9 octobre 2024

Annick Nozati & Daunik Lazro duo et en quartet w.Paul Lovens & Fred Van Hove / Music for Trumpets Bass Clarinets & Saxophones John Cage Gérard Grisey Giacinto Scelsi, Thanos Chrysakis, Julie Kjaer, Tim Hodgkinson/ GUSH Mats Gustafsson Ray Strid Sten Sandell with Sofia Jernberg, Anders Nyqvist Philipp Wachsmann Christine Albelnour Pete Soderberg Jörgen Adolfsson Sven Åke Johansson.

Sept Fables sur l’Invisible Annick Nozati – Daunik Lazro Mazeto Square Concert enregistré au Festival Musique Action 1994.
Voir références ici à la BNF : https://nouveautes-editeurs.bnf.fr/accueil?id_declaration=10000001039483&titre_livre=Sept_fables_sur_l%27invisible

De la part d’Annick Nozati, cette performance en duo avec le saxophoniste Daunik Lazro révèle sa facette la plus intimiste, la plus « vocale » ou éventuellement plus introvertie par rapport au disque suivant (cfr ci - dessous Résumé of A Century/ FOU) où elle s’imposait avec un urgent expressionnisme à ses collègues (Résumé of a Century avec Daunik Lazro Paul Lovens Annick Nozati Fred Van Hove). Dans ces Sept Fables, sa voix et ses extrêmes sont de toute beauté, quelques soient les registres qu’elle incarne et vivifie avec son extraordinaire inspiration et son talent unique. Pour que sa musique et son chant se hissent autant que sa voix monte dans les aigus, il lui faut la compagnie d’un frère en musique aussi intensément impliqué, aussi sincère, aussi profond que Daunik Lazro. Celui-ci fait vibrer, éclater et transcender les colonnes d’air de ses deux saxophones, le son tranchant du sax alto au son brûlant et le grave baryton qui éructe et gronde. La voix d’Annick Nozati exprime ici une plénitude, un sens poétique universel en intériorisant la puissance de sa vocalité dans une constante métamorphose. Une complémentarité évidente surgit dès le premier morceau entre les harmoniques hachurées et brûlantes du saxophoniste et les tressautements raffinés de la voix de chanteuse – devin. S’élancent des glissandi sensuels ou notes soutenues et ondulantes dans les graves qui sous-tendent une mélodie qui s’érode ou renaît. Nous avons droit à toutes ses occurrences : filet de voix, prière …murmures, chant puissant, complainte, gargouillis, éclats, rage, intériorité retenue ou colère expressionniste. Daunik entame une trame lyrique bourdonnante au sax baryton autour de quelques notes qui s’élancent suspendues ou grondent granuleuses. Son jeu peut éclater de mille scories incendiaires contorsionnant la colonne d’air et la sonorité éclatante de son sax alto, registre « non-idiomatique". Leur connivence revêt de multiples formes, merveilleux cas de figure ouvrant constamment de nouvelles perspectives qui enrichissent par magie leur superbe communion émotionnelle et sonore. Les Sept Fables se succèdent, s’enchâssent, s’étendent dans une plasticité inouïe et une densité musicale la plus intense. Les 48 minutes se déroulent en transcendant la perception du temps, vécu comme si c’était un instant d’exception et une durée intangible. Le free français a accouché d’un concept dans le sillage des Workshop de Lyon et du Marvelous Band : le « folklore imaginaire ». En voici, la plus belle manifestation à l’écart des logiques musicologiques / esthétiques déterministes et déterminantes. Une liberté insolente, grave, unique… Sa performance, taillée d’une seule pièce, est intimement poétique avec un aspect théâtral qui vient à la fois de sa réflexion et de ses tripes et d'où un ou deux textes affleurent naturellement ...ou quand son délire explose. Daunik Lazro maintient l’inspiration avec une empathie sans faille au service de ce narratif spontané avec la fraîcheur des sources les plus pures les plus vivifiantes. Il faut souligner la capacité des deux artistes de prendre des respirations et des silences qui apportent une manère majestueuse, quasi hiératique dans le cheminement de ce concert. Un sentiment profond d'infini et de plénitude... J’ai écouté plusieurs de ses consœurs, chanteuses improvisatrices de haut vol parmi les plus inspirées (Maggie, Julie, Ute, Tamia, Isabelle, Jeanne, Sainkho, Iva) aussi inventives, touchantes ou bouleversantes les unes que les autres : je ressens ici que c’est le moment de grâce ultime immortalisé par un seul enregistrement. Voix - saxophone ... Fabuleux ...

Résumé of a Century Daunik Lazro Paul Lovens Annick Nozati Fred Van Hove FOU Records FR – CD 65
https://www.fourecords.com/FR-CD65.htm

Fou a encore frappé. Jean- Marc Foussat a tellement proposé ses services bénévolement pour collecter toutes ces musiques improvisées libres dans ses moments les plus éclatés, déroutants et submergés d’émotions que sa litanie devient infinie ! Résumé of A Century (in Memoriam Annick et Fred). Les musiciens : le parcours du pianiste anversois Fred Van Hove est tellement particulier (et finalement peu connu des cognoscenti) qu’il semble être, à mon avis, un symbole d’ouverture, une qualité intrinsèque à ce « genre de pratique musicale. Vers le milieu des années 80, il entame une riche collaboration avec Annick Nozati, chanteuse actrice « habitée » et force de la nature aussi improbable pour un tel « intellectuel » du piano, instrument dont il maîtrise toutes les couleurs possibles au-delà de l’entendement humain. Si Fred nous a quitté au crépuscule d’une vie intensément remplie, Annick Nozati, une personnalité peu commune nous a quitté trop tôt. Elle incarnait la violence des sentiments les plus entiers, une furie délirante capable de crier et de moduler sa voix de manière irrépressible, une vraie révolutionnaire au plus profond d’elle-même. Il y eut au plus fort de l’explosion improvisée libre, une sororité de vocalistes aussi audacieuses et créatives les unes que les autres (Julie, Maggie, Jeanne Lee, Dorothea, Tamia, Ute bien plus tard), mais elle était la plus furieuse, la plus improbable, la plus déraisonnable, la plus intensément populaire, la plus dingue, la « folie » scénique étant une qualité incontournable dans ce milieu des improvisateurs , dixint Van Hove et cie. Et cette capacité à murmurer, à mordre, à éructer ou incarner un rapide instant de grandiloquence ou un filet de voix – mélopée suspendue dans l’espace... Alors quand vous avez un Daunik Lazro et son sax alto halluciné , son baryton bourdonnant en boucles et son écoute attentive l’extraordinaire lutin des percussions libérées qu’était Paul Lovens, vous pouviez être certain que vous alliez être transporté dans un autre monde. Deux longues improvisations centrées sur la chanteuse (on lui doit bien ça) : Facing the Facts 29:57 et Consequences 20:58 avec des séquences à l’accordéon de Fred pour fluidifier le flux et ouvrir les débats. On est en 1999 comme pour clôturer le siècle qui vit se développer cette utopie musicale. Impossible de définir cette musique en constante mutation faite de riens, d’idées lumineuses, de moments d’attente et d’écoute, d’embardées, de cris et de méditations. La baryton mordant et borborygmique de Daunik, la scie musicale sifflante de Paul, la voix irréelle d’Annick au bord du silence ou ses appels répétés, ses chamailleries exacerbées…les perles de Fred… tous ces échanges. Les cataclysmes retenus et contrôlés aux percussions… Des portions inespérées de recherches, de trouvailles, de métamorphoses qui se concrétisent en se concentrant dans la deuxième partie, assez étonnante où le groupe fait corps l’une et l’un à l’autre et tous ensemble de manière joyeusement ou dramatiquement anarchique. Merci, Jean-Marc d’avoir exhumé ces instants essentiels qui échappent à l’échelle des valeurs esthétiques parce qu’ils incarnent le sens de la vraie vie.

Music for Trumpets Bass Clarinets & Saxophones John Cage Gérard Grisey Giacinto Scelsi, Thanos Chrysakis, Julie Kjaer, Tim Hodgkinson Aural Terrains TRRN 1854.
Five : John Cage – Anubis : Gérard Grisey – Doe of Stars : Thanos Chrysakis – Maknongen : Giacinto Scelsi – Theatrum Mundi : Thanos Chrysakis – Grain : Julie Kjaer – Spelaion : Tim Hodgkinson.
https://www.auralterrains.com/releases/54

Thanos Chrysakis poursuit, imperturbable, son grand œuvre d’éditeur, concepteur et compositeur à la base de projets « musique contemporaine » de haut niveau impliquant instrumentistes et compositeurs spécialisés dans cette musique et des improvisateurs libres. Parmi ces derniers, Music for Trumpets Bass Clarinets & Saxophones rassemblent Tim Hodgkinson, Julie Kjaer Yoni Silver, Chris Cundy. Son parcours discographique est focalisé essentiellement sur des instruments de souffle : clarinettes (basses et contrebasses bien souvent, saxophones, tubas, trombones etc…, recrutés en Grande Bretagne. Sept compositions signées par Thanos lui-même (deux), les incontournables John Cage, Gérard Grisey, et Giacinto Scelsi et les outsiders Jule Kjaer et Tim Hodgkinson. Sans jeter un seul coup d’œil, cette fois, aux indications de pochette, j’ai laissé tourner le compact en me plongeant dans l’écoute sans chercher à savoir qui et quoi j’entendais pour me laisser emporter par les sons, les strates, unissons, voix parallèles, oscillations, crescendos, détails et vue d’ensemble, comme si je contemplais un paysage. Cette musique parle autant sans qu’on doive comparer le travail de chaque compositeur car cette musique est habitée et vécue par des musiciens qui lui insufflent une rare dimension intérieure. On sonde la profondeur, le mouvement, les textures, le débit, les strates, les bourdonnements, les techniques alternatives éventuelles, la beauté, la clarinette contrebasse solitaire, … Un goût pour le spectralisme est une constante dans les productions de Chrysakis. Cet enregistrement, son déroulement quasi scénographique, les trouvailles musicales, les sonorités, la fluidité, les idées, la richesse des différentes propositions devient un merveilleux voyage, surprenant dans une autre réalité par rapport à celle de la musique improvisée libre à laquelle mon travail d’écriture se rattache. J’ai donc éprouvé un vrai plaisir à parcourir ce nouvel album confectionné avec soin par le compositeur Grec Thanos Chrysakis, établi à Brest en Biélorussie, et duquel je ne rate aucune des parutions chez Aural Terrains, car elles incarnent valablement un démarche complémentaire à l’objet de mon blog.

Gush 30 Krakòw 2018 Not Two Records 3CD Mats Gustafson Sten Sandell & Ray Strid avec Sofia Jernberg, Anders Nyqvist Philipp Wachsmann Christine Albelnour Pete Soderberg Jörgen Adolfson Sven Åke Johansson.
https://www.nottwo.com/mw1020

Avec son premier CD Gush From Things to Gush et sa première longue tournée européenne, ce trio séminal Suédois s’est fait connaître dans les milieux de la scène improvisée européenne. Très vite , le saxophoniste Mats Gustafson, le pianiste Sten Sandell et le percussionniste Raymond Strid collaborent avec Paul Lovens, Barry Guy, Phil Wachsmann, Günter Christmann, Sven Åke Johansson, Marylin Crispell avec qui individuellement ou collectivement ils enregistrent des albums très vite remarqués qui deviennent cultes auprès des auditeurs « branchés » de la génération précédente. Nothing To Read : duo Mats Gustafsson - Paul Lovens en 1991, GushWachs augmenté de Wachsmann, Dogs Eating Trees : Gustafsson avec Lovens et Barry Guy ou You Forget To Answer MG et Strid avec Guy etc… Quelques années plus tard, Mats Gustafsson initie d’intenses collaborations avec Peter Brötzmann, Ken Vandermark, Jim O Rourke etc… et devient le « jeune » saxophoniste le plus en vue – tête d’affiche de la scène internationale avec son extraordinaire expressionnisme explosif sonore, sa stature de quasi rock star, mais aussi subtilement chercheur… entraînant avec lui d’autres musiciens comme le batteur Pale Nilsson Love ou le bassiste Ingebrigt Håker Flaten. J’ai toujours trouvé que Gush est le groupe fétiche qui aurait alors dû se profiler plus avant dans les tournées pour la simple raison du potentiel de contrastes, de dynamiques et d’imaginaires alimentées par la spécificité de leurs différences, de leurs personnalités. Un souffleur délirant, sax baryton puissant et explosif, les shrapnels fragmentés au sax soprano joué avec une embouchure de flûte et la vocalité vorace et agressive au sax ténor, la physicalité et l’énergie affolante de ses performances scéniques : Mats G. Un pianiste de haute volée aux doigtés sophistiqués, une connaissance approfondie et vivante de la musique « sérieuse » utilisée comme un atout diversificateur de la démarche pianistique avant-gardiste et une puissance détonante voisine des Irene S.. et Fred Van Hove. Ces deux pôles s’attirent et se repoussent et leur présence active simultanées mettent en valeur les outrances de l’un et la magnificence de l’autre. Le batteur Raymond Strid est un percussionniste pointilliste voisin des Tony Oxley et Roger Turner – Paul Lovens jouant avec ses accessoires de manière subtilement visuelle et subversive sans jamais surjouer mais avec cette violence intériorisée et cette légèreté qui catapulte les deux autres larrons dans une épique et virulente foire d’empoigne. Cette formule en trio est voisine des légendaires trios Brötzmann Van Hove Bennink des années 69-76 et von Schlippenbach avec Evan Parker et Paul Lovens ou encore le trio d’Irene Schweizer Rudiger Carl et Louis Moholo. C’est l’enfance de l’ art ! Au fil des inombrables parutions Gustafsoniennes , j’ai décroché (question budget aussi) surtout face à la croissance des catalogues Emanem, Maya, Creative Sources, Rastascan, NurNichtNur etc… Donc, ce retour aux sources trentième anniversaire est bienvenu, surtout avec la présence de la chanteuse Sofia Jernberg, du trompettiste Anders Nyqvist dans le CD 1, du violoniste légendaire Phil Wachsmann et de la saxophoniste libanaise Christine Abdelnour au CD2 et la grand-messe pataphysique en compagnie du grand Sven Åke Johansson à la voix avec le luthiste Peter Söderberg et du saxophoniste Jörgen Adolfson. Dans ces rencontres se tapit une belle diversité et aussi la mesure de ce que nous avons manqué durant au moins deux décennies entre les parutions des Live at The Fäsching, Tampere, Norrköping, etc… Un bon document sur un groupe vital qui n’hésite pas à se remettre en question et prendre quelques risques.

2 commentaires:

  1. Émotion garantie à te lire, cher Jean-Michel. Quel texte de haute volée. Grazie mille & mille.

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    1. J'ai ajouté quelques mots à propos de la respiration et des instants de silence expressifs et ressentis qui jalonnent ce concert extraordinaire ...

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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......