Le label portugais JACC devient de plus en plus
intéressant. Après un très remarquable STAUB
Quartet composé du violoniste Carlos Zingaro, du violoncelliste Miguel Mira, du
contrebassiste Hernani Faustino et de Marcelo
dos Reis, guitariste omniprésent dans nombreux projets avec Theo Ceccaldi,
Carlos Zingaro, Luis Vicente, Onno Govaert, voici Timeless. Créditée
unprepared piano and prepared piano, la française Eve Risser lui donne la répartie. Unprepared and prepared acoustic
guitar lit-on sur la pochette ornée de motifs gravés qui évoquent le passage du
temps dans l’espace. Au moyen des préparations, les deux musiciens transforment
la tessiture de la guitare et du piano leur faisant se rencontrer et s’échanger
leurs hauteurs respectives, les couleurs et les timbres en jouant des cadences
répétitives avec un effet de carillon, de machines insérant un motif mélodique
minimaliste dans un ostinato cristallin. Singulière musique qui se détache
subtilement d’intervalles raccourcis, de cordes bloquées, de doigtés fugaces
enjambant un bruissement ténu. Un affaire de cordes qu’elles soient tirées ou
frappées dans la caisse de résonnance du piano ou sur la touche de la
six-cordes, qui coïncident, résonnent, débordent dans un affairement accéléré.
Il y a une forme de préméditation, mais sur le ton et avec la manière de
l’improvisation radicale, un sens de la forme qui échappe à l’entendement et au
temps mesuré : les titres Sundial, Hourglass,
Water Clock, Timewheel, Chronometer, Pendulum, Balance Spring. Une
vivacité, une énergie, un impact rythmique. Du grand art. Surtout que combiner
créativement guitare et piano dans les musiques radicales peut se révéler assez
ardu.
Des Exoplanets sont ou seraient
des planètes qui pourraient receler la vie qu’on trouve sur la terre et qui se
situent hors de notre système solaire. Chacun des six morceaux enregistrés par
le spécialiste du live signal processing Lawrence Casserley et le saxophoniste
de choc Jeffrey Morgan, aussi clarinettiste « alto » et pianiste, ici au piano sur deux morceaux en concert, portent le nom d’un de ces 35 Exoplanets parmi
les milliards d’étoiles de la Voie Lactée : 42 Dracinis b, 55 Cancri b,
Kepler 186 f etc… Le principe de la rencontre est que Jeffrey Morgan souffle ou
joue du piano en improvisant confronté à la manipulation sonore
électro-acoustique en temps réel de ses propres improvisations par
l’installation très complexe de Lawrence Casserley (logiciels issus de Max-Msp,
un I-Book Apple et trois Ipad dont un ancien protopype très coloré avec
lesquels Lawrence contrôle, transforme et altère les moindres détails des
structures du son comme s’il jouait d’un orgue ou d’un set de percussions. Les
sons extrapolés au départ de la base instrumentale qui alimente l’installation
et le jeu de Casserley peuvent se révéler très éloignés du jeu de l’instrumentiste. Celui improvise
au piano de manière subtile (concert au Loft de Cologne 5/10/2014 , plages 2
& 6) et nous fait découvrir les possibilités sonores et texturales de la
clarinette alto avec le quel son expression est à la fois proche du free jazz
atavique et évoque les musiciens contemporains. Le premier morceau est joué au
sax alto (42 Draconis b), les 3,4 et 5 sont consacrés à cette clarinette alto
dont il fait éclater le timbre de manière mordante, énergique, avec glissandi,
pétages d’harmoniques, grasseyements pas loin de Peter Brötzmann, mais avec une
dose de folklore imaginaire balkanique nettement moins forcée. Son jeu de
pianiste sombre et nuancé a une belle qualité de toucher et va droit au but. On
songe aux pièces de Stockhausen et cie. Le travail de Casserley complète,
entoure, s’écarte, détonne les / des improvisations de Morgan avec un bon goût
rare créant des nuances sonores, des paysages bruissants et une masse
orchestrale d’allure intersidérale d’un type nouveau en constante métamorphose
avec une précision fine au niveau de la dynamique et des intensités. Un travail
sur les nuances du sombre, reflétant l’immensité de la nuit spatiale et les
fréquences émises par les astres. Un dialogue complexe et enchevêtré et dont
l’interaction et les réflexes fonctionnent tout à fait autrement que dans un
duo acoustique. Un album vraiment intéressant qui va plus loin que leur premier
opus Room 2 Room.
Hyvinkää Move : Harri Sjöström Emilio Gordoa Achim
Kaufmann Dag Magnus Narvesen Adam Pultz Melbye 2016 uniSono Records
Move est un quintet sax soprano et sopranino (Harri Sjöström), vibraphone Emilio Gordoa, piano (Achim Kaufmann) batterie (Dag Magnus Narvesen) et contrebasse (Adam Pultz Melbye). Hyvinkää
est une longue improvisation de 39 minutes enregistrée à l’Hyvinkää Art Museum.
Il semble que l’acoustique de l’espace soit assez (trop ?) réverbérante,
obligeant les musiciens à jouer avec une relative retenue en se concentrant sur
les détails sonores. Dag Magnus Narvesen joue du bout des baguettes sur les
peaux amorties avec des objets en frôlant les cymbales permettant d’entendre le
plus clairement possible le piano d’Achim Kaufmann aux sonorités
« classiques contemporaines » et les envolées chaleureuses et pleines
de nuances du saxophoniste, Harri Sjöström qui semble être l’animateur du
groupe. Harri est un maître du soprano dans la lignée de Steve Lacy, avec
lequel il a étudié. Son sens des nuances pour chaque note jouée le distingue
des ténors qui se servent du soprano pour diversifier leur musique. Le
vibraphoniste Emilio Gordoa répand ses légères et fugaces grappes de notes
éthérées autour de celles du pianiste. Celui-ci développe un jeu qui convient
parfaitement avec celui du sax soprano au point où, à cause de la réverbération,
on risque de les confondre. Le contrebassiste soutient et balise les instants,
sursauts, frictions, relances, échappées jusqu’à ce que le saxophoniste
déchiquète le timbre de son soprano étirant et altérant un jeu qu’il a hérité
de Steve Lacy et dont il sait remettre subtilement les paramètres en question
quand le besoin se fait sentir. Cela évoque la grande finesse de Trevor Watts à
l’époque du SME avec John Stevens et les audaces de son camarade aujourd’hui
disparu, Wolfgang Fuchs, avec qui Harri a partagé l’expérience de Nicht Rot Nicht Grun en compagnie de Paul Lovens et du violoniste
alto Karri Koivukoski à la fin des années 80. Contrairement à Move,
ce groupe étonnant n’a jamais été enregistré (mais le site de Harri indique un album
Po Torch de 1988/89 en préparation !!). Malheureusement,
il y a bien longtemps que Paul Lovens a cessé de produire des vinyles sur son
label mythique. Par contre, il existe plusieurs enregistrements de Cecil Taylor
avec Harri Sjöström (Qua et Qua’Yuba C.T. Quartet / Cadence 1092 et
1098, Melancholy, Always a Pleasure, Light of Corona / FMP Records) pas piqués des vers. Et un magnifique duo avec un autre sax soprano, Gianni Mimmo (Bauchhund /Amirani). Pour information,
l’excellent Achim Kaufmann a enregistré avec Michael Moore, Frank Gratkowski,
Mark Dresser, Wilbert De Joode, Thomas Heberer, etc… et Emilio Gordoa a enregistré
avec le guitariste Nicola Hein, Ute Wassermann et Richard Scott. Ce qui me
plaît spécialement dans ce quintet Move, c’est la manière dont les
musiciens jouent ensemble, construisant un jeu collectif cohérent et diversifié
où chacun apporte spontanément sa contribution instantanée en interpénétrant
leurs sons et actions dans le champ sonore. Un beau concert qui se joue des
conditions acoustiques et démontre qu’improviser librement avec cinq musiciens
demande un état d’esprit dans lequel une forme d’auto-discipline dans l’écoute mutuelle
et les interventions est une attitude fondamentale.
Exit to Now Xol
featuring Harri Sjöström & Peter
Brötzmann Guy Bettini Luca Pissavini Francesco Miccolis improvising beings
ib62 CD
Deux quartettes
trompette/bugle – saxophone – contrebasse – percussions pour chacun des deux
CD’s contenus dans le nouvel album du
groupe Xol : Guy Bettini
(Suisse) à la trompette, Luca Pissavini (Italie) à la contrebasse et
Francesco Miccolis (Suisse) aux percussions, un trio
de free free-jazz vif qui joue fréquemment avec un invité. Ici, le saxophoniste
soprano finlandais installé à Berlin, Harri
Sjöström, un maître de l’instrument qui a travaillé avec Cecil Taylor, Paul
Lovens, Gianni Mimmo et Wolfgang Fuchs se joint à Xol le 4 juin 2016 à Sowieso à
Berlin (CD 1) et le légendaire et fracassant Peter
Brötzmann, véritable locomotive de la scène free européenne depuis les
années ’60 entraîne le groupe dans un vrai délire le 19 juin 2015 dans le même
lieu (CD 2). Le quartet avec Sjöström évolue avec un bel équilibre : par dessus
la percussion ludique et virevoltante et le drive puissant (archet ou pizz) du
bassiste, les deux souffleurs coordonnent spontanément leurs élans et accordent
leur lyrisme. La trompettiste travaille la pâte sonore et fait chevaucher
articulations et coups de lèvres et de langue avec une belle énergie. Le
saxophoniste est un très solide client alliant un lyrisme lumineux avec un
choix d’intervalles peu usités et des colorations détaillées sur les notes dignes
d’un des meilleurs élèves de Steve Lacy qu’il a été. Cela donne jeu immédiatement reconnaissable et distinctif. Harri Sjöström a travaillé
intensivement avec Cecil Taylor, remplaçant en quelque sorte Jimmy Lyons dans
les CT Unit et Ensemble New Yorkais et aussi avec le CT European Quintet avec Lovens, Honsinger et Teppo Hauta-Aho. Il a un
style personnel remarquable et complète admirablement les extemporisations éperdues de Xol (öxö
19 :46 et xöx 29 :23). Le batteur joue à la limite de ses moyens, mais
le fait avec conviction, énergie, efficacité et un sens du son du groupe. Son
drive infatigable propulse les frictions intenses de la colonne d’air de
Sjöström qui montent inexorablement dans
l’aigu et auxquelles répondent le jeu convulsif du trompettiste. Cinq morceaux
pour le quartet avec Brötzmann qui valent leur pesant de choucroute arrosé de
Chimay (bière préférée de PB lorsqu’il performait en Belgique avec Van Hove et
Bennink dans ma jeunesse). Si le CD 1 Xol Harri Sjöström est enregistré avec clarté
en respectant une dynamique raisonnable (j’ai parlé d’équilibre plus haut), le
CD 2 Xol Peter Brötzmann démarre sur des chapeaux de roue en fortissimo et le
son en est carrément saturé en raison du volume et de la violence. Le batteur se déchaîne,
ensevelissant le contrebassiste sous les décombres et poussant / entraîné par
le souffleur. Pugnace, véhément, expressionniste, Peter Brötzmann expulse l’air
de ses poumons dans des barissements sans équivoques. La colonne d’air est
pressurisée par le souffle dément, mordant, abrasif. Le batteur se prend un
solo avant que le thème primal imaginé pour la circonstance ne soit projeté
dans le public sans ménagement. Brötzm asperge le public de son cri démentiel
comme Karel Appel lançait ses poignées de peinture sur la toile. Guy Bettini
doit se sentir un peu mis de côté mais réagit par des contrechants désespérés
qui surnagent dans la foire d’empoigne. Le batteur est survolté, mais il frappe soigneusement dans les aigus
sur les bords de la caisse et sur les peaux amorties avec des roulements
efficaces alors que le bassiste frappe la touche à plaine main et ses doigts
courent près du chevalet. Mais le ténor peut laisser flotter une mélopée de
deux notes et demie soutenu par l’archet en étirant et grossissant le trait
progressivement. Peter Brötzmann est
resté fidèle à lui-même et s’accommode de ses compagnons d’un soir du moment
qu’ils ne rechignent pas sur la besogne. Bien sûr, la balance n’est pas claire,
mais tout se joue dans l’instant, l’énergie et ce lyrisme qui survient en
rythme libre, deux notes pour l’essentiel. L’intensité se relâche pour une
minute et c’est reparti. Le jeu du batteur finit par imiter avec bonheur et
faire corps avec la rafale déferlante du souffleur de Wuppertal. Le morceau
n°3, loxol, commence par un solo très
habité de Pissavini et Brötzm enchaîne à la clarinette rustique alternant
mélancolie et raucité. Le souffleur donne l’impression de s’imposer et
d’écouter d’une oreille, mais sa présence gargantuesque pousse ses partenaires
à se surpasser. On a droit d’ailleurs dan ce morceau n°3, à un Guy Bettini plus
inspiré, jouant l’essentiel. C’est surtout au concert qu’il faudrait assister
plutôt que de suivre le disque. Si vous n’avez pas de Brötzmann sous la main,
celui-ci fera l’affaire, car PB y est particulièrement endiablé, Francesco
Miccolis donnant toute sa mesure. Et vous aurez Sjöström en prime. Improvising
beings a encore frappé juste.
Une longue improvisation en
duo piano/percussions parue sur le label Amirani du saxophoniste Gianni Mimmo.
Le pianiste Gianni Lenoci travaille
régulièrement avec Mimmo en duo ou en groupe, les Reciprocal Uncles, pour
lesquels un remarquable cd a été gravé en 2010 sous cette dénomination (Amirani
AMRN022). Avec le batteur Francesco Cusa,
on entend aussi Lenoci au piano préparé et pour finir discrètement à la wooden flute. La musique du duo est tendue
par les groove secs installés par le batteur et autour des quels le pianiste
improvise avec un toucher et une classe impressionnantes. On trouve chez lui
bon nombre des qualités pianistiques qu’on apprécie chez Agusti Fernandez, Georg
Graewe, voire Fred Van Hove. Une belle logique et un sens réel de
l’improvisation. La trajectoire du duo traverse des domaines variés proches
d’une démarche contemporaine et se rapproche d’un jazz d’avant garde puissant
basé sur des tempi autour duquel les deux improvisateurs tournent adroitement
durant une belle séquence. Francesco Cusa
est avant tout un batteur de jazz à
risques qui ne craint pas l’aventure. J’avais beaucoup apprécié un trio
roboratif avec l’inoubliable saxophoniste alto sicilien Gianni Gebbia où Cusa
était absolument à son avantage. Donc, dans cet album, la musique est remarquable, le
pianiste brillant et lumineux avec un savoir faire haut de gamme et le batteur
tout à fait à la hauteur. Sachant très bien qu’il ne faut pas attendre des
choses très audacieuses, question « liberté »,
de la part de Francesco Cusa parce que sa pratique est orientée vers la
rythmique, je ne vais pas me plaindre. Mais j’aurais préféré une orientation
plus chercheuse ou exploratoire au niveau des paramètres sonores et percussifs,
des formes et des échanges. On pense à Roger Turner qui vient (enfin !)
d’enregistrer avec Fred Van Hove, Martin Blume, Mark Sanders, Paul Lovens ou
Marcello Magliocchi, lui aussi de Monopoli comme le pianiste. Cela dit cette
musique fera le bonheur de ceux pour qui cette orientation correspond à leurs
attentes, car elle est magnifiquement jouée.
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