Tony Oxley Quintet Angular Apron avec Manfred Schoof Larry Stabbins Pat Thomas Sirone 1992 Corbett vs Dempsey
https://corbettvsdempsey.bandcamp.com/album/angular-apron
Durant sa carrière, Tony Oxley a surtout enregistré des albums avec son propre Quintet ou Sextet à la charnière des années 60-70 avec Barry Guy, Derek Bailey, Evan Parker, Kenny Wheeler et Paul Rutherford ainsi qu’en trio avec Howard Riley et Barry Guy et un duo avec Alan Davie ou encore February Papers avec Guy Wachsmann et le guitariste Ian Brighton. Par la suite durant les années 80, les Tony Oxley Quartet, Quintet ou Sextet firent de nombreux concerts avec Barry Guy, Phil Wachsmann,Ian Birghton, Howard Riley, Larry Stabbins, Alan Tomlinson et l’ineffable Hugh Metcalfe (sic !). Malheureusement, rien ne fut jamais publié, si ce n’est the Glider and the Grinder avec Wachsmann, Wolfgang Fuchs et Hugh Metcalfe (Bead Records) et trois plages dans February Papers (Incus 18). Récemment, le label Discus music a sorti un CD où figure la composition Frame (14’53’’) avec Metcalfe, Wachsmann, Riley et Larry Stabbins. Enfin, voici une version de soixante minutes de sa légendaire composition Angular Apron enregistrée en octobre 1992 à Bochum au Ruhr Jazz Festival avec une formation aussi intéressante qu’originale. On retrouve le saxophoniste ténor et soprano Larry Stabbins lequel avait enregistré dix ans plus tôt un double LP free particulièrement mémorable avec Keith Tippett et Louis Moholo pour le label FMP (TERN SAJ 43-44). Larry a développé très tôt une approche sonore au sax ténor et soprano voisine de celle d’Evan Parker. Son fait d’armes le plus pointu est « Fire Without Bricks » enregistré en duo avec le percussionniste Roy Ashbury pour Bead Records en 1976 et réédité par le même label Corbett VS Dempsey. C’est un de mes concerts de free music parmi les plus mémorables : j’étais assis par terre à trois mètres des musiciens dans le Hall du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles et n’en ai pas perdu la moindre note et le moindre son, complètement fasciné. Au piano, le brillant Pat Thomas qui joue aussi des electronics... Celui-ci a fait la découverte de sa vie avec Tony Oxley à Oxford lors d’un concert qui a déterminé son cheminement musical. Par la suite Pat enregistra trois CDs dans le Tony Oxley Quartet deux avec l’électronicien Matt Wand et Derek Bailey lui-même (Incus CD The Tony Oxley Quartetet un CD pour JazzWerkstatt) et un troisième avec Phil Wachsmann en lieu et place de Bailey. (The BIMP Quartet Floating Phantoms). Quoi de plus naturel de retrouver le légendaire contrebassiste Sirone. En effet Oxley et Sirone ont beaucoup travaillé et enregistré avec Cecil Taylor. Sirone était aussi le contrebassiste du Revolutionary Trio avec Leroy Jenkins et Jerome Cooper, mais aussi de Pharoah Sanders et Charles Gayle. Et comme on est en Allemagne, on trouve une autre légende du free-jazz, le trompettiste Manfred Schoof connu pour son association avec Alexander Schlippenbach et son Globe Unity Orchestra dès le début des années 60 et aussi avec Mal Waldron et Steve Lacy. Question qualité d’enregistrement, cela laisse un peu à désirer, MAIS , il s’agit indubitablement d’un témoignage majeur des groupes et des compositions de Tony Oxley qui comble une sérieuse lacune dans sa documentation. Sa démarche éclairée fait à la fois coexister et fusionner les apports de la musique contemporaine et l’intensité virulente du free radical sans concession. Le contraste entre ses avalanches déflagrations de "micros sons" et la puissance agressive du pianiste et des souffleurs est unique et fascinante. Très tôt dans son évolution et avant de devenir la batteur maison du Ronnie’s Scott, Oxley a écouté et intégré dans sa pratique de l’improvisation les implications de la musique de John Cage, Stockhausen en compagnie de Derek Bailey et Gavin Bryars. Son style de drumming est ici assez éloigné du jazz par l’utilisation abrupte d’accessoires percussifs métalliques dont une cloche trapézoïdale soudée artisanalement, des cymbales destinées à la musique contemporaine, crotales, temple blocks, tambours chinois, mais aussi grincements du métal à la pointe des baguettes effectuées en un crucial instant. Ses frappes particulières évitent tout soupçon de coordination rythmique "jazz" et mettent en évidence une fluidité très contrastée qui se répand dans une infinité de détails sonores ou éclate dans de curieux agrégats de timbres qui semble produits par un seul geste. Aussi des roulements caractéristiques avec des sonorités aiguës qui sont suspendus dans le vide oblitérant la notion de pulsation et de rythme conventionnel. En outre, il ajoute l’utilisation d’électroniques. Son jeu est immédiatement reconnaissable et tout – à fait unique. On applaudira ici la performance de Pat Thomas, un pianiste virtuose aussi enragé et intense qu’ait pu l’être un Alex Schlippenbach. Ses entrechats cosmiques au clavier rivalisent avec les frappes stellaires du leader. Pour ceux qui ne l’ont jamais entendu, ce sera l’occasion de découvrir l’extraordinaire mordant de Larry Stabbins qui fait ici éclater l’anche de son sax ténor avec une violence hallucinante, déchiquetant les sonorités et ses triples détachés comme si une machine faisait accélérer le débit du souffle pour hacher menu la notion de phrasé. On est tout proche du délire bruitiste d’Evan Parker avec Alex von S. et Paul Lovens des premiers albums FMP. Sirone contribue intensément en gardant le cap contre vents et marées avec des doigtés concentrés et des coups d’archet qui occupent une place enviable et profondément significative dans le champ auditif. Cerise sur le gâteau, les interventions de Manfred Schoof dans le jeu d’ensemble avec une dimension proche de Ligeti et ou dans des improvisations puissantes et centrifuges. À l’écoute, l’auditeur est emporté par le torrent tumultueux de la musique et une écoute à tête reposée perçoit clairement les étapes successives et l’excellente construction de la composition dont l’exécution « spontanée » endiablée fait oublier qu’il y ait une partition. À saisir en priorité.
Veuillez aussi vous référer à tous les CD's récents d'Oxley que j'ai systématiquement chroniqués car je pense avoir été en manque de ses trop rares LP's "Oxleyiens" des années 70 et 80 avant son intense collaboration avec Cecil Taylor ainsi qu'avec Bill Dixon, Paul Bley des décennies suivantes. R.I.P Tony.
Assassins Catalogue Jac Berrocal Jean-François Pauvros Gilbert Artmann. Fou Records FR CD 64.
https://fourecords.com/FR-CD64.htm
Trois légendes du free – rock expérimental – noise – punk : le trompettiste chanteur etc… Jacques Berrocal, le guitariste Jean-François Pauvros et le batteur compositeur Gilbert Artmann sont les membres de Catalogue. Mis à part le titre « Assassins », le nom du groupe des musiciens et la mention « enregistré et produit par Jean-Marc Foussat. Il y a trois morceaux de 6 :28, 6 :13 et 8 :36 respectivement sans aucune mention de titres etc… toutes les informations sont contenues dans des griffonnés à l’encre noire dans laquelle on a évidé les lettres des indications (groupe -musiciens – titre et les crédits). Donc trois morceaux « heavy noise » pour trois musiciens et trois références : Catalogue, Assassins et enreg. et produit par J-MF. La règle de trois, mais pas de date ni de lieu. À l’intérieur du diptyque en papier fort de la pochette, les deux faces internes sont aussi noires que la musique. Une apparence quasi-anonyme abrupte. Rythmes isochrones basiques obsédants au marteau piqueur qui finit par se déglinguer. Riffs sourdement électriques rageurs qui peuvent se muer en giclées électro-acoustiques flashy, cris – harangues vocales trafiquées . On imagine des stroboscopes et des lumières noires hypnotiques. Musique violente, noise pulsionnel, effets de guitare hard-core harsh abrasifs. Le guitariste maîtrise sa rage sans bavure en allant droit au but. Le son de la batterie est furieusement organique : dans son jeu, on ne trouve pas une once de banalité issue de manuels de batteur qui suinte ou surnage toutes les trois mesures. C'est de la pure révolte aussi spontanée que mûrement réfléchie. Je dois avouer ne pas avoir souvent assisté et fréquenté des concerts de ce genre de musique, même si je me suis amusé à faire du noise à la guitare à certains moments, car trop souvent les coquilles pleuvent et les peintures de guerre se délaient misérablement. J’ajoute aussi que j’ai assisté à une de leurs premières performances le 11 août 1979 au King-Kong à Anvers lors du Free-Music Festival/ W.I.M. Le saxophoniste du groupe jouait de l’ harmonium et le batteur était Jean-Pierre Arnoux. Le concert a été publié en vinyle peu après et réédité ensuite en CD sous le titre Catalogue Live In Antwerpen par le label Spalax. Dans ce genre de choses, Assassins est pas mal du tout, ultra mordant à l’arraché, uppercut sonore sans fioriture avec quelques dérapages soniques précis qui font sens dans le flux brûlant de la musique. Seraient-ce le guitariste ou le trompettiste qui tripatouillent leurs "effets" électroniques... et avec quelle précision de malades ? Comme le disque est court, c’est ultra-efficace. Je rappelle que Pauvros et Foussat ont collaboré dans le groupe Marteau Rouge dont Fou Records a produit un album avec Evan Parker et un autre avec Keiji Haino. Artmann fut , entre autres, le batteur de Lard Free et le compositeur leader d’Urban Sax, deux groupes de légende. Et Jacques Berrocal a multiplié les collaborations les plus improbables entre autres avec Vince Taylor (Rock n’Roll Station) et figurait déjà dans un premier inclassable album pour le label futuriste Futura - Son à l'aube des seventies,Musik Musiq. Dans cet album, Jac B. semble hurler das un vide sidéral sidérant l'auditeur. À vous de choisir. Sans nul doute indispensable pour les amateurs de noise destroy avec de la classe.
Zlatko Kaucic & Gal Furlan Father, Son and Holy Sound Klopotek IZK CD1K52
https://www.klopotec.si/klopotecglasba/cd_kaucicfurlan70/
Le titre, Father, Son & Holy Sound, fait référence à l’album Meditations de Coltrane dans lequel trône, sur la Face A, « the Father, the Son and the Holy Ghost”. Mais détrompez-vous ! Il ne s’agit pas ici de hard-free jazz dans lequel excellaient Coltrane et Pharoah Sanders avec Elvin, Rashied Ali,Jimmy et Mc Coy. Mais plutôt un magnifique échange de percussions en duo, détaillé et subtil avec une utilisation raffinée et créative de nombreux instruments – objets percussifs. Plus qu’un dialogue, nous découvrons ici une mise en commun des ressources collaboratives où le jeu de chacun est entièrement intégré à celui de l’autre, un peu comme s’il n'y avait qu’un seul musicien présent. Impossible de distinguer clairement qui joue quoi dans cet enregistrement à l’excellente qualité technique (Iztok Zupan du label klopotek). Les techniques de frappe traditionnelles croisent celles qui sont « alternatives » en évitant les effets faciles et les cascades de roulement et figures de style entendues partout. L’aspect sonore et les pulsations en roue libre font bon ménage. Un seul long morceau superbement construit durant 40:44 en un long crescendo jusqu’au la profusion de rythmes du final. Les deux acolytes font preuve d’une technique remarquable, mais surtout, la qualité musicale et la réussite tant expressive qu’émotionnelle subliment leur savoir-faire de batteur. Du grand art. Des nuances remarquables la recherche sonore, le foisonnement de pulsations libres et une admirable qualité de toucher et de frappes La musique de percussions jouent de toute évidence un rôle primordial dans l’évolution de la free-music ou improvisation libre parce qu’elle ne se réfère pas à la tonalité ni à l’harmonie avec des instruments accordés. De ce point de vue, le duo légendaire de Paul Lovens et Paul Lytton (enregistré à trois reprises) occupe à mon avis une position centrale, mais aussi par exemple, le Trio de Batteries de Matthias Ponthévia, Didier Lasserre et Edward Perraud (Amor Fati) ou le NoNoNo Percussion Ensemble de Gino Robair, Christiano Calganile et Stefano Giust (Excantatious – Setola di Maiale). Ces deux albums de percussions ont été décrits dans ces lignes . Si les Slovènes Gal Furlan et Zlatko Kaucic ont une pratique plus « conventionnelle » que celle plus radicale des deux Paul,le niveau d’excellence et la cohérence peu ordinaire de leur prestation du 21 février 2023 en font un véritable tour de force. Un des meilleurs albums de free percussions.
PS Klopotek est un excellent label slovène . Jugez du peu : Trevor Watts & Jamie Harris, Sabu Toyozumi & Claudia Cervenca, Elisabeth Harnik, Giorgio Pacorig & Clarissa Durizotto, Pat Thomas, Keith Tippett, Edorado Marraffa & Nicolà Guazzaloca, Marco Colonna et un fantastique duo Daunik Lazro & Joe McPhee)
Cassiber Complex Udo Schindler Andreas Willers Erik Zwang Eriksson Unconditionned Sounds in a Box FMR CD
J'ai reçu plusieurs cd's du souffleur multi-instrumentiste Udo Schindler à quelques reprises. Mais vu les limites temporelles et rédactionnelles de ma capacité à décrire ce que j'entends au fil de mes écoutes et mes impressions, je ne peux inonder mon blog avec la production d'un seul artiste afin de maintenir un semblant de diversité. J'ai donc choisi ce Cassiber Complex pour deux raisons : la personnalité et les trouvailles sonores d'Andreas Willers, un guitariste free avec un solide parcours et la collaboration évolutive d'Udo Schindler et du batteur Erik Zwang Eriksson. Udo est ici crédité cornet, tubax et sa chère clarinette basse qui fait mes délices lorsqu'il est confronté au clarinettiste Ove Volquartz dans des duos mémorables publiés par FMR que je recommande chaudement. Cassiber Complex est une longue improvisation exploratoire de 54 minutes, éthérée, spacieuse, suspendue dans le champ auditif d'une écoute minutieuse. Musique détaillée, guitare électrique en glissandi quasi permanent rehaussé par un jeu soigné à la pédale de volume, le silence étant ici un facteur créatif primordial dans les 14 premières minutes. Zwang Eriksson dépose adroitement des sons et frappes épars. Le souffle méthodique de Schindler trace une narration qui évolue vers une interaction action - réaction plus directe où la batterie free est rehaussée par des sons électroniques de Willers. Udo Schindler se veut clarinettiste, saxophoniste, corniste, tubiste etc... Si les exigences de chaque instrument sont difficiles à assumer lorsque quelqu'un joue tant des instruments à anche différents que des cuivres à embouchures aussi divers que la trompette, le trombone, le tuba, etc..., il faut reconnaître que dans l'instant et sur la durée, Udo Schindler assure et est devenu un solide improvisateur. En outre ce Cassiber Complex est truffé de trouvailles sonores qui peuvent déraper follement vers une agressivité non feinte et une bonne dose de mystère autour d'un silence musical. Aussi, les harmoniques outrées et grasseillements du souffleur font merveille et sens. Les interventions du guitariste ajoutent de la clarté pour rediriger le trio vers une autre perspective et un autre feeling. Un bon point aussi pour les graves volutes du tubax soulignées délicatement par les frappes éclaircies d'EZE et le savoir faire du guitariste, un improvisateur peu commun dont les ressources renouvellent constamment l'entreprise qui ne craint pas la foire d'empoigne saturée et explosive située vers les minutes 30-32. La succession des séquences et l'aspect évolutif de l'improvisation collective sur une si longue durée en toute liberté est vraiment méritoire avec une bienvenue déflagration finale follement noise. Un concert munichois du 28 juillet 2023 qui valait sûrement le déplacement.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
20 août 2024
Tony Oxley Quintet Angular Apron Manfred Schoof Larry Stabbins Pat Thomas Sirone/ Catalogue : Jac Berrocal Jean-François Pauvros Gilbert Artmann/ Zlatko Kaucic & Gal Furlan / Udo Schindler Andreas Willers Zwang Eriksson
Free Improvising Singer and improvised music writer.
16 août 2024
Anthony Braxton Solo/ Gabby Fluke Mogul & Ivo Perelman/ Roberto Di Blasio Antonio Pio Caramella & Giulio Izzo/ Ignaz Schick Anaïs Tuerlinckx & Joachim Zoepf
Anthony Braxton Solo Bern 1984 First Visit ezz-thetics 103.
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/anthony-braxton-solo-bern-1984-first-visit
Ezz-thetics est une bouture du légendaire Hat-Hut – Hat Art (hatology etc…) qui avait publié une série d’enregistrements d’Anthony Braxton dans les années 80 et 90. Voici qu’Ezzthetics propose une fantastique perfomance inédite du saxophoniste alto en solo (« absolu ») enregistrée à Berne en 1984. Braxton est le premier saxophoniste à avoir initié des concerts de saxophone (alto) en solo dès 1968 avec son propre répertoire de compositions et accessoirement quelques Standards. Sa démarche en solitaire a entraîné d’autres saxophonistes d’envergure à se produire en solo : Steve Lacy, Roscoe Mitchell, Evan Parker, Joe Mc Phee, Larry Stabbins etc… Dans cet extraordinaire concert Bernois, Anthony Braxton « interprète » quatre standards : Alone Together, Giant Steps, Naima (tous deux de Coltrane) et I Remember you parmi les seize compositions concises et relativement courtes entre les 3 et les 4 minutes et quelques choses. Pour la facilité, la pochette indique les compositions par leurs numéros et lettres (99B, 77H, 170C, 99Q, 118F, 26B, 77G, 106R, 106J, 118Q, 77D, et 118A) sans documenter les schémas – dessins qui leur font office de titres visuel.
J’avoue ne pas être un exégète de la musique de Braxton, même si j’ai écouté intensément ses quartets, solos, duos et autres ensembles qu’il a dirigé dans les années 60, 70 et 80, puis 90. En 1984, il faisait déjà figure d’artiste incontournable depuis au moins 10 ans avec son style complexe et multiforme complètement unique. Il travaille autant le matériau harmonique et « spatial », que les timbres et sonorités dont il a exploré un maximum de ressources au sax alto avec antre autres ces techniques alternatives "bruissonnantes". On y trouve aussi un lyrisme très particulier, une sonorité d’une très grande qualité et une technique en triple détaché d’une complexité et d’une virtuosité ahurissantes. Une musique d’une richesse inouïe et d’une inspiration qui puise autant dans les univers de Webern ou Stockhausen que dans les musiques du monde et l’histoire du jazz. Chacune de ses compositions investigue et décortique un matériau particulier en spirales affolantes staccatos en variation infinie, escaliers eschériens multidimensionnels, bruitages suraigus en ostinatos, ballade sentimentale en suspension, lyrisme moderniste « classique », tournoiements mélodiques infinis, growls gargantuesques accentués en contraste avec des pépiements d’oiseau effarouché, radicalité hérissée de la free-music explosive… Il met à égalité les matériaux mélodique, rythmique, harmonique dans une perspective tridimensionnelle, architecturale et aussi poétique. Notez qu’au saxophone sopranino, instrument difficile, son jeu atteint des hauteurs tout autant similaires. Bref, j’arrête la description en ajoutant, que si vous désirez commencer à vous documenter sur Braxton , First Visit est le must to listen intégral à défaut de trouver un autre album solo disponible. Et il y a la quintessence de Giant Steps à la Braxton qui vaut son pesant d'or. Veuillez noter que le label Leo a publié trois concerts en solo à Pise, Milan et Cologne des années 78, 79 et 81 et Intakt un enregistrement plus récent, en CD, bien sûr. Mais si vous ne les trouvez pas ne faites pas l'impasse sur ce Bern 1984, vous le regretterez toute votre vie. À tomber par terre et s’envoler dans la troisième dimension.
Ivo Perelman - Gabby Fluke - Mogul Joy Duologues vol 2 ibeji Records
https://open.spotify.com/intl-fr/album/ 5vGeeLHfQoDPC2sZ4LfUxX
Entendue récemment avec Fred Frith en Europe, la violoniste New Yorkaise Gabby Fluke-Mogul effectue ici un superbe pas de deux en compagnie du saxophoniste ténor Brésilien Ivo Perelman. Leur tout frais album est paru en digital sur le label digital Ibeji pour lequel Perelman publie ses « Duologues » . Après une extraordinaire parution en duo avec le batteur Tom Rainey (Turning Point), son micro label propose d’excellentes improvisations en duo avec cette violoniste au potentiel indubitable. Gabby a travaillé dans la sphère expérimentale improvisée avec Nava Dunkelman, Joanna Mattrey, Ava Mendoza, Charles Burnham, Fred Frith, Luke Stewart, Zeena Parkins, Tcheser Holmes, Lester St. Louis, William Parker, and Pauline Oliveros (http://www.flukemogul.com/about.html). Sans doute pour elle le duo avec ce saxophoniste si particulier qu’est Ivo Perelman constitue une première et on perçoit bien qu’elle est entièrement à l’écoute de son partenaire lequel est un partisan acharné de l’improvisation collective libre et égalitaire. En plus, iIvo s'est souvent entouré de violonistes, d’altistes ou de violoncellistes remarquables (Mat Maneri, Mark Feldman, Jason Hwang, Phil Wachsmann, Hank Roberts). Dès le premier abord, les deux improvisateurs partagent un goût atavique, organique pour étendre les notes, étirer leurs intervalles avec une remarquable expressivité. Le souffleur monte dans les aigus en les faisant chanter dans le droit fil d’un aylerisme « adulte » et c’est avec grand plaisir que Gabby Fluke-Mogul reprend à son compte ces inflexions sinueuses qui simultanément interfèrent ou se dissocient des notes tenues et des spirales perelmaniennes. Aussi, le morceau 4 début dans le grave du sax ténor induisant de fantastiques timbres graves à l’archet d’une magnifique plasticité. Mais, tous deux ne se contentent pas de formules formatées et de signaux explicites : ils se lancent dans des narrations truffées d’événements sonores et de réactions spontanées qui embrassent différents modes de jeux, spirales, staccatos, suraigus, sifflements modulés et chantants... Au fil de la session, la violoniste, qui semblait sur ses gardes au départ, prend de plus en plus d’assurance pour optimaliser sa créativité instantanée, puisant de plus en plus les meilleures idées parmi les nombreux trucs dans son bagage instrumental classico- alternatif. Bien qu’il soit un musicien très éduqué dans la théorie musicale et les sphères harmoniques, la démarche artistique d’Ivo Perelman est poétique et visuelle avant tout : en écoutant et jouant sa musique, il y voit des couleurs et des formes vivantes, une plastique en mouvement perpétuel semblable à celles qu’un chercheur perçoit par le truchement d’un microscope ultrapuissant dans la matière d’organismes vivants. Une expression jazz intuitive basée sur l’expérience de plusieurs générations de saxophonistes ténor de Ben Webster à Albert Ayler, dont il étend merveilleusement la dimension lyrique en s'inspirant des musiques populaires de son Brésil natal dans une démarche "microtonale". Il joue "faux" en connnaissance de cause pour une authentique expressivité. Une improvisatrice aussi talentueuse et ouverte que Gabby Fluke-Mogul cultive l’ approche télépathique idéale pour s’insérer dans cet univers si particulier par la grâce de sa sensibilité. Splendide duo !
Ratti – O Theta Roberto Di Biaso Antonio Pio Caramella Giulio Izzo Barly Records
https://barlyrecords.it/prodotto/theta/
Roberto Di Blasio a/k/a Aniello Perduto joue des sax alto et soprano et de la batterie sur un morceau, Antonio Pio Caramella de la guitare électrique et Giulio Izzo de la contrebasse et tous trois forment le groupe RATTI ( les rats) et leur album s’intitule O (omicron en Grec ancien),Theta (la lettre grecque pour « th » , le « t » se disant tau). Pas besoin de batterie, les trois musiciens ont une solide sens du rythme. Sauf quand Roberto se met à la batterie, transformant le trio en groupe guitare- basse batterie sans saxophone. Leur musique affiliée au free-jazz combine des thèmes écrits dans l’esprit de cette mouvance avec une « inspiration » rock progressive avec des rythmes complexes en ostinato et parfois une approche très électrique « jazz-rock » de la guitare. Le trio a beaucoup travaillé pour obtenir un style et une identité très personnelle. Comme j’avais déjà chroniqué l’albums solo d’Aniello Perduto, ils m’ont envoyé leur CD et je n’ai pas hésité à le chroniquer vu tous leurs efforts et la réflexion profonde qu’ils ont investi amoureusement dans leur musique, laquelle illustre excellement de nombreuses facettes dans les huit compositions (entre les 3 et 7 minutes, mais plutôt 3), y compris nuances musiciennes et audaces sonores. Fischerle est d’ailleurs une belle pièce de jazz contemporain et Memories endosse tout l’art de la comptine avec celui du contrepoint. Si, généralement, j’écoute rarement ce genre de musiques qui découlent du jazz contemporain, je n’hésiterais pas à assister à un de leurs concerts si j’en avais l’occasion. Surtout que le cheminement du disque morceau par morceau tire progressivement vers l'excellence et une véritable consistance musicale. Une belle réussite d'un vrai collectif pour un beau festival.
Ignaz Schick Anaïs Tuerlinckx Joachim Zoepf Ensemble A Confront Records Core 44.
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/ensemble-a
Depuis de nombreuses années, Confront Records publie des albums d'improvisation radicale dans la mouvance "réductionniste" , lower case, la frange électro-acoustique de cette musique autour de musiciens comme Mark Wastell, Rhodri Davies, Matt Davies, Burkhard Beins, Phil Durrant ou Simon H Fell. Le micro label de Mark Wastell, a mué progressivement vers une démarche multicourants publiant aussi des albums du guitariste Duck Baker, de Paul Dunmall ou de Maggie Nicols. Cet Ensemble A navigue précisément dans cet univers sonore radical fait de textures, de bruissemnts surprenants, signaux électroacoustiques, traitements électroniques, vibrations soniques volatiles qui s'enchevêtrent et s'associent comme on l'entend rarement. Deux "compositions : Electronic Kaléidoscope(30:01) signé Joachim Zoepf et TurntableTurn (22:36) signé Ignaz Schick. Ignaz est un saxophoniste et platiniste (turntablist) de choix et un des acteurs majeurs de la scène Berlinoise "réductionniste" des années 2000 (Andrea Neumann, Burkhard Beins, Michael Renkel, Axel Dörner et cie). Il joue ici du "turntable" et du sampler. Surtout il évite tous les poncifs et effets banals qu'on obtient avec cet engin-objet. Anaïs Tuerlinckx est une excellente pianiste découverte récemment dans un autre album Confront : Au Crépuscule avec Jonas Gerigk et, justement, Burkhard Beins particulièrement remarqué et décrit dans ces lignes. Le troisième larron, le clarinettiste basse et sax soprano Joachim Zoepf mérite qu'on parle de lui et qu'il soit invité sur la scène internationale depuis longtemps. Depuis des nombreuses années, Joachim est un des collaborateurs les plus proches du génial Gunter Christmann et un activiste proche des Georg Wissel, Wolfgang Schliemann, Hans Schneider, etc... C'est sans doute un des plus précis et distingués clarinettistes basses dans la mouvance "comtemporaine" chercheuse de l'improvisation radicale. Sa composition Electroacoustic Kaleidoscope est une pure merveille d'invention sonore et une réalisation essentiellement collective avec un sens de l'imbrication - intrication organique. Si on entend quelques fois le toucher "désincarné" d'Anaïs au clavier ou on devine les délicats pépiements à la clarinette basse qui s'immisce dans les fins bruitages de la platine. Cette demi-heure kaléidoscopique a en fait et paradoxalement une extrême cohérence. Si on me demandait c'est quoi le "soft" noise, l'improvisation radicale contemporaine, je ferais écouter cette pièce. La suivante Turntable Turn contient une dynamique ludique interactive et un surcroît d'intensité tout en maintenant l'émission constante de sonorités inouïes avec un sens du contraste. On y reconnaît mieux le souffle grasseyant de la clarinette basse qui alterne avec les dérapages sonores affolés en giclées et oscillations frénétiques soudaines de Schick. Les incursions de Tuerlinckx dans les cordes et mécanismes du piano, leurs résonances surréelles et les grattages obstinés du filetage cuivré ajoutent encore plus de mystère. Mais dans cette aventure, les paysages sonores et les ambiances se succèdent dans une diversité fascinante et imprévisible. Rien n'est jamais acquis. C'est à mon avis un des albums majeurs à avoir été publié par Confront. Direction Berlin !!
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/anthony-braxton-solo-bern-1984-first-visit
Ezz-thetics est une bouture du légendaire Hat-Hut – Hat Art (hatology etc…) qui avait publié une série d’enregistrements d’Anthony Braxton dans les années 80 et 90. Voici qu’Ezzthetics propose une fantastique perfomance inédite du saxophoniste alto en solo (« absolu ») enregistrée à Berne en 1984. Braxton est le premier saxophoniste à avoir initié des concerts de saxophone (alto) en solo dès 1968 avec son propre répertoire de compositions et accessoirement quelques Standards. Sa démarche en solitaire a entraîné d’autres saxophonistes d’envergure à se produire en solo : Steve Lacy, Roscoe Mitchell, Evan Parker, Joe Mc Phee, Larry Stabbins etc… Dans cet extraordinaire concert Bernois, Anthony Braxton « interprète » quatre standards : Alone Together, Giant Steps, Naima (tous deux de Coltrane) et I Remember you parmi les seize compositions concises et relativement courtes entre les 3 et les 4 minutes et quelques choses. Pour la facilité, la pochette indique les compositions par leurs numéros et lettres (99B, 77H, 170C, 99Q, 118F, 26B, 77G, 106R, 106J, 118Q, 77D, et 118A) sans documenter les schémas – dessins qui leur font office de titres visuel.
J’avoue ne pas être un exégète de la musique de Braxton, même si j’ai écouté intensément ses quartets, solos, duos et autres ensembles qu’il a dirigé dans les années 60, 70 et 80, puis 90. En 1984, il faisait déjà figure d’artiste incontournable depuis au moins 10 ans avec son style complexe et multiforme complètement unique. Il travaille autant le matériau harmonique et « spatial », que les timbres et sonorités dont il a exploré un maximum de ressources au sax alto avec antre autres ces techniques alternatives "bruissonnantes". On y trouve aussi un lyrisme très particulier, une sonorité d’une très grande qualité et une technique en triple détaché d’une complexité et d’une virtuosité ahurissantes. Une musique d’une richesse inouïe et d’une inspiration qui puise autant dans les univers de Webern ou Stockhausen que dans les musiques du monde et l’histoire du jazz. Chacune de ses compositions investigue et décortique un matériau particulier en spirales affolantes staccatos en variation infinie, escaliers eschériens multidimensionnels, bruitages suraigus en ostinatos, ballade sentimentale en suspension, lyrisme moderniste « classique », tournoiements mélodiques infinis, growls gargantuesques accentués en contraste avec des pépiements d’oiseau effarouché, radicalité hérissée de la free-music explosive… Il met à égalité les matériaux mélodique, rythmique, harmonique dans une perspective tridimensionnelle, architecturale et aussi poétique. Notez qu’au saxophone sopranino, instrument difficile, son jeu atteint des hauteurs tout autant similaires. Bref, j’arrête la description en ajoutant, que si vous désirez commencer à vous documenter sur Braxton , First Visit est le must to listen intégral à défaut de trouver un autre album solo disponible. Et il y a la quintessence de Giant Steps à la Braxton qui vaut son pesant d'or. Veuillez noter que le label Leo a publié trois concerts en solo à Pise, Milan et Cologne des années 78, 79 et 81 et Intakt un enregistrement plus récent, en CD, bien sûr. Mais si vous ne les trouvez pas ne faites pas l'impasse sur ce Bern 1984, vous le regretterez toute votre vie. À tomber par terre et s’envoler dans la troisième dimension.
Ivo Perelman - Gabby Fluke - Mogul Joy Duologues vol 2 ibeji Records
https://open.spotify.com/intl-fr/album/ 5vGeeLHfQoDPC2sZ4LfUxX
Entendue récemment avec Fred Frith en Europe, la violoniste New Yorkaise Gabby Fluke-Mogul effectue ici un superbe pas de deux en compagnie du saxophoniste ténor Brésilien Ivo Perelman. Leur tout frais album est paru en digital sur le label digital Ibeji pour lequel Perelman publie ses « Duologues » . Après une extraordinaire parution en duo avec le batteur Tom Rainey (Turning Point), son micro label propose d’excellentes improvisations en duo avec cette violoniste au potentiel indubitable. Gabby a travaillé dans la sphère expérimentale improvisée avec Nava Dunkelman, Joanna Mattrey, Ava Mendoza, Charles Burnham, Fred Frith, Luke Stewart, Zeena Parkins, Tcheser Holmes, Lester St. Louis, William Parker, and Pauline Oliveros (http://www.flukemogul.com/about.html). Sans doute pour elle le duo avec ce saxophoniste si particulier qu’est Ivo Perelman constitue une première et on perçoit bien qu’elle est entièrement à l’écoute de son partenaire lequel est un partisan acharné de l’improvisation collective libre et égalitaire. En plus, iIvo s'est souvent entouré de violonistes, d’altistes ou de violoncellistes remarquables (Mat Maneri, Mark Feldman, Jason Hwang, Phil Wachsmann, Hank Roberts). Dès le premier abord, les deux improvisateurs partagent un goût atavique, organique pour étendre les notes, étirer leurs intervalles avec une remarquable expressivité. Le souffleur monte dans les aigus en les faisant chanter dans le droit fil d’un aylerisme « adulte » et c’est avec grand plaisir que Gabby Fluke-Mogul reprend à son compte ces inflexions sinueuses qui simultanément interfèrent ou se dissocient des notes tenues et des spirales perelmaniennes. Aussi, le morceau 4 début dans le grave du sax ténor induisant de fantastiques timbres graves à l’archet d’une magnifique plasticité. Mais, tous deux ne se contentent pas de formules formatées et de signaux explicites : ils se lancent dans des narrations truffées d’événements sonores et de réactions spontanées qui embrassent différents modes de jeux, spirales, staccatos, suraigus, sifflements modulés et chantants... Au fil de la session, la violoniste, qui semblait sur ses gardes au départ, prend de plus en plus d’assurance pour optimaliser sa créativité instantanée, puisant de plus en plus les meilleures idées parmi les nombreux trucs dans son bagage instrumental classico- alternatif. Bien qu’il soit un musicien très éduqué dans la théorie musicale et les sphères harmoniques, la démarche artistique d’Ivo Perelman est poétique et visuelle avant tout : en écoutant et jouant sa musique, il y voit des couleurs et des formes vivantes, une plastique en mouvement perpétuel semblable à celles qu’un chercheur perçoit par le truchement d’un microscope ultrapuissant dans la matière d’organismes vivants. Une expression jazz intuitive basée sur l’expérience de plusieurs générations de saxophonistes ténor de Ben Webster à Albert Ayler, dont il étend merveilleusement la dimension lyrique en s'inspirant des musiques populaires de son Brésil natal dans une démarche "microtonale". Il joue "faux" en connnaissance de cause pour une authentique expressivité. Une improvisatrice aussi talentueuse et ouverte que Gabby Fluke-Mogul cultive l’ approche télépathique idéale pour s’insérer dans cet univers si particulier par la grâce de sa sensibilité. Splendide duo !
Ratti – O Theta Roberto Di Biaso Antonio Pio Caramella Giulio Izzo Barly Records
https://barlyrecords.it/prodotto/theta/
Roberto Di Blasio a/k/a Aniello Perduto joue des sax alto et soprano et de la batterie sur un morceau, Antonio Pio Caramella de la guitare électrique et Giulio Izzo de la contrebasse et tous trois forment le groupe RATTI ( les rats) et leur album s’intitule O (omicron en Grec ancien),Theta (la lettre grecque pour « th » , le « t » se disant tau). Pas besoin de batterie, les trois musiciens ont une solide sens du rythme. Sauf quand Roberto se met à la batterie, transformant le trio en groupe guitare- basse batterie sans saxophone. Leur musique affiliée au free-jazz combine des thèmes écrits dans l’esprit de cette mouvance avec une « inspiration » rock progressive avec des rythmes complexes en ostinato et parfois une approche très électrique « jazz-rock » de la guitare. Le trio a beaucoup travaillé pour obtenir un style et une identité très personnelle. Comme j’avais déjà chroniqué l’albums solo d’Aniello Perduto, ils m’ont envoyé leur CD et je n’ai pas hésité à le chroniquer vu tous leurs efforts et la réflexion profonde qu’ils ont investi amoureusement dans leur musique, laquelle illustre excellement de nombreuses facettes dans les huit compositions (entre les 3 et 7 minutes, mais plutôt 3), y compris nuances musiciennes et audaces sonores. Fischerle est d’ailleurs une belle pièce de jazz contemporain et Memories endosse tout l’art de la comptine avec celui du contrepoint. Si, généralement, j’écoute rarement ce genre de musiques qui découlent du jazz contemporain, je n’hésiterais pas à assister à un de leurs concerts si j’en avais l’occasion. Surtout que le cheminement du disque morceau par morceau tire progressivement vers l'excellence et une véritable consistance musicale. Une belle réussite d'un vrai collectif pour un beau festival.
Ignaz Schick Anaïs Tuerlinckx Joachim Zoepf Ensemble A Confront Records Core 44.
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/ensemble-a
Depuis de nombreuses années, Confront Records publie des albums d'improvisation radicale dans la mouvance "réductionniste" , lower case, la frange électro-acoustique de cette musique autour de musiciens comme Mark Wastell, Rhodri Davies, Matt Davies, Burkhard Beins, Phil Durrant ou Simon H Fell. Le micro label de Mark Wastell, a mué progressivement vers une démarche multicourants publiant aussi des albums du guitariste Duck Baker, de Paul Dunmall ou de Maggie Nicols. Cet Ensemble A navigue précisément dans cet univers sonore radical fait de textures, de bruissemnts surprenants, signaux électroacoustiques, traitements électroniques, vibrations soniques volatiles qui s'enchevêtrent et s'associent comme on l'entend rarement. Deux "compositions : Electronic Kaléidoscope(30:01) signé Joachim Zoepf et TurntableTurn (22:36) signé Ignaz Schick. Ignaz est un saxophoniste et platiniste (turntablist) de choix et un des acteurs majeurs de la scène Berlinoise "réductionniste" des années 2000 (Andrea Neumann, Burkhard Beins, Michael Renkel, Axel Dörner et cie). Il joue ici du "turntable" et du sampler. Surtout il évite tous les poncifs et effets banals qu'on obtient avec cet engin-objet. Anaïs Tuerlinckx est une excellente pianiste découverte récemment dans un autre album Confront : Au Crépuscule avec Jonas Gerigk et, justement, Burkhard Beins particulièrement remarqué et décrit dans ces lignes. Le troisième larron, le clarinettiste basse et sax soprano Joachim Zoepf mérite qu'on parle de lui et qu'il soit invité sur la scène internationale depuis longtemps. Depuis des nombreuses années, Joachim est un des collaborateurs les plus proches du génial Gunter Christmann et un activiste proche des Georg Wissel, Wolfgang Schliemann, Hans Schneider, etc... C'est sans doute un des plus précis et distingués clarinettistes basses dans la mouvance "comtemporaine" chercheuse de l'improvisation radicale. Sa composition Electroacoustic Kaleidoscope est une pure merveille d'invention sonore et une réalisation essentiellement collective avec un sens de l'imbrication - intrication organique. Si on entend quelques fois le toucher "désincarné" d'Anaïs au clavier ou on devine les délicats pépiements à la clarinette basse qui s'immisce dans les fins bruitages de la platine. Cette demi-heure kaléidoscopique a en fait et paradoxalement une extrême cohérence. Si on me demandait c'est quoi le "soft" noise, l'improvisation radicale contemporaine, je ferais écouter cette pièce. La suivante Turntable Turn contient une dynamique ludique interactive et un surcroît d'intensité tout en maintenant l'émission constante de sonorités inouïes avec un sens du contraste. On y reconnaît mieux le souffle grasseyant de la clarinette basse qui alterne avec les dérapages sonores affolés en giclées et oscillations frénétiques soudaines de Schick. Les incursions de Tuerlinckx dans les cordes et mécanismes du piano, leurs résonances surréelles et les grattages obstinés du filetage cuivré ajoutent encore plus de mystère. Mais dans cette aventure, les paysages sonores et les ambiances se succèdent dans une diversité fascinante et imprévisible. Rien n'est jamais acquis. C'est à mon avis un des albums majeurs à avoir été publié par Confront. Direction Berlin !!
Free Improvising Singer and improvised music writer.
12 août 2024
Spécial Guitares : Otomo Yoshihide with Roger Turner et Masahiko Satoh/ NO Moore James O’Sullivan Ross Lambert with Eddie Prévost/ Olaf Rupp & Udo Schindler/ Eric Mimosa & Christian Vasseur
Quatre albums avec des guitaristes en toute liberté !!
The Sea Trio Live in Munich and Bonn Masahiko Satoh – Otomo Yoshihide – Roger Turner Confront Records Core 43
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/live-in-munich-and-bonn
Un bien curieux assemblage de talents. Le pianiste Masahiko Satoh est sans doute le premier improvisateur free japonais venu jouer et enregistrer en Europe dès 1971. On lui doit l’album Spontaneous en quartet pour le label Enja avec Albert Mangelsdorff , Peter Warren et le batteur Allen Blairman, lequel a joué dans les derniers concerts d’Ayler à la Fondation Maeght en 1970, ainsi que Trinity en trio avec Warren et Pierre Favre. Son jeu est fortement influencé par la musique contemporaine sérieuse de Bartok et Messiaen à Cage ou Stockhausen. Il est encore aujourd’hui un des deux ou trois pianistes free les plus demandés au Japon : on l’a entendu en duo avec Joëlle Léandre et Sabu Toyozumi ou se commettre au sein d'un étrange trio avec Midori Takada et Kang Tae Hwan . Otomo Yoshihide fut l’élève de Mazayuki Takayanagi, le guitariste pionnier du noise, et est devenu un acteur incontournable tant comme guitariste, platiniste, concepteur de projets en cassant les codes avec Ground Zero, Filament et son New Jazz Ensemble. Il lui arrive fréquemment de travailler avec le percussionniste Roger Turner, lequel s’est créé une légende avec Lol Coxhill et Mike Cooper, Phil Minton, John Russell, Michel Doneda, Phil Wachsmann, Thomas Lehn & Tim Hodgkinson, Pat Thomas etc… La confrontation Satoh et Yoshihide semble contradictoire vu que leur manière de jouer et de concevoir l’improvisation semble aux antipodes. Autant Satoh se concentre sur le clavier du piano avec un magnifique toucher et des improvisations logiques basée sur une pra C’est heureusement par le truchement des facéties sonores et rythmico-percussives libérées de Roger Turner que la communication entre ces deux pôles est largement bonifiée. C’est le genre de situations risquées auxquelles s’intéressait particulièrement Derek Bailey avec sa Company qui réunissait des improvisateurs qui n’avaient pas ou n’auraient jamais joué ensemble. Il se fait que Roger Turner évite particulièrement les associations d’improvisateurs « qui sont trop faciles ou évidentes ». Au fil des cinq longues improvisations de 28, 33, 24, 31 et 6 minutes et quelques, l’empathie s’affirme et se concrétise épousant différents modes de jeux et d’interactions collectifs. Il y a inévitablement des phases d’observation et de recherches qui mènent à des passages tout à fait remarquables. Dans un premier temps lors du concert de Munich du 27 avril 2023, guitariste et pianiste assument leurs différences sous l’arbitrage et les commentaires ludiques du percussionniste, lequel avec un volume modéré prend soin de ne pas surjouer ses collègues, accélérant les pulsations un moment pour tout à coup se singulariser avec quelques frappes étonnamment coordonnées et trouvailles sonores qui attirent l’attention. C’est alors qu’Otomo insère des sonorités bruitistes un instant tout en laissant le pianiste s’ébattre dans ses pianismes modernistes sophistiqués. Mais au fil des minutes, l’affaire se complique, s’intensifie, les cadences du piano et son cheminement inspirant des débordements soniques à la guitare électrique alors que Turner joue son grand jeu de saltimbanque de la batterie. Les phases de jeu se succèdent sans se ressembler replongeant soudain dans ce classicisme contemporain face aux effets électroniques ondulant et striant les fréquences saturées. Roger se laissant aller allègrement dans le free drumming éclaté et parfois tapageur tout en gravant de superbes et inventifs interludes percussifs entre différentes phases de jeu. Mention spéciale pour le jeu brillant et savamment détaillé et inventif du pianiste au niveau qualité de toucher, suite dans les idées et son extraordinaire sens rythmique. J’ai toujours pensé que Satoh est un des pianistes parmi les plus exceptionnels de la scène improvisée à l’instar de Fred Van Hove Le deuxième morceau acquiert encore plus d’intensité jusqu’à une forme de transe implacable. Fort heureusement, il semble que les trois improvisateurs aient tenu compte du déroulement de ce premier concert pour proposer une autre vision et une stratégie différente, à la fois plus introspective et plus sensiblement interactive où la force intérieure de chacun et leurs intuitions et expériences aboutissent à une véritable réussite d’un point de vue créatif « improvisé » et une communion d’intentions, de perceptions et d’échanges. Et cela malgré la longueur infinie de chacun des deux morceaux – plats de consistance (24:26 et 31:37) et l’ajout du final de 6 :31. On est proche ici de l’inventivité paradoxalement dramatique et sereine du groupe AMM (Rowe Tilbury Prévost) dont l’instrumentation est identique , le Messiaenno-Bartokisme de Satoh et l’hyperactivité de pivert survolté de Turner crée une belle différence. Tout l’art ici tient à cette faculté inouïe de jouer ensemble avec une véritable cohérence alors que chacun reste fidèle à son langage personnel. On découvre aussi que si Roger Turner est un formidable épigone du free-drumming le plus éclaté, il manifeste un don inné de rythmicien et une rare imagination. Cela détonne sur le jeu sonique noise et sophistiqué d’Otomo Yoshihide lequel est un véritable caméléon de la six cordes : on apeine à croire qu'il s'agit du même guitariste tout au long de ces improvisations somme toute passionnantes. On trouvera peut – être que ces enregistrements souffrent d’une certaine longueur, mais il faut s’y résoudre : les méandres infinis de leurs improvisations collectives aboutissent à des instants, des séquences d’une très grande finesse. Le sel de la terre de l’improvisation musicale.
Eddie Prévost NO Moore James O’Sullivan Ross Lambert Chord Shrike Records.
https://shrikerecords.bandcamp.com/album/chord
Eddie Prévost, le percussionniste légendaire du groupe AMM, a joué très longtemps avec le guitariste Keith Rowe, le pionnier de la guitare sur table préparée avec des objets, accessoires et effets électroniques, radio etc… C’est un peu dans cette direction « métamusicale» « minimaliste » radicale que se situe la musique enregistrée ici par Eddie et pas moins de trois guitaristes électriques audacieux qui tous jouent comme un seul homme dans sept compositions – improvisations particulièrement requérantes. Croyez-moi, trois guitaristes avec les frottements de cymbales et de gongs de Prévost, cela aurait pu être barbant et « encombré », mais rien de tel n’est le cas ici. C’est avec surprise que je découvre ces inexorables sculptures sonores collectives qui flottent dans l’espace. Chaque guitariste contribue méthodiquement et subtilement à un flux sonore où le moindre détail apparaît sur le meilleur jour. Qui de Nathan Moore, James O’Sullivan ou du fidèle Ross Lambert, lequel collabore depuis longtemps avec Eddie Prévost, parviendrons-nous à distinguer l'un de l'autre ? Même si je les ai tous les trois vus et entendus sur scène, cet album est littéralement imprévisible à cet égard et aussi, indescritible. De la "méta-musique" ultra- détaillée, raffinée ou parfois saturée. Du son qui se veut sourd, cristallin, scintillant, bourdonnant, minutieux et finit par frôler le chaos un instant ou frictionner – gratter les cordages avec une atavique obstination sans jamais s'étendre dans des longueurs embarrassantes. Concis et kaléidoscopique, le terme n'est pas galvaudé, je vous prie de me croire. Un instant, toujours, car le quartet évite la moindre réitération, l’inutile resucée, la redite. Ça vibre à l’infini et jamais de la même façon. S’insère brillamment dans ces échanges intergalactiques, les interventions dosées d’Eddie à l’archet sur sa cymbale « fixe » appliquée avec pression sur la caisse claire, unique tambour de son austère attirail, ou des frappes ouatées sur son grand tam-tam (ou « gong »). On l’entend aussi frapper sur des cordes tendues sur un tambour qui évoquent une guitare trafiquée. Et ceka avec un peu de frénésie, laquelle fait imploser joyeusement le collectif… Le paysage sonore défile avec délectation, acuité et une créativité collective optimale. De toute ma carrière d’auditeur maniaque de l’improvisation libre, je n’ai jamais entendu un tel orchestre à trois guitares… en compagnie d’un tel visionnaire, intitulé CHORD.
Udo Schindler & Olaf Rupp HerzAtmungen Creative Sources CS 833CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/herzatmungen
Olaf Rupp est un guitariste volatile dont il faut écouter plusieurs albums pour commencer à cerner l’étendue et la pertinence de son travail avec la six cordes acoustique ou électrique à laquelle il joint une remarquable palette d’effets électroniques. Mais aussi les cinq doigts de la main gauche et surtout les cinq doigts de la main droite. Que ce soit en solo, avec Tristan Honsinger, Lol Coxhill, Shoji Hano, Tony Buck, Joe Williamson, Rudi Mahall, Ulrike Brand, Rudi Fischlehner, Paul Rogers et Frank Paul Schubert, Olaf Rupp est un étonnant musicien. Quoi de plus naturel pour lui de découvrir un nouvel horizon avec cet obstiné pluri-instrumentiste chercheur qu’est Udo Schindler, lequel a enregistré avec une kyrielle d’improvisateurs de tous bords dont Jaap Blonk, Peter Jacquemyn, Damon Smith, Irene Kepl, Erhard Hirt, Wilbert De Joode, Xu Feng Xia, Nikolaus Neuser, Andreas Willers, Meinrad Kneer, Eric Zwang Eriksson… . Dans ces HerzAtmungen enregistrés à Munich en juin de l’année dernière , on l’entend au cornet, à la clarinette basse, au sax alto et au tuba avec un amour pour le son, les glissandi curieux, la pâte sonore, le mystère. Tous deux construisent patiemment et spontanément des événements sonores auxquels notre écoute imaginative et notre imaginaire se joignent aux leurs pour voyager, rêver, ressentir, se libérer de nos idées toutes faites. Les effets de durée et de résonnance de la guitare amplifiée , de ses harmoniques se mêlent au scintillement de la colonne d’air pressée à l’embouchure par les sifflements et sussurements d’Udo. Les gargouillis de la clarinette basse, ses grasseyements trouvent un écho dans les oscillations et tremblements électriques. La photo de pochette nous montre Olaf à l’archet sur les cordes de sa fender et Udo engagé dans un growl vibrant dans le pavillon de sa clarinette basse. Leur mise en commun de tous ces éléments sonores voisins, miroités ou contrastés crée un univers sonore unique, onirique, suspendu dans l’espace du silence, à la fois mouvant et statique. Tous deux sont immergés dans la marge de leurs instruments, au-delà des limites d’un jeu « normal » Leur approche a toute la sensibilité du meilleur jazz sans que les formes ne relèvent d’aucune musique formelle ou programmée. Sauf peut-être le phrasé du sax alto en 4/ où Olaf Rupp alterne deux approches, une en cascade qui coïncident avec l’articulation du sax et une autre qui détonne à ravir. J’avais déjà bien apprécié le travail d'Udo Schindler avec le guitariste Gunnar Geisse et le clarinettiste Ove Volquartz ainsi que son duo avec un autre guitariste, Andreas Willers. Cela se confirme ici avec un autre guitariste, Olaf Rupp qui le transporte aux confins de l’imaginaire. Un magnifique dialogue inattendu entre deux improvisateurs chevronnés…
Eric Mimosa et Christian Vasseur Les Sans Ombre Creative Sources CD831CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/les-sans-ombre
Deux « archtop » guitares maniées artistement et audacieusement par deux improvisateurs expérimentés, soit deux guitares acoustiques sur lesquelles les six cordes sont tendues sur un chevalet. Il n’y a pas de « s » au pluriel des « Sans Ombre » car, quand il y a zéro ombre c’est comme s’il y en avait une, la langue française ayant déjà commencé son chemin avant que nos ancêtres aient adopté le zéro comme valeur numérale avant le chiffre « un ». Aussi, aucun des deux guitaristes ne fait de l’ombre à l’autre, car ils jouent à égalité sans qu’on puisse distinguer lequel joue ceci et l’autre cela. Eric Mimosa et Christian Vasseur improvisent ensemble neuf morceaux aux titres nonsensiques, à la fois béats et intriguant, comme Serpent Pois-Chiche, Tonitruant Mangemots, Sanglant Papy Roulette, Papillon Biscotte ou Roule Sans-Tête, en forme de contrepoints anarchiques, d’écarts géométriques sauvages, d’obsessions hyperactives, d’ostinatos ribouldingues, de zigzags forcenés, avec force harmoniques, intuitions automatiques, imbrications alambiquées, bruitages détaillés à l’extrême ou rêves suspendus résonnant par-dessus le vide du silence. Mantra ludique du délire guitaristique. Tous deux utilisent des techniques alternatives non conventionnelles pour obtenir une expressivité inédite dans une dimension exploratoire. J’aime particulièrement le Sanglant Papy Roulette, construction collective où leurs doigtés et imaginaires fusionnent merveilleusement , nous donnant ainsi les clés pour que notre écoute plonge plus aisément dans les autres pièces ici proposées, certaines guidées par de véritables narratifs « visuels ». Roule Sans Tête est une autre paire de manches. Christian Vasseur est un activiste incontournable de Mons en Baroeul dans la grande banlieue de Lille. Il nous a déjà livré plusieurs témoignages sonores gratifiants et décortiqués dans ces lignes. Fantastique d’avoir rencontré un super alter-ego comme Éric Mimosa, car la somme de leurs talents est superlative ! Quelle équipe ....
The Sea Trio Live in Munich and Bonn Masahiko Satoh – Otomo Yoshihide – Roger Turner Confront Records Core 43
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/live-in-munich-and-bonn
Un bien curieux assemblage de talents. Le pianiste Masahiko Satoh est sans doute le premier improvisateur free japonais venu jouer et enregistrer en Europe dès 1971. On lui doit l’album Spontaneous en quartet pour le label Enja avec Albert Mangelsdorff , Peter Warren et le batteur Allen Blairman, lequel a joué dans les derniers concerts d’Ayler à la Fondation Maeght en 1970, ainsi que Trinity en trio avec Warren et Pierre Favre. Son jeu est fortement influencé par la musique contemporaine sérieuse de Bartok et Messiaen à Cage ou Stockhausen. Il est encore aujourd’hui un des deux ou trois pianistes free les plus demandés au Japon : on l’a entendu en duo avec Joëlle Léandre et Sabu Toyozumi ou se commettre au sein d'un étrange trio avec Midori Takada et Kang Tae Hwan . Otomo Yoshihide fut l’élève de Mazayuki Takayanagi, le guitariste pionnier du noise, et est devenu un acteur incontournable tant comme guitariste, platiniste, concepteur de projets en cassant les codes avec Ground Zero, Filament et son New Jazz Ensemble. Il lui arrive fréquemment de travailler avec le percussionniste Roger Turner, lequel s’est créé une légende avec Lol Coxhill et Mike Cooper, Phil Minton, John Russell, Michel Doneda, Phil Wachsmann, Thomas Lehn & Tim Hodgkinson, Pat Thomas etc… La confrontation Satoh et Yoshihide semble contradictoire vu que leur manière de jouer et de concevoir l’improvisation semble aux antipodes. Autant Satoh se concentre sur le clavier du piano avec un magnifique toucher et des improvisations logiques basée sur une pra C’est heureusement par le truchement des facéties sonores et rythmico-percussives libérées de Roger Turner que la communication entre ces deux pôles est largement bonifiée. C’est le genre de situations risquées auxquelles s’intéressait particulièrement Derek Bailey avec sa Company qui réunissait des improvisateurs qui n’avaient pas ou n’auraient jamais joué ensemble. Il se fait que Roger Turner évite particulièrement les associations d’improvisateurs « qui sont trop faciles ou évidentes ». Au fil des cinq longues improvisations de 28, 33, 24, 31 et 6 minutes et quelques, l’empathie s’affirme et se concrétise épousant différents modes de jeux et d’interactions collectifs. Il y a inévitablement des phases d’observation et de recherches qui mènent à des passages tout à fait remarquables. Dans un premier temps lors du concert de Munich du 27 avril 2023, guitariste et pianiste assument leurs différences sous l’arbitrage et les commentaires ludiques du percussionniste, lequel avec un volume modéré prend soin de ne pas surjouer ses collègues, accélérant les pulsations un moment pour tout à coup se singulariser avec quelques frappes étonnamment coordonnées et trouvailles sonores qui attirent l’attention. C’est alors qu’Otomo insère des sonorités bruitistes un instant tout en laissant le pianiste s’ébattre dans ses pianismes modernistes sophistiqués. Mais au fil des minutes, l’affaire se complique, s’intensifie, les cadences du piano et son cheminement inspirant des débordements soniques à la guitare électrique alors que Turner joue son grand jeu de saltimbanque de la batterie. Les phases de jeu se succèdent sans se ressembler replongeant soudain dans ce classicisme contemporain face aux effets électroniques ondulant et striant les fréquences saturées. Roger se laissant aller allègrement dans le free drumming éclaté et parfois tapageur tout en gravant de superbes et inventifs interludes percussifs entre différentes phases de jeu. Mention spéciale pour le jeu brillant et savamment détaillé et inventif du pianiste au niveau qualité de toucher, suite dans les idées et son extraordinaire sens rythmique. J’ai toujours pensé que Satoh est un des pianistes parmi les plus exceptionnels de la scène improvisée à l’instar de Fred Van Hove Le deuxième morceau acquiert encore plus d’intensité jusqu’à une forme de transe implacable. Fort heureusement, il semble que les trois improvisateurs aient tenu compte du déroulement de ce premier concert pour proposer une autre vision et une stratégie différente, à la fois plus introspective et plus sensiblement interactive où la force intérieure de chacun et leurs intuitions et expériences aboutissent à une véritable réussite d’un point de vue créatif « improvisé » et une communion d’intentions, de perceptions et d’échanges. Et cela malgré la longueur infinie de chacun des deux morceaux – plats de consistance (24:26 et 31:37) et l’ajout du final de 6 :31. On est proche ici de l’inventivité paradoxalement dramatique et sereine du groupe AMM (Rowe Tilbury Prévost) dont l’instrumentation est identique , le Messiaenno-Bartokisme de Satoh et l’hyperactivité de pivert survolté de Turner crée une belle différence. Tout l’art ici tient à cette faculté inouïe de jouer ensemble avec une véritable cohérence alors que chacun reste fidèle à son langage personnel. On découvre aussi que si Roger Turner est un formidable épigone du free-drumming le plus éclaté, il manifeste un don inné de rythmicien et une rare imagination. Cela détonne sur le jeu sonique noise et sophistiqué d’Otomo Yoshihide lequel est un véritable caméléon de la six cordes : on apeine à croire qu'il s'agit du même guitariste tout au long de ces improvisations somme toute passionnantes. On trouvera peut – être que ces enregistrements souffrent d’une certaine longueur, mais il faut s’y résoudre : les méandres infinis de leurs improvisations collectives aboutissent à des instants, des séquences d’une très grande finesse. Le sel de la terre de l’improvisation musicale.
Eddie Prévost NO Moore James O’Sullivan Ross Lambert Chord Shrike Records.
https://shrikerecords.bandcamp.com/album/chord
Eddie Prévost, le percussionniste légendaire du groupe AMM, a joué très longtemps avec le guitariste Keith Rowe, le pionnier de la guitare sur table préparée avec des objets, accessoires et effets électroniques, radio etc… C’est un peu dans cette direction « métamusicale» « minimaliste » radicale que se situe la musique enregistrée ici par Eddie et pas moins de trois guitaristes électriques audacieux qui tous jouent comme un seul homme dans sept compositions – improvisations particulièrement requérantes. Croyez-moi, trois guitaristes avec les frottements de cymbales et de gongs de Prévost, cela aurait pu être barbant et « encombré », mais rien de tel n’est le cas ici. C’est avec surprise que je découvre ces inexorables sculptures sonores collectives qui flottent dans l’espace. Chaque guitariste contribue méthodiquement et subtilement à un flux sonore où le moindre détail apparaît sur le meilleur jour. Qui de Nathan Moore, James O’Sullivan ou du fidèle Ross Lambert, lequel collabore depuis longtemps avec Eddie Prévost, parviendrons-nous à distinguer l'un de l'autre ? Même si je les ai tous les trois vus et entendus sur scène, cet album est littéralement imprévisible à cet égard et aussi, indescritible. De la "méta-musique" ultra- détaillée, raffinée ou parfois saturée. Du son qui se veut sourd, cristallin, scintillant, bourdonnant, minutieux et finit par frôler le chaos un instant ou frictionner – gratter les cordages avec une atavique obstination sans jamais s'étendre dans des longueurs embarrassantes. Concis et kaléidoscopique, le terme n'est pas galvaudé, je vous prie de me croire. Un instant, toujours, car le quartet évite la moindre réitération, l’inutile resucée, la redite. Ça vibre à l’infini et jamais de la même façon. S’insère brillamment dans ces échanges intergalactiques, les interventions dosées d’Eddie à l’archet sur sa cymbale « fixe » appliquée avec pression sur la caisse claire, unique tambour de son austère attirail, ou des frappes ouatées sur son grand tam-tam (ou « gong »). On l’entend aussi frapper sur des cordes tendues sur un tambour qui évoquent une guitare trafiquée. Et ceka avec un peu de frénésie, laquelle fait imploser joyeusement le collectif… Le paysage sonore défile avec délectation, acuité et une créativité collective optimale. De toute ma carrière d’auditeur maniaque de l’improvisation libre, je n’ai jamais entendu un tel orchestre à trois guitares… en compagnie d’un tel visionnaire, intitulé CHORD.
Udo Schindler & Olaf Rupp HerzAtmungen Creative Sources CS 833CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/herzatmungen
Olaf Rupp est un guitariste volatile dont il faut écouter plusieurs albums pour commencer à cerner l’étendue et la pertinence de son travail avec la six cordes acoustique ou électrique à laquelle il joint une remarquable palette d’effets électroniques. Mais aussi les cinq doigts de la main gauche et surtout les cinq doigts de la main droite. Que ce soit en solo, avec Tristan Honsinger, Lol Coxhill, Shoji Hano, Tony Buck, Joe Williamson, Rudi Mahall, Ulrike Brand, Rudi Fischlehner, Paul Rogers et Frank Paul Schubert, Olaf Rupp est un étonnant musicien. Quoi de plus naturel pour lui de découvrir un nouvel horizon avec cet obstiné pluri-instrumentiste chercheur qu’est Udo Schindler, lequel a enregistré avec une kyrielle d’improvisateurs de tous bords dont Jaap Blonk, Peter Jacquemyn, Damon Smith, Irene Kepl, Erhard Hirt, Wilbert De Joode, Xu Feng Xia, Nikolaus Neuser, Andreas Willers, Meinrad Kneer, Eric Zwang Eriksson… . Dans ces HerzAtmungen enregistrés à Munich en juin de l’année dernière , on l’entend au cornet, à la clarinette basse, au sax alto et au tuba avec un amour pour le son, les glissandi curieux, la pâte sonore, le mystère. Tous deux construisent patiemment et spontanément des événements sonores auxquels notre écoute imaginative et notre imaginaire se joignent aux leurs pour voyager, rêver, ressentir, se libérer de nos idées toutes faites. Les effets de durée et de résonnance de la guitare amplifiée , de ses harmoniques se mêlent au scintillement de la colonne d’air pressée à l’embouchure par les sifflements et sussurements d’Udo. Les gargouillis de la clarinette basse, ses grasseyements trouvent un écho dans les oscillations et tremblements électriques. La photo de pochette nous montre Olaf à l’archet sur les cordes de sa fender et Udo engagé dans un growl vibrant dans le pavillon de sa clarinette basse. Leur mise en commun de tous ces éléments sonores voisins, miroités ou contrastés crée un univers sonore unique, onirique, suspendu dans l’espace du silence, à la fois mouvant et statique. Tous deux sont immergés dans la marge de leurs instruments, au-delà des limites d’un jeu « normal » Leur approche a toute la sensibilité du meilleur jazz sans que les formes ne relèvent d’aucune musique formelle ou programmée. Sauf peut-être le phrasé du sax alto en 4/ où Olaf Rupp alterne deux approches, une en cascade qui coïncident avec l’articulation du sax et une autre qui détonne à ravir. J’avais déjà bien apprécié le travail d'Udo Schindler avec le guitariste Gunnar Geisse et le clarinettiste Ove Volquartz ainsi que son duo avec un autre guitariste, Andreas Willers. Cela se confirme ici avec un autre guitariste, Olaf Rupp qui le transporte aux confins de l’imaginaire. Un magnifique dialogue inattendu entre deux improvisateurs chevronnés…
Eric Mimosa et Christian Vasseur Les Sans Ombre Creative Sources CD831CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/les-sans-ombre
Deux « archtop » guitares maniées artistement et audacieusement par deux improvisateurs expérimentés, soit deux guitares acoustiques sur lesquelles les six cordes sont tendues sur un chevalet. Il n’y a pas de « s » au pluriel des « Sans Ombre » car, quand il y a zéro ombre c’est comme s’il y en avait une, la langue française ayant déjà commencé son chemin avant que nos ancêtres aient adopté le zéro comme valeur numérale avant le chiffre « un ». Aussi, aucun des deux guitaristes ne fait de l’ombre à l’autre, car ils jouent à égalité sans qu’on puisse distinguer lequel joue ceci et l’autre cela. Eric Mimosa et Christian Vasseur improvisent ensemble neuf morceaux aux titres nonsensiques, à la fois béats et intriguant, comme Serpent Pois-Chiche, Tonitruant Mangemots, Sanglant Papy Roulette, Papillon Biscotte ou Roule Sans-Tête, en forme de contrepoints anarchiques, d’écarts géométriques sauvages, d’obsessions hyperactives, d’ostinatos ribouldingues, de zigzags forcenés, avec force harmoniques, intuitions automatiques, imbrications alambiquées, bruitages détaillés à l’extrême ou rêves suspendus résonnant par-dessus le vide du silence. Mantra ludique du délire guitaristique. Tous deux utilisent des techniques alternatives non conventionnelles pour obtenir une expressivité inédite dans une dimension exploratoire. J’aime particulièrement le Sanglant Papy Roulette, construction collective où leurs doigtés et imaginaires fusionnent merveilleusement , nous donnant ainsi les clés pour que notre écoute plonge plus aisément dans les autres pièces ici proposées, certaines guidées par de véritables narratifs « visuels ». Roule Sans Tête est une autre paire de manches. Christian Vasseur est un activiste incontournable de Mons en Baroeul dans la grande banlieue de Lille. Il nous a déjà livré plusieurs témoignages sonores gratifiants et décortiqués dans ces lignes. Fantastique d’avoir rencontré un super alter-ego comme Éric Mimosa, car la somme de leurs talents est superlative ! Quelle équipe ....
Free Improvising Singer and improvised music writer.
23 juillet 2024
Joëlle Léandre Elisabeth Harnik Zlatko Kaucic/ Giorgio Pacorig & Stefano Giust/ John Butcher solo/ Marta Grzywacz Sebastian Mac Paulina Owczarek
Live in St Johann Joëlle Léandre Elisabeth Harnik Zlatko Kaucic Fundacja Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/live-in-st-johann
Voilà que notre chère Irene Schweizer s’en est allée suivant ainsi ses camarades Fred Van Hove, Misha Mengelberg, Cecil Taylor. Mais je pense que nous pouvons aller de l’avant quelque que furent le talent génial de ses merveilleux anciens, il y un nombre exponentiel d’artistes d’envergure qui méritent d’être écoutés et suivis. Parmi les pianistes, je pense à Elisabeth Harnik, mais aussi Jacques Demierre, Frédéric Blondy, Lisa Ullen ou Nicolà Guazzaloca. Il en faut pour tous les goûts et nos « moods » d’écoute et de plaisir au-delà des obédiences esthétiques … . Donc, Elisabeth Harnik dont j’ai souligné l’excellent travail avec Alison Blunt et tout récemment avec Harri Sjöström, Tony Buck et John Edwards. Elle nous a confié aussi un super duo avec le percussionniste slovène Zlatko Kaucic, lequel est un fidèle de la contrebassiste Joëlle Léandre, elle-même proche collaboratrice d’Irène avec la vocaliste Maggie Nicols (Les Diaboliques). La boucle est bouclée, mais il y a une kyrielle de nœuds, ou mieux, de points nodaux dans cette équipée qui valent le détour d’être relevés au fil de l’écoute. Tout d’abord, un grand bon point au percussionniste qui aère son jeu avec des nuances de frappes sur de multiples objets percussifs et réagit à bon escient aux impulsions des deux dames. Toute la place voulue pour les jeux frottés à l’archet et les remarquables nuances dans les intensités et vibrations projetées par Joëlle Léandre : la grande classe ! La pianiste s’insère adroitement dans les échanges via la table d’harmonie sollicitée de manière aérienne, poétique, murmures et résonances de marteaux des quels se distinguent les cliquetis et le jeu boisé en « sciures » du tandem basse batterie qui font corps l’un à l’autre. Un jeu suspendu au-dessous du vide durant dix sept minutes préparatoires à quatre mouvements plus ramassés. Au fil du temps à l’occasion de glissandi vibrants grondants, s’invite le jeu perlé au clavier d’Harnik initiant ce tournoiement ondoyant « répétitif » dont elle a le secret (toucher merveilleux). Une question se pose avant la minute douze : pourquoi pas le chaos, les frémissements bruissants …. Et un peu d’action : on atterrit pile dans le chaudron des sorcières de la free music, mais sans en rajouter…. Et avec les récriminations phonémiques de Léandre…. Le paysage évolue comme dans un voyage en toute musicalité spontanée. « C’est pas grave , c’est pas bien » dit-elle mais ça joue et avec des nuances dans la dynamique, Madame et c’est ce qui compte ! S’ensuit ces quatre morceaux de choix et substantiels fait d’improvisation chercheuse dans les entrailles et « à côté » des trois instruments. Est-ce bien un trio piano, basse, batterie ? Ah oui le trio jazz convenable… Ici c’est un atelier laboratoire où les formules se dissolvent, les idées s’évanouissent, le jeu devient vraiment ludique. Chapeau encore à l’attitude foncièrement improvisée du jeu du batteur, ici authentiquement improvisateur libre à l’instar des Paul Lovens, Roger Turner et de John Stevens au sein du SME ! Pas de pétarade, de roulements, de cogneries, d’effets machos et de tics et de tocs sortis tout droits des leçons exercices de batterie. Mais quel batteur quand même ! Bon : Joëlle, Elisabeth et Zlatko, je vote pour !
Giorgio Pacorig Stefano Giust Cosi com’è Setola di Maiale SM4740
https://www.stefanogiust.it/discography/selected-discography
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4740
Duo piano (Giorgio Pacorig) et batterie (Stefano Giust). Stefano est l’infatigable activiste qui se démène aux fourneaux du label Setola di Maiale depuis 1993, le catalogue s’approchant de la limite des 500 références et offrant un panorama exhaustif des musiques improvisées et expérimentales au Sud des Alpes avec de solides collaborations d’artistes étrangers. Incroyable !! En outre, Stefano se coltine tout le travail graphique des pochettes contre vents et marées. J’ai personnellement, rarement rencontré une personne dévouée comme peut l’être Stefano Giust. Giorgio Pacorig est un habitué de Setola et a souvent joué avec Giust au fil des ans, lequel batteur a déjà une belle histoire commune avec deux autres pianistes remarquables comme Thollem McDonas - cfr le « power trio » MagicMC avec McDonas et le saxophoniste ténor Edoardo Marraffa – et comme Nicolà Guazzaloca en compagnie du flûtiste Nils Gerold. Ces deux trios ont été documentés par Setola di Maiale et aussi par Amirani. Trois improvisations vagabondes focalisées sur l’écoute mutuelle et une évidente dynamique sonore et rythmique sont développées ici durant 27’11’’, 24’14’’ et 14’22’’. Dans Guardavi la Boan era il mare, je songe à l’ambiance décontractée et planante de ce vieil album de Paul Bley « In Haarlem » ou encore « Ballads ». On retrouve ailleurs la nervosité d’un Keith Tippett… Le degré de communion et la fine cohésion de ce duo sont propices à l’élaboration de narratifs évoluant du calme plat à la mer démontée. Aussi, l’utilisation d’effets sonores par d’astucieux frottements et vibrations, frictions et murmures dans le chef de Stefano Giust opère à ouvrir l’inspiration à la fois rêveuse et désenchantée des voicings étranges et lumineux de Giorgio Pacorig au piano, lequel brode indéfiniment par tuilage en écho étirant les harmonies ou articulant des doigtés anguleux dans une giration qui semble infinie un instant jusqu’à ce qu’un motif rythmico-mélodique tournoie par-dessus les vagues de frappes à la batterie, ressac mystérieux. Ressac qui se resserre jusqu’à un tournoyant numéro « télégraphique » d’une grande précision rythmique dans le chef du pianiste. On se situe là au niveau du jazz cosmique. En 2/, Memorie di amicizie e rugiada s’affirme comme un beau témoignage de piano free servi par un batteur au service discret d’un dialogue plus qu’efficace. Vers la 11ème minute, Pacorig joue dans les cordes de la table d’harmonie avec un esprit voisin de Keith Tippett : c’est le moment choisi par le batteur pour démontrer toute sa sensibilité au niveau de la micro -percussion alors son acolyte se remet au clavier pour rêver aux étoiles avec ce lyrisme spontané, sa marque de fabrique… Rugiada signifie Rosée et c’est à cela qu’on songe en écoutant le doigté perlé de Giorgio Pacorig. Voici un duo remarquable, fin et assumé avec un excellent niveau de musicalité.
Nigemizu John Butcher solo Uchimizu
https://johnbutcher1.bandcamp.com/album/nigemizu
Enregistré en 2013 à Osaka ainsi que dans la fameuse Hall Egg Farm et publié semble-t-il en 2015 par Hisachi Terauchi, un légendaire promoteur Japonais, Nigemizu date donc dans le flux digital des nouveautés discographiques. Je n’avais jusqu’alors jamais entrevu la moindre trace de cet album de John Butcher jusqu’à ce que Hisashi Terauchi publie en fin cet extraordinaire Concert In Iwaki de l’Evan Parker Electro-Acoustic Quartet (enregistré en 2000 avec Paul Lytton, Joel Ryan & Lawrence Casserley) en 2021. C’est avec cette musique qui fit craquer le continuum de l’espace-temps à Fukushima (!) qu’Evan Parker avait prévu d’inaugurer son propre label Psi en 2001. Vu l’insistance d’Hisachi Terauchi à le publier lui-même au Japon, ce projet fut abandonné par Psi alors que l’Electro-Acoustic Ensemble d’Evan Parker était en pleine effervescence, avec concerts et CD’s ECM. J’en avais entendu les mérites immenses de ce mythique concert par Casserley lui-même. Finalement en 2022, une copie du cd Japonais publié par Uchimizu est parvenue dans mes mains alors que cette aventure appartient déjà à un lointain passé. Mais quelle musique extraordinaire au niveau du son « électronique » ! C’est alors que je me suis aperçu qu’il y avait un solo de John Butcher sur le même label Uchimizu sans me rendre compte que ce n’était plus une nouveauté. Mais pourquoi je ne me refuserais pas le plaisir de commenter cet album de John Butcher. La personnalité de John figure l’archétype du saxophoniste d’improvisation libre qui s’est détaché du postulat « Evan Parkerien » en incarnant « un style » personnel super original avec une logique imparable et qui comme Parker (et Urs Leimgruber) est un véritable spécialiste des deux instruments, le sax ténor et le sax soprano. Ces deux binious sont souvent associés dans la pratique de souffle de nombreux saxophonistes de jazz moderne / contemporain comme John Coltrane, Dave Liebman, Archie Shepp, Sonny Fortune etc… pour la simple et bonne raison qu’ils sont construits dans la même clé (si bémol) et que les doigtés des clés sont identiques . Profitant d’un bref séjour à Londres, j’ai miraculeusement trouvé une copie de ce mystérieux Nigemizu ! On y trouve toute l’extrême précision et la patience méthodique dans la construction musicale de John Butcher. Une énergie implacable, une science des extrêmes aigus et sifflements aviaires au sax soprano hallucinante. Mais c’est au ténor , enregistré dans une église d’Osaka, que débute l’album et dont on appréciera les growls calibrés caractéristiques de Butcher dans Enrai. Deux improvisations / compositions au sax soprano , Uchimizu et Hamon, ont été enregistrées dans le Hall Egg Farm, un lieu où AMM, Borbetomagus et Steve Lacy ont gravé des albums par le passé. Il s’agit de la fine fleur de l’art de John Butcher en solo ou une forme de spontanéité lyrique éclate progressivement après une introduction proche de l’univers de Steve Lacy où John décline progressivement les moindres nuances d’accentuation entre les notes qui mettent en valeur la spécificité de chaque intervalle en extrapolant chaque relation possible entre chacun des sons, déconstruisant et réédifiant les implications harmoniques. Surtout cette pièce dure plus de 19 minutes et pour que la créativité se maintienne, Butcher introduit des bruissements organiques et des harmoniques extrêmement maîtrisés au-delà du registre aigu du soprano. S’insèrent alors des effets sonores expressifs tels le canard de Steve Lacy, ou subitement spiralés en secousses sans pour autant que son souffle ressemble à celui du grand Steve. Mais ces deux -là partagent le même souci du détail infime et cette obsessions de formes ajustées à l’infini. C’est absolument fabuleux ! Ce qu’il arrive à caser comme matériau « compositionnel » et à le développer dans ces 19 minutes en utilisant autant son imaginaire que sa science du saxophone et de ses sonorités les plus extrêmes. Ce n’est pas le tout de pêcher les harmoniques les plus injouables, il faut encore articuler ces sonorités pour nourrir ce narratif, cette histoire pour en tirer une œuvre irrévocable qui finit d’ailleurs dans les limbes de murmures avant que les boucles en respiration circulaire engendre une autre luminosité. La respiration circulaire au souffle ininterrompu est en soit un truc de cirque sauf si comme John Butcher, cette contrainte est chamboulée par une articulation remarquable et une capacité de variations où à chaque instant se bousculent notes, glissandi, doigtés, accents, timbres spécifiques qui illuminent le champ auditif et l’espace sonore comme un sapin de Noël psychédélique. L’ordonnancement de ses trouvailles n'est rien d’autre que magique. Pour ceux qui l’ignorent encore, John Butcher a été un professeur de mathématiques supérieures dans une autre vie, mais il a préféré un jour jouer du saxophone et créer sa musique. Pour notre plus grand bonheur !
Dépêchez-vous, John n’en n’a plus que 8 copies disponibles.
Marta Grzywacz Sebastian Mac Paulina Owczarek what is that ? scätter archives
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/what-is-that
Marta Grzywacz voice Sebastian Mac guitar et Paulina Owczarek baritone saxophone : voilà au moins un trio instrumental peu commun : voix humaine + guitare électrique + sax baryton.
De la pure improvisation libre. Une chanteuse diseuse phonémiste s’autorisant pas mal d’écarts vocaux et d’audaces, un guitariste expérimentateur qui n’hésite pas à frotter, faire crisser ou piqueter cordes frettes et micros avec effets, bruitisme, manie pointilliste ou simplement mélodique. Veille au grain la saxophoniste baryton tour à tour ombrageuse, grondonnante, bourdonnante ou minimaliste. Le trio veille à diversifier sa stratégie sonore, la dynamique, l’intensité. Avec le sens de l’espace, la voix libérée de Marta Gzrywacz a tout le loisir de projeter une comptine, des phonèmes fragmentés en pagaille, des succions des lèvres, des suraigus d’un gosier en furie, des sursauts de soprano des avalements de syllabes, des aspirations gargouillantes, un filet de voix ésotérique ou un chant suave et angélique, de délirantes associations de diphtongues de langues imaginaires entre l’Asie du Sud Est et l’Islande. En suivant les neuf improvisations à la trace, on est ravi par l'évolution de la vocalité de Marta Grzywacz. En cela, sa performance est aiguillonnée par la créativité de ses deux complices/ Bref, vous aurez toute la panoplie vocale servie avec fraîcheur, insolence et un clin d’œil à la bienséance en accordance avec l’ouverture et la complicité de Sebastian Mac et Paulina Owczarek entendue récemment avec le pianiste Witold Oleszak et aussi le batteur Peter Orins. Un trio au potentiel évident et ludique.
https://sluchaj.bandcamp.com/album/live-in-st-johann
Voilà que notre chère Irene Schweizer s’en est allée suivant ainsi ses camarades Fred Van Hove, Misha Mengelberg, Cecil Taylor. Mais je pense que nous pouvons aller de l’avant quelque que furent le talent génial de ses merveilleux anciens, il y un nombre exponentiel d’artistes d’envergure qui méritent d’être écoutés et suivis. Parmi les pianistes, je pense à Elisabeth Harnik, mais aussi Jacques Demierre, Frédéric Blondy, Lisa Ullen ou Nicolà Guazzaloca. Il en faut pour tous les goûts et nos « moods » d’écoute et de plaisir au-delà des obédiences esthétiques … . Donc, Elisabeth Harnik dont j’ai souligné l’excellent travail avec Alison Blunt et tout récemment avec Harri Sjöström, Tony Buck et John Edwards. Elle nous a confié aussi un super duo avec le percussionniste slovène Zlatko Kaucic, lequel est un fidèle de la contrebassiste Joëlle Léandre, elle-même proche collaboratrice d’Irène avec la vocaliste Maggie Nicols (Les Diaboliques). La boucle est bouclée, mais il y a une kyrielle de nœuds, ou mieux, de points nodaux dans cette équipée qui valent le détour d’être relevés au fil de l’écoute. Tout d’abord, un grand bon point au percussionniste qui aère son jeu avec des nuances de frappes sur de multiples objets percussifs et réagit à bon escient aux impulsions des deux dames. Toute la place voulue pour les jeux frottés à l’archet et les remarquables nuances dans les intensités et vibrations projetées par Joëlle Léandre : la grande classe ! La pianiste s’insère adroitement dans les échanges via la table d’harmonie sollicitée de manière aérienne, poétique, murmures et résonances de marteaux des quels se distinguent les cliquetis et le jeu boisé en « sciures » du tandem basse batterie qui font corps l’un à l’autre. Un jeu suspendu au-dessous du vide durant dix sept minutes préparatoires à quatre mouvements plus ramassés. Au fil du temps à l’occasion de glissandi vibrants grondants, s’invite le jeu perlé au clavier d’Harnik initiant ce tournoiement ondoyant « répétitif » dont elle a le secret (toucher merveilleux). Une question se pose avant la minute douze : pourquoi pas le chaos, les frémissements bruissants …. Et un peu d’action : on atterrit pile dans le chaudron des sorcières de la free music, mais sans en rajouter…. Et avec les récriminations phonémiques de Léandre…. Le paysage évolue comme dans un voyage en toute musicalité spontanée. « C’est pas grave , c’est pas bien » dit-elle mais ça joue et avec des nuances dans la dynamique, Madame et c’est ce qui compte ! S’ensuit ces quatre morceaux de choix et substantiels fait d’improvisation chercheuse dans les entrailles et « à côté » des trois instruments. Est-ce bien un trio piano, basse, batterie ? Ah oui le trio jazz convenable… Ici c’est un atelier laboratoire où les formules se dissolvent, les idées s’évanouissent, le jeu devient vraiment ludique. Chapeau encore à l’attitude foncièrement improvisée du jeu du batteur, ici authentiquement improvisateur libre à l’instar des Paul Lovens, Roger Turner et de John Stevens au sein du SME ! Pas de pétarade, de roulements, de cogneries, d’effets machos et de tics et de tocs sortis tout droits des leçons exercices de batterie. Mais quel batteur quand même ! Bon : Joëlle, Elisabeth et Zlatko, je vote pour !
Giorgio Pacorig Stefano Giust Cosi com’è Setola di Maiale SM4740
https://www.stefanogiust.it/discography/selected-discography
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4740
Duo piano (Giorgio Pacorig) et batterie (Stefano Giust). Stefano est l’infatigable activiste qui se démène aux fourneaux du label Setola di Maiale depuis 1993, le catalogue s’approchant de la limite des 500 références et offrant un panorama exhaustif des musiques improvisées et expérimentales au Sud des Alpes avec de solides collaborations d’artistes étrangers. Incroyable !! En outre, Stefano se coltine tout le travail graphique des pochettes contre vents et marées. J’ai personnellement, rarement rencontré une personne dévouée comme peut l’être Stefano Giust. Giorgio Pacorig est un habitué de Setola et a souvent joué avec Giust au fil des ans, lequel batteur a déjà une belle histoire commune avec deux autres pianistes remarquables comme Thollem McDonas - cfr le « power trio » MagicMC avec McDonas et le saxophoniste ténor Edoardo Marraffa – et comme Nicolà Guazzaloca en compagnie du flûtiste Nils Gerold. Ces deux trios ont été documentés par Setola di Maiale et aussi par Amirani. Trois improvisations vagabondes focalisées sur l’écoute mutuelle et une évidente dynamique sonore et rythmique sont développées ici durant 27’11’’, 24’14’’ et 14’22’’. Dans Guardavi la Boan era il mare, je songe à l’ambiance décontractée et planante de ce vieil album de Paul Bley « In Haarlem » ou encore « Ballads ». On retrouve ailleurs la nervosité d’un Keith Tippett… Le degré de communion et la fine cohésion de ce duo sont propices à l’élaboration de narratifs évoluant du calme plat à la mer démontée. Aussi, l’utilisation d’effets sonores par d’astucieux frottements et vibrations, frictions et murmures dans le chef de Stefano Giust opère à ouvrir l’inspiration à la fois rêveuse et désenchantée des voicings étranges et lumineux de Giorgio Pacorig au piano, lequel brode indéfiniment par tuilage en écho étirant les harmonies ou articulant des doigtés anguleux dans une giration qui semble infinie un instant jusqu’à ce qu’un motif rythmico-mélodique tournoie par-dessus les vagues de frappes à la batterie, ressac mystérieux. Ressac qui se resserre jusqu’à un tournoyant numéro « télégraphique » d’une grande précision rythmique dans le chef du pianiste. On se situe là au niveau du jazz cosmique. En 2/, Memorie di amicizie e rugiada s’affirme comme un beau témoignage de piano free servi par un batteur au service discret d’un dialogue plus qu’efficace. Vers la 11ème minute, Pacorig joue dans les cordes de la table d’harmonie avec un esprit voisin de Keith Tippett : c’est le moment choisi par le batteur pour démontrer toute sa sensibilité au niveau de la micro -percussion alors son acolyte se remet au clavier pour rêver aux étoiles avec ce lyrisme spontané, sa marque de fabrique… Rugiada signifie Rosée et c’est à cela qu’on songe en écoutant le doigté perlé de Giorgio Pacorig. Voici un duo remarquable, fin et assumé avec un excellent niveau de musicalité.
Nigemizu John Butcher solo Uchimizu
https://johnbutcher1.bandcamp.com/album/nigemizu
Enregistré en 2013 à Osaka ainsi que dans la fameuse Hall Egg Farm et publié semble-t-il en 2015 par Hisachi Terauchi, un légendaire promoteur Japonais, Nigemizu date donc dans le flux digital des nouveautés discographiques. Je n’avais jusqu’alors jamais entrevu la moindre trace de cet album de John Butcher jusqu’à ce que Hisashi Terauchi publie en fin cet extraordinaire Concert In Iwaki de l’Evan Parker Electro-Acoustic Quartet (enregistré en 2000 avec Paul Lytton, Joel Ryan & Lawrence Casserley) en 2021. C’est avec cette musique qui fit craquer le continuum de l’espace-temps à Fukushima (!) qu’Evan Parker avait prévu d’inaugurer son propre label Psi en 2001. Vu l’insistance d’Hisachi Terauchi à le publier lui-même au Japon, ce projet fut abandonné par Psi alors que l’Electro-Acoustic Ensemble d’Evan Parker était en pleine effervescence, avec concerts et CD’s ECM. J’en avais entendu les mérites immenses de ce mythique concert par Casserley lui-même. Finalement en 2022, une copie du cd Japonais publié par Uchimizu est parvenue dans mes mains alors que cette aventure appartient déjà à un lointain passé. Mais quelle musique extraordinaire au niveau du son « électronique » ! C’est alors que je me suis aperçu qu’il y avait un solo de John Butcher sur le même label Uchimizu sans me rendre compte que ce n’était plus une nouveauté. Mais pourquoi je ne me refuserais pas le plaisir de commenter cet album de John Butcher. La personnalité de John figure l’archétype du saxophoniste d’improvisation libre qui s’est détaché du postulat « Evan Parkerien » en incarnant « un style » personnel super original avec une logique imparable et qui comme Parker (et Urs Leimgruber) est un véritable spécialiste des deux instruments, le sax ténor et le sax soprano. Ces deux binious sont souvent associés dans la pratique de souffle de nombreux saxophonistes de jazz moderne / contemporain comme John Coltrane, Dave Liebman, Archie Shepp, Sonny Fortune etc… pour la simple et bonne raison qu’ils sont construits dans la même clé (si bémol) et que les doigtés des clés sont identiques . Profitant d’un bref séjour à Londres, j’ai miraculeusement trouvé une copie de ce mystérieux Nigemizu ! On y trouve toute l’extrême précision et la patience méthodique dans la construction musicale de John Butcher. Une énergie implacable, une science des extrêmes aigus et sifflements aviaires au sax soprano hallucinante. Mais c’est au ténor , enregistré dans une église d’Osaka, que débute l’album et dont on appréciera les growls calibrés caractéristiques de Butcher dans Enrai. Deux improvisations / compositions au sax soprano , Uchimizu et Hamon, ont été enregistrées dans le Hall Egg Farm, un lieu où AMM, Borbetomagus et Steve Lacy ont gravé des albums par le passé. Il s’agit de la fine fleur de l’art de John Butcher en solo ou une forme de spontanéité lyrique éclate progressivement après une introduction proche de l’univers de Steve Lacy où John décline progressivement les moindres nuances d’accentuation entre les notes qui mettent en valeur la spécificité de chaque intervalle en extrapolant chaque relation possible entre chacun des sons, déconstruisant et réédifiant les implications harmoniques. Surtout cette pièce dure plus de 19 minutes et pour que la créativité se maintienne, Butcher introduit des bruissements organiques et des harmoniques extrêmement maîtrisés au-delà du registre aigu du soprano. S’insèrent alors des effets sonores expressifs tels le canard de Steve Lacy, ou subitement spiralés en secousses sans pour autant que son souffle ressemble à celui du grand Steve. Mais ces deux -là partagent le même souci du détail infime et cette obsessions de formes ajustées à l’infini. C’est absolument fabuleux ! Ce qu’il arrive à caser comme matériau « compositionnel » et à le développer dans ces 19 minutes en utilisant autant son imaginaire que sa science du saxophone et de ses sonorités les plus extrêmes. Ce n’est pas le tout de pêcher les harmoniques les plus injouables, il faut encore articuler ces sonorités pour nourrir ce narratif, cette histoire pour en tirer une œuvre irrévocable qui finit d’ailleurs dans les limbes de murmures avant que les boucles en respiration circulaire engendre une autre luminosité. La respiration circulaire au souffle ininterrompu est en soit un truc de cirque sauf si comme John Butcher, cette contrainte est chamboulée par une articulation remarquable et une capacité de variations où à chaque instant se bousculent notes, glissandi, doigtés, accents, timbres spécifiques qui illuminent le champ auditif et l’espace sonore comme un sapin de Noël psychédélique. L’ordonnancement de ses trouvailles n'est rien d’autre que magique. Pour ceux qui l’ignorent encore, John Butcher a été un professeur de mathématiques supérieures dans une autre vie, mais il a préféré un jour jouer du saxophone et créer sa musique. Pour notre plus grand bonheur !
Dépêchez-vous, John n’en n’a plus que 8 copies disponibles.
Marta Grzywacz Sebastian Mac Paulina Owczarek what is that ? scätter archives
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/what-is-that
Marta Grzywacz voice Sebastian Mac guitar et Paulina Owczarek baritone saxophone : voilà au moins un trio instrumental peu commun : voix humaine + guitare électrique + sax baryton.
De la pure improvisation libre. Une chanteuse diseuse phonémiste s’autorisant pas mal d’écarts vocaux et d’audaces, un guitariste expérimentateur qui n’hésite pas à frotter, faire crisser ou piqueter cordes frettes et micros avec effets, bruitisme, manie pointilliste ou simplement mélodique. Veille au grain la saxophoniste baryton tour à tour ombrageuse, grondonnante, bourdonnante ou minimaliste. Le trio veille à diversifier sa stratégie sonore, la dynamique, l’intensité. Avec le sens de l’espace, la voix libérée de Marta Gzrywacz a tout le loisir de projeter une comptine, des phonèmes fragmentés en pagaille, des succions des lèvres, des suraigus d’un gosier en furie, des sursauts de soprano des avalements de syllabes, des aspirations gargouillantes, un filet de voix ésotérique ou un chant suave et angélique, de délirantes associations de diphtongues de langues imaginaires entre l’Asie du Sud Est et l’Islande. En suivant les neuf improvisations à la trace, on est ravi par l'évolution de la vocalité de Marta Grzywacz. En cela, sa performance est aiguillonnée par la créativité de ses deux complices/ Bref, vous aurez toute la panoplie vocale servie avec fraîcheur, insolence et un clin d’œil à la bienséance en accordance avec l’ouverture et la complicité de Sebastian Mac et Paulina Owczarek entendue récemment avec le pianiste Witold Oleszak et aussi le batteur Peter Orins. Un trio au potentiel évident et ludique.
Free Improvising Singer and improvised music writer.
21 juillet 2024
Charles Gayle Milford Graves William Parker/ Marcello Magliocchi & Adrian Northover/ Ernesto Rodrigues Guilherme Rodrigues Ben Bennett
Webo Charles Gayle Milford Graves William Parker 2LP Black Editions Archives
https://milfordgraves-blackeditionsarchive.bandcamp.com/album/webo
Depuis le départ dans l’au-delà du percussionniste Milford Graves, on assiste à une série de nouvelles publications d’enregistrements d’archives entre autres avec Peter Brötzmann et William Parker ou Arthur Doyle et Hugh Glover et les rééditions de ses duos avec le pianiste Don Pullen. Il faut dire que question discographie et tournées, ce musicien créateur incontournable du free-jazz n’a jamais fait florès malgré sa réputation légendaire, mais surtout à cause de son intransigeance dans ses choix de vie. Graves a gravé des albums d’anthologie avec John Tchicaï et Roswell Rudd (New York Art Quartet), Paul Bley et Marshall Allen, Albert et Donald Ayler, Andrew Cyrille et son projet Bäbi Music. Un duo avec David Murray et, beaucoup plus tard, deux albums en solo pour Tzadik le label de John Zorn. Il faut noter aussi le concert du 35ème anniversaire du NYAQ avec Rudd Tchicaï et Reggie Workmann publié par DIW il y a plus de vingt ans.
Charles Gayle est apparu sur la scène internationale avec Peter Kowald et Beaver Harris, William Parker, Michael Wimberly vers 1984-85 et s’est imposé comme un des plus charismatiques souffleurs free avec son jeu puissant, « aylérien », déchirant, expressionniste hurleur au sax ténor mais aussi avec pas mal de cordes à son arc. Une personnalité unique chargée d’un message humain, spirituel et exemplaire d’une vie passée en partie à la rue sans abri autre que l’étui de son saxophone. Le nombre de musiciens de valeur qui aiment sincèrement jouer avec Gayle est devenu exponentiel et le facteur décisif de l’amour qu’on lui porte est sa profonde authenticité, sa sincérité et le vécu intense de sa personne. Je l’ai entendu il y a quelques années au sax alto et j’ai regretté qu’il n’ait pas joué du sax ténor, instrument plus adapté à la vocalité de sa musique, des harmoniques « organiques » qu’il en tire et de la spécificité de son articulation. Avec un batteur aussi hallucinant par le découpage de ces inombrables frappes croisées et la profusion des rythmes multiples, roulements du déluge et déflagrations telluriques, Gres se révèle comme le percussionniste le plus achevé de la planète free pour propulser un Carles Gayle au nirvana des speaking tongues. Si William Parker introduit le concert avec un « sciage » brut des cordes de sa contrebasse comme si la terre s’échappait sous nos pieds, il faudra attendre les passages où Graves fait silence pour pouvoir le distinguer dans le pandemonium de Milford. Milford et Gayle ensemble, c’est absolument providentiel, incroyable et renversant. Fort heureusement, ces deux artistes, personnalités immensément humaines, ont la présence d’esprit de le laisser s’exprimer dans de magnifiques trouvailles sonores. Celles-ci ont le bonheur d’inspirer chez Milford des roulements de tambours de danse comme on peut entendre dans l’Afrique Ancestrale avec quelques dérapages explosifs issus de figures de la tradition latino (musique des débuts de Milford avant le free). Le premier morceau de ce concert de 1991 au club Webo à NYC dure une vingtaine de minutes, séance d’échauffement préalable à la seconde face du vinyle 1 et ses 24 minutes de délire total en orbite autour d'un autre monde "Out of This World" . Le drumming de Graves y déboule à toute blinde avec d’étonnantes variations, intensités, rebonds improbables, talking drums délirants, frappes éléphantesques, crescendos électrostatiques et mult😭ipolaire. Ces décharges d'énergie engendrent chez Charles Gayle, des tirades afrodisiaques proches du Trane d’Ascension mâtinées de l’Ayler des grands jours. S’en suivent des morceaux plus courts qui offrent de nouvelles perspectives de dialogues et d’interactions tant en faveur du saxophoniste que de d’un très étonnant William Parker. Mais, à chaque fois, les roulements démoniaques vous attendent au tournant, brièvement pour clôturer un morceau de 3 : 38. L’accueil du public est enthousisaste. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de cet album live at Webo : la diversité ludique et auditive des différentes séquences du premier concert de Graves et Gayle il y a plus de trente ans. Ainsi à la quatrième improvisation (il y en a onze de durées différentes), Charles Gayle entonne un air balade qui mue vers un hymne gospel un peu similaire à ceux d’Albert Ayler, un des grands favoris de Graves. Le foisonnement monumental et tourbillonnant des frappes apocalyptiques Milford et l’obstination imperturbable des gros doigts de Parker poussent encore notre souffleur à se surpasser ! Le free jazz ultime ! Par delà l'état de transe hallucinant du trio, se maintient la volonté lucide d'offrir des variations distinctes au niveau mélodique ou des motifs polyrythmiques transformant ainsi ce moment d'énergies en un superbe document musical et un sommet d'inventivité créatrice pour les trois complices. À se taper la tête contre les murs et les yeux vers les étoiles !!
Marcello Magliocchi & Adrian Northover Time textures Empty Birdcage EBR
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/time-textures
Depuis une dizaine d’années, le percussionniste de Bari Marcello Magliocchi et le saxophoniste Adrian Northover se sont associés intensément pour chercher des sons et construire une musique basée sur la gestuelle ludique du jeu de l’instrument et une écoute intime perpétuellement aux aguets. On songe ici aux duos sax -percussions légendaires de Trevor Watts ou Evan Parker avec John Stevens, John Butcher et Mark Sanders, Lol Coxhill et Roger Turner. Magliocchi et Northover avaient initié leur collaboration avec le Runcible quintet en compagnie du guitariste Daniel Thompson, du contrebassiste John Edwards et du flûtiste Neil Metcalfe et quelques albums d’improvisation libre superbement collectifs pour FMR (Five, Four, Three). À force de jouer ensemble chaque année tant en Italie qu’en Grande- Bretagne en duo ou avec le flûtiste Bruno Gussoni, le contrebassiste Maresuke Okamoto ou le guitariste Phil Gibbs, l’idée de confier leur intense travail commun en face à face dans un enregistrement qui s’est fait longtemps désirer s’est pleinement réalisée . Les deux camarades sont corps et âmes acquis à cette volonté inextinguible d’improviser totalement dans l’instant au plus près de leurs sensibilités et de leurs forces disponibles. Mais, il convient d’ajouter que tous deux ont un solide parcours musical dans la pratique du jazz et d’autres musiques adjacentes, Marcello avec la crème des jazzmen italiens (vous savez, ces pianistes haut de gamme de la péninsule ou les Gianni Basso, Roberto Ottaviano, Enrico Rava etc…). Aussi, il a conçu et dessiné les instruments de percussion métalliques (cymbales atypiques, gongs improbables, cloches ou tam-tams) en collaboration avec la légendaire compagnie U.F.I.P. Quant à Adrian Northover, membre des groupes cultes B-Shop for the Poor et The Remote Viewers (RV toujours en activité), il manie la langue de Mingus et de Monk comme un chef, ou incarne un Paul Desmond sur la Tamise, sans compter ses projets avec des musiciens d’Inde du Nord ou d’Anatolie. À l’écoute de leur Time Textures, on est frappé de l’extrême précision de leurs actions musicales et la grande liberté qui s’inscrit dans leurs souffles, vibrations, timbres, sonorités, interactions et connivences…. Ils expriment la lucidité et la vivacité de leurs esprits dans leurs échanges ludiques. L’étonnante diversification de micro frappes et de fines rafales anarchiques des baguettes de toutes tailles sur les peaux, bords, bois, métaux rencontre les spirales aiguës du souffle hanté au sax soprano. La première minute ving secondes définit de premier abord toute l’entreprise. Successivement, le duo change drastiquement de ton et d’approche d’un morceau à l’autre. On entend un archet faire siffler, scintiller et vibrer une cymbale « rectangulaire » (sic !) adroitement avec un archet alors que le souffleur fait vibrer avec acidité la colonne d’air. Le troisième morceau (9 :28 ) commence avec un chassé-croisé percussif polyrythmique éclaté avec de constants changements d’intensités, de sonorités, de volume et de vitesse : Adrian Northover ponctue et accentue chaleureusement chaque émission par contraste. Son souffle est physiquement engagé, percutant et rageur. Il inspire ensuite doucement au travers du bec comme un râle, et fait vibrer à peine le tube avec un filet d’air, le batteur agitant artistement de légères tiges en bois, qu’on utilise comme tuteur de jardinage, et cela, sur les rebords de sa caisse avec de superbes nuances dans les rebonds et le timing. Au fil des morceaux, Marcello Magliocchi libère son imagination avec sa mini-batterie (aussi réduite que celle de John Stevens), sublime ses réflexes et se met à inventer une prolifération alternative de frappes improbables, secousses, chocs, avec divers ustensiles et de saisissants contrastes dans l’amplitude, l’invention constante et une étonnante expressivité. Ce batteur a acquis au fil des années une expérience et un métier exceptionnels qu’il met à profit dans une recherche éperdue sur la poésie des sons, des mouvements et des gestes. Pour son et notre bonheur, Adrian Northover excelle dans un dialogue intuitif et une expressivité sauvage, créant d’heureuses coïncidences d’humeurs, d’écoute et de divergences créatives. Il excelle aussi dans les micro – sons intimes et les interjections surréalistes qu’autorise une remarquable maîtrise de cet instrument peu docile qu’est le sax soprano. L’avant-dernier morceau reprend les intentions de départ du numéro d’ouverture du CD, dans des zig-zags tortueux, avec une furia ludique et un taux de réussite supérieur, jusqu’à ce qu’ils nous démontrent les possibilités expressives de frappes homorythmiques. Ensuite, ils dérapent pour nous révéler leurs derniers secrets dans le final et dans la toute dernière improvisation n°9. On songe à la générosité bohème des Lovens ou Turner, c’est dire. Neuf textures temporelles à la fois familières et souvent indéfinissables défilent dans l’espace auditif en résonnant une fois pour toute. Indécrottable.
In Full Mouth Guilherme Rodrigues Ernesto Rodrigues Ben Bennett Creative Sources
https://guilhermerodrigues.bandcamp.com/album/this-full-mouth
On trouvera rarement deux improvisateurs aussi complémentaires, complices et empathiques que les Rodrigues père et fils : Ernesto à l’alto et Guilherme au violoncelle. Ils peuvent autant se confondre et se compléter à 100% que détonner et se distinguer en toute indépendance avec une belle imagination. Un de leurs buts musicaux est de prolonger et renouveler leur créativité instantanée en petits groupes ou ensembles plus larges avec un grand nombre d’improvisateurs aussi divers que redoutables les obligeant à se redéfinir et inventer de nouvelles stratégies. Très souvent, ils s’associent à des improvisateurs « moins » ou « peu connus » de manière exponentielle et compulsive avec un pourcentage de réussite créative tout à fait remarquable. Récemment, on les a entendus avec Alex Schlippenbach ou Gunther Sommer. Voici une fantastique session avec un lutin bateleur de la percussion au sol, l’américain Ben Bennett qui fait un malheur avec un tambour ou deux, une cymbale et quelques baguettes et accessoires maniées de manière extrême et dirons- nous acrobatique. L’aisance de ce farfadet est un spectacle en soi. Mais pour notre bonheur auditif et méta- musical, l’interaction imbriquée et la complémentarité du trio fait de cet enregistrement un enregistrement exceptionnel et un des plus beaux parmi les (trop) nombreux témoignages du tandem Rodrigues. Cinq improvisations très diversifiées pour une cinquantaine de minutes bien remplies. Les audaces sonores de Ben Bennet s’inscrivent au plus profond des sonorités cordistes entre le minimalisme radical et les complexités spectrales et moirées d’Ernesto et de Guilherme. Le percussionniste ajoute sifflements, vibrations croassantes, grondements craquants, frottements bruitistes, frictions organiques… à leurs oscillations, drones, harmoniques, scintillements aigus produits par leur extraordinaire science du frottement de l’archet… Son travail est insaisissable et quand vient la percussion rebondissante des baguettes sur les peaux on est projeté au sommet du free-drumming authentique sauce Lovens intégrale avec un maximum de variations dans les frappes, leur puissance, densité, angle de choc, ou déambulation digitale. On entend aussi des pépiements d’oiseaux ?? Pour les dingues de percussions free radicales, ces extemporisations et sonorités de Ben Bennett méritent de figurer dans une anthologie. Vous en aurez plein la bouche ! Ernesto et Guilherme peuvent d’ailleurs se permettre d’évoluer au bord du silence sans lâcher le momentum de cette difficile entreprise. L’interactivité des douze dernières minutes est assez fabuleuse et leur séquence finale étonnamment introspective. Face à l’extrême musicalité des Rodrigues, et l’audace improbable de Ben Bennett, on en reste comme deux ronds de flanc.
https://milfordgraves-blackeditionsarchive.bandcamp.com/album/webo
Depuis le départ dans l’au-delà du percussionniste Milford Graves, on assiste à une série de nouvelles publications d’enregistrements d’archives entre autres avec Peter Brötzmann et William Parker ou Arthur Doyle et Hugh Glover et les rééditions de ses duos avec le pianiste Don Pullen. Il faut dire que question discographie et tournées, ce musicien créateur incontournable du free-jazz n’a jamais fait florès malgré sa réputation légendaire, mais surtout à cause de son intransigeance dans ses choix de vie. Graves a gravé des albums d’anthologie avec John Tchicaï et Roswell Rudd (New York Art Quartet), Paul Bley et Marshall Allen, Albert et Donald Ayler, Andrew Cyrille et son projet Bäbi Music. Un duo avec David Murray et, beaucoup plus tard, deux albums en solo pour Tzadik le label de John Zorn. Il faut noter aussi le concert du 35ème anniversaire du NYAQ avec Rudd Tchicaï et Reggie Workmann publié par DIW il y a plus de vingt ans.
Charles Gayle est apparu sur la scène internationale avec Peter Kowald et Beaver Harris, William Parker, Michael Wimberly vers 1984-85 et s’est imposé comme un des plus charismatiques souffleurs free avec son jeu puissant, « aylérien », déchirant, expressionniste hurleur au sax ténor mais aussi avec pas mal de cordes à son arc. Une personnalité unique chargée d’un message humain, spirituel et exemplaire d’une vie passée en partie à la rue sans abri autre que l’étui de son saxophone. Le nombre de musiciens de valeur qui aiment sincèrement jouer avec Gayle est devenu exponentiel et le facteur décisif de l’amour qu’on lui porte est sa profonde authenticité, sa sincérité et le vécu intense de sa personne. Je l’ai entendu il y a quelques années au sax alto et j’ai regretté qu’il n’ait pas joué du sax ténor, instrument plus adapté à la vocalité de sa musique, des harmoniques « organiques » qu’il en tire et de la spécificité de son articulation. Avec un batteur aussi hallucinant par le découpage de ces inombrables frappes croisées et la profusion des rythmes multiples, roulements du déluge et déflagrations telluriques, Gres se révèle comme le percussionniste le plus achevé de la planète free pour propulser un Carles Gayle au nirvana des speaking tongues. Si William Parker introduit le concert avec un « sciage » brut des cordes de sa contrebasse comme si la terre s’échappait sous nos pieds, il faudra attendre les passages où Graves fait silence pour pouvoir le distinguer dans le pandemonium de Milford. Milford et Gayle ensemble, c’est absolument providentiel, incroyable et renversant. Fort heureusement, ces deux artistes, personnalités immensément humaines, ont la présence d’esprit de le laisser s’exprimer dans de magnifiques trouvailles sonores. Celles-ci ont le bonheur d’inspirer chez Milford des roulements de tambours de danse comme on peut entendre dans l’Afrique Ancestrale avec quelques dérapages explosifs issus de figures de la tradition latino (musique des débuts de Milford avant le free). Le premier morceau de ce concert de 1991 au club Webo à NYC dure une vingtaine de minutes, séance d’échauffement préalable à la seconde face du vinyle 1 et ses 24 minutes de délire total en orbite autour d'un autre monde "Out of This World" . Le drumming de Graves y déboule à toute blinde avec d’étonnantes variations, intensités, rebonds improbables, talking drums délirants, frappes éléphantesques, crescendos électrostatiques et mult😭ipolaire. Ces décharges d'énergie engendrent chez Charles Gayle, des tirades afrodisiaques proches du Trane d’Ascension mâtinées de l’Ayler des grands jours. S’en suivent des morceaux plus courts qui offrent de nouvelles perspectives de dialogues et d’interactions tant en faveur du saxophoniste que de d’un très étonnant William Parker. Mais, à chaque fois, les roulements démoniaques vous attendent au tournant, brièvement pour clôturer un morceau de 3 : 38. L’accueil du public est enthousisaste. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de cet album live at Webo : la diversité ludique et auditive des différentes séquences du premier concert de Graves et Gayle il y a plus de trente ans. Ainsi à la quatrième improvisation (il y en a onze de durées différentes), Charles Gayle entonne un air balade qui mue vers un hymne gospel un peu similaire à ceux d’Albert Ayler, un des grands favoris de Graves. Le foisonnement monumental et tourbillonnant des frappes apocalyptiques Milford et l’obstination imperturbable des gros doigts de Parker poussent encore notre souffleur à se surpasser ! Le free jazz ultime ! Par delà l'état de transe hallucinant du trio, se maintient la volonté lucide d'offrir des variations distinctes au niveau mélodique ou des motifs polyrythmiques transformant ainsi ce moment d'énergies en un superbe document musical et un sommet d'inventivité créatrice pour les trois complices. À se taper la tête contre les murs et les yeux vers les étoiles !!
Marcello Magliocchi & Adrian Northover Time textures Empty Birdcage EBR
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/time-textures
Depuis une dizaine d’années, le percussionniste de Bari Marcello Magliocchi et le saxophoniste Adrian Northover se sont associés intensément pour chercher des sons et construire une musique basée sur la gestuelle ludique du jeu de l’instrument et une écoute intime perpétuellement aux aguets. On songe ici aux duos sax -percussions légendaires de Trevor Watts ou Evan Parker avec John Stevens, John Butcher et Mark Sanders, Lol Coxhill et Roger Turner. Magliocchi et Northover avaient initié leur collaboration avec le Runcible quintet en compagnie du guitariste Daniel Thompson, du contrebassiste John Edwards et du flûtiste Neil Metcalfe et quelques albums d’improvisation libre superbement collectifs pour FMR (Five, Four, Three). À force de jouer ensemble chaque année tant en Italie qu’en Grande- Bretagne en duo ou avec le flûtiste Bruno Gussoni, le contrebassiste Maresuke Okamoto ou le guitariste Phil Gibbs, l’idée de confier leur intense travail commun en face à face dans un enregistrement qui s’est fait longtemps désirer s’est pleinement réalisée . Les deux camarades sont corps et âmes acquis à cette volonté inextinguible d’improviser totalement dans l’instant au plus près de leurs sensibilités et de leurs forces disponibles. Mais, il convient d’ajouter que tous deux ont un solide parcours musical dans la pratique du jazz et d’autres musiques adjacentes, Marcello avec la crème des jazzmen italiens (vous savez, ces pianistes haut de gamme de la péninsule ou les Gianni Basso, Roberto Ottaviano, Enrico Rava etc…). Aussi, il a conçu et dessiné les instruments de percussion métalliques (cymbales atypiques, gongs improbables, cloches ou tam-tams) en collaboration avec la légendaire compagnie U.F.I.P. Quant à Adrian Northover, membre des groupes cultes B-Shop for the Poor et The Remote Viewers (RV toujours en activité), il manie la langue de Mingus et de Monk comme un chef, ou incarne un Paul Desmond sur la Tamise, sans compter ses projets avec des musiciens d’Inde du Nord ou d’Anatolie. À l’écoute de leur Time Textures, on est frappé de l’extrême précision de leurs actions musicales et la grande liberté qui s’inscrit dans leurs souffles, vibrations, timbres, sonorités, interactions et connivences…. Ils expriment la lucidité et la vivacité de leurs esprits dans leurs échanges ludiques. L’étonnante diversification de micro frappes et de fines rafales anarchiques des baguettes de toutes tailles sur les peaux, bords, bois, métaux rencontre les spirales aiguës du souffle hanté au sax soprano. La première minute ving secondes définit de premier abord toute l’entreprise. Successivement, le duo change drastiquement de ton et d’approche d’un morceau à l’autre. On entend un archet faire siffler, scintiller et vibrer une cymbale « rectangulaire » (sic !) adroitement avec un archet alors que le souffleur fait vibrer avec acidité la colonne d’air. Le troisième morceau (9 :28 ) commence avec un chassé-croisé percussif polyrythmique éclaté avec de constants changements d’intensités, de sonorités, de volume et de vitesse : Adrian Northover ponctue et accentue chaleureusement chaque émission par contraste. Son souffle est physiquement engagé, percutant et rageur. Il inspire ensuite doucement au travers du bec comme un râle, et fait vibrer à peine le tube avec un filet d’air, le batteur agitant artistement de légères tiges en bois, qu’on utilise comme tuteur de jardinage, et cela, sur les rebords de sa caisse avec de superbes nuances dans les rebonds et le timing. Au fil des morceaux, Marcello Magliocchi libère son imagination avec sa mini-batterie (aussi réduite que celle de John Stevens), sublime ses réflexes et se met à inventer une prolifération alternative de frappes improbables, secousses, chocs, avec divers ustensiles et de saisissants contrastes dans l’amplitude, l’invention constante et une étonnante expressivité. Ce batteur a acquis au fil des années une expérience et un métier exceptionnels qu’il met à profit dans une recherche éperdue sur la poésie des sons, des mouvements et des gestes. Pour son et notre bonheur, Adrian Northover excelle dans un dialogue intuitif et une expressivité sauvage, créant d’heureuses coïncidences d’humeurs, d’écoute et de divergences créatives. Il excelle aussi dans les micro – sons intimes et les interjections surréalistes qu’autorise une remarquable maîtrise de cet instrument peu docile qu’est le sax soprano. L’avant-dernier morceau reprend les intentions de départ du numéro d’ouverture du CD, dans des zig-zags tortueux, avec une furia ludique et un taux de réussite supérieur, jusqu’à ce qu’ils nous démontrent les possibilités expressives de frappes homorythmiques. Ensuite, ils dérapent pour nous révéler leurs derniers secrets dans le final et dans la toute dernière improvisation n°9. On songe à la générosité bohème des Lovens ou Turner, c’est dire. Neuf textures temporelles à la fois familières et souvent indéfinissables défilent dans l’espace auditif en résonnant une fois pour toute. Indécrottable.
In Full Mouth Guilherme Rodrigues Ernesto Rodrigues Ben Bennett Creative Sources
https://guilhermerodrigues.bandcamp.com/album/this-full-mouth
On trouvera rarement deux improvisateurs aussi complémentaires, complices et empathiques que les Rodrigues père et fils : Ernesto à l’alto et Guilherme au violoncelle. Ils peuvent autant se confondre et se compléter à 100% que détonner et se distinguer en toute indépendance avec une belle imagination. Un de leurs buts musicaux est de prolonger et renouveler leur créativité instantanée en petits groupes ou ensembles plus larges avec un grand nombre d’improvisateurs aussi divers que redoutables les obligeant à se redéfinir et inventer de nouvelles stratégies. Très souvent, ils s’associent à des improvisateurs « moins » ou « peu connus » de manière exponentielle et compulsive avec un pourcentage de réussite créative tout à fait remarquable. Récemment, on les a entendus avec Alex Schlippenbach ou Gunther Sommer. Voici une fantastique session avec un lutin bateleur de la percussion au sol, l’américain Ben Bennett qui fait un malheur avec un tambour ou deux, une cymbale et quelques baguettes et accessoires maniées de manière extrême et dirons- nous acrobatique. L’aisance de ce farfadet est un spectacle en soi. Mais pour notre bonheur auditif et méta- musical, l’interaction imbriquée et la complémentarité du trio fait de cet enregistrement un enregistrement exceptionnel et un des plus beaux parmi les (trop) nombreux témoignages du tandem Rodrigues. Cinq improvisations très diversifiées pour une cinquantaine de minutes bien remplies. Les audaces sonores de Ben Bennet s’inscrivent au plus profond des sonorités cordistes entre le minimalisme radical et les complexités spectrales et moirées d’Ernesto et de Guilherme. Le percussionniste ajoute sifflements, vibrations croassantes, grondements craquants, frottements bruitistes, frictions organiques… à leurs oscillations, drones, harmoniques, scintillements aigus produits par leur extraordinaire science du frottement de l’archet… Son travail est insaisissable et quand vient la percussion rebondissante des baguettes sur les peaux on est projeté au sommet du free-drumming authentique sauce Lovens intégrale avec un maximum de variations dans les frappes, leur puissance, densité, angle de choc, ou déambulation digitale. On entend aussi des pépiements d’oiseaux ?? Pour les dingues de percussions free radicales, ces extemporisations et sonorités de Ben Bennett méritent de figurer dans une anthologie. Vous en aurez plein la bouche ! Ernesto et Guilherme peuvent d’ailleurs se permettre d’évoluer au bord du silence sans lâcher le momentum de cette difficile entreprise. L’interactivité des douze dernières minutes est assez fabuleuse et leur séquence finale étonnamment introspective. Face à l’extrême musicalité des Rodrigues, et l’audace improbable de Ben Bennett, on en reste comme deux ronds de flanc.
Free Improvising Singer and improvised music writer.
16 juillet 2024
Ivo Perelman Aruàn Ortiz & Ramón Lopez/ John Edwards Steve Noble Yoni Silver / Stefania Ladisa - Nini Morgia - Marcello Magliocchi/ Matthias Boss & Marcello Magliocchi
Aruán Ortiz Ivo Perelman Ramón López Ephemeral Shapes Fundacja Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/ephemeral-shapes/
Formes éphémères, échanges improvisés dans un dialogue multidirectionnel sans « compositions » ni thèmes, les motifs mélodiques, les canevas rythmiques ou pulsatoires et leurs interactions sont créées dans l’instant avec autant de sensibilité que de lisibilité. One : 10:38. Jeu vif de questions réponses en ricochet et en rapide alternance, chaque musicien propose des idées brèves pour tâter le terrain jusqu'à ce que le trio trouve un terrain d'entente. Une construction logique enlevée s'impose où le saxophoniste évolue avec quelques facettes de son jeu. Two, 3:53. Une ballade sensuelle improvisée où le souffle langoureux et presque introverti accentue les notes en douceur , les deux autres émettant des vibrations en apesanteur comme si le souffleur était sur un nuage. On songe à Ben Webster, tendre, subtil et vélouté. Three : 4:26. Aruàn Ortiz propose un motif à l'esprit monkien avec une belle angularité dont Ivo Perelman s'en empare avec la même sonorité veloutée et sensuelle de la quelle émerge des aigus expressifs à la fois, vifs, mordants, solaires et avec micro glissandi qui sont sa marque de fabrique. Ramón Lopez marche sur des oeufs avec la plus grande délicatesse et une dynamique merveilleuse alors que le jeu perlé du pianiste apporte agilement son lot d'idées et d'intervalles rafraîchissements. Four : 4:37 semble s'enchaîner comme si l'improvisation était le corollaire était le second mouvement de Three, on y retrouve la même qualité d'inspiration. Six : 8:26. Rien que pour entendre ces longues notes au sax ténor se métamorphoser en oscillant granduellement vers le grave avec un lyrisme déconcertant qui fait de petits détours dans les aigus caractéristiques. Les deux complices interviennent à peine en jouant le silence, la vibration fantomatique de la cymbale. Petit à petit un narratif se construit et le débit du sax s'anime, en morsures, spirales, suraigus mordants (mais "chantants") le batteur augmentant la pression. Seven : 8:56. Intention similaire à celle de Six au départ mais avec d'autres timbres et intervalles pour un chant superbe suspendu dans l'espace. Le batteur et le pianiste joue par petites touches comme si le trio s'élevait dans l'atmosphère. Rimshots de la batterie, signal pour les cadences animées des vifs doigtés du pianiste. Son jeu ouvert et aérien : on est loin de la furia déchaînée des Taylor ou Schlippenbach et le déferlements affolants de centaines de notes. Chez Ortiz tout est concis, mesuré et son approche ouverte et attentive toute à l'écoute laisse une grande marge de manoeuvre à l'expressivité et à l'imagination de ses collègues qui, grâce à son état d'esprit assez "neutre", peuvent changer de cap en toute liberté. Eight : 3:52. Avec un motif rythmique très simple qu'ils échangent à plaisir, le pianiste et le saxophoniste font preuve d'une connivence ludique réjouissante sous la houlette de la mise en place impeccable et spontanée du batteur. Une session dédiée au lyrisme "saudade" contemporain et à l'écoute subtile.
Ces trois improvisateurs n’en sont pas à leurs débuts ensemble. Le saxophoniste Brésilien Ivo Perelman et le pianiste Cubain Aruán Ortiz ont déjà deux albums en commun. D’une part un duo contenu dans le recueil Brass and Ivory Tales, un coffret de neuf CD’s publié par le même Fundacja Sluchaj documentant pas moins de neuf duos du saxophoniste avec une série de pianistes de haut vol dont Marylin Crispell, Dave Burrell, Agusti Fernandez (incidemment un habitué de Ramón Lopez), Craig Taborn, Angelica Sanchez, Sylvie Courvoisier, Aaron Parks, Vijay Iyer…. Par la suite, on retrouve Perelman et Ortiz dans Prophecy, un superbe trio avec le violoncelliste Lester St Louis et Ramón Lopez et Perelman dans l’album digital Interaction avec Barry Guy, toutes deux parmi les meilleures pièces à conviction récentes de ces artistes. Si le trio batterie – basse – sax ténor, instruments de Lopez, Guy et Perelman, est très (sur)documenté, Prophecy est une belle occasion de découvrir un rare jeune violoncelliste afro-américain, cet intrigant pianiste s’intégrer avec autant d’imagination que de sensitivité dans l’univers à fleur de peau du saxophoniste Brésilien. Son écoute m’avait à la fois beaucoup touché et surpris . En effet, il n’est pas donné à tout un chacun de plonger dans une session avec de nouveaux collaborateurs et improviser librement avec une telle réussite et autant de conviction, surtout que le violoncelle et le sax ténor sont deux instruments qui recèlent beaucoup d’affinités dans les mains adéquates . Avec de tels augures, cette alléchante réunion de trois talents avait déjà quelques atouts dans son jeu. Pour s’en rendre compte, il ne faut surtout pas comparer ces Ephemeral Shapes aux duos de Perelman avec le pianiste Matt Shipp ainsi que leurs extraordinaires trios avec les batteurs Whit Dickey et Gerald Cleaver ou Bobby Kapp. D’abord, Aruàn Ortiz est un pianiste aux conceptions et aux intentions musicales différentes par rapport à Shipp. De même, Ramón Lopez se définit plus comme un percussionniste dans le sillage de Pierre Favre que comme un batteur. Ivo a développé une musique en duo unique avec Matt Shipp dont les incidences se propagent en compagnie de leurs batteurs « habituels », Dickey , Cleaver, etc... Cette musique a ses caractéristiques propres et crée une dynamique bien particulière dans les interactions de ces musiciens, la densité du jeu physique, la combinaison des énergies et l'évolution des formes insaissables du jeu collectif dans l'instant. Ephemeral Shapes offre de bien différentes perspectives et cette bienvenue dynamique aérée qui offre une grande lisibilité dans les détails.On y entend les vibrations du souffle et des murmures de chaque instrument comme si le trio flottait dans l'espace avec une dynamique spacieuse et éthérée
Si Ivo Perelman a un jeu expressionniste subtil très caractéristique au saxophone ténor reconnaissable entre tous, son approche de l'improvisation libre est très ouverte et ses interventions évitent de se poser dans la hiérarchie du soliste "accompagné" par ses collègues avec cette prépondérance "du soliste" dans l'équilibre du groupe. Il embrasse l'option égalitaire pour laquelle chaque instrumentiste improvisateur se situe au même niveau d'importance que les autres et avec toute la liberté au niveau du jeu pour assumer la dimension lyrique et expressive de leur "free - jazz" totalement improvisé dans l'instant. Leur recherche sonore et musicale est au service de cette expression issue de la tradition du jazz qu'ils étendent au maximum. L'écoute mutuelle respectueuse de chacun étant la clé du processus alchimique du trio. Il faut souligner la qualité très détaillée des crescendos minutieux des frappes de Ramon Lopez et la finesse aux cymbales, lesquelles s'intègrent à merveille dans les cascades carillonnantes des doigtés cristallins d'Aruàn Ortiz. Cette approche coïncide précisément avec l'évolution personnelle du souffle et de la dynamique du saxophoniste suite à l'adoption d'un nouveau bec. Sa sonorité est devenue plus veloutée, son approche un peu plus introvertie et paradoxalement, ses harmoniques aiguës sifflantes et étrangement suggestives en sont encore plus incisives et mordantes. Cette "réorientation" de son jeu qui tend au raffinement sans pour autant perdre la moindre parcelle d'énergie flamboyante quand le trio "chauffe", trouve son aboutissement avec le jeu ouvert et logique d'Aruàn Ortiz qui semble être l'extension "ivoirienne" des inventions subtiles de Ramón Lopez, démultipliant ou réduisant le pullulement des pulsations. Tout au long des huit improvisations (Titres : one, two three jusque eight), les trois improvisateurs maintiennent un véritable trilogue sans jamais dévier de leurs trajectoires imprévisibles en relâchant les tensions jusqu'à ce qu'un des protagonistes brode par dessus un évident duo entre deux des instrumentistes. Ou s'il y a un duo (piano et batterie dans One), c'est qu'Ivo Perelman a choisi le silence pour écouter ses collègues avant de se lancer dans une magnifique intervention. Décomposer un trio en deux trois duos est très tentant autant parce que le piano et la batterie sont aussi des instruments percussifs et rythmiques et que le saxophone et le piano sont des vecteurs de mélodies et d'harmonies. Chaque improvisation recèle une identité propre par ses motifs, l'interactivité et l’énergie dégagée, son lyrisme et l'invention spontanée. Une réussite inattendue
Heme John Edwards Steve Noble Yoni Silver Shrike Records SRL 003
https://shrikerecords.bandcamp.com/album/heme
Peu après le lancement du label Shrike, je n’ai pu m’empêcher de commander, écouter et chroniquer Until the Night Melts Away de Sharon Gal John Butcher & David Toop. Malheureusement, les mesures douanières dues au Brexit ont rendu très difficile la possibilité d’acquérir des CD’s britanniques sans faire face à des frais de douane et des taxes qui combinées font plus que doubler le prix d’un CD. Malheureusement, les albums Shrike et d’autres en ont fait les frais. Comme il arrive que je me déplace à Londres, j’en acquiers directement, mais avec du retard. Comme c'est le cas ici. Et c'est bien dommage, parce que Shrike a plusieurs albums passionnants à son actif. Heme documente une recherche sonore méticuleuse et inspirée qui vaut vraiment le détour. Archi-connu internationalement, le tandem basse – batterie John Edwards et Steve Noble se font entendre dans une dimension très éloignée de la musique de Heme : du « free » free jazz vitaminé qu’ils pratiquent avec Evan Parker, Charles Gayle, Joe McPhee, Brötzmann ou Alan Wilkinson. Dans Heme, Steve Noble axe ses improvisations en faisant résonner cymbales, gongs (ou tam-tams) et autres percussions métalliques dans l’espace alors que Yoni Silver investigue les particularités les particulières ou idiosyncratiques de sa clarinette basse, striant la colonne d’air en pressant son anche qui gémit comme un fantôme. Sept improvisations intitulées A, Tunica Intiema, B, Tunica Media, C Tunica Externa et O détaillent avec méthode et passion les trouvailles sonores remarquables qui s’amoncellent et s’organisent spontanément dans l’espace ludique de ces trois super improvisateurs. B est initié par des frappes sur les cordes de la contrebasse au plus haut de la touche par John Edwards et dérive adroitement dans un chassé-croisé pointilliste sophistiqué. Pas d’embardée dans cet album, Edwards et Noble se mettent au diapason des transformations introverties du son, grasseyements, growls, harmoniques de Yoni Silver dans le sillage du duo « Home » de Silver et Noble publié par Aural Terrains en 2017. Cet album Home et le présent Heme surprendront les auditeurs qui collent une étiquette bien définie sur tel ou tel musicien dans un contexte particulier sans même imaginer que nombre de musiciens improvisateurs ont plusieurs cordes à leur arc et adaptent leurs pratuuqes en fonction de la personnalité et des intentions esthétiques de l'un d'entre eux. On est ici au plus fin de la démarche découvreuse de l’improvisation radicale sans effet de manche ou de tirades virtuoses « impressionnantes ». Ça frotte, gratte, gémit, ondule, crisse, bourdonne, résonne, frictionne lentement, progressivement, … les sons s’agrègent, s’irisent, se noient un instant dans le silence. Mais cela peut s’animer avec plus d’énergie comme dans C. Et on peut compter sur Steve Noble pour « détonner » et surprendre d’originale manière Il faut d’ailleurs attendre le dernier morceau pour se rendre compte de la virtuosité de souffleur intrépide (et « circulaire ») de Silver (O), et son talent affirmé dans l’égosillement avec une grande classe. Super CD publié en 2022. Mieux vaut tard que jamais.
Stefania Ladisa - Nini Morgia - Marcello Magliocchi Mirage Plus Timbre
https://plustimbre.bandcamp.com/album/mirage
Stefania Ladisa, une jeune violiniste convaincue des possibilités musicales de l’improvisation libre et de la recherche sonore ne pouvait pas trouver de meilleurs compagnons dans ses Pouilles natales que le guitariste Nini Morgia et le percussionniste Marcello Magliocchi. Nini Morgia a gravé un vinyle fascinant avec Magliocchi : Sound Gates pour le label Ultramarine. On a aussi découvert Stefania Ladisa dans l’excellent Cosmic Listenings en compagnie de Marcio Mattos au violoncelle, la chanteuse Marilza Gouvea et Marcello Magliocchi sur le même label Plus Timbre. Pour cette occasion, Stefania joue du violon électronique afin de d’intégrer à la dynamique noise de Morgia. C’est abrupt, parfois explosif, souvent abrasif, bruitiste et frictional – « atomistique »… mais avec le drive intense et éclaté de Marcello Magliocchi, bien mis en avant dans cet enregistrement, on se dit : wouaw ! On pense à cette lignée de percussionnistes trompe-la-mort qui ont transformé la percussion « free » au réel service de l’improvisation libre : Tony Oxley, Paul Lytton, Paul Lovens, Roger Turner et le John Stevens du SME. Vous savez cette agitation micro percussive qui fait tout basculer dans plusieurs directions et vous envoie dinguer dans l’au-delà. Rien moins que cela ! Aussi, ces sept improvisations conjuguent plusieurs approches basées autant sur la vitesse qu’avec des sonorités particulières dues aux frottements, grattages, bruissements, agrégats de techniques, le trafiquage des instruments, etc… . Non content de répandre ses frappes démultipliées sur des surfaces et accessoires percussifs dans l’esprit d’une sérialité rythmique, Magliocchi frotte ses cymbales, gongs et accessoires métalliques en émettant des harmoniques ajustées aux notes et aux sons de la guitare électrocutée de Ninni Morgia, un guitariste inspiré dans cet idiome bruitiste qui exploite à très bon escient les effets pour diversifier à outrance les sonorités au niveau des Henry Kaiser ou des Ian Brighton…avec une rage authentique. Il ne suffit pas de vouloir diversifier ses approches ludiques et s’abandonner à cet état de grâce heuristique pour que nos oreilles se focalisent sans un instant de répit du début jusqu’à la fin de la septième improvisation On va dire que « c’est pas nouveau », un percussionniste comme Magliocchi, je vous répondrai que j’ai entendu Eddie Prévost jouer du Eddie Prévost il y a presque quarante ans et je l'écoute toujours avec intérêt ! Avec Magliocchi, comme on a affaire à un sérieux client haut de gamme, on ne va pas bouder son plaisir, bien souvent imprévisible si on tend l'oreille sur des éléments de sa discographie. Avec son acolyte Morgia, ils transmettent leur transe à Stefania Ladisa, laquelle n’hésite pas à plonger dans l’inconnu sans arrière-pensée, happée par cette folie inextinguible.
Matthias Boss & Marcello Magliocchi Schnellissimo Plus Timbre
https://plustimbre.bandcamp.com/album/schnellissimo
Violon et percussions . Le violiniste Suisse Matthias Boss et le percussionniste italien Marcello Magliocchi entretiennent une longue et profonde complicité dans l’improvisation. Séparément et ensemble, on les a entendus en duo et dans plusieurs groupes dans des albums publiés par Plus Timbre, FMR, Improvising beings, Setola di Maiale. Leur duo défie les lois de la gravité universelle en se répandant dans l’espace. Chacun d’eux imprime un rythme multidimensionnel avec une légèreté ineffable et des changements de cadences, de dynamiques et d’expressivité qui entraînent l’auditeur dans un cheminement infini parsemé de perles et de convergences sonores tout autant que de surprenantes attractions ou d’ échappées centrifuges. Une écoute imaginative, scintillante où le violoniste Matthias Boss effectue de très concis agréments subtilement microtonaux d’un réel lyrisme. Les frappes libérées de Marcello Maggliocchi balisent des éclats polyrythmiques et de croisements de pulsations joyeusement élastiques alors que ses frottements métalliques à l’archet diffusent sifflements cristallins et harmoniques surréelles. Matthias Boss répond toujours sur le champ le plus adroitement du monde aux changements de régime et d'intensité de son acolyte. En public, l’auditeur sagace est toujours séduit et impressionné par la qualité de son timbre et sa capacité à augmenter le volume de son jeu durant le même coup d’archet comme si ses cordes s’étaient enflées et son archet nous avait jeté un sort… Magliocchi est un authentique percussionniste free qui libère son jeu de tics et autres redondances à l’instar des meilleurs pionniers de l’improvisation libre. Au fil des 34 minutes de Schnellissimo, pièce unique de l’album, l’empathie créatrice du duo nous livre un univers merveilleux. Des crescendi énergiques émergent en finale, concluant avantageusement leurs recherches suggestives de sonorités et d’équilibres instables dans un final incontournable. Le duo violon – percussion improvisé « libre » est une rareté discographique et offre bien des possibilités sonores. On songe à Phil Wachsmann et Martin Blume, ou Billy Bang et Dennis Charles, Leroy Jenkins et Rashied Ali dans la scène U.S. Aussi Malcolm Goldstein et Matthias Kaul, une véritable merveille sonore passée inaperçue (label Nur Nicht Nur). Dans leur style tout à fait personnel, Boss et Magliocchi démontrent valablement qu’ils n’ont rien à envier à personne.
https://sluchaj.bandcamp.com/album/ephemeral-shapes/
Formes éphémères, échanges improvisés dans un dialogue multidirectionnel sans « compositions » ni thèmes, les motifs mélodiques, les canevas rythmiques ou pulsatoires et leurs interactions sont créées dans l’instant avec autant de sensibilité que de lisibilité. One : 10:38. Jeu vif de questions réponses en ricochet et en rapide alternance, chaque musicien propose des idées brèves pour tâter le terrain jusqu'à ce que le trio trouve un terrain d'entente. Une construction logique enlevée s'impose où le saxophoniste évolue avec quelques facettes de son jeu. Two, 3:53. Une ballade sensuelle improvisée où le souffle langoureux et presque introverti accentue les notes en douceur , les deux autres émettant des vibrations en apesanteur comme si le souffleur était sur un nuage. On songe à Ben Webster, tendre, subtil et vélouté. Three : 4:26. Aruàn Ortiz propose un motif à l'esprit monkien avec une belle angularité dont Ivo Perelman s'en empare avec la même sonorité veloutée et sensuelle de la quelle émerge des aigus expressifs à la fois, vifs, mordants, solaires et avec micro glissandi qui sont sa marque de fabrique. Ramón Lopez marche sur des oeufs avec la plus grande délicatesse et une dynamique merveilleuse alors que le jeu perlé du pianiste apporte agilement son lot d'idées et d'intervalles rafraîchissements. Four : 4:37 semble s'enchaîner comme si l'improvisation était le corollaire était le second mouvement de Three, on y retrouve la même qualité d'inspiration. Six : 8:26. Rien que pour entendre ces longues notes au sax ténor se métamorphoser en oscillant granduellement vers le grave avec un lyrisme déconcertant qui fait de petits détours dans les aigus caractéristiques. Les deux complices interviennent à peine en jouant le silence, la vibration fantomatique de la cymbale. Petit à petit un narratif se construit et le débit du sax s'anime, en morsures, spirales, suraigus mordants (mais "chantants") le batteur augmentant la pression. Seven : 8:56. Intention similaire à celle de Six au départ mais avec d'autres timbres et intervalles pour un chant superbe suspendu dans l'espace. Le batteur et le pianiste joue par petites touches comme si le trio s'élevait dans l'atmosphère. Rimshots de la batterie, signal pour les cadences animées des vifs doigtés du pianiste. Son jeu ouvert et aérien : on est loin de la furia déchaînée des Taylor ou Schlippenbach et le déferlements affolants de centaines de notes. Chez Ortiz tout est concis, mesuré et son approche ouverte et attentive toute à l'écoute laisse une grande marge de manoeuvre à l'expressivité et à l'imagination de ses collègues qui, grâce à son état d'esprit assez "neutre", peuvent changer de cap en toute liberté. Eight : 3:52. Avec un motif rythmique très simple qu'ils échangent à plaisir, le pianiste et le saxophoniste font preuve d'une connivence ludique réjouissante sous la houlette de la mise en place impeccable et spontanée du batteur. Une session dédiée au lyrisme "saudade" contemporain et à l'écoute subtile.
Ces trois improvisateurs n’en sont pas à leurs débuts ensemble. Le saxophoniste Brésilien Ivo Perelman et le pianiste Cubain Aruán Ortiz ont déjà deux albums en commun. D’une part un duo contenu dans le recueil Brass and Ivory Tales, un coffret de neuf CD’s publié par le même Fundacja Sluchaj documentant pas moins de neuf duos du saxophoniste avec une série de pianistes de haut vol dont Marylin Crispell, Dave Burrell, Agusti Fernandez (incidemment un habitué de Ramón Lopez), Craig Taborn, Angelica Sanchez, Sylvie Courvoisier, Aaron Parks, Vijay Iyer…. Par la suite, on retrouve Perelman et Ortiz dans Prophecy, un superbe trio avec le violoncelliste Lester St Louis et Ramón Lopez et Perelman dans l’album digital Interaction avec Barry Guy, toutes deux parmi les meilleures pièces à conviction récentes de ces artistes. Si le trio batterie – basse – sax ténor, instruments de Lopez, Guy et Perelman, est très (sur)documenté, Prophecy est une belle occasion de découvrir un rare jeune violoncelliste afro-américain, cet intrigant pianiste s’intégrer avec autant d’imagination que de sensitivité dans l’univers à fleur de peau du saxophoniste Brésilien. Son écoute m’avait à la fois beaucoup touché et surpris . En effet, il n’est pas donné à tout un chacun de plonger dans une session avec de nouveaux collaborateurs et improviser librement avec une telle réussite et autant de conviction, surtout que le violoncelle et le sax ténor sont deux instruments qui recèlent beaucoup d’affinités dans les mains adéquates . Avec de tels augures, cette alléchante réunion de trois talents avait déjà quelques atouts dans son jeu. Pour s’en rendre compte, il ne faut surtout pas comparer ces Ephemeral Shapes aux duos de Perelman avec le pianiste Matt Shipp ainsi que leurs extraordinaires trios avec les batteurs Whit Dickey et Gerald Cleaver ou Bobby Kapp. D’abord, Aruàn Ortiz est un pianiste aux conceptions et aux intentions musicales différentes par rapport à Shipp. De même, Ramón Lopez se définit plus comme un percussionniste dans le sillage de Pierre Favre que comme un batteur. Ivo a développé une musique en duo unique avec Matt Shipp dont les incidences se propagent en compagnie de leurs batteurs « habituels », Dickey , Cleaver, etc... Cette musique a ses caractéristiques propres et crée une dynamique bien particulière dans les interactions de ces musiciens, la densité du jeu physique, la combinaison des énergies et l'évolution des formes insaissables du jeu collectif dans l'instant. Ephemeral Shapes offre de bien différentes perspectives et cette bienvenue dynamique aérée qui offre une grande lisibilité dans les détails.On y entend les vibrations du souffle et des murmures de chaque instrument comme si le trio flottait dans l'espace avec une dynamique spacieuse et éthérée
Si Ivo Perelman a un jeu expressionniste subtil très caractéristique au saxophone ténor reconnaissable entre tous, son approche de l'improvisation libre est très ouverte et ses interventions évitent de se poser dans la hiérarchie du soliste "accompagné" par ses collègues avec cette prépondérance "du soliste" dans l'équilibre du groupe. Il embrasse l'option égalitaire pour laquelle chaque instrumentiste improvisateur se situe au même niveau d'importance que les autres et avec toute la liberté au niveau du jeu pour assumer la dimension lyrique et expressive de leur "free - jazz" totalement improvisé dans l'instant. Leur recherche sonore et musicale est au service de cette expression issue de la tradition du jazz qu'ils étendent au maximum. L'écoute mutuelle respectueuse de chacun étant la clé du processus alchimique du trio. Il faut souligner la qualité très détaillée des crescendos minutieux des frappes de Ramon Lopez et la finesse aux cymbales, lesquelles s'intègrent à merveille dans les cascades carillonnantes des doigtés cristallins d'Aruàn Ortiz. Cette approche coïncide précisément avec l'évolution personnelle du souffle et de la dynamique du saxophoniste suite à l'adoption d'un nouveau bec. Sa sonorité est devenue plus veloutée, son approche un peu plus introvertie et paradoxalement, ses harmoniques aiguës sifflantes et étrangement suggestives en sont encore plus incisives et mordantes. Cette "réorientation" de son jeu qui tend au raffinement sans pour autant perdre la moindre parcelle d'énergie flamboyante quand le trio "chauffe", trouve son aboutissement avec le jeu ouvert et logique d'Aruàn Ortiz qui semble être l'extension "ivoirienne" des inventions subtiles de Ramón Lopez, démultipliant ou réduisant le pullulement des pulsations. Tout au long des huit improvisations (Titres : one, two three jusque eight), les trois improvisateurs maintiennent un véritable trilogue sans jamais dévier de leurs trajectoires imprévisibles en relâchant les tensions jusqu'à ce qu'un des protagonistes brode par dessus un évident duo entre deux des instrumentistes. Ou s'il y a un duo (piano et batterie dans One), c'est qu'Ivo Perelman a choisi le silence pour écouter ses collègues avant de se lancer dans une magnifique intervention. Décomposer un trio en deux trois duos est très tentant autant parce que le piano et la batterie sont aussi des instruments percussifs et rythmiques et que le saxophone et le piano sont des vecteurs de mélodies et d'harmonies. Chaque improvisation recèle une identité propre par ses motifs, l'interactivité et l’énergie dégagée, son lyrisme et l'invention spontanée. Une réussite inattendue
Heme John Edwards Steve Noble Yoni Silver Shrike Records SRL 003
https://shrikerecords.bandcamp.com/album/heme
Peu après le lancement du label Shrike, je n’ai pu m’empêcher de commander, écouter et chroniquer Until the Night Melts Away de Sharon Gal John Butcher & David Toop. Malheureusement, les mesures douanières dues au Brexit ont rendu très difficile la possibilité d’acquérir des CD’s britanniques sans faire face à des frais de douane et des taxes qui combinées font plus que doubler le prix d’un CD. Malheureusement, les albums Shrike et d’autres en ont fait les frais. Comme il arrive que je me déplace à Londres, j’en acquiers directement, mais avec du retard. Comme c'est le cas ici. Et c'est bien dommage, parce que Shrike a plusieurs albums passionnants à son actif. Heme documente une recherche sonore méticuleuse et inspirée qui vaut vraiment le détour. Archi-connu internationalement, le tandem basse – batterie John Edwards et Steve Noble se font entendre dans une dimension très éloignée de la musique de Heme : du « free » free jazz vitaminé qu’ils pratiquent avec Evan Parker, Charles Gayle, Joe McPhee, Brötzmann ou Alan Wilkinson. Dans Heme, Steve Noble axe ses improvisations en faisant résonner cymbales, gongs (ou tam-tams) et autres percussions métalliques dans l’espace alors que Yoni Silver investigue les particularités les particulières ou idiosyncratiques de sa clarinette basse, striant la colonne d’air en pressant son anche qui gémit comme un fantôme. Sept improvisations intitulées A, Tunica Intiema, B, Tunica Media, C Tunica Externa et O détaillent avec méthode et passion les trouvailles sonores remarquables qui s’amoncellent et s’organisent spontanément dans l’espace ludique de ces trois super improvisateurs. B est initié par des frappes sur les cordes de la contrebasse au plus haut de la touche par John Edwards et dérive adroitement dans un chassé-croisé pointilliste sophistiqué. Pas d’embardée dans cet album, Edwards et Noble se mettent au diapason des transformations introverties du son, grasseyements, growls, harmoniques de Yoni Silver dans le sillage du duo « Home » de Silver et Noble publié par Aural Terrains en 2017. Cet album Home et le présent Heme surprendront les auditeurs qui collent une étiquette bien définie sur tel ou tel musicien dans un contexte particulier sans même imaginer que nombre de musiciens improvisateurs ont plusieurs cordes à leur arc et adaptent leurs pratuuqes en fonction de la personnalité et des intentions esthétiques de l'un d'entre eux. On est ici au plus fin de la démarche découvreuse de l’improvisation radicale sans effet de manche ou de tirades virtuoses « impressionnantes ». Ça frotte, gratte, gémit, ondule, crisse, bourdonne, résonne, frictionne lentement, progressivement, … les sons s’agrègent, s’irisent, se noient un instant dans le silence. Mais cela peut s’animer avec plus d’énergie comme dans C. Et on peut compter sur Steve Noble pour « détonner » et surprendre d’originale manière Il faut d’ailleurs attendre le dernier morceau pour se rendre compte de la virtuosité de souffleur intrépide (et « circulaire ») de Silver (O), et son talent affirmé dans l’égosillement avec une grande classe. Super CD publié en 2022. Mieux vaut tard que jamais.
Stefania Ladisa - Nini Morgia - Marcello Magliocchi Mirage Plus Timbre
https://plustimbre.bandcamp.com/album/mirage
Stefania Ladisa, une jeune violiniste convaincue des possibilités musicales de l’improvisation libre et de la recherche sonore ne pouvait pas trouver de meilleurs compagnons dans ses Pouilles natales que le guitariste Nini Morgia et le percussionniste Marcello Magliocchi. Nini Morgia a gravé un vinyle fascinant avec Magliocchi : Sound Gates pour le label Ultramarine. On a aussi découvert Stefania Ladisa dans l’excellent Cosmic Listenings en compagnie de Marcio Mattos au violoncelle, la chanteuse Marilza Gouvea et Marcello Magliocchi sur le même label Plus Timbre. Pour cette occasion, Stefania joue du violon électronique afin de d’intégrer à la dynamique noise de Morgia. C’est abrupt, parfois explosif, souvent abrasif, bruitiste et frictional – « atomistique »… mais avec le drive intense et éclaté de Marcello Magliocchi, bien mis en avant dans cet enregistrement, on se dit : wouaw ! On pense à cette lignée de percussionnistes trompe-la-mort qui ont transformé la percussion « free » au réel service de l’improvisation libre : Tony Oxley, Paul Lytton, Paul Lovens, Roger Turner et le John Stevens du SME. Vous savez cette agitation micro percussive qui fait tout basculer dans plusieurs directions et vous envoie dinguer dans l’au-delà. Rien moins que cela ! Aussi, ces sept improvisations conjuguent plusieurs approches basées autant sur la vitesse qu’avec des sonorités particulières dues aux frottements, grattages, bruissements, agrégats de techniques, le trafiquage des instruments, etc… . Non content de répandre ses frappes démultipliées sur des surfaces et accessoires percussifs dans l’esprit d’une sérialité rythmique, Magliocchi frotte ses cymbales, gongs et accessoires métalliques en émettant des harmoniques ajustées aux notes et aux sons de la guitare électrocutée de Ninni Morgia, un guitariste inspiré dans cet idiome bruitiste qui exploite à très bon escient les effets pour diversifier à outrance les sonorités au niveau des Henry Kaiser ou des Ian Brighton…avec une rage authentique. Il ne suffit pas de vouloir diversifier ses approches ludiques et s’abandonner à cet état de grâce heuristique pour que nos oreilles se focalisent sans un instant de répit du début jusqu’à la fin de la septième improvisation On va dire que « c’est pas nouveau », un percussionniste comme Magliocchi, je vous répondrai que j’ai entendu Eddie Prévost jouer du Eddie Prévost il y a presque quarante ans et je l'écoute toujours avec intérêt ! Avec Magliocchi, comme on a affaire à un sérieux client haut de gamme, on ne va pas bouder son plaisir, bien souvent imprévisible si on tend l'oreille sur des éléments de sa discographie. Avec son acolyte Morgia, ils transmettent leur transe à Stefania Ladisa, laquelle n’hésite pas à plonger dans l’inconnu sans arrière-pensée, happée par cette folie inextinguible.
Matthias Boss & Marcello Magliocchi Schnellissimo Plus Timbre
https://plustimbre.bandcamp.com/album/schnellissimo
Violon et percussions . Le violiniste Suisse Matthias Boss et le percussionniste italien Marcello Magliocchi entretiennent une longue et profonde complicité dans l’improvisation. Séparément et ensemble, on les a entendus en duo et dans plusieurs groupes dans des albums publiés par Plus Timbre, FMR, Improvising beings, Setola di Maiale. Leur duo défie les lois de la gravité universelle en se répandant dans l’espace. Chacun d’eux imprime un rythme multidimensionnel avec une légèreté ineffable et des changements de cadences, de dynamiques et d’expressivité qui entraînent l’auditeur dans un cheminement infini parsemé de perles et de convergences sonores tout autant que de surprenantes attractions ou d’ échappées centrifuges. Une écoute imaginative, scintillante où le violoniste Matthias Boss effectue de très concis agréments subtilement microtonaux d’un réel lyrisme. Les frappes libérées de Marcello Maggliocchi balisent des éclats polyrythmiques et de croisements de pulsations joyeusement élastiques alors que ses frottements métalliques à l’archet diffusent sifflements cristallins et harmoniques surréelles. Matthias Boss répond toujours sur le champ le plus adroitement du monde aux changements de régime et d'intensité de son acolyte. En public, l’auditeur sagace est toujours séduit et impressionné par la qualité de son timbre et sa capacité à augmenter le volume de son jeu durant le même coup d’archet comme si ses cordes s’étaient enflées et son archet nous avait jeté un sort… Magliocchi est un authentique percussionniste free qui libère son jeu de tics et autres redondances à l’instar des meilleurs pionniers de l’improvisation libre. Au fil des 34 minutes de Schnellissimo, pièce unique de l’album, l’empathie créatrice du duo nous livre un univers merveilleux. Des crescendi énergiques émergent en finale, concluant avantageusement leurs recherches suggestives de sonorités et d’équilibres instables dans un final incontournable. Le duo violon – percussion improvisé « libre » est une rareté discographique et offre bien des possibilités sonores. On songe à Phil Wachsmann et Martin Blume, ou Billy Bang et Dennis Charles, Leroy Jenkins et Rashied Ali dans la scène U.S. Aussi Malcolm Goldstein et Matthias Kaul, une véritable merveille sonore passée inaperçue (label Nur Nicht Nur). Dans leur style tout à fait personnel, Boss et Magliocchi démontrent valablement qu’ils n’ont rien à envier à personne.
Free Improvising Singer and improvised music writer.
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