8 juin 2021

Steve Noble Solo/ Guy-Frank Pellerin Matthias Boss Eugenio Sanna / Dirk Serries Alan Wilkinson /Csaba Pengö/ Michael Attias Simon Nabatov/

Solo Steve Noble empty birdcage records EBR 004
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/solo

Quatrième album consécutif d’Empty Birdcage Records, le label du guitariste Daniel Thompson, avec un solo de percussions comme au bon vieux temps des Han Bennink, Pierre Favre, Sven-Åke Johansson, Andrew Cyrille, Paul Lytton, Andrea Centazzo, Tony Oxley, Gunther Sommer, Eddie Prévost, percussionnistes dont il transcende l’apport le plus avantageusement possible. Miraculeusement. Même si Steve Noble n’a pas son pareil pour emballer la furia d’un trio ou quartet avec souffleur(s) de manière tournoyante et pétaradante, dans cet opus, il prend un temps précieux à laisser les sonorités métalliques (cymbales, gongs, crotales) s’étaler et résonner dans l’espace. Dans sa gestuelle et son sens inné du temps, il donne tout son sens à la raison d’être des instruments de percussions et à leur dimension sonore. Il fut une époque discographique où les percussionnistes improvisateurs marquaient un point d’honneur à publier un album solo (années 70, 80). Depuis lors, la scène du free-free jazz improvisé dictant sa loi (de marché), il faut vraiment scruter l’horizon pour découvrir la perle rare qui va rendre à cet univers de peaux tendues, de caisses résonnantes, de baguettes, de mailloches et archets, de cymbales, tam-tam et gongs, woodblocks et grattoirs etc… sa finalité intrinsèque, son viatique final. Le voici ! Avec une belle détermination et un goût infini pour le sonore et sa vibration organique, voici Steve Noble en « solo ». Publié par son camarade guitariste Daniel Thompson, un collègue à l’écoute de la scène. Et comment ! Parmi le flux continu des enregistrements percutants de Noble avec la fine fleur du saxophone free (Brötzmann, Parker, Mc Phee, Mitchell, Wilkinson, Keune), s’était glissé un merveilleux opus avec le clarinettiste Yoni Silver (Home / Aural Terrains) dans lequel il rivalise de finesse avec le méticuleux Eddie Prévost, par exemple. Cet enregistrement remarquable n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Une fois solo publié, je n’ai pu résister à le commander pour claironner bien fort au miracle ! 40 minutes ininterrompues d’une recherche vibrante de timbres qui planent, flottent, s’enchaînent, frissonnent, explosent, fluctuent, meurent et renaissent dans la résonance de la Hundred Years Gallery, un des lieux londoniens où tout est possible. Imaginez la performance de cette narration percussive aventureuse durant 40 minutes et 42 secondes soit 2.442 secondes où chacune d’elles est mise à profit sans le moindre moment creux pour développer, étendre leur plastique musicale et faire vibrer les corps percussifs métalliques, boisés et plastiques par frappes, frottements, écrasements, grattages avec pointes de baguette, archets, tambourin, objets résonnants... Chaque technique de base utilisée est développée et amplifiée organiquement avec des résonnances et des harmoniques irréelles, des tintements aériens, des chocs, des raclements, des mugissements … et leurs combinatoires improbables dans une suite pleine de sens, de vibrations étonnantes, d’événements sonores aussi singuliers qu'insolites et souvent inouïs. Il y a en jeu une caisse claire étroite, une grande cymbale, un tam-tam (un petit gong indonésien), quelques cymbales chinoises, une feuille métallique avec laquelle il commence sa performance et quelques accessoires. Sa sûreté d’instrumentiste, de compositeur de l’instant et d’improvisateur radical est phénoménale. J’ai toujours eu coutume de dire que le duo de Paul Lovens et Paul Lytton était le sommet de la chose percussive dans l’univers de l’improvisation libre et que ce groupe était à son époque (entre 1976 à 1986), le (duo) numéro un de la scène improvisée radicale (albums Was It Me, Moinho da Asneira et The Fetch, label Po Torch). Voici que Steve Noble parvient à faire parler ses instruments avec autant de conviction, de force et de cohérence créant un happening sonore unique qui frappe l’imagination une fois pour toutes et inscrit des signes magiques dans la nuit. On les perçoit comme un explorateur les découvrirait à la lueur d’une torche sur les parois d'une caverne enfouie dans les entrailles de la terre depuis une éternité. Les sons d’une autre civilisation, ceux d’un mode de vie utopique, nécessaire et inespéré. Un refuge dans la noirceur du monde. This is HUGE !! (attention : seulement 200 copies !)

Guy-Frank Pellerin Matthias Boss Eugenio Sanna Water Reflections FMRCD604-0221
https://www.squidco.com/miva/merchant.mvc?Screen=PROD&Product_Code=30333&Store_Code=S&search=pellerin&offset=&filter_cat=0&PowerSearch_Begin_Only=0&sort=&range_low=&range_high=

Excellent trio “pointilliste” basé sur l’écoute mutuelle, une minutieuse interaction et un sens remarquable de la dynamique. Le guitariste Pisan Eugenio Sanna est légèrement amplifié ici et ajoute à son jeu quelques fines plaques métalliques entre les cordes ou des ballons gonflables par-dessus. Ses actions bruitistes sont aiguillonnées par l’esprit ludique en éveil constant du violoniste jurassien Matthias Boss et les contorsions de la colonne d’air du sax soprano de Guy-Frank Pellerin, musicien parisien établi sur la côte toscane à proximité de Livourne. Boss et Pellerin se sont déjà commis dans le superbe Du Vent dans les Cordes (Setola di Maiale SM 3710) et Sanna et Pellerin ont convolé conjointement avec le contrebassiste japonais Maresuke Okamoto avec OPS… (Setola di Maiale 3620), ces deux albums étant à la hauteur de ces Water Reflections où les possibilités sonores de chaque instrument sont passées au scanner et au microscope dans des constants changements de focale éberluants. Pour ceux qui révèrent feu John Russell, cet album sera une superbe surprise. Atomisation de la phrase musicale, frottements, grattages, piqûres, contorsions, bruissements, harmoniques exécutés avec des alternances mouvantes de volumes, de densités, brefs fragments mélodiques, morceaux courts (2:11, 2:58, 3:21), suites amples menées avec une véritable logique et une urgence instantanée (11:39, 8:30, 10:54 et 12:45). C’est l’occasion de découvrir le guitariste Eugenio Sanna au sommet de son art avec deux acolytes inspirés et désireux de pointer archet folâtre et bec pointu dans la direction millimétrée et faussement évasive de ce flibustier de la six-cordes improvisée libre tout en s’adaptant à son approche sonore semi-étouffée. On sait que la cuisine à l’étouffée a le don de mettre en évidence le goût des herbes aromatiques et autres échalotes hachées menu. Il suffit de se concentrer sur l’aspect lyrique, grave ou échevelé des multiples pressions et rotations de l’archet de Matthias Boss animant le chant magique de l’âme de son violon, pour s’en convaincre. Quant au saxophoniste, il a le feeling exact pour insérer son souffle en commun accord avec la dynamique des cordes. Et lorsque soudain, il contrevient à cette attitude placide en déboulant comme un dératé (Hyperunder), il entraîne adroitement ses deux collègues dans une remise en perspective qui se faisait attendre, en métamorphose constante au niveau de la forme. Presque toutes les 10 improvisations concoctées ici ont leur caractère et leur relief propres, reconnaissables, comme si une thématique improbable et différente se faisait jour au fil des échanges. Un esprit inné d’invention à propos qui apporte la solution idéale dans la poursuite des événements et soutient l’intérêt sans faiblir. Ces dix improvisations portent insensiblement des titres en anglais (Hyperunder ou Raven), en italien (Accelerazione ben Riflessa), en allemand suisse (Lied für den frosch), en français (Disponible d’ici peu ou maintenant) ou en mic-mac (Welcome Cavallo), exprimant par-là l’internationalisme polysémantique ouvert à l’imaginaire qui caractérise ces musiques. Et c’est cette projection de l’imaginaire ressentie, partagée, vécue et transcendée qui pénètre en nous et à travers laquelle on distingue le parfait délire ludique par rapport à l’exercice de style… On entend aussi Eugenio Sanna maugréer dans Euguma, le final elliptique auquel vient s'ajouter le tromboniste Marco Carvelli et qui résume à lui tout seul les équilibres instables de cette rare équipée.

Alan Wilkinson – Dirk Serries One in the Eye a new wave of jazz nwoj 44
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/one-in-the-eye


Le label a new wave of jazz se développe à un rythme élevé atteignant aujourd’hui le numéro 44 avec ce double album en duo avec le maître de céans, le guitariste belge Dirk Serries et le saxophoniste alto & baryton Alan Wilkinson, aussi clarinettiste basse. J’avais consacré une étude – hommage au contrebassiste improvisateur et compositeur Simon H. Fell, disparu il y a un an et il y était question d’Alan Wilkinson, son compagnon au sein du trio explosif HWF (avec le batteur Paul Hession). Si les fulgurances d’HWF font plus qu’évoquer la musique expressionniste et sauvage de Peter Brötzmann, lorsqu’A.W. est confronté aux guitares acoustiques de Dirk Serries, on a droit à un souffle pastoral, une poésie bucolique (In the Here and Now à la clarinette basse), à un jeu équilibré plein de nuances. Dirk Serries démantibule accords et phrasés en percutant les cordes, tournoyant son plectre entre doigtés crochus du gauche et mouvements incessants sur les frettes avec une certaine logique et une frénésie colloquiale qui peut se rapprocher autant du silence que d'une activité bruitiste. Peut-être aurait-il fallu concentrer tout ce matériau enregistré en studio à Bruxelles (2019) et à l’Hundred Years Gallery (2020) et présenté ici sur deux compacts, sur l’étendue d’un seul CD. Néanmoins, les moments intéressants, poignants ou imprévisibles affluent de toute évidence, comme le n°5 du cd 1 (The Stings of the Flesh) où les morsures extrêmes et acides dans le bec de l’alto strient les froissements et les frictions des cordes contre les frettes. Ou le n°6 (In The Long Run) où le puissant baryton fait mouvoir la pression de l’air dans l’espace du studio alors que le jeu oblique du guitariste dévale les tortueuses courbes de niveau d’une carte topographique de l’imaginaire. L’écriture automatique de la six cordes triturée inlassablement inspire de remarquables et puissants coups de langue, étirements de la pâte sonore et vocalisations graveleuses au saxophoniste, vocalisations dans le bec du sax ou simplement avec son organe vocal débridé. Le CD 2, consacré à un concert enlevé (HYG 1 et HYG 2) retrace l’acuité du dialogue et des interférences partagés entre les deux improvisateurs. La perspective et le flux de l’improvisation en sont sensiblement renouvelés, brouillés, poursuivis sans relâche, ardemment. Une expérience de recherche, un chantier, des signaux de piste, égarements et retrouvailles, manifeste ludique, poésie de l’action – réaction.

Csaba Pengö Circles inexhaustible editions ie-038
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/circles

Inexhaustible editions s’affirme de mois en mois comme une plate-forme ouverte à l’improvisation radicale sans concession, la composition alternative avec un catalogue qui s’étoffe de plus en plus, et, dans le cas présent, dans une remarquable réflexion de la pratique de la contrebasse. Ces cercles forment en fait des successions ellipses avec de différentes perspectives et leurs variations corrélatives à des légers glissements de la hauteur de certaines notes que ce soit avec la technique du pizzicato ou de l’archet, ou encore de subtiles harmoniques. Essentiellement mélodique, la démarche a un côté exercice de style auquel le feeling du contrebassiste Csaba Pengö insuffle une dimension lyrique, charnelle, animée par une réelle capacité narrative. Évidemment, cette musique parlera davantage aux connaisseurs et praticiens de la contrebasse, mais par exemple, Csaba Pengö a judicieusement réalisé quatre compositions pour deux contrebasses, conviant son collègue Ádám Bögöthy, afin d’enrichir son projet. Buzz est une comptine à deux voix qui s’épaulent et se soutiennent en canon avec une thème mélodique tournoyant. Cette complicité bienvenue en duos nous fait réaliser que Pengö crée en fait un dialogue avec lui-même lorsqu’il navigue en solo. La superbe walking bass d’Eastern Europe Express aux accents blues-folk suggère sans doute l’allure d’un train imaginaire qui parcourt la puszta et longe le Danube, un fleuve presque dépourvu de ponts en reliant Bucarest via Belgrade, Budapest, Bratislava et Vienne. Il développe ce concept en faisant tournoyer les notes autour d’elles-mêmes dans Island Street confirmant ses grandes qualités de conteur expressif. Il ajoute à cette démarche rythmique une dimension funk dans le final Fish in the Bush : on croit voir une carpe quitter la rivière et tressauter indéfiniment dans les fourrés, par miracle. Un grand contrebassiste. Winter Field, joué à l’archet, par contre est une remarquable étude oblique dans les graves. Les figures, canevas et rebondissements se succèdent avec goût, grand soin, une dimension orchestrale très achevée et une préméditation minutieusement élaborée qui convaincra les amoureux de la contrebasse et les autres.

Brooklyn Mischiefs Michaël Attias et Simon Nabatov. Leo Records CD LR 901
https://simonnabatov.bandcamp.com/album/brooklyn-mischiefs


Un beau duo sensible entre un pianiste architecte, savant ordonnateur des 88 touches, et un souffleur sensible et secret. Michaël Attias au saxophone alto et Simon Nabatov, réunis le 6 juillet 2014 à Brooklyn pour une séance d’improvisation libre à la fois subtile, poétique, et avec l’objectif sans doute préétabli de composition instantanée selon des cheminements divers. Cinq pièces de différentes durées, de 5 :26 (Glimpses & Tangles) jusqu’aux 16 :15 de Languid qui débouche sur une version de The Spinning Song, une composition inoubliable d’Herbie Nichols, sans doute un génie expressif du jazz parmi les plus méconnus. La séance débute par une belle extemporisation cristalline (Nabatov) et diaphane (Attias). Le souffleur sinueux, disert et audacieux distille une musicalité secrète en s’immisçant dans les doigtés subtils du pianiste. Mais après deux minutes d’approche, l’improvisation désarticulée reprend ses droits : cascades rebondissantes et disruptions, hâchage du phrasé, sens du clair-obscur : on est plongé dans le terreau fertile de la free-music sans pare feu. Quand le piano se fait structuré, juste après, c’est pour construire- déconstruire simultanément structures d’arpèges et canevas harmoniques avec toutes leurs implications, sur lesquelles s’élancent et s’envolent un chapelet de notes aux intervalles distendus et spirales dissonnantes articulées minutieusement par Attias sur l’ouverture structurelle au dialogue constructif du claviériste. Une véritable orchestration des possibles s’enchaîne au feeling de l’instant, au vécu seconde après seconde. Glimpses et Tangles, le n°1 de cet album sensible, résume à lui tout seul la démarche collective et laisse présager les développements futurs. De la grande musique nourrie de l’expérience de l’improvisation du jazz libre et de la free music et de la pratique de la musique classique « contemporaine » du XXème faites à la fois de couleurs instrumentales et d’harmonies recherchées et étudiées. Nabatov appartient à cette mouvance de pianistes maestro qui incarnent au plus haut point la lingua franca du grand piano virtuose, à l’opposé d’un improvisateur atavique comme Fred Van Hove qui lui projette son imaginaire dans un langage éminemment personnel reconnaissable entre mille. Toutefois, sa maîtrise et sa musicalité sont telles, qu’il faut absolument considérer son travail avec intérêt et même enthousiasme, car il est de haut vol, requérant toutes nos capacités auditives et sensibles de bout en bout. Tout au long de l’entreprise, interviennent des cadences (Gowanus by Night), des envolées, des arrêts sur l’image, des surprises heureuses, des questionnements et des solutions imprévues avec un sens de la narration, du développement et de la conclusion qui mérite qu’on s’y attarde. Outre le fait qu’ils sont talentueux, subtils et parfois audacieux (Languid), avec un sens élevé de l’écoute mutuelle, c’est la suite dans leurs idées et la succession travaillée d’événements sonores et de motifs démultipliés, ce sens inné de la narration, de l’évolution d’un point à l’autre incorporant des trouvailles sonores et une réelle inspiration, et même l’engagement physique (Languid autour des minutes 4 et 5) qui font la différence. Une réussite enrichissante.

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