
poèmes. Sylvain Guérineau, improvisateur
mélodiste, semble sans doute ne pas être un hyper-virtuose des anches, mais se révèle comme un
conteur de l’émotion secrète, un diseur à contrepied. Il a trouvé le partenaire
idéal en Kent Carter et sa
contrebasse sensuelle pour nous chanter ses refrains veloutés, ses vers
singuliers et nous enchanter. Les oeuvres graphiques de Guérineau ornent la pochette.
Psychic Armour Paul G. Smyth Chris Corsano Weekertoft.
Que les deux artistes
producteurs de Weekertoft, John Russell et Paul G. Smyth veulent bien pardonner
ma lenteur à chroniquer leur bébé de l’année écoulée, mais la pile est encore
bien imposante et veillant à soigner ce que je vous donne à lire, il ne m’est
pas possible de presser les parutions au détriment de mes idées claires. Le
pianiste Paul G. Smyth, un des improvisateurs les plus en vue de la jeune
génération dans les Îles Britanniques, est basé à Dublin et y donne des
concerts remarqués avec Evan Parker, John Edwards et Mark Sanders ou ici avec
le batteur Chris Corsano, lui-même un artiste demandé (Joe McPhee, Akira
Sakata, Paul Flaherty, Nate Wooley, Bill Orcutt, Thurston Moore etc…) avec une
discographie exponentielle et un pied dans le monde du rock alternatif (Six Organs of Admittance). La rencontre
est enregistrée au National Concert Hall à Dublin en avril 2015. Après un Taming In The Power Cut de 13 :15 énergique
et enlevé bien dans la lingua franca de la free-music pour un duo piano
batterie, le duo n’hésite pas à chercher des sons et des timbres dès le début
de The Through Line (8 :24). Si Corsano, un excellent batteur avec une
belle technique, développe un jeu free intéressant avec une multiplication de
frappes subtiles dans le registre aigu et un sens assuré de la dynamique, on
entend bien que sa pratique de l’improvisation à la batterie, n’est pas exempte
de tics, de traces de la percussion plus « conventionnelle ». Ce
n’est pas une critique de ma part, plutôt une constatation. Ayant suivi
l’évolution de la musique improvisée libre depuis les années 70’s, j’ai le
loisir d’écouter en profondeur une kyrielle de musiciens et en matière de
percussions, je me suis focalisé sur les artistes qui se singularisaient par le
fait qu’ils avaient remis en question / évacué tous les éléments
« stylistiques », même les plus infimes, provenant du jazz, du rock etc
quand ils improvisent lentement… Je pense à Paul Lovens, Roger Turner, Paul
Lytton, Lê Quan Ninh. Malgré cela, j’apprécie beaucoup la musique duelle de ces
deux musiciens faite d’énergie, d’écoute attentive, d’émotion, et d’invention. Psychic Armour (33:00), en français Armure Psychique, indique que pour jouer
cette musique improvisée totale, il faut être psychiquement blindé pour ne pas
céder à de subits états d’âme et à pouvoir créer un rapport musical intense
entre deux personnalités différentes. En effet, après une amorce en flottements,
une section toute en célérité, clavier et tambours déployés dans des effets
frénétiques, s’interrompt brièvement par un court solo de batterie
remarquablement construit, et donne lieu à un bel échange dialogué/ conclusion.
Dès lors, vers la minute 12:00 le silence vint et le pianiste devint
introspectif, jouant sur le silence et, progressivement, sur des couleurs à sa
disposition en variant les touchers et la dynamique, lesquelles donnent l’envie
de l’écouter en solo. Le batteur s’insère alors aux balais et le duo évolue
insensiblement avec les larges mouvements des mains sur le clavier et un
toucher exquis vers un regain de tensions, d’énergies, construisant des arcs,
des ponts, une connivence entre leurs percussions respectives, le piano
devenant un tambour multiplié, chromatique, à 88 tons. Un contraste s’établit
entre les frappes et le piano élégiaque dont le débit s’étoffe sans se départir
du feeling de départ. Quand soudain l’échange devient violent après
l’amoncellement des nuages : la tempête, les éléments. C’est un peu une
phase attendue dans ce style de musique, mais c’est excellemment joué, sincère,
subtil comme dans le changement de cap vers la minute 21:00 qui les voit
percuter à contre-courant en décalant les pulsations et éclatant la structure
sous-jacente. Du grand art. C’est donc un superbe duo piano – percussions de
musique libre que je découvre. Si vous cherchez à documenter cette musique improvisée
pour votre écoute et votre édification en relation avec les instruments, ici
piano-batterie, Psychic Armour est un article de premier choix.
the art of the DuO Vario
50 Günter Christmann Elke
Schipper John Butcher Paul Lovens Lenka Zupkova Paul Hubweber Alexander
Frangenheim Joachim Zoepf John Russell Thomas Lehn Torsten Müller Mats
Gustafsson Michael Griener editions explico 22 2017
Vario est un projet de rencontres improvisées, proposé par le
tromboniste et violoncelliste Günter
Christmann et dont ce musicien improvisateur essentiel nous présente dix
sélections parmi les improvisations en DuO qui se sont déroulées à l’occasion
de l’édition n° 50 les 11 et 12 octobre 2014 à Hannover. Günter Christmann
trombone, Elke Schipper voix, John Butcher sax ténor, Paul Lovens percussions,
Lenka Zupkova alto, Paul Hubweber trombone, Alexander Frangenheim contrebasse,
Joachim Zoepf clarinette basse et sax soprano, John Russell guitare, Thomas Lehn
synthetizer, Torsten Müller contrebasse, Mats Gustafsson sax ténor, Michael
Griener percussions. Dix morceaux entre les deux et les 8 minutes.
Certains artistes n’apparaissent qu’une seule fois comme Lovens avec Butcher, Lenka
Zupkova avec Hubweber, Frangenheim avec Zoepf, Elke Schipper avec John Russell ou
Mats Gustafsson et Michael Griener ensemble. Dès le premier morceau, John Butcher et Paul Lovens nous offrent déjà un morceau d'anthologie, sax ténor et percussions. La voix d'Elke Schipper sublime le jeu de John Russell. Retrouvailles de Gunther
Christmann avec son vieil ami Torsten Müller qui fut un de ses collaborateurs
les plus proches avant de s’établir aux USA. Et une belle surprise: les deux trombones de
Christmann et Hubweber, côte à côte. Ce qui compte dans cette sélection est le sens de chaque morceau choisi et pas le style de
chaque individu, ni le nombre de participations de chacun. Les morceaux sont choisis en vue d'illustrer une manière d'improviser, un moment particulier, un instant de grâce. Concision, exemplarité de chaque intervention, goût de l’épure,
moment éphémère, travail sur le son, évitement de la virtuosité, grande qualité
de communication. Les morceaux sont publiés dans l’ordre de la performance
durant l’après-midi du 11 octobre consacré aux seuls duos. Il y a un esprit et un style Günter Christmann et
chaque musicien est en phase avec lui. Le moindre son, le moindre signe sonore a un
sens. Les vvrrp de Thomas Lehn prennent une signification absente
ailleurs. On a peine à reconnaître Mats Gustafsson et on distingue clairement Gunther et
Paul H dans leur chassé-croisé même s'ils font exprès de se rejoindre. Chaque CD’r est numéroté à concurrence de 214 copies et n'est vendu que via Günter Christmann lui-même. Lorsque vous lirez ces lignes, cet album fait à la maison en édition
limitée sera sans doute déjà vendu jusqu’au dernier. Deux tirages photos des
danseuses Regina Baumgart et Fine Kwiatkowski, participantes silencieuses, en
prime. Ai écouté le N°109. Incontournable label et sélection d'improvisations exemplaires !
PS : adressez - moi un message via Facebook et je peux vous expliquer comment obtenir des edition explico !
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