Other Worlds Maggie Nicols Peter Urpeth
FMRCD436-0217
Un vrai
bonheur ! La voix de Maggie Nicols
a toujours illuminé la scène de la musique improvisée européenne depuis ses
débuts au sein du Spontaneous Music Ensemble en …. 1968. Pour les artistes
britanniques et autres qui la connaissent bien, Maggie tient une place centrale
dans le mouvement de ces musiques (comme AMM, Evan Parker, Han Bennink, John
Stevens, etc…). Depuis toujours, elle rayonne avec la force de sa voix, qu’elle
sussure ou chante à gorge déployée, écartelant les intervalles (Schönberg,
Webern), sa démarche étant tributaire de plusieurs traditions récentes (jazz-
sprechgesange) ou ancestrales (pygmées, chant indien ou
« folklorique ») sublimées. La magie de M.N. vient que son chant
unifie toutes les sources musicales qui l’ont marquées au plus profond de son
âme. Maggie Nicols est incomparable, aussi spontanée que réfléchie. Joëlle
Léandre tient un discours à propos des femmes musiciennes qui n’obtiennent pas
le même niveau de reconnaissance que les mâles. C’est vrai qu’il y a plus
d’héros que d’héroïnes dans cette musique, mais s’il y en a une que je
n’oublierai jamais, c’est bien Maggie
Nicols. Elle trouve en Peter Urpeth,
un partenaire pianiste précis et subtil qui met parfaitement en valeur cette
voix sublime. Et c’est tellement beau et intense que son jeu en devient
magnifié. Les 28 minutes de ces Other
Worlds (Track 1 & Track 2) paraîtront trop courtes pour le contenu
d’un compact, un peu au-delà d’une face de vinyle, mais elles sont absolument
essentielles.
Clarinet Trio plus Alexey
Kruglov Live in Moscow Jürgen Kupke
Gebhard Ullmann Michael Thieke Alexey
Kruglov Leo Records LR CD 781.
Un
magnifique Trio de Clarinettes qui
n’en est pas à son premier coup d’essai, rejoint à mi-concert par l’excellent
saxophoniste Moscovite Alexey Kruglov, autre personnalité phare de Leo Records.
Gebhard Ullmann est le compositeur
des pièces ingénieuses fort bien balancées qui mettent en valeur et donnent
tout l’espace aux trois clarinettistes : Jürgen Kupke clarinette en mi-bémol, Michael Thieke clarinette mi-bémol et clarinette alto et Ulmann lui-même à la clarinette basse.
Je rappelle qu’Ullman est un des grands souffleurs allemands, à la fois
saxophoniste et clarinettiste, au niveau des Gerd Dudek, Rudi Mahall,
Ernst-Ludwig Petrowsky ou Thomas Borgmann et, comme eux, solidement ancré dans
le jazz et ouvert vers l’improvisation totale et la musique créative
« solide ». Il a longtemps tourné et enregistré en quartet avec Barry
Altschul, Steve Swell et Hilliard Greene. Thieke et Kupke sont de magnifiques
solistes et improvisateurs et tous les trois
se complètent à merveille dans la musique du Clarinet Trio, à la fois
lumineuse, lyrique, recherchée, emportée par instants et toujours équilibrées. C’est
donc un groupe de jazz libre sans batterie ni contrebasse aussi efficace que
tourné vers la musique contemporaine.
Alexey Kruglov se joint à eux pour
une improvisation collective et les trois morceaux finaux en crescendo. Les Voix Animales du compositeur Hermann
Keller (*)sont un prélude à un beau morceau de résistance intitulé News ? No News ! suggérant
qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, sauf le vrai plaisir de la musique
vivante. De la musique honnête, humaine et intelligente.
* Hermann
Keller (1885-1967) est un compositeur allemand d’avant garde particulièrement
anti conformiste et ouvert sur le « sonore » surtout pour quelqu’un
de sa génération.
subterfuge The
Procrustean Bed : Liz Allbee Richard Scott kriton b.
The
Procrustean Bed Concert Series Recordings #01
Encore un
très bon groupe dans lequel excellent les modular synthetizers de Richard Scott. La trompette de Liz Allbee (USA) et le curieux
harmonium de kriton b. crée un
équilibre instable et un réelle dynamique avec les pulsations – beats décalés
qui percolent de l’étrange instrument aux innombrables fiches et câbles
colorés que Richard Scott dénomme
modular synthetizer. C’est en fait une version presque préhistorique
(pré-digitale) du synthé actionné avec un clavier : ici ce sont les switch
et les connections câblées qui déterminent les hauteurs de sons et les
modifications d’intensité, de vitesse, de glissement de notes et de timbres. Il
a un talent consommé pour déplacer les accents des rythmes une minime fraction
de seconde « à côté ». Richard
Scott loue de son synthé modulaire comme d’un instrument acoustique en
synergie avec ses partenaires avec beaucoup de subtilité. Une belle interaction
se développe dans les actions croisées des trois musiciens. L’harmonium,
instrument à vent et à claviers est traité comme une boîte sonore sommaire,
touches pressées, secouées, les anches grinçant, couinant, froissant les
timbres carrément éjectés de l’engin. Liz
Allbee se détermine dans les extrêmes de la trompette en vocalisant et
étirant les sons. Trois improvisations collectives bien menées de 27 :40,
15 :53 et 12 :19 enregistrées à Berlin le 7-1-2016. Improvisation
libre de haut niveau et combinaison instrumentale atypique assumée du début à
la fin.
Meet The Dragon
Sharif Sehnaoui – Adam Golebiewski
UZNAM 1
Derek Bailey
appelait cela de l’improvisation
non-idiomatique. Il voulait sans doute dire que l’improvisation libre
assumée pleinement comme le démontrent sans conteste Sharif Sehnaoui, ici à la guitare acoustique, et Adam Golebiewski, le nouvel enfant
terrible de la percussion « impro-libre » européenne, ne se justifie
que pour découvrir de nouveaux territoires sonores, musicaux, renouveler sa
pratique et nous étonner. On ne saurait vraiment dire quels sons sont produits
par le guitariste ou le percussionniste. Frottements, grattages, grincements,
bruissements, frappes sourdes, battements, archets sur les cordes et la surface
des percussions. On plonge dans un univers où les codes musicaux issus du
contemporain, du free-jazz, ou de l’interaction improvisée sont transgressés,
oubliés. Activité sonore par le geste, musique revtournée à l’état de nature,
ensauvagement du jeu instrumental, élémentaire, primal, sensible. L’action des
gestes est prépondérante : un battement continu aux variations infimes et
infinies propage des ondes dans les corps vibrants de la caisse de résonance
(guitare) et des fûts – cercles de métal enserrant un cylindre de bois et
tendant une peau martelée et vibrante comme une voix perdue dans la forêt. Se
distingue la mince résonance des cordes de guitare frappées très légèrement
avec un objet métallique, effets fragiles et métalliques de cithare ou de santour
autour de deux notes en empathie avec le toucher furtif d’objets et accessoires
métalliques vibrant sur les peaux par le percussionniste. Les frappes
s’entrecroisent, cristallines, un univers sonore particulier où les atomes et
neutrons, timbres et couleurs de chaque instrument ne font plus qu’un. C’est le
moment choisi où le jeu s’anime et où la question posée par le duo Paul Lovens
- Paul Lytton en 1976, Was It Me ?
(Po Torch jwd 1) prend tout son sens. Plus on avance dans l’écoute, plus on
est frappé par l’authenticité de ce duo. Les sons hantés des cymbales frottées
contre les peaux du percussionniste en
phase avec le gratouillage improbable du guitariste prolonge encore plus loin
les séquences initiales, plus loin, plus loin, … hors du temps mesuré. Trajectoire
d’un seul tenant sans temps mort, sculpture sonore à quatre mains monostyle. Un
enregistrement magnifique dans tous les sens du terme. Pour rappel, Adam Golebiewski a publié un solo
passionnant (Pool North - Latarnia) et
un duo avec Fred Lonberg-Holm, deux albums captivants dont je vous ai déjà
entretenu ici. Sharif Sehnaoui,
entendu avec Mazen Kerbaj, Frantz Hauzinger, Birgit Ulher etc… démontre avec
acuité qu’il ne se rejoue pas dans ce nouveau contexte, un domaine sonore neuf
pour chacun d’eux.
Live at Club der Polnischen
Versager , Berlin 2016
Lawrence Casserley DJ Illvibe Jeffrey
Morgan Harri Sjöström uniSono records
Voici un bel
exemple de musique hybride complètement improvisée où se croisent plusieurs
esthétiques, pratiques différentes, sons acoustiques et électroniques,
transformations en temps réel du son avec médiums technologiques et deux
souffleurs aux tempéraments différents. Onklaguta
33 :06 et gutaonkla 23 :39 : deux longues pièces où les
paysages sonores défilent, se contredisent, s’emboîtent, explosent,
surprennnent.
Lawrence Casserley et Jeffrey
Morgan collaborent depuis des années (deux albums
dont le récent Exoplanets sur Creative Sources) et n’en sont plus à leur
premier coup d’essai. Sjöström a
croisé Casserley à plusieurs
reprises entre autres en Finlande et DJ
Illvibe joue régulièrement avec ses parents, Alex von Schlippenbach et Aki
Takase. DJ Illvibe est un platiniste
(turntablist) qui a un art consommé pour mettre en scène et insérer dans le
cours de la musique collective des sons et des extraits de vinyles aussi
frappants qu’improbables. Casserley est un véritable sorcier du live signal
processing créant et extrapolant les textures et les timbres au départ des
sources sonores acoustiques de ses partenaires dans l’instant présent. Je
sais, ma phrase à l’air compliquée, mais lorsqu’on assiste à un concert de Lawrence Casserley, on réalise
immédiatement que sa musique est instantanée, parfois imprévisible et que sa
spontanéité revêtir des formes les plus contrastées. En fait il jongle
littéralement avec la multitude de paramètres et les options infinies de son
installation, une imbrication complexe de plusieurs programmes - applications, assemblés sur deux IBook et un Ipad première génération. Américain basé à Cologne, Jeffrey Morgan était, il y a
une vingtaine d’années un saxophoniste alto expressionniste hyper énergétique.
On retrouve dans son jeu à la clarinette alto, instrument compliqué qu'il maîtrise à souhait, des moments d’énergie
pure où il fait éclater les harmoniques en vocalisant comme un forcené. Au
début de onklaguta, sa clarinette trace un contrepoint sombre aux
volutes fluides du sax soprano de Harri
Sjöström, lesquelles ont un air de famille avec celles d’Evan Parker ou de
Steve Lacy. Après avoir créé un momentum tranchant, Jeffrey, le souffleur,
laisse l’espace aux inventions de Casserley et Illvibe en les commentant
adroitement. Bref, ces quatre-là nous
démontrent ô combien vitale peut se révéler ces échanges recyclant et
inventant sur le moment des correspondances insoupçonnées entre chaque
initiative individuelle et leurs juxtapositions – interactions – collages
impromptus. La magie de l’improvisation opère à plusieurs niveaux. Si les sons
processés de Casserley se déploient dans une atmosphère quasi-intergalactique
ou peut-être jouent avec une voix extraite d’un vinyle d’Ilvibe, brouillant les
pistes, celui-ci en appelle à l’imaginaire de l’auditeur par ses trouvailles
insensées et surprenantes (on entend un accordéon qui improvise et titube – le
platiniste étant particulièrement doué). Pour conclure : un album
passionnant, à la fois chantier, boîte de pandore et expérience musicale hors
des sentiers battus.
Reunion live from the Café Oto
Evan Parker John Russell Ian Brighton Philipp Wachsmann Marcio Mattos Trevor
Taylor FMRCD430-1116
On pourrait
croire à la lecture des noms des musiciens qu’il s’agit d’un projet d’Evan
Parker. Détrompons-nous ! Il s’agit ici de documenter la résurgence d’un
improvisateur libre incontournable de la scène improvisée britannique des
années 70, le guitariste Ian Brighton. Celui-ci avait arrêté de se produire
après un ultime album en 1988 (et une des premiers cd’s d’improvisation
libre !) Eleven Years from Yesterday , le premier numéro du catalogue de
FMR (Future Music Records) avec Phil
Wachsmann violon, Marcio Mattos
violoncelle, Ian Brighton guitares
et Trevor Taylor percussions ,
quartet « historique » augmenté pour ce disque du pianiste Pete
Jacobsen, aujourd’hui disparu. Après un solo de guitare électrique en ouverture
(Here and Hear), on peut entendre le
très électrique – électronique quartet Brighton-
Mattos-Taylor-Wachsmann, enfin réunis après trois décennies. C’est le
pourquoi du titre Reunion. Ensuite, en troisième plage, le duo Evan Parker - John Russell (à la guitare acoustique) et enfin pour terminer, les
six musiciens réunis.
Durant les
années 70, parmi la très rare documentation discographique consacrée à l’improvisation
radicale British decette période, les initiatives de Ian Brighton figurent dans les perles des catalogues Incus et Bead
records : outre sa présence dans les February
Papers de Tony Oxley (avec Barry Guy et Phil Wachsmann), il y a deux albums
incontournables. Balance (Incus) avec
Wachsmann, Radu Malfatti, le percussionniste Frank Perry et le violoncelliste
Colin Wood , un unique quintet ô combien précurseur !!! Il faudrait lui
consacrer à lui seul un chapitre tant ses caractéristiques montrent la voie à
suivre. Et Marsh Gas (Bead) ,un album
en solo, duo et trio où Malfatti, Mattos, Wachsmann et Roger Smith pointent
leur nez. Guitariste aussi imaginatif pour l’époque que Derek Bailey, même si
moins virtuose, Ian Brighton a conservé toute l’originalité et la dynamique de
son jeu. Très intéressant pour qui veut découvrir les mystères de la guitare
électrique alternative. Comme Derek Bailey et tout en se distinguant au niveau
des formes, Ian Brighton joue autant avec sa pédale de volume qu’en touchant
les cordes de manière très diversifiée. Le niveau de volume changeant en
permanence, il obtient des couleurs, des textures et des effets qui attirent
immanquablement l’oreille exercée. Le quartet Brighton- Mattos-Taylor-Wachsmann s’étale dans des échanges
requérants qui se transforment en halos électrisés, nuages soniques impalpables
et dérives peu prévisibles. En effet chaque musicien agrémente son instrument
d’un dispositif électronique – effets – pédales etc différent les uns des
autres qui étendent le spectre sonore, transforme l’attaque et permet des
choses qui se rapprochent de l’inouï, tout en maintenant des sonorités purement
acoustiques. Une démarche de musique de chambre qui se rattache au courant
Bailey/ Oxley/ Guy des années 70 concernant l’usage de l’amplification
électrique et pour la quelle Wachsmann est devenu un spécialiste, animant des ateliers
qui furent très suivis. Il faut rappeler que le violoniste a joué longtemps
avec Barry Guy et Paul Rutherford dans Iskra
1903 (années 80 et 90) et que les trois artistes trafiquaient le son
acoustique avec leurs installations respectives de manière systématique au
début des années 80 (Emanem 4303 Iskra
1903 Chaper Two 1981-83). On retrouve ce type de recherche dans ce quartet
et si le son de l’ensemble est très clair et lisible, il est parfois malaisé de
distinguer qui joue quoi. C’est vraiment intéressant et parfois même
ébouriffant par la profusion de sons électronisés
avec des textures, couleurs, sonorités, densités, dynamiques très variées
tout en respectant une dynamique éthérée, une présence du silence intériorisée.
Phil Wachsmann se révèle d’une finesse rare et chacun de ses compagnons
intervient souvent chacun à son tour. On a souvent le sentiment qu’il n’y a
qu’un ou deux musiciens occupés à jouer et le ton donné aux échanges évolue
continuellement. La musique semble tout à tour suspendue, retenue, virevoltante
un instant, minimale et puis complexe, inquiète ou sereine. On entend un
vibraphone électronique soulignant des pizzicati ou un coup d’archet et même,
quelques bribes de conversations aléatoires semblent provenir d’une radio.
Exemplaire dans le genre. Le duo Evan
Parker – John Russell est organiquement acoustique et fait vraiment honneur
à la réputation des deux musiciens, Russell se démenant comme un beau diable
après avoir magistralement introduit la pièce. Parker articule des phrases
inouïes sans effort apparent mais de manière logique et concentrée et un sens
mélodique unique (faut-il encore le répéter ?) en soulignant ses traits
d’une extrême pointe d’harmonique bien au-delà du registre prévu. En écho, l’à
propos du jeu intelligent du guitariste. Leur seul autre enregistrement en duo
figure dans Freedom of The City 2002/
CD double Emanem 4210, album qui recèle des trésors. Son de l’enregistrement
tributaire des aléas du lieu ou de la position des micros, mais bon c’est un
témoignage. La rencontre finale couronne la soirée et les musiciens se creusent
les méninges pour faire sens tout en donnant l’illusion que tout cela coule de
source. Un bon document révélateur d’une pratique amplifiée de la musique
improvisée et de l’écoute mutuelle.
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