JeJaWeDa
pioneer works vol.1 Jeb Bishop Jaap Blonk Weasel Walter Damon Smith Balance Point Acoustics BPA 19.
J’avais chroniqué récemment un album où
figure le batteur Weasel Walter et j’avais exprimé quelques réserves (Poisonous
avec Peter Evans) tenant sans doute à la manière dont l’album avaient été produit.
En voici un qui fonctionne à plein et en très bonne compagnie, un équipage à la
fois inattendu et détonnant. Jeb Bishop au trombone, compagnon d’aventures
de Ken Vandermark, le vocaliste Jaap Blonk, un artiste unique en son
genre, l’ entraînant Weasel Walter à la batterie et le contrebassiste Damon
Smith, un incontournable activiste de la scène U.S. Si on voulait
rapprocher vaguement le travail de Jaap Blonk à celui de Phil Minton, on
pourrait dresser une comparaison ou un parallèle avec le quartet Four Walls où Veryan
Weston, Luc Ex et Michael Vatcher secondaient intelligemment le chanteur vocaliste
improvisateur britannique. Fort heureusement, ces deux artistes de la voix
humaine n’ont rien d’autre en commun que les capacités vocales et expressives hors
du commun (aussi dissemblables que possible), l’audace, la sincérité, et une
profonde originalité. Récemment encore, j’ai eu l’occasion d’écouter et de
commenter deux projets phonographiques fascinants et similaires dans lesquels Minton
et Blonk explosaient avec un groupe formés des mêmes musiciens sous la houlette du pianiste Simon Nabatov :
Readings Red Cavalry et Readings Gileya Revisited avec Gerry
Hemingway, Marcus Schmickler et Frank Gratkowski parus chez Leo Records et
totalement recommandables. JeJaWeDa et leurs travaux pionniers volume
one (il y a un vol.2 mais j’ai réalisé trop tard son existence avant de
passer commande), cadre et met magnifiquement en valeur le travail de poète
sonore – chanteur de Jaap Blonk, lequel est agrémenté par les sons électroniques
discrets de Bishop et de Blonk lui-même. Jeb Bishop et son trombone en est à la fois
l’aiguillon mélodique et l’écho des sons incroyables du vocaliste – éructations,
configurations timbrales inouïes, égosillements expressionnistes, langages
imaginaires, gargouillements bourrés d’harmoniques, de jodels, travestissements
outrageux de la voix... Damon Smith est le pivot imperturbable de l’équipée
alternant plusieurs modes de jeu tant magistral à l’archet ou avec son drive tout en puissance, relançant ou contenant les débordements du percussionniste Weasel
Walter, un sacré tempérament. Trois morceaux de 8:25 (Warmup),
29:56 (Workout) et 8:07 (Cooldown) se déroulent à
vive allure bien que les quatre musiciens prennent leur temps pour jouer, échanger
et nous dire bien des choses importantes, voire capitales : lorsque le CD
s’arrête dans le lecteur, on est très agréablement surpris que les quarante-six
minutes de musique se sont achevées aussi vite, sans qu’une seule fois l’impatience,
l’inattention ou l’agacement n’aient pointé une seule fois le bout de l’oreille.
Jeb Bishop improvise ici magistralement et les interventions électroniques évoquent,
relaient et prolongent le surprenant travail vocal de Blonk. Certaines
interventions fugaces et agressives de Walter sur métaux, woodblocks et peaux font
l’effet d’un running gag délirant, en accentuant efficacement les contrastes de
ce call and response insensé. Une musique fascinante avec une infinité de séquences
réussies et d’instantanés miraculeux dont la succession suggère un film d’action
troisième degré aussi caricatural que hautement comico-dramatique.
Ways for
Orchestra Phil Minton Veryan Weston Angelica IDA036
Ways désigne le duo voix/chant – piano de Phil Minton et Veryan Weston
au fil des ans et dont un des albums avait été publié voici
une quinzaine d’années par Angelica :
…Past (IDA 018). Cet album fait suite à Ways (ITM 1987), Ways Past (ITM1992) et coïncide
avec Ways Out East, Ways Out West (Intakt 2002 publié en 2005). Le repertoire de Ways consiste en
chansons et textes poétiques embrassant un large champ stylistique et puisant
autant dans des traditions de chansons populaires, révolutionnaires, syndicales,
ou classiques que dans la riche imagination des deux protagonistes. Le style pointu et classieux du pianiste
Veryan Weston rencontre (enrichit/ soulève/ magnifie) la voix caractéristique
et irrésistible, aussi british qu’universelle de Phil Minton. Cet album Ways
for Orchestra, une commande du festival Angelica, Festival
Internazionale di Musica 2017 s’affirme comme le point d’orgue de leur duo
Ways en symbiose avec l’Orchestra del Teatro Communale di Bologna,
dirigé par Tonino Battista. On découvre une suite de pièces
remarquablement orchestrées retraçant leurs pérégrinations de
festivals en clubs de par le monde, de projets en projets durant une trentaine de
saisons. Morceaux et textes sélectionnés et mis en musique par Veryan et Phil
mais aussi le 245 d’Eric Dolphy, Elvis Presley, Leiber Stoller, E.E. Cummings, Ho Chi Minh, Paul
Haines, James Joyce, Art Sullivan, Au Suivant de Jacques Brel, The Cutty Wren, un
chant de lutte paysanne du Moyen-Âge, un hymne anarchiste, une composition de
Lindsay Cooper etc… le tout non dénué d’humour et orchestré par les deux compères.
L’orchestre comprend des cordes, hautbois, flûte et percussions. Comme toujours,
la voix de Phil Minton exprime l’ineffable, ni vraiment classique, ni tout à
fait gouailleuse, et navigue entre les bas-fonds de Bristol et un opéra
imaginaire. La communion entre, d’une part, les intentions et les compositions /
arrangements du tandem Minton - Weston et, d'autre part, le travail remarquable de l’orchestre del
Teatro Communale di Bologna est vraiment réussie et fait sens dans le contexte de
leur projet Ways… Ways Past … Past dont Ways For An Orchestra couronne le
cheminement après trois décennies. L’enregistrement reprend l’entièreté du
concert au Teatro San Leonardo, haut - lieu de rencontres décloisonnantes, entre
musique contemporaine expérimentale, jazz d’avant-garde et musiques improvisées
dont le label Angelica est un reflet très fidèle. Il suffit d’en
consulter le catalogue. Vraiment recommandable.
Angels on
the Edge of Time Lindsay Cooper Fred Frith Gianni Gebbia Lars Hollmer Angelica IDA 031
Enregistrement d’un concert de 1992 à Bologne
d’un groupe rassemblant trois musiciens de la galaxie post Henry Cow et un
saxophoniste sicilien qui allait se révéler être (selon mon opinion) un artiste
incontournable, Gianni Gebbia. Aujourd’hui disparus, la compositrice Lindsay Cooper, excellente saxophoniste et bassoniste et l’accordéoniste Lars Hollmer furent durant leur
carrière de proches collaborateurs du légendaire guitariste Fred Frith au sein
d’ensembles et de collaborations entre musiques improvisées et « musiques
de traverses ». D’excellents moments faits d’intimités partagées, de
subtilités sonores, de connivences secrètes, réminiscences d’un folklore imaginaire
et bien réel, font de cette suite de six compositions instantanées (entre cinq
et huit minutes, voire trois pour la plus courte), une sorte de rêve éveillé. On
oublie qui joue de quoi pour se laisser emporter par ces magnifiques
tapisseries sonores (et parfois vocales), patchworks de timbres, d’effets, de
rythmes, d’interjections qui s’interpénètrent et s’échappent sans qu’on puisse
les appréhender. La variété des sons et au travers de l’instrumentation fascine :
la coexistence de quatre personnalités bien affirmées qui se combinent à
merveille sans devoir se forcer à trouver un dénominateur commun identifiable. Une
affaire de sensibilités plus que de théories de l’improvisation. Peut-être pas
à l’avant-garde de l’improvisation pointue et de la recherche sonore selon
certains, mais complètement en phase avec la recherche de sens et la mise en
commun de leurs moyens musicaux pour le bonheur des auditeurs de cette réunion
d’un soir, ultime retrouvaille de Lindsay Cooper avec Fred Frith. Son lucide
commentaire publié sur la pochette en explique les circonstances et témoigne de
leur amour de la musique collective.
Spirit in
Spirit Live at Zaal 100 José Lencastre Raoul Van der Weide Onno Govaert FMRCD547-0719
Zaal 100 est un lieu incontournable de la
scène amstellodamoise et ce concert enregistré est bien digne de tous les
efforts qui ont été faits dans ce lieu pour présenter les musiques improvisées
et le jazz d’avant-garde « collectif ». Formule instrumentale archétype
du free-jazz, le trio sax alto (José Lencastre), contrebasse (Raoul Van der Weide),
batterie (Onno Govaert) est ici envisagé de manière ludique, chercheuse et empreint
d’un lyrisme issu du jazz free. Quand Van der Weide décroche de la trajectoire de
bassiste de soutien en collusion avec le drive batteur, il malmène ses cordes
sur la touche, arrachant les sons à grand renforts d’archet, explosif, abrasif
et secouant le trio comme un cocotier alors que José Lencastre pépie, déchiquète
le timbre de l’instrument pour ensuite se mouvoir comme une serpent dans l’espace
sonore. Quand il ne pousse pas les deux autres de manière continue, Onno
Govaert s’octroie des rafales sur la caisse claire un peu borderline, voire agressives.
Chaque improvisation a un caractère particulier, un mode de fonctionnement distinctif
du précédent, une autre facette de leur mise en commun les musiciens faisant en
sorte de captiver l’attention des auditeurs jusqu’au bout. Une belle entente
avec une mention particulière pour le contrebassiste Raoul Vanderweide, un musicien-clé
de la scène librement improvisée hollandaise.
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