16 décembre 2024

Misha Mengelberg SOLO/ Carine Bonnefoy Jean-Marc Chouvel Pascal Marzan Roula Safar/ Jean-Jacques Avenel & Daunik Lazro/ Davide Barbarino Géraldine Ros Jean- Brice Godet

Misha Mengelberg Ghent Solo 1993 ICP digital
https://icporchestra.bandcamp.com/album/misha-mengelberg-ghent-solo-1993

Enregistré le 23 Novembre 1993 à Gand et retrouvé dans les archives personnelles de Misha Mengelberg après sa mort, ce concert en solo est une belle aubaine. Même un beau miracle. Je m’étais consolé de son départ avec le superbe Untrammelled Traveller en duo avec le batteur Sabu Toyozumi (Chap- Chap Records). Sabu Toyozumi qui est un personnage hors du commun, considère Misha comme étant son gourou n°1 en musique improvisée ! Mais voici une somme de tout qui rendait le jeu et les improvisations de Misha Mengelberg, un artiste unique et extrêmement attachant. Misha est un poseur de questions, un artiste qui pousse à nous faire réfléchir. Sa musique un peu folle se nourrit des singularités des grands pianistes de jazz comme Thelonious Monk, Herbie Nichols, Ran Blake, et Cecil Taylor jeune, des compositeurs tels Schönberg ou Webern, voire même John Cage, et des pianistes de cinéma muet ou de cirque. Il y dans sa musique une dose de dadaïsme Fluxus (mouvement dont il fit partie), l’air libre des musiques populaires, la plus grande simplicité et une absence de prétention. Au travers de développements de motifs dodécaphoniques et d’enchaînements non sensiques, peut surgir des allusions / fragments de Monk à la Monk (on s’y croirait). Ou la joie ludique enfantine d’une ou deux notes simplistes enfoncées et réitérées avec force en contraste avec un fragment de mélodie qui se déglingue ou s’enroule sur lui-même. Farfelu et magique. Son premier album solo Pech Onder Weg (1979) est un catalogue saugrenu de trouvailles, un herbier excentrique. Ghent Solo 1993 est une véritable tranche de vie qui sert autant à être écoutée qu’à vous faire réfléchir sur la valeur du contenu de la musique, sa finalité. Une forme d’humour, un sens du sarcasme d’accordeur et une véritable bonhommie. Et non pas une marchandise culturelle savante et éduquée …Son sens mélodique est très sûr, comme ceux de Paul Bley ou Ran Blake, Mal Waldron ou Thelonious Monk, on le reconnaît immédiatement. Adorable.

Jusqu’au soleil , l’improbable CIEL : Carine Bonnefoy Jean- Marc Chouvel Pascal Marzan Roula Safar Hortus 239
https://www.editionshortus.com/catalogue_fiche.php?prod_id=313

CIEL pour Collectif d’Improvisation Expérimental Libre. L’idée et la pratique de l’improvisation libre (expérimentale) a été mise à toutes les sources et à toutes les sauces au fil des décennies. Et cette pratique s’est étendue à un nombre exponentiel de musiciens de toute origine, obédience, venus des horizons du classique contemporain, académique ou alternatif, du jazz, du rock, des arts graphiques, de la danse, du théâtre et... autodidactes et cette multipolarité en fait tout l’intérêt. La pianiste Carine Bonnefoy a réuni le clarinettiste Jean-Marc Chouvel, la chanteuse lyrique mezzo-soprano Roula Safar et le guitariste Pascal Marzan avec sa guitare à dix cordes accordée au sixième de ton. Quel qu’en soit le « résultat musical », le fait de vouloir créer ou essayer à faire de la musique en improvisant est une expérience ou un mode de vie ou une nécessité ou simplement un essai etc… Et quelques soient les intentions personnelles ou le but ultime pour élaborer des formes, des sonorités, ... chacun s’autorise son parcours personnel, intime, rêvé en toute indépendance d’esprit ou suivant des formules, des idées etc… Il reste la liberté de l’auditeur. On découvre ici une musique raffinée, des dialogues précieux : la pianiste et le clarinettiste dans Corail. Des interventions du troisième type : la guitare en sixième de ton déguisée en harpe céleste dans Pourquoi ?. Le concours percussif de la chanteuse et la vocalisation de la clarinette – glissandi originaux - (Pourquoi ?). Il y aussi la capacité à faire cheminer une improvisation dans différents niveaux d’échanges, d’affects… minutieusement et spontanément, de nouveaux apports de plus en plus audacieux, ainsi qu'à doser ces trouvailles au fil des huit improvisations de manière évolutive. Chaque morceau acquiert une identité propre qui le distingue du précédent. Remarquable ! Petit à petit, la voix de Roula Safar se libère, improvise, la clarinette de Jean-Marc Chouvel s’envole, lumineuse ou atterrit, sombre. Les doigtés main gauche main droite de Pascal Marzan s’insèrent adroitement au milieu des échanges. De belles cadences cristallines sous les doigts de Carine Bonnefoy entraînent la féerie de la voix et du souffle (Cornet). Le souffle de JM Chouvel devient audacieusement microtonal : « jusqu’au soleil ». Et on appréciera le chant « naturel » de Roula Safar dans ses improvisations. Pour qui vient du classique stricto sensu, il y a bien une appétit d’aventures hors des sentiers battus. Moi, personnellement, j’en ressens la poésie, l’émotion non feinte, les nuances, un idéal de respect, d’écoute mutuelle, d’exigence esthétique, un feeling radieux. La musique de CIEL d’excellente facture s’écoute avec plaisir et convient très bien pour convaincre un auditeur classique « pur et dur » que la musique improvisée libre est une option possible, même souhaitable.

DUO Jean-Jacques Avenel & Daunik Lazro Bibliothèque de Massy 13 novembre 1980 . FOU Records FR-CD 68
https://www.fourecords.com/FR-CD68.htm

Encore un témoignage enregistré qui nous vient d’une époque pas tout à fait révolue. Daunik Lazro est à mon avis, au sax alto, le souffleur « free » central en France, je veux dire au cœur de l’extrême. Sans concession par rapport aux conventions en vigueur au sein du jazz ou du classique ou des variétés. Son camarade Jean-Jacques Avenel y contribue avec le plus grand bonheur. La musique de la liberté avec quelques formules de départ que les deux artistes tourneboulent, griffent, excèdent, éclatent. On se souvient du vocable qui fit florès dans l’univers du « free » hexagonal : le folklore imaginaire. En voici un exemple vivant, vivifiant, expressif, sauvage. Le souffleur assène des boucles qu’il accentue énergiquement, des fragments d’éructations dolphystes qu’il combine adroitement en en modulant sauvagement la métrique. Et par surprise pulvérise leur articulations à coups de langue sur l’anche, vocalisations (on pense à la ghïta d’Afrique du nord) et multiphoniques. L’archet du contrebassiste virevolte, se fait sourd et sombre, lyrique ou irisé transitant par différents états émotionnels et ondulations sonores. Une comptine aussi (Cordered), dédiée à Lacy et Braxton. Un thème vraiment intéressant (intervalles, construction mélodique, accents rythmiques) digne des grands free-jazzmen (Roscoe, Byard Lancaster) et variations free enflammées. Ce disque est une merveille car il nous confie l’enregistrement le plus clair du phénomène Lazro et le rapport intense qu’il entretenait alors avec son ami Jean-Jacques Avenel. Celui-ci se surpasse et démontre une grande qualité à échafauder tous les plans possibles pour bonifier la musique avec les ressources de son jeu multiforme. Du grand art ! Celui de la giration infinie sans tourner en rond. La qualité de l’enregistrement , les nuances de leur musique en vivant surpasse aisément celles confiées au sillon dans l’album solo et duo de D.L. avec JJA publié par Hat Hut sous le titre The Entrance Gates at Tshee Park. DUO est une pièce essentielle du « free » en France. On n’est jamais mieux servi que par soi-même et Jean-Marc Foussat, le preneur de son providentiel. Grâce lui soit rendu à J-MF ! Notez quand même que si ce disque est très fidèle à la musique du duo avec toutes ses nuances, on trouve ici un jeu calibré mais intense, sans doute en relation avec le lieu et son espace, et l’attention du public. Dans d’autres circonstances, Lazro pouvait se révéler plus déchaîné, expressionniste, flamboyant à l’extrême (cfr le CD ECSTATIC JAZZ du trio Lazro Avenel et Siegfried Kessler/ FOU Records FR-CD55 : plus que ça tu meurs !!). Ici il se concentre sur le contenu musical en variant les effets à l’envi et en les métamorphosant avec une belle énergie sans devenir redondant. En cela, il est vraiment choyé par son camarade, le contrebassiste Jean-Jacques Avenel, devenu plus tard un des piliers de l’équipe Steve Lacy, c’est dire. JJA est inspiré et inspirant, renouvellant les formes, les élans, les angles de fuite, plein d'énergie. Ces artistes sont avant tout sincères et authentiques, ils jouent dans l’instant afin de construire la plus belle musique possible sans chercher à impressionner le public, seulement à lui parler au cœur.

WOLF SILENT - fragments for a chamber opera Objet-a digital
DAVIDE BARBARINO pedal steel & baritone guitar, piano-midi & electronic instruments, drum programming, field recordings, JEAN-BRICE GODET bass clarinet & GERALDINE ROS voice
https://objet-a.bandcamp.com/album/wolf-silent-fragments-for-a-chamber-opera

Il y a sans doute un opéra imaginaire fictif duquel on aurait extrait les parties du livret que chante Géraldine Ros, mises en musique par Davide Barbarino avec les différents instruments mentionnés plus haut et la granuleuse clarinette basse de Jean-Brice Godet. Pas moins de huit fragments constituent une œuvre mystérieuse et enchanteresse qui gravite entre plusieurs pôles esthétiques avec une grâce séduisante (musique contemporaine, souffle issu du jazz contemporain, Webern, vocalité classique vingtiémiste, ambient, électronique, etc…). Inclassable. Chacun des acteurs musiciens évoluent en contraste dans leur idiome stylistique respectif. Les parties instrumentales jouées Davide Barbarino au piano-midi en sont l’ossature harmonique, parsemées des sonorités en suspension émanant de son électronique qui meuvent dans l’espace comme des rideaux de lumière ou des écrans d’ombre, alors que défile le long ruban sinueux en clair-obscur de la clarinette basse suave de Jean-Brice Godet dont le grain s’effrite. Mais un dialogue interactif agité entre clavier et clarinette peut très bien survenir (Caustico Lunare) jouxtant l’univers du free jazz ainsi que s’insèrent des bruissements électroniques frictionnels. La soprano Géraldine Ros est absolument remarquable, perfection du chant, de la diction avec cette emphase expressive caractéristique de la musique classique contemporaine hautement exigeante. Mais sa voix peut évoluer dans l’idiome plus populaire de la voix « naturelle » comme on peut l’entendre dans Serai Eimi Has No Fear. Cette artiste vocale, professeure de chant et compositrice s’est révélée dans de multiples créations, œuvres et concerts dont on goûte ici tout le fruit de l’expérience (cfr https://www.harmoniques.fr/geraldine-ros/). Cet enregistrement aussi délicieux que requérant est publié sur la plate-forme bandcamp Objet A du saxophoniste et compositeur Gianni Gebbia lui-même un artiste tout aussi inclassable. Une belle découverte décrite avec une belle précision par les artistes eux-mêmes, ci-dessous.
« Wolf Silent is an improvised chamber opera realised in interchangeable fragments and patterns that are never definitive. This characteristic allows the work to be renewed with each performance, escaping from a demonstrative practice and allowing each performer to become an agent of an active and personal transformation. The music provides for the maintenance of the different musical areas to which the instruments used usually belong, aiming at preserving the contrasts created by them rather than smoothing them out: a pedal steel guitar, a bass clarinet and lyrical singing form the basic triangulation, the field within which the compositions unravel. Further drift comes from the use of filters and real-time modulations for electronic sound experimentation. The lyrics, treated as a magic formulary, are composed with the technique of a continuous, never-ending cut-up poem. They develop and evoke a peculiar poetic journey with references and resonances as much with the world of Nature as with the most enigmatic and mysterious metaphysical drifts. One can find traces of poets such as Novalis, Wallace Stevens, Rilke, Hermann Hesse, T. S. Eliot, Emily Dickinson, E.E. Cummings, Dylan Thomas, Seamus Heaney, Henri Michaux among the others, sublimated by the lyrical voice or deconstructed in a sort of declamatory de-lyrism. In this fragmentation and fermentation of themes, both musical and lyrical, the work, disseminating and recomposing itself, realises its becoming-minor, in an attempt to evoke differently in each listen a peculiar direction."

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