Sestetto internazionale Due Mutabili : Gianni Mimmo Harri Sjöström Akim Kaufmann Veli Kujala Ignaz Schick Philipp Wachsmann Amirani amrn 075
https://harrisjostrom.bandcamp.com/album/due-muatabili
Troisième album de ce Sextet International publié par Amirani, le remarquable label du saxophoniste soprano Gianni Mimmo, après les parutions d’Aural Vertigo (Amirani enreg 2015) et Sestetto Internazionale Live in Munich 2019 (Fundacja Sluchaj). Le principe orchestral pourrait évoquer celui du Marteau Sans Maître de feu Pierre Boulez en tendance free-jazz. Une espèce de structure en miroir d’instruments identiques ou similaires – complémentaires. Deux saxophones soprano (Gianni Mimmo et Harri Sjöström, aussi sopranino) habitués à jouer en duo (cfr Bauchhund et Wells/ Amirani), le piano d’Achim Kaufmann et l’accordéon au quart-de-ton de Veli Kujala : son instrument est « à clavier » comme le piano, mais son souffle pressuré évoque justement le sax soprano, tout comme le violon de Philipp Wachsmann (lequel remplace Alison Blunt, autre partenaire de Mimmo). Il convient de préciser que Wachsmann et Sjöström sont fréquemment partenaires depuis l’époque lointaine du Quintet Moderne. Le violon de Philipp est agrémenté de live electronics, qui, eux créent, des correspondances avec les platines et le sampler bruitiste d’Ignaz Schick qui fait ici office de trouble-fête, si on le compare au jeu méthodique polytonal racé de Mimmo ou au grand piano de Kaufmann. Deux grandes compositions instantanées de 37 :16 (Mutabili I) et de 21 :11 (Mutabili II) créent un subtil univers de transitions – correspondances – dialogues en mutation quasi permanente empruntant à plusieurs démarches improvisées et instrumentales dans une simultanéité tant en face à face que multilatéralement ou tangentiellement. On passe d’un tutti évanescent à un duo sax sopranino (Sjöström) et piano autour duquel flotte les sons relâchés de l’accordéon ou des incursions bruitistes émanant alternativement de Schick et Wachsmann alors qu’un des sax vocalise une note renfrognée. D’une action collective nait les traits sinueux et distingués de Gianni Mimmo auquel finissent par répondre deux touches de piano répétées, des feulements alanguis de l’autre sax soprano et le processing multiplicateur du frottement de l’archet. Les musiciens initient une idée et se retirent peu après, laissant l’espace et le champ d’action à un autre à qui vient la meilleure idée. À un solo explicite répond toujours une intervention qui semble déranger l’ordonnancement d’un vrai concert » . L’aspect sonore « bruissement » est à égalité avec l’invention mélodique quasi webernienne ou lacyienne. Dans le processus ininterrompu, l’auditeur aura parfois l’impression d’avoir entendu quelque chose d’assez semblable auparavant. Mais cet état de fait ne dure que quelques instants car le passage de relais est incessant et nourri par une belle imagination collective. Et quel sens de l’écoute !! C’est d’ailleurs dans Mutabili II que le Sestetto Internazionale se laisse aller dans un véritable momentum d’une rare alchimie en Cadavres Exquis… et aboutit à une superbe empoignade de tous où chacun trouve sa place et semble tirer la couverture à soi tout en laissant des interstices – espaces dans lesquels on entend clairement les autres instrumentistes trépigner tour à tour de plus belle, avant de ramener un calme apparent sous la houlette du souffle tout en circonvolutions de Gianni Mimmo par-dessus les plink-plonk de Kaufmann. Vraiment intéressant et, bien souvent, subtilement fascinant.
NB On retrouve aussi une approche similaire dans les albums d’Harri Sjöström Up and Out et Move In Moers.
Multiple Visions of the World. Pink Monads : Maria Luisa Capurso Edith Steyer, Céline Voccia Sofia Borges 4 DA Records
https://4darecord.bandcamp.com/album/multiple-visions-of-the-now
J’avais écouté la vocaliste Maria-Luisa Capurso parmi toutes les chanteuses improvisatrices dont j’ai connaissance ou dont je suis régulièrement le travail et nombre d’entre elles sont excellentes et certaines absolument fascinantes (Maggie Nicols, Sainkho Namchylak, Ute Wassermann…). Avec cet album des Pink Monads, Capurso a tiré le beau lot sensible : tout au long de ces huit improvisations, elle invente spontanément des paroles, des textes, des histoires … de la poésie et en anglais ou en italien. À l’instar de Shelley Hirsch, en quelque sorte. Ses paroles, la scansion du texte, sa voix, son émotion est stimulée et aiguillonnée par le beau travail essentiel et discret des trois musiciennes : Edith Steyer à la clarinette (préparée… ?), Céline Voccia au piano et Sofia Borges à la batterie et percussions. La musique instrumentale jouée par ces trois dames inspirées est savamment dosée, expressive à souhait, sans jamais surjouer afin de laisser l’espace sonore et la dynamique suffisante à la voix et aux textes de leur camarade. L’art de l’expression avec des petites touches, des suggestions, une ambiance et un vrai sens de l’écoute…Le responsable du label 4DARecords, le contrebassiste João Madeira, se fait fort de consacrer une série d’albums à la voix humaine, chantée, improvisée, contée ou racontée. Et ces Multiple Visions of the World qui nous semblent toutes modestes ont l’avantage de « parler » , « communiquer » et communier un état d’esprit, une attitude poétique, un message à quiconque à l’ouverture d’esprit et la capacité à écouter, sentir et découvrir tout un univers. À sa voix et ses textes, Maria Luisa ajoute des « fields recordings ». En 4/ , surgit la voix de Sandya, enregistrée à Casablanca, tournant sur elle-même avec les trois notes d’un mode proche-oriental. Au fil des plages, on goûte le toucher du piano, le souffle contemporain à la clarinette, la délicatesse à la batterie, les vocalises libres, leurs interventions momentanées subtiles et le babil de la vocaliste conteuse, remarquée aussi dans une ritournelle en dialecte du Sud. Un bel album qui vous fera passer un beau début d’après-midi.
Zwoch, Zwosch & Zwosch Carlos Zingaro Guilherme Rodrigues José Oliveira a new wave of jazz anwoj 0059
https://newwaveofjazz.com/portfolio/nwoj0059/
Rencontre au sommet du voloniste portugais Carlos Zingaro, une légende de la free-music, du violoncelliste « encore jeune » Guilherme Rodrigues, lui-même fils de l’altiste vétéran Ernesto Rodrigues, et du percussionniste José Oliveira, un des premiers collaborateurs des Rodrigues père et fils dans « Mutiples », le premier album du catalogue Creative Sources cscd 001 – 2001. Ayant reçu ce CD de son producteur, le très actif guitariste belge Dirk Serries, j’avais cru lire en vitesse qu’Ernesto en faisait partie. Mais surprise ! C’est José Oliveira, un bien intéressant percussionniste, parfait pour ce genre de trio dont les échanges incarnent toutes les mutations et phases de jeu possibles en manipulant les trois instruments : violon, violoncelle et percussions, sous tous les angles. C’est avec un malin plaisir que les deux cordistes évoquent précisément les frappes caractéristiques de rebond sur les peaux et ustensiles et savent s’en détacher avec élégance. Lorsqu’un drone en suspens est joué par le violoncelliste à l’archet, on entend poindre le sifflement du bord de la cymbale (archet, corde frottée ?). L’art de passer d’une séquence sonore à l’autre spontanément, subrepticement ou par contraste subit. Ce concert live at Festival DME @ Lisboa Inconum est joué d’une traite incluant les silences intermédiaires qui relance l’action collective. Dans ce deuxième mouvement, chacun joue son idée et tente le tout pour s’insérer dans celle de l’autre ou suggérer des nuances et : un magnifique duo entre Guilherme et José à la fois rythmique libre et ostinati brisés duquel le violoncelliste semble s’évader puis revient soutenir le percussionniste pour s’effacer discrètement alors que tinte une cloche. Troisième mouvement des pizzicati graves genre contrebasse ouvre l’espace pour la sonorité suave et les arabesques délicieuses de Zingaro. Les deux cordistes se jouent un contrepoint mutuel par-dessus les sourds et discrets martèlements bancals d’Oliveira sur un tambour assourdi. Effets de cavalcades et coups d ‘archets intenses du violoniste accroché aux trois ou quatre mêmes notes d’une gamme désespérée dont il presse la vibration avec force sur la touche saturant le son alors que le batteur décale les pulsations en frappant hors-temps et désorganisant la cadence vers l’anarchie. Et ensuite … tout se conclut par surprise comme si tout cela n’avait pas existé. Trente-deux minutes évasives d’improvisation ludique véritable qui comprime le temps , la durée autant qu’ils en étendent sa perception et son ressenti. La virtuosité est sollicitée à quelques moments précis et justifiés par la dramaturgie implicite de l’événement musical et s’évanouit face aux émotions, aux qualités de timbre, au plaisir de jouer à l’inspiration du moment immédiat. J’ajouterai que la démarche pointilliste à la fois discrète et joviale de José Oliveira est en phase avec ces deux spécialistes éprouvés du violon qu’il soit « dessus » ou « basse » qui ont tante de choses à se dire et auxquels J.O. a tant à partager, donner et recevoir. Mirifique !
Udo Schindler Peter Jacquemyn Georg Karger Hybride Synergetics (Low Tone Studies) FMR CD674-0423
https://arch-musik.de/project/hybride-synergetics/
Le multi souffleur Udo Schindler, ici aux clarinettes basse et contrebasse + sax soprano, documente massivement ses concerts à travers le label britannique FMR Records. Parmi ses obsessions, les rencontres avec des contrebassistes intitulées (Low Tone Studies). On l’a entendu avec les bassistes Damon Smith , Wilbert De Joode, Peter Jacquemyn, Meinrad Kneer, Thomas Stempkowski, Sebastian Gramss et Georg Karger. Et revoici un trio avec Karger et Jacquemyn aux contrebasses et je dois dire que, si Udo ne maîtrise pas toujours « parfaitement » tous ses instruments (il en joue beaucoup de différents, toutes anches et embouchures confondues), j’apprécie vraiment ses louables efforts aux clarinettes basse et contrebasse comme dans cet album. D’ailleurs, Udo Schindler a enregistré d’excellents duos avec un de mes clarinettistes basse (et contrebasse) favoris, le grand et trop méconnu Ove Volquartz , lequel a le mérite de le stimuler pour le meilleur (Answers and Maybe a Question, Tales about Exploding Trees And Other Absurdities). Alors, ce que j’apprécie dans ces Hybride Synergetics, est cette faculté qu’ont eue cette soirée-là les trois protagonistes à jouer une musique d’un seul tenant, en allant chercher les sons, les faisant vibrer, palpiter, murmurer… Ça grince et grogne joyeusement et gravement. Côté clarinette contrebasse ça graille, avec des harmoniques métallisées gargouillant en pagaille. Un bon point supplémentaire pour Peter Jacquemyn, un phénomène de la contrebasse ensauvagée et expressionniste, qui cherche ici un bon lot de trouvailles : il chante des diphoniques du meilleur effet, les quels passent à travers le micro de sa contrebasse, comme un gros bourdon du Tibet ou un chaman des Monts Altaï. Son enthousiasme est communicatif et celui de Georg Karger apporte une émulation stimulante, affairée dans le bon sens du terme. Un beau travail d’équipe, genre plongeurs de perles aléatoires. Une série de cinq improvisations mystérieuses et graves de sens de longueurs variées, avec deux autour des 20 minutes qui passent sans aucune lassitude une fois notre esprit sur orbite, la féérie de l’improvisation libre de recherche sans rétroviseur se révélant à nous. Grave !!
NB : excellent dessin de Peter Jacquemyn pour la pochette, Peter étant un artiste graphique "expressioniste" particulièrement suggestif de l'instantanéité de la musique qu'il pratique avec grand talent.
Consacré aux musiques improvisées (libre, radicale,totale, free-jazz), aux productions d'enregistrements indépendants, aux idées et idéaux qui s'inscrivent dans la pratique vivante de ces musiques à l'écart des idéologies. Nouveautés et parutions datées pour souligner qu'il s'agit pour beaucoup du travail d'une vie. Orynx est le 1er album de voix solo de J-M Van Schouwburg. https://orynx.bandcamp.com
3 octobre 2023
Gianni Mimmo Harri Sjöström Akim Kaufmann Veli Kujala Ignaz Schick Philipp Wachsmann/ Pink Monads :Maria-Luisa Capurso Edith Steyer, Céline Voccia Sofia Borges/ Carlos Zingaro Guilherme Rodrigues José Oliveira/ Udo Schindler Peter Jacquemyn Georg Karger.
Tom Jackson Neil Metcalfe Benedict Taylor Daniel Thompson/ Marina Dzukljev Richie Herbst Miodrag Gladovic/ Thanos Chrysakis Chris Cundy, Peer Schlechta Ove Volquartz/Cornelius Cardew by Jaka Berger
Tom Jackson Neil Metcalfe Benedict Taylor Daniel Thompson Hunt at The Brook Again / Hunt at The Brook with Neil Metcalfe
A new wave of jazz nwoj 0061
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/hunt-at-the-brook-again-hunt-at-the-brook-with-neil-metcalfe
Hunt at the Brook Again / Hunt at the Brook with Neil Metcalfe est la suite de Hunt At The Brook, le premier disque du trio de Tom Jackson (clarinette), Benedict Taylor (alto) et Daniel Thompson (guitare acoustique archtop) publié en 2015 par le label FMR, un trio dans la pure “tradition” de l’improvisation British, la manière du guitariste faisant plus qu’évoquer celles de son ami John Russell ou du Derek Bailey acoustique . Ces trois musiciens ont multiplié les albums en duo avec l’un et l’autre. Daniel Thompson a enregistré t’other en compagnie de Benedict Taylor (Empty Birdcage) et tous deux, Compost avec le clarinettiste Alex Ward (CRAM). On retrouve Thompson et Jackson avec le trompettiste Roland Ramanan dans Zubeneschamali (Leo Records) et dans Nauportus avec le percussionniste Vic Drasler (Creative Sources). Taylor et Jackson ont oublié aussi Songs From Badly -Lit Rooms (Squib Box). Quant au flûtiste Neil Metcalfe qui s’adjoint en quartette dans le CD 2 avec cette fine équipe, on le retrouve dans deux albums en trio et en duo avec Daniel Thompson : Garden Of Water And Light (FMR) et Eight Improvisations (Creative Sources). Ces trois improvisateurs poussent l’art d’improviser aux sommets de leurs facultés et de leurs intuitions avec une authenticité et une sensibilité créatives fascinantes. Tom Jackson est tout en spirales, volutes, sursauts, pépiements avec une qualité de timbre « clarinette classique contemporaine informée par sa pratique du jazz toutes époques confondues » : admirable ! Ses deux acolytes incarnent le courant improvisationnel libre. Daniel Thompson agite ses doigts et son plectre au travers des cordes et de la touche en créant des simultanéités d’angles aigus, d’harmonies excentrées, de pincements et raclements bruitistes, d’ostinatos discrets, de trilles métalliques et d’harmoniques sauvages en favorisant l’interaction tangentielle ou la digression suggestive. Quant au « violoniste » à l’alto, Benedict Taylor, sa manière de presser l’archet sur ses cordes en étirant ses notes évasives et tendues comme si la touche chantait un appel oriental imaginaire. Taylor crée un univers différent quasi « non-occidental » : violon tzigane hypertrophié, notes étirées, saturées, glissantes, serpentines, striages carnatiques, vièle d’Anatolie murmurante au bord du silence, pizzicati puissants et décalés. Leur réunion au sein d’Hunt at the Brook occasionne une musique en trio (sans batterie) parmi les plus distinctives de l’improvisation libre telle que je l’ai découverte au fil des décennies : Rutherford/ Bailey/ Guy (puis Wachsmann), Butcher/ Durrant/ Russell, Christmann/ Altena/ Lovens, Wachsmann/Beswick/ Wren, etc… Au fil des secondes et des minutes durant six improvisations, ils élaborent une architecture tridimensionnelle, des mouvements métamorphiques qui s’emboîtent, s’échappent et renaissent sous d’autres formes… sous le signe directeur de l’ébat ludique et le partage de l’espace et des sons/ On a de cesse de voir et entendre où cela les mènent, quand ils retombent sur leurs pieds ou s’envolent dans les sphères.
Avec l’inclusion du flûtiste vétéran Neil Metcalfe, on est au-devant d’une surprise. Neil Metcalfe a joué et enregistré aux côtés de John Stevens, Roger Smith, Nick Stephens, Tony Marsh, Paul Dunmall, Paul Rogers, Phil Gibbs, Adrian Northover, Daniel Thompson, Phil Wachsmann, Emil Karlsen. Il est apprécié pour son approche minutieuse et maniaque dans les infimes déplacements – glissements de la note « juste » en adaptant subtilement l’embouchure de son épaisse flûte noire. Tous ses collègues qui ont (acquis) une oreille musicale « absolue » se régalent. En quartet dans le CD 2 , le quartet commence à petits pas émaillés de silences, de frottements lents et nuancés, la clarinette lunaire et la guitare pincée égrenant deux ou trois notes répétées discrètement. La musique se fait petit à petit cascadante, Daniel Thompson accroche les intervalles les plus outrés percutant les cordes assourdies ou en harmoniques de sa six cordes, ravageant la conception du jeu de guitare « atonal ». Tom Jackson spirale avec une articulation magistrale. Entre ces deux pôles pépie la flûte de Neil Metcalfe comme s’il s’envolait de l’Empty Birdcage du label de Thompson. Les séquences s’enchaînent comme les mouvements d’une œuvre pensée et délimitée dont ils n’ont pas à suivre la partition inventant la musique immédiatement sachant précisément comment jouer et inventer au moment opportun et à celui qui surgit sans crier gare. Et sans mimique ni clin d’œil appuyé, le savant dosage étant le maître-mot. Entre les deux souffleurs , on note aussi une empathie profonde et une connivence tant au niveau des sonorités que des légers étirements de notes, infimes glissandi évanescents ou tourbillons de notes évoquant les gazouillis de joyeux volatiles échappés de la volière (Empty Birdcage). La présence active de Neil Metcalfe renforce encore l’excellence du trio devenu quartet et la sagacité collective. La simultanéité de propositions de jeu, de timbres, de lignes, les contrastes les plus suaves ou les plus forcenés, la variété des affects et des suggestions accouche d’un kaléidoscope de l’infini et d’une poésie en écriture automatique, celle des surréalistes. Il en résulte une magnifique expérience d’écoute.
Ears are For Ringing MRM Trio Marina Dzukljev Richie Herbst Miodrag Gladovic. Interstellar Records Cassette INT055.
https://mrmtrio.bandcamp.com/album/ears-are-for-ringing
Trio Serbo-Austro-Croate, MRM est composé de Marina Džukljev Eco Tiger organ), Richie Herbst (modular synthesizer) and Miodrag Gladović (electric guitar, electronics). Leur but est de rechercher et trouver des sons cachés dans l’assemblage de leurs intruments, des fusions et interférences : drones tout en densités et intensités, sounds processing jusqu’à ce que des courants vibratoires centrifuges ou obliques se lovent dans d’amples mouvements giratoires ou hélicoïdaux. Rencontre imprévue et imprévisible au départ lors d’u festival 5th Improcon Congress of Free Thought and Music in Bistrica ob Sotli en 2019, MRM a acquis une véritable identité dès le départ et au fils des ans. Je rappelle que Marina Džukljev est aussi pianiste et a enregistré le remarquable album Still Now (FMR) avec le percussionniste Vasco Trilla et le violoniste alto Szilard Mezei, lequel est un excellent point de référence sur son travail. La musique électrique – électroacoustique du MRM Trio mérite vraiment l’intérêt pour son processus aussi complexe que (faussement) minimaliste, « auto générant » subtilement des couches torsadées qui s’insinuent et se détachent des drones initiaux toute en en complétant leurs textures, leurs dynamiques, etc.., de manière à la fois distinctives et opaques. Les options sonores et stratégies font monter leur musique en puissance, avec un certain étonnement. Un excellent travail dans l’instant, appréhendé dans la durée de la performance et dans sa construction et par chacun de ses moments qui défilent insensiblement à notre grande surprise.
Thanos Chrysakis Chris Cundy, Peer Schlechta Ove Volquartz Archangel Aural Terrains TRRN1752
https://www.auralterrains.com/releases/52
Une belle et intrigante suite à leur album précédent « Music for Two Organs & Two Bass clarinets », Archangel réunit le travail conjoint des clarinettistes Chris Cundy (Bass & Contra Bass Clarinet, Soprano Ocarina) et Ove Volquartz (Bass, Contra Alto et Contra Bass Clarinets) Thanos Chrysakis (Chamber Organ / Voix) et Peer Schlechta(Church Organ). Mentionnons que Peer Schlechta est un expert en orgues qui a joué sur de nombreux instruments historiques et est Président de l’Association Internationale pour la Documentation de l’Orgue. Comme le précédent, cet enregistrement a été réalisé dans la Neustädter Kirche à Hofgeismar. Le label Aural Terrains de Thanos Chrysakis documente des ensembles instrumentaux ( clarinettes, trombones, électroniques , instr. À vent, etc…) exécutant des œuvres de multiples compositeurs contemporains, certains parmi les plus réputés, ou improvisant librement, ce qui est le cas d’Archangel. Au fil des années son excellent catalogue est devenu impressionnant et sa démarche passionnante. À noter, Cundy et Volquartz ont aussi souvent collaboré ensemble et Peer Schlechta travaille régulièrement avec ce dernier.
La combinatoire sonore des clarinettes basses et des deux orgues (chamber organ : orgue positif en français car déposé à même le sol) et la résonance particulière de l’église nous livrent une musique fantomatique et même, fantasmagorique. La richesse des timbres et des registres de deux orgues se répandent dans l’espace sonore suspendant ses bourdons, drones, grondements et souffleries nasillardes entre les parois réverbérantes de l’église et son sol dallé. Ces sonorités s’interpénètrent, roulent, vibrent, tanguent, aiguillonnées par les souffles graveleux, mordants ou ombrageux des clarinettes graves. Se développe une musique de mystère, distante et intensément acoustique, faite de vents, d’air et de vibrations des multiples tuyaux , orgues et clarinettes ou mêlés ou en contraste. Il semble que l’orgue « de chambre » ou les tuyaux du grand orgue fait/font osciller des drones tapissant d’une seule couche aérienne vibrante l’espace auditif. (2. Part II – III). Ailleurs, les clarinettistes initient les échanges en articulant des gammes dans l’ultra-grave de la clarinette contrebasse (Cundy) et dans le registre moyen de la contra-alto (Volquarz) (Part IV). Cette manière de dialogue induit les deux organistes à opérer en demi-teinte associant des timbres ténus oscillant dans la résonance des graves. L’intervention à l’ocarina de Cundy est providentielle et apporte une touche « chant d’oiseau » qui se marie superbement bien avec les jeux de l’orgue dans une manière plus intimiste et avec un brin de folie. La musique, si elle est improvisée collectivement, semble accoucher d’une œuvre préconçue avec un matériau prédéfini et de la suite dans les idées. Elle se meut avec lenteur, patience tendant vers un but ultime qui se dévoile peu à peu. Voilà une musique bien originale.
Jaka Berger Cornelius Cardew Treatise Editions Friforma eff-012.
https://inexhaustible-editions.com/eff-012/
La célébrissime et très longue composition avec partition graphique pour improvisateurs de Cornelius Cardew, compositeur d’avant-garde des années 60 et membre pour quelques années du légendaire groupe AMM avec Keith Rowe, Lou Gare et Eddie Prévost, est interprétée – jouée par le percussionniste Slovène Jaka Berger. Je vous passe les commentaires politiques sur l’engagement « marxiste – léniniste » (d’inspiration mao- stalinienne) et sa musique « réaliste socialiste » de C.C. une fois "converti. Treatise, écrite entre 1963 et 1967, a été joué et enregistré par AMM, Guilherme Gregorio, Petr Kotik et le S.E.M Ensemble. En voici une version « écourtée» en solo de percussions par un percussionniste à suivre : Jaka Berger dont j’ai chroniqué plusieurs enregistrements dont Shoe and Shoelace en duo avec le saxophoniste Jure Borsic avec une pochette délirante et une musique étonnante. Jaka Berger a enregistré des extraits de la partition graphique figurant sur une ou plusieurs pages : 1/ 192, 193 ; 2/ 100, 155 ; 3/ 135 ; 4/ 168,169, 171, 173 ; 5/ 148 ; 6/ 15 ; etc… du 19 au 22 novembre 2022. J’insiste pour que l’on comprenne que l’interprétation des instructions dessinées par Cornelius Cardew est une affaire subjective à chaque individu. Il y a des choses intéressantes qui sont ici jouées comme le ferait un percussionniste de formation classique et ou jazz et d’autres qui font appel à des techniques proches de celles d’Eddie Prévost, l’un des dédicataires de Treatise (9/ 10,11, 12, 13, 14 et 10/ 183). Il est aussi permis au musicien de changer éventuellement d’orientation dans sa manière d’aborder cette partition graphique. On l’entend dans le 7/ 85, 101, 116 et 8/ 178, où la polyrythmie free est au menu (les paramètres issus de la pratique de Milford Graves et Han Bennink). Jaka Berger est un excellent percussionniste et ses sélections au sein de Treatise , l’œuvre phare de Cardew, et leur « interprétation » lui offrent une magnifique occasion de faire entendre les facettes de son travail. Il y a quelques perles dans cet album d'un magnifique niveau musical. Remarquable.
A new wave of jazz nwoj 0061
https://newwaveofjazz.bandcamp.com/album/hunt-at-the-brook-again-hunt-at-the-brook-with-neil-metcalfe
Hunt at the Brook Again / Hunt at the Brook with Neil Metcalfe est la suite de Hunt At The Brook, le premier disque du trio de Tom Jackson (clarinette), Benedict Taylor (alto) et Daniel Thompson (guitare acoustique archtop) publié en 2015 par le label FMR, un trio dans la pure “tradition” de l’improvisation British, la manière du guitariste faisant plus qu’évoquer celles de son ami John Russell ou du Derek Bailey acoustique . Ces trois musiciens ont multiplié les albums en duo avec l’un et l’autre. Daniel Thompson a enregistré t’other en compagnie de Benedict Taylor (Empty Birdcage) et tous deux, Compost avec le clarinettiste Alex Ward (CRAM). On retrouve Thompson et Jackson avec le trompettiste Roland Ramanan dans Zubeneschamali (Leo Records) et dans Nauportus avec le percussionniste Vic Drasler (Creative Sources). Taylor et Jackson ont oublié aussi Songs From Badly -Lit Rooms (Squib Box). Quant au flûtiste Neil Metcalfe qui s’adjoint en quartette dans le CD 2 avec cette fine équipe, on le retrouve dans deux albums en trio et en duo avec Daniel Thompson : Garden Of Water And Light (FMR) et Eight Improvisations (Creative Sources). Ces trois improvisateurs poussent l’art d’improviser aux sommets de leurs facultés et de leurs intuitions avec une authenticité et une sensibilité créatives fascinantes. Tom Jackson est tout en spirales, volutes, sursauts, pépiements avec une qualité de timbre « clarinette classique contemporaine informée par sa pratique du jazz toutes époques confondues » : admirable ! Ses deux acolytes incarnent le courant improvisationnel libre. Daniel Thompson agite ses doigts et son plectre au travers des cordes et de la touche en créant des simultanéités d’angles aigus, d’harmonies excentrées, de pincements et raclements bruitistes, d’ostinatos discrets, de trilles métalliques et d’harmoniques sauvages en favorisant l’interaction tangentielle ou la digression suggestive. Quant au « violoniste » à l’alto, Benedict Taylor, sa manière de presser l’archet sur ses cordes en étirant ses notes évasives et tendues comme si la touche chantait un appel oriental imaginaire. Taylor crée un univers différent quasi « non-occidental » : violon tzigane hypertrophié, notes étirées, saturées, glissantes, serpentines, striages carnatiques, vièle d’Anatolie murmurante au bord du silence, pizzicati puissants et décalés. Leur réunion au sein d’Hunt at the Brook occasionne une musique en trio (sans batterie) parmi les plus distinctives de l’improvisation libre telle que je l’ai découverte au fil des décennies : Rutherford/ Bailey/ Guy (puis Wachsmann), Butcher/ Durrant/ Russell, Christmann/ Altena/ Lovens, Wachsmann/Beswick/ Wren, etc… Au fil des secondes et des minutes durant six improvisations, ils élaborent une architecture tridimensionnelle, des mouvements métamorphiques qui s’emboîtent, s’échappent et renaissent sous d’autres formes… sous le signe directeur de l’ébat ludique et le partage de l’espace et des sons/ On a de cesse de voir et entendre où cela les mènent, quand ils retombent sur leurs pieds ou s’envolent dans les sphères.
Avec l’inclusion du flûtiste vétéran Neil Metcalfe, on est au-devant d’une surprise. Neil Metcalfe a joué et enregistré aux côtés de John Stevens, Roger Smith, Nick Stephens, Tony Marsh, Paul Dunmall, Paul Rogers, Phil Gibbs, Adrian Northover, Daniel Thompson, Phil Wachsmann, Emil Karlsen. Il est apprécié pour son approche minutieuse et maniaque dans les infimes déplacements – glissements de la note « juste » en adaptant subtilement l’embouchure de son épaisse flûte noire. Tous ses collègues qui ont (acquis) une oreille musicale « absolue » se régalent. En quartet dans le CD 2 , le quartet commence à petits pas émaillés de silences, de frottements lents et nuancés, la clarinette lunaire et la guitare pincée égrenant deux ou trois notes répétées discrètement. La musique se fait petit à petit cascadante, Daniel Thompson accroche les intervalles les plus outrés percutant les cordes assourdies ou en harmoniques de sa six cordes, ravageant la conception du jeu de guitare « atonal ». Tom Jackson spirale avec une articulation magistrale. Entre ces deux pôles pépie la flûte de Neil Metcalfe comme s’il s’envolait de l’Empty Birdcage du label de Thompson. Les séquences s’enchaînent comme les mouvements d’une œuvre pensée et délimitée dont ils n’ont pas à suivre la partition inventant la musique immédiatement sachant précisément comment jouer et inventer au moment opportun et à celui qui surgit sans crier gare. Et sans mimique ni clin d’œil appuyé, le savant dosage étant le maître-mot. Entre les deux souffleurs , on note aussi une empathie profonde et une connivence tant au niveau des sonorités que des légers étirements de notes, infimes glissandi évanescents ou tourbillons de notes évoquant les gazouillis de joyeux volatiles échappés de la volière (Empty Birdcage). La présence active de Neil Metcalfe renforce encore l’excellence du trio devenu quartet et la sagacité collective. La simultanéité de propositions de jeu, de timbres, de lignes, les contrastes les plus suaves ou les plus forcenés, la variété des affects et des suggestions accouche d’un kaléidoscope de l’infini et d’une poésie en écriture automatique, celle des surréalistes. Il en résulte une magnifique expérience d’écoute.
Ears are For Ringing MRM Trio Marina Dzukljev Richie Herbst Miodrag Gladovic. Interstellar Records Cassette INT055.
https://mrmtrio.bandcamp.com/album/ears-are-for-ringing
Trio Serbo-Austro-Croate, MRM est composé de Marina Džukljev Eco Tiger organ), Richie Herbst (modular synthesizer) and Miodrag Gladović (electric guitar, electronics). Leur but est de rechercher et trouver des sons cachés dans l’assemblage de leurs intruments, des fusions et interférences : drones tout en densités et intensités, sounds processing jusqu’à ce que des courants vibratoires centrifuges ou obliques se lovent dans d’amples mouvements giratoires ou hélicoïdaux. Rencontre imprévue et imprévisible au départ lors d’u festival 5th Improcon Congress of Free Thought and Music in Bistrica ob Sotli en 2019, MRM a acquis une véritable identité dès le départ et au fils des ans. Je rappelle que Marina Džukljev est aussi pianiste et a enregistré le remarquable album Still Now (FMR) avec le percussionniste Vasco Trilla et le violoniste alto Szilard Mezei, lequel est un excellent point de référence sur son travail. La musique électrique – électroacoustique du MRM Trio mérite vraiment l’intérêt pour son processus aussi complexe que (faussement) minimaliste, « auto générant » subtilement des couches torsadées qui s’insinuent et se détachent des drones initiaux toute en en complétant leurs textures, leurs dynamiques, etc.., de manière à la fois distinctives et opaques. Les options sonores et stratégies font monter leur musique en puissance, avec un certain étonnement. Un excellent travail dans l’instant, appréhendé dans la durée de la performance et dans sa construction et par chacun de ses moments qui défilent insensiblement à notre grande surprise.
Thanos Chrysakis Chris Cundy, Peer Schlechta Ove Volquartz Archangel Aural Terrains TRRN1752
https://www.auralterrains.com/releases/52
Une belle et intrigante suite à leur album précédent « Music for Two Organs & Two Bass clarinets », Archangel réunit le travail conjoint des clarinettistes Chris Cundy (Bass & Contra Bass Clarinet, Soprano Ocarina) et Ove Volquartz (Bass, Contra Alto et Contra Bass Clarinets) Thanos Chrysakis (Chamber Organ / Voix) et Peer Schlechta(Church Organ). Mentionnons que Peer Schlechta est un expert en orgues qui a joué sur de nombreux instruments historiques et est Président de l’Association Internationale pour la Documentation de l’Orgue. Comme le précédent, cet enregistrement a été réalisé dans la Neustädter Kirche à Hofgeismar. Le label Aural Terrains de Thanos Chrysakis documente des ensembles instrumentaux ( clarinettes, trombones, électroniques , instr. À vent, etc…) exécutant des œuvres de multiples compositeurs contemporains, certains parmi les plus réputés, ou improvisant librement, ce qui est le cas d’Archangel. Au fil des années son excellent catalogue est devenu impressionnant et sa démarche passionnante. À noter, Cundy et Volquartz ont aussi souvent collaboré ensemble et Peer Schlechta travaille régulièrement avec ce dernier.
La combinatoire sonore des clarinettes basses et des deux orgues (chamber organ : orgue positif en français car déposé à même le sol) et la résonance particulière de l’église nous livrent une musique fantomatique et même, fantasmagorique. La richesse des timbres et des registres de deux orgues se répandent dans l’espace sonore suspendant ses bourdons, drones, grondements et souffleries nasillardes entre les parois réverbérantes de l’église et son sol dallé. Ces sonorités s’interpénètrent, roulent, vibrent, tanguent, aiguillonnées par les souffles graveleux, mordants ou ombrageux des clarinettes graves. Se développe une musique de mystère, distante et intensément acoustique, faite de vents, d’air et de vibrations des multiples tuyaux , orgues et clarinettes ou mêlés ou en contraste. Il semble que l’orgue « de chambre » ou les tuyaux du grand orgue fait/font osciller des drones tapissant d’une seule couche aérienne vibrante l’espace auditif. (2. Part II – III). Ailleurs, les clarinettistes initient les échanges en articulant des gammes dans l’ultra-grave de la clarinette contrebasse (Cundy) et dans le registre moyen de la contra-alto (Volquarz) (Part IV). Cette manière de dialogue induit les deux organistes à opérer en demi-teinte associant des timbres ténus oscillant dans la résonance des graves. L’intervention à l’ocarina de Cundy est providentielle et apporte une touche « chant d’oiseau » qui se marie superbement bien avec les jeux de l’orgue dans une manière plus intimiste et avec un brin de folie. La musique, si elle est improvisée collectivement, semble accoucher d’une œuvre préconçue avec un matériau prédéfini et de la suite dans les idées. Elle se meut avec lenteur, patience tendant vers un but ultime qui se dévoile peu à peu. Voilà une musique bien originale.
Jaka Berger Cornelius Cardew Treatise Editions Friforma eff-012.
https://inexhaustible-editions.com/eff-012/
La célébrissime et très longue composition avec partition graphique pour improvisateurs de Cornelius Cardew, compositeur d’avant-garde des années 60 et membre pour quelques années du légendaire groupe AMM avec Keith Rowe, Lou Gare et Eddie Prévost, est interprétée – jouée par le percussionniste Slovène Jaka Berger. Je vous passe les commentaires politiques sur l’engagement « marxiste – léniniste » (d’inspiration mao- stalinienne) et sa musique « réaliste socialiste » de C.C. une fois "converti. Treatise, écrite entre 1963 et 1967, a été joué et enregistré par AMM, Guilherme Gregorio, Petr Kotik et le S.E.M Ensemble. En voici une version « écourtée» en solo de percussions par un percussionniste à suivre : Jaka Berger dont j’ai chroniqué plusieurs enregistrements dont Shoe and Shoelace en duo avec le saxophoniste Jure Borsic avec une pochette délirante et une musique étonnante. Jaka Berger a enregistré des extraits de la partition graphique figurant sur une ou plusieurs pages : 1/ 192, 193 ; 2/ 100, 155 ; 3/ 135 ; 4/ 168,169, 171, 173 ; 5/ 148 ; 6/ 15 ; etc… du 19 au 22 novembre 2022. J’insiste pour que l’on comprenne que l’interprétation des instructions dessinées par Cornelius Cardew est une affaire subjective à chaque individu. Il y a des choses intéressantes qui sont ici jouées comme le ferait un percussionniste de formation classique et ou jazz et d’autres qui font appel à des techniques proches de celles d’Eddie Prévost, l’un des dédicataires de Treatise (9/ 10,11, 12, 13, 14 et 10/ 183). Il est aussi permis au musicien de changer éventuellement d’orientation dans sa manière d’aborder cette partition graphique. On l’entend dans le 7/ 85, 101, 116 et 8/ 178, où la polyrythmie free est au menu (les paramètres issus de la pratique de Milford Graves et Han Bennink). Jaka Berger est un excellent percussionniste et ses sélections au sein de Treatise , l’œuvre phare de Cardew, et leur « interprétation » lui offrent une magnifique occasion de faire entendre les facettes de son travail. Il y a quelques perles dans cet album d'un magnifique niveau musical. Remarquable.
23 septembre 2023
Harri Sjöström Erhard Hirt Phil Wacshmann & Paul Lytton / Ivo Perelman : Duets with James Emery and with Matt Moran
Harri Sjöström Erhard Hirt Phil Wachsmann Paul Lytton Especially for You Bead 47.
https://beadrecords.bandcamp.com/album/especially-for-you
Voici un excellent témoignage d’un concert impromptu, prévu pour la deuxième édition du quartet «XPact », récemment ressuscité autour des trois survivants de ce groupe des années 80, le contrebassiste Hans Schneider, le guitariste « électronique » Erhard Hirt et le percussionniste Paul Lytton en hommage à son fondateur, feu Wolfgang Fuchs, un clarinettiste basse (et contrebasse) exceptionnel et saxophoniste sopranino hyper incisif, remplacé par le saxophoniste Stefan Keune. Keune et Schneider devant s’absenter pour raisons de santé, il fut décidé que le violoniste Phil Wachsmann et le saxophoniste soprano et (sopranino) Harri Sjöström feraient l’affaire. On n’eut pas tort. Lytton et Wachsmann ont très souvent collaboré et enregistré en duo ou en quartet à plusieurs reprises au fil des décennies et Sjöström et Wachsmann firent partie du Quintet Moderne (avec Paul Lovens, Teppo Hauta-Aho et Paul Rutherford) et on retrouve ce petit monde au sein du King Übü Örkestrü, lui aussi revisité récemment dans un splendide nouvel album "ROI".
Une longue improvisation collective d’un seul tenant de 57 minutes séparées digitalement en 4 sections : For You Part One , For You Part Two, For You Encore & For You Lullaby. Erhard Hirt est crédité à la fois « guitar » et « computer treatment » et Phil Wachsmann « violin » et « electronics ». Il y a donc une dimension électronique importante, subtile et très fine durant toute la performance qui peut se confondre dans une quasi-silence et d’étranges murmures ou éclater par-dessus les sons acoustiques du sax ou du violon, le percussionniste agitant discrètement ses baguettes, ustensiles, peaux, cymbales et ses curieux objets sonores, avec frottements, grattages, mouvements, mini-frappes multi directionnelles avec sons sens de la dynamique et sa capacité à laisser l’espace sonore à la portée de ses acolytes. L’improvisation pointue à la British et à la sauce Rhénane se révèle ici dans toute sa splendeur. C’est bien dans cet environnement volatile en perpétuelle métamorphose qu’on trouvera l’aspect le plus radical des circonvolutions les plus étonnantes d’Harri Sjöström, lequel fut membre de groupes de Cecil Taylor (enregistrements à l’appui) et un lyrique duettiste avec le saxophoniste soprano Gianni Mimmo. Il suffit de l’entendre converser en quasi duo avec les frappes disjointes de Paul Lytton ou les extrapolations soniques venteuses d’Erhard Hirt. Si vous aimez un Thomas Lehn, vous pourrez apprécier les incartades obliques et fumantes de Hirt. Le jeu « actif » de Lytton fait songer à une multitude d’objets s’effondrant et ricochant dans les escaliers sans fin d’une tour hantée.
Cachant toujours bien son jeu, le violoniste Phil Wachsmann a un talent fou au bout des doigts pour des pizzicatos étranges au ralenti, des frappes de crin d’archet qui rebondissent pour strier en un éclair des aigus très fins ou suggérer des fragments mélodiques issus d’une imaginaire partition de Webern légèrement enfumée. L’équilibre collectif est volontairement malmené par des disruptions sonores mouvantes, le sax maintenant le cap en sursautant des intervalles distendus, et le percussionniste éparpillant son jeu sur les recoins les plus extrêmes de son kit (« drums » ? mais aussi une caisse métallique contenant chaînes, mini-cymbales, crotales etc…), maniant des objets sur la surface des peaux, les sons les plus imprévisibles étant toujours bienvenus. L’auditeur oubliera de se demander qui joue quoi dans ce capharnaüm ludique, car c’est le but. L’action instrumentale de chacun s’interpénètre avec celle des trois autres de manière indescriptible créant un réseau infini de correspondances, de connexions et de répulsions. La complexité est au rendez-vous avec une tendance camouflage, tour à tour bruitiste, minimaliste, électro-acoustique, sauvage et sophistiquée. Dans cette aventure, l’approche individuelle (individualiste) et le « style » avec ses exploits instrumentaux « virtuoses » sont laissés de côté pour l’aventure collective, l’imaginaire instantané, le délire ... Il y a pléthore d’enregistrements de musique improvisée de nos jours qui nourrissent une lingua franca vraiment reconnaissable, logique, lisible, récurrente… trop sage. Avec ce Specially For You, on entrevoit comment et combien de vieux routiers de l’improvisation libre arrivent à échapper aux lieux communs en égarant notre perception dans un maquis inextricable qui titillera notre curiosité au point de remettre l’ouvrage sur le lecteur.
Ivo Perelman & James Emery The Whisperers Mahakala Music.
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/the-whisperers
On a connu le guitariste James Emery au sein du légendaire New York String Trio fondé en 1977 avec le violoniste Billy Bang et le contrebassiste John Lindbergh. Aussi avec Anthony Braxton, Oliver Lake, Joe Lovano, Gerry Hemingway, Mark Feldman. On le découvre ici sur sa face improvisateur libre impénitent en compagnie d’un partisan invétéré de la liberté totale issue du « jazz libre », le saxophoniste ténor Brésilien Ivo Perelman, connu pour son travail en duo avec le pianiste Matt Shipp et l'altiste Mat Maneri. James Emery prend le parti de jouer exclusivement acoustique avec ses doigts de la main gauche parcourant le manche en tous sens et un plectre vibrionnant. La virtuosité et la précision de son jeu sont plus que remarquables et son sens ludique suit autant le souffleur à la trace qu’il l’aiguillonne, n’hésitant pas à solliciter les extrêmes de son instrument, et chevaucher des intervalles compliqués à négocier, pleins de dissonances et d’extrapolations de figures jazz dilatées ou filantes… Il peut aussi se révéler désarçonnant, outrancier ou fin mélodiste (One et Six) ou un brin humoriste cocasse (Twelve). J’ai déjà chroniqué les duos d’Ivo Perelman avec d’autres guitaristes : Joe Morris, Pascal Marzan et Elliott Sharp et ces deux Whisperersn’ont rien à envier aux autres. Leur entente est merveilleuse. Il est évident qu’Ivo Perelman, tout en étant un inconditionnel de l’improvisation spontanée, est un héritier de tout un lignage du saxophone ténor 100 % jazz : en écoutant la masse de ses enregistrements, il est impossible de ne pas penser à Albert Ayler, Coltrane, Dewey Redman, Archie Shepp et à travers eux, Ben Webster, Don Byas, Hank Mobley, Dexter Gordon, Stan Getz, David Murray… J’entends bien que l’inspiration de ses glorieux aînés se situe au niveau du travail du son proprement dit plutôt que de « copier » leur langage musical. Son usage immodéré du registre suraigu « chantant » vient tout droit des harmoniques chères à Coltrane et Ayler et ses capacités mélodiques très étendues sont inspirées par sa connaissance intime et profonde de ses aînés, …. à la sauce brésilienne (la saudade…). Lui-même guitariste lors de sa prime jeunesse, il eut l’occasion de fréquenter le maître Villa – Lobos et de percer quelques mystères de la musique brésilienne moderne pour guitare, avant de s’adonner au saxophone ténor. L’avantage de dialoguer avec un guitariste est de pouvoir articuler son phrasé avec des écarts d’intervalles multiformes, escaliers insensés de l’univers des harmonies rares et d’ouvrir un champ sonore au moyen de techniques alternatives tout en concluant (Seven) dans un univers plus reconnu basé sur l’alternance entre formes reconnaissables et grands écarts free radicaux . Ces deux – là n’ont pas vite fait de trouver un terrain d’entente évident d’un point de vue mélodique et rythmique qu’ils s’en détachent avec une véritable conviction, usant des nombreux moyens musicaux en alternant et renouvelant successivement « dérapages » free et consensus formel. L’art de la création spontanée immédiate. Dans ce contexte, James Emery a un talent considérable pour naviguer entre deux eaux, rivages limpides bleutés ou turquoises ou mer noire agitée par-delà de redoutables récifs. Une logique inspirée le fait transiter insensiblement ou graduellement de passages lyriques superbement construits vers d’audacieuses déconstructions atonales et autres contrepoints déjantés dans un même élan, jouant à la marelle modalo- dodécaphonique comme un danseur étoile. Rien de tel pour inspirer les trouvailles du souffleur, autrefois connu pour ses harmoniques fracassantes et ses spirales échevelées et expressionnistes, aujourd’hui chantre du clair-obscur languissant, du subtil glissando microtonal et des effets de souffle détaillés, à la fois extraverti coloré et profondeur intériorisée.
Ivo Perelman – Matt Moran Tuning Forks Ibeji digital
https://ivoperelmanmusic.bandcamp.com/album/tuning-forks
Le duo commence comme lors de ce concert au festival de Newport en 1965. « Le matin des Noirs » , le quartet d’Archie Shepp avec le vibraphoniste Bobby Hutcherson publié par Impulse sous le titre New Thing at Newport. Il y avait aussi Barre Phillips et Joe Chambers. Cette référence historique n’est que le point de départ d’un beau duo de jazz contemporain « free » totalement improvisé, flottant, rêveur, idéaliste et tout en nuances. Le point de départ proprement dit du duo est intitulé Gregorian et contient un motif rythmique qui permet de subtils et adroits contretemps. Il s'agit d'un album exclusievement digital publié sur le label d'Ivo, Ibeji.
Six morceaux aux titres évocateurs : Gregorian 07:40, Pythagorean 05 :12 Tesla 03 :10, Schumann 04:41, Fibonacci 5:51 et Rife 8:43. Un court portfolio passionnant où chaque morceau révèle une identité propre. Ayant examiné les paramètres sonores et thérapeutiques des diapasons (Tuning Forks en anglais) Ivo Perelam a eu la belle idée de s’associer avec le vibraphoniste Matt Moran, le vibraphone étant un instrument qui fait plus qu’évoquer la sonorité et le timbre d’un diapason. Je rappelle que Perelman a enregistré deux albums en duo avec feu Karl Berger ( The Hitchhiker & Rêverie -Leo Rds ) : un univers différent. Inclus dans la page bandcamp de cet album, vous trouverez une remarquable étude sur ces magnifiques Tuning Forks sous la plume de Lynn Bailey – The Art Music Lounge et qui vous permettra d’envisager l’état d’esprit et les intentions des deux artistes. Dans cet album, le son du sax ténor d’Ivo Perelman est à la fois plus transparent, plus léger ou plus dense : il flotte dans l’espace au milieu des fins nuages suggérés par le timbre surréel du vibraphone, plus proche d’un verre cristallin imaginaire que d’une lamelle métallique. Les lames de Matt Moran résonnent à l’instar de ces diapasons qu’on aurait capté avec un micro Soundfield. Lorsque les harmoniques perçantes du ténor fusent et partent comme des feux d’artifice brûlants, l’oreille palpe la vibration du cœur, le pouls des lèvres pinçant le bec et « mordant » l’âme de l’anche qui oscille contre nature dans la colonne d’air chauffée à blanc. Des contes de fée ou de sorcières entraînent notre imagination dans un sabbat de langues de feu. Une série curieuse et tout à fait à part du souffle Perelmanien (remis en question) s'épanouit en osmose avec l’imaginaire d’un magicien du vibraphone.
https://beadrecords.bandcamp.com/album/especially-for-you
Voici un excellent témoignage d’un concert impromptu, prévu pour la deuxième édition du quartet «XPact », récemment ressuscité autour des trois survivants de ce groupe des années 80, le contrebassiste Hans Schneider, le guitariste « électronique » Erhard Hirt et le percussionniste Paul Lytton en hommage à son fondateur, feu Wolfgang Fuchs, un clarinettiste basse (et contrebasse) exceptionnel et saxophoniste sopranino hyper incisif, remplacé par le saxophoniste Stefan Keune. Keune et Schneider devant s’absenter pour raisons de santé, il fut décidé que le violoniste Phil Wachsmann et le saxophoniste soprano et (sopranino) Harri Sjöström feraient l’affaire. On n’eut pas tort. Lytton et Wachsmann ont très souvent collaboré et enregistré en duo ou en quartet à plusieurs reprises au fil des décennies et Sjöström et Wachsmann firent partie du Quintet Moderne (avec Paul Lovens, Teppo Hauta-Aho et Paul Rutherford) et on retrouve ce petit monde au sein du King Übü Örkestrü, lui aussi revisité récemment dans un splendide nouvel album "ROI".
Une longue improvisation collective d’un seul tenant de 57 minutes séparées digitalement en 4 sections : For You Part One , For You Part Two, For You Encore & For You Lullaby. Erhard Hirt est crédité à la fois « guitar » et « computer treatment » et Phil Wachsmann « violin » et « electronics ». Il y a donc une dimension électronique importante, subtile et très fine durant toute la performance qui peut se confondre dans une quasi-silence et d’étranges murmures ou éclater par-dessus les sons acoustiques du sax ou du violon, le percussionniste agitant discrètement ses baguettes, ustensiles, peaux, cymbales et ses curieux objets sonores, avec frottements, grattages, mouvements, mini-frappes multi directionnelles avec sons sens de la dynamique et sa capacité à laisser l’espace sonore à la portée de ses acolytes. L’improvisation pointue à la British et à la sauce Rhénane se révèle ici dans toute sa splendeur. C’est bien dans cet environnement volatile en perpétuelle métamorphose qu’on trouvera l’aspect le plus radical des circonvolutions les plus étonnantes d’Harri Sjöström, lequel fut membre de groupes de Cecil Taylor (enregistrements à l’appui) et un lyrique duettiste avec le saxophoniste soprano Gianni Mimmo. Il suffit de l’entendre converser en quasi duo avec les frappes disjointes de Paul Lytton ou les extrapolations soniques venteuses d’Erhard Hirt. Si vous aimez un Thomas Lehn, vous pourrez apprécier les incartades obliques et fumantes de Hirt. Le jeu « actif » de Lytton fait songer à une multitude d’objets s’effondrant et ricochant dans les escaliers sans fin d’une tour hantée.
Cachant toujours bien son jeu, le violoniste Phil Wachsmann a un talent fou au bout des doigts pour des pizzicatos étranges au ralenti, des frappes de crin d’archet qui rebondissent pour strier en un éclair des aigus très fins ou suggérer des fragments mélodiques issus d’une imaginaire partition de Webern légèrement enfumée. L’équilibre collectif est volontairement malmené par des disruptions sonores mouvantes, le sax maintenant le cap en sursautant des intervalles distendus, et le percussionniste éparpillant son jeu sur les recoins les plus extrêmes de son kit (« drums » ? mais aussi une caisse métallique contenant chaînes, mini-cymbales, crotales etc…), maniant des objets sur la surface des peaux, les sons les plus imprévisibles étant toujours bienvenus. L’auditeur oubliera de se demander qui joue quoi dans ce capharnaüm ludique, car c’est le but. L’action instrumentale de chacun s’interpénètre avec celle des trois autres de manière indescriptible créant un réseau infini de correspondances, de connexions et de répulsions. La complexité est au rendez-vous avec une tendance camouflage, tour à tour bruitiste, minimaliste, électro-acoustique, sauvage et sophistiquée. Dans cette aventure, l’approche individuelle (individualiste) et le « style » avec ses exploits instrumentaux « virtuoses » sont laissés de côté pour l’aventure collective, l’imaginaire instantané, le délire ... Il y a pléthore d’enregistrements de musique improvisée de nos jours qui nourrissent une lingua franca vraiment reconnaissable, logique, lisible, récurrente… trop sage. Avec ce Specially For You, on entrevoit comment et combien de vieux routiers de l’improvisation libre arrivent à échapper aux lieux communs en égarant notre perception dans un maquis inextricable qui titillera notre curiosité au point de remettre l’ouvrage sur le lecteur.
Ivo Perelman & James Emery The Whisperers Mahakala Music.
https://ivoperelman.bandcamp.com/album/the-whisperers
On a connu le guitariste James Emery au sein du légendaire New York String Trio fondé en 1977 avec le violoniste Billy Bang et le contrebassiste John Lindbergh. Aussi avec Anthony Braxton, Oliver Lake, Joe Lovano, Gerry Hemingway, Mark Feldman. On le découvre ici sur sa face improvisateur libre impénitent en compagnie d’un partisan invétéré de la liberté totale issue du « jazz libre », le saxophoniste ténor Brésilien Ivo Perelman, connu pour son travail en duo avec le pianiste Matt Shipp et l'altiste Mat Maneri. James Emery prend le parti de jouer exclusivement acoustique avec ses doigts de la main gauche parcourant le manche en tous sens et un plectre vibrionnant. La virtuosité et la précision de son jeu sont plus que remarquables et son sens ludique suit autant le souffleur à la trace qu’il l’aiguillonne, n’hésitant pas à solliciter les extrêmes de son instrument, et chevaucher des intervalles compliqués à négocier, pleins de dissonances et d’extrapolations de figures jazz dilatées ou filantes… Il peut aussi se révéler désarçonnant, outrancier ou fin mélodiste (One et Six) ou un brin humoriste cocasse (Twelve). J’ai déjà chroniqué les duos d’Ivo Perelman avec d’autres guitaristes : Joe Morris, Pascal Marzan et Elliott Sharp et ces deux Whisperersn’ont rien à envier aux autres. Leur entente est merveilleuse. Il est évident qu’Ivo Perelman, tout en étant un inconditionnel de l’improvisation spontanée, est un héritier de tout un lignage du saxophone ténor 100 % jazz : en écoutant la masse de ses enregistrements, il est impossible de ne pas penser à Albert Ayler, Coltrane, Dewey Redman, Archie Shepp et à travers eux, Ben Webster, Don Byas, Hank Mobley, Dexter Gordon, Stan Getz, David Murray… J’entends bien que l’inspiration de ses glorieux aînés se situe au niveau du travail du son proprement dit plutôt que de « copier » leur langage musical. Son usage immodéré du registre suraigu « chantant » vient tout droit des harmoniques chères à Coltrane et Ayler et ses capacités mélodiques très étendues sont inspirées par sa connaissance intime et profonde de ses aînés, …. à la sauce brésilienne (la saudade…). Lui-même guitariste lors de sa prime jeunesse, il eut l’occasion de fréquenter le maître Villa – Lobos et de percer quelques mystères de la musique brésilienne moderne pour guitare, avant de s’adonner au saxophone ténor. L’avantage de dialoguer avec un guitariste est de pouvoir articuler son phrasé avec des écarts d’intervalles multiformes, escaliers insensés de l’univers des harmonies rares et d’ouvrir un champ sonore au moyen de techniques alternatives tout en concluant (Seven) dans un univers plus reconnu basé sur l’alternance entre formes reconnaissables et grands écarts free radicaux . Ces deux – là n’ont pas vite fait de trouver un terrain d’entente évident d’un point de vue mélodique et rythmique qu’ils s’en détachent avec une véritable conviction, usant des nombreux moyens musicaux en alternant et renouvelant successivement « dérapages » free et consensus formel. L’art de la création spontanée immédiate. Dans ce contexte, James Emery a un talent considérable pour naviguer entre deux eaux, rivages limpides bleutés ou turquoises ou mer noire agitée par-delà de redoutables récifs. Une logique inspirée le fait transiter insensiblement ou graduellement de passages lyriques superbement construits vers d’audacieuses déconstructions atonales et autres contrepoints déjantés dans un même élan, jouant à la marelle modalo- dodécaphonique comme un danseur étoile. Rien de tel pour inspirer les trouvailles du souffleur, autrefois connu pour ses harmoniques fracassantes et ses spirales échevelées et expressionnistes, aujourd’hui chantre du clair-obscur languissant, du subtil glissando microtonal et des effets de souffle détaillés, à la fois extraverti coloré et profondeur intériorisée.
Ivo Perelman – Matt Moran Tuning Forks Ibeji digital
https://ivoperelmanmusic.bandcamp.com/album/tuning-forks
Le duo commence comme lors de ce concert au festival de Newport en 1965. « Le matin des Noirs » , le quartet d’Archie Shepp avec le vibraphoniste Bobby Hutcherson publié par Impulse sous le titre New Thing at Newport. Il y avait aussi Barre Phillips et Joe Chambers. Cette référence historique n’est que le point de départ d’un beau duo de jazz contemporain « free » totalement improvisé, flottant, rêveur, idéaliste et tout en nuances. Le point de départ proprement dit du duo est intitulé Gregorian et contient un motif rythmique qui permet de subtils et adroits contretemps. Il s'agit d'un album exclusievement digital publié sur le label d'Ivo, Ibeji.
Six morceaux aux titres évocateurs : Gregorian 07:40, Pythagorean 05 :12 Tesla 03 :10, Schumann 04:41, Fibonacci 5:51 et Rife 8:43. Un court portfolio passionnant où chaque morceau révèle une identité propre. Ayant examiné les paramètres sonores et thérapeutiques des diapasons (Tuning Forks en anglais) Ivo Perelam a eu la belle idée de s’associer avec le vibraphoniste Matt Moran, le vibraphone étant un instrument qui fait plus qu’évoquer la sonorité et le timbre d’un diapason. Je rappelle que Perelman a enregistré deux albums en duo avec feu Karl Berger ( The Hitchhiker & Rêverie -Leo Rds ) : un univers différent. Inclus dans la page bandcamp de cet album, vous trouverez une remarquable étude sur ces magnifiques Tuning Forks sous la plume de Lynn Bailey – The Art Music Lounge et qui vous permettra d’envisager l’état d’esprit et les intentions des deux artistes. Dans cet album, le son du sax ténor d’Ivo Perelman est à la fois plus transparent, plus léger ou plus dense : il flotte dans l’espace au milieu des fins nuages suggérés par le timbre surréel du vibraphone, plus proche d’un verre cristallin imaginaire que d’une lamelle métallique. Les lames de Matt Moran résonnent à l’instar de ces diapasons qu’on aurait capté avec un micro Soundfield. Lorsque les harmoniques perçantes du ténor fusent et partent comme des feux d’artifice brûlants, l’oreille palpe la vibration du cœur, le pouls des lèvres pinçant le bec et « mordant » l’âme de l’anche qui oscille contre nature dans la colonne d’air chauffée à blanc. Des contes de fée ou de sorcières entraînent notre imagination dans un sabbat de langues de feu. Une série curieuse et tout à fait à part du souffle Perelmanien (remis en question) s'épanouit en osmose avec l’imaginaire d’un magicien du vibraphone.
9 septembre 2023
AIR : URS LEIMGRUBER Duos w. Gerry Hemingway , Hans Peter Pfammater, Jacques Demierre & Thomas Lehn/ Udo Schindler Gunnar Geisse Sebastian Gramss/ Walter Prati
AIR URS LEIMGRUBER Duos with Gerry Hemingway, Hans Peter Pfammater, Jacques Demierre, Thomas Lehn Vol.1 Creative Works Records (CHF 59,95 + frais d’envoi).
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1070ccd/#cc-m-product-14750268532
Note incluse résumant la présentation de ce quadruple album sur le site du label : AIR The Space in Lucerne is the working space of saxophonist Urs Leimgruber and sometimes, on occasion, also a space for concerts and for recording. A space where the acoustics have been professionally calibrated to the finest degree, ensuring that even the smallest sound can be heard, the sound that is barely a sound anymore but is still there.
Fort heureusement, Creative Works Records, un label helvétique créé il y a bien des lustres, publie ce rare AIR Vol.1 du saxophoniste Urs Leimgruber en duo avec , respectivement, le percussionniste Gerry Hemingway, le piano préparé de Hans Peter Pfammater, l’épinette amplifiée de Jacques Demierre et le synthé analogue de Thomas Lehn dans une somme de quatre compacts. Un par partenaire, et rassemblés dans un coffret blanc 001 en carton dépliant aussi classe que le coffret 5 CD de Trevor Watts pour Fundacja Sluchaj dans un tout autre registre.
Le pianiste Jacques Demierre est un des improvisateurs les plus proches d’Urs, les deux artistes ayant travaillé très souvent ensemble et enregistré plusieurs albums avec le contrebassiste Barre Phillips, ainsi que dans un duo récent où Demierre joue de l’épinette amplifiée (It Forgets about the snow même label). Thomas Lehn figurait dans un enregistrement de ce trio augmenté en quartet à Willisau. Gerry Hemingway est aujourd’hui un résident suisse et s’adonne de plus en plus à la libre improvisation. J’ai retracé le nom de Norbert Pfammatter dans un duo avec le saxophoniste Bertrand Denzler,mais j’ignorais jusqu’à présent l’existence de Hans Peter Pfammatter comme pianiste et sa performance au piano préparé avec Urs Leimgruber m’a convaincu.
Urs Leimgruber est un improvisateur spécialiste du saxophone soprano dans les sphères de l’improvisation radicale doué d’une grande virtuosité qui s’efforce de faire du sens avec une superbe précision sans vous abreuver avec une avalanche de notes. Sa musique peut être déchirante, détaillée, ultra-sensible, extrême et parfois mélodique. Il aime à décortiquer les sonorités « alternatives », explorer les harmoniques, les infra-sons, les bruissements ou murmures tout comme se lancer subitement dans des giclées expressionnistes, des spirales désarticulées et l’expression acide du cri primal. Bien qu’il a joué intensément avec Barre Phillips et côtoyé Joëlle Léandre, Urs ne court pas après le pedigree, mais privilégie les collaborations avec des camarades avec qui il entretient des affinités profondes : Roger Turner, Jacques Demierre, Thomas Lehn ou ce pianiste allemand de Dresde méconnu, Oliver Schwerdt.
Chacun de ces duos est une belle perle et le saxophoniste donne ici le meilleur de lui – même avec la plus profonde authenticité. Si vous n’avez pas encore prêté l’oreille à un de ses disques, vous pouvez vous fier à ce coffret « AIR Vol.1 » , surtout si vous êtes déjà un inconditionnel de Steve Lacy (ses albums solos et duos improvisés), d’Evan Parker (Saxophone solos 1975) ou de Lol Coxhill. Urs Leimgruber - et Michel Doneda- c’est vraiment la quintessence du sax soprano « d’avant-garde ». J’ajouterai aussi les noms d’Harri Sjöström, de Gianni Mimmo et Gianni Gebbia.
Pour ceux qui connaissent Gerry Hemingway par l’intermédiaire des enregistrements d’Anthony Braxton, de Marylin Crispell ou avec Ray Anderson et ses propres groupes, leur duo sera une belle surprise. Tout comme Steve Lacy, Urs Leimgruber cultive le registre ultra aigu du sax soprano bien au-delà de sa tessiture normale, et il entrouve certaines clés intermédiaires pour obtenir des « fausses notes », des harmoniques sifflantes et infimes et des timbres bigarrés. Dans le premier morceau, après « avoir détonné » de merveilleuse manière il évoque brièvement Coltrane et le son de son soprano en relevant des fragments d’un de ces chevaux de bataille lorsque Gerry s’emballe pour un rythme endiablé. Plus loin c’est l’ascèse, le silence qui fait partie de sa (leur) musique. Deuxième improvisation, on plonge dans la micro-improvisation, la percussion frottée hasardeusement par les balais et le sax cherchant grognements assourdis et sonorités millimétrées au bord du silence. C’est la sculpture de l’air, l’ébauche d’un geste, des esquisses à peine visibles, des suggestions timbrales pour lesquelles il faut tendre l’oreille. Le troisième nettement plus long fait onze minutes et débute comme un fantôme introverti à la recherche du sifflement perdu, le percussionniste se faisant ultra minimaliste en faisant à peine vibrer ses cymbales alors que l’anche distille un filet de souffle hyper aigu. Oscillations des fines harmoniques du sax et des glissandi sur les cymbales frottées à l’archet. On se situe plus dans la poésie sonore ou dans une cérémonie initiatrice dans une tribu imaginaire. Les volutes naissantes apparues au mitant des discrètes harmoniques se muent alors dans des antiennes de notes mordantes répétées et de roulements décalés et accélérés de la batterie. Le souffleur fait se contorsionner sa sonorité et l’articulation sauvage – morsures du bec, quintoiements saturés – spirales en escalier entre les intervalles. Cette musique libre et spontanée s’efforce de créer un narratif, nous entraîner dans une démarche, une course à travers les bois ou une dans sur la grève endormie. Le quatrième laisse l’initiative à la batterie chercheuse, le saxophoniste jouant des clapets. Bref, à mes oreilles ce CD1 avec Hemingway respire l’improvisation instantanée avec le plaisir ludique et la recherche pointue et insouciante.
Une autre et bien différente perspective initie les échanges entre le souffleur et le pianiste Hans Peter Pfammatter dans le CD2. La lente alternance de notes touchées au clavier sur des cordes préparées d’objets et résonnantes inspire des sonorités tenues extrêmes et fines, calcinées, harmoniques pointues ou cris cornés (1- 6 :58). L’expressivité du souffle brûlant est aussi zen que déchirante (2-9:12) survolant les battements de gamelan imaginaire avec des cordes du piano préparé et des doigtés insistants sur les notes « normales ». Le pianiste crée des canevas dynamiques et flottants dans les 6 improvisations de leur duo, le saxophoniste explorant sauvagement les timbres extirpant des sons hallucinés qui échappent à l’idée de style, de démarche « logique », de gammes complexes ou d’harmonies savantes issues de la musique sérielle ou polymodale et nous plongent dans le vécu émotionnel de l’expérience sonore et ludique subjective. Un amour de la pâte sonore (3 – 9 :10) et la folie de tous les étirements physiquement possibles par la grâce d’une technique fort peu commune. Avec un tel abattage aussi profond - sincère que dévastateur, on évitera toute comparaison (Evan Parker, Steve Lacy, John Butcher, Lol Coxhill). Comme Michel Doneda, à qui Urs fait penser, ce saxophoniste est unique en son genre. Il transperce la réalité et la perception des songes, cornant, sifflant, tournoyant et zig-zaguant comme un enfant émerveillé qui joue. Avec ce CD 2, Urs Leimgruber atteint une sphère supérieure avec un collègue inspiré et inspirant qui rend ici hommage à l’idée du piano préparé. Au fur et à mesure qu’on s’avance dans la série d’improvisations, les choses deviennent plus recherchées, osées, minutieuses, curieuses, aussi étrangement prosaïques que lumineusement poétiques (4- 8 :02) ou simplement sinueuses et à la pointe du registre extrême de l’instrument (5 – 12 :26) comme si on s’égarait dans le superflu ou l’essentiel, la valeur des actions s’évanouissant sous la poussée du réel. Lorsqu’on aborde les CD 3, avec l’épinette amplifiée « dérisoire » de Jacques Demierre (accordée vaguement sur une note identique avec quelques commas de différence), et CD4, avec le synthé analogue de Thomas Lehn, on rentre dans l’univers des duos relationnels au long cours du saxophoniste. Ces deux musiciens vont ici encore plus loin, à mon avis dans l’outrance et la sophistication par rapport à ce que j’avais écouté d’eux-mêmes en compagnie de Leimgruber. Le CD4 nous fait entendre un surprenant Thomas Lehn comme je ne l’avais pas entendu avant complètement imbriqué dans les sortilèges du souffleur. Avec Jacques Demierre en duo (CD3) on assiste à l’évolution de leur récent et mémorable double CD «It Forget about the Snow ». Les duos enregistrés dans ces quatre albums n’ont aucune prétention comme manifeste, démonstration virtuose ou gamberge « free », mais seulement des intentions inédites qui défie nos sens et nos habitudes et une sincérité totale.
Je vais m’arrêter là juste pour dire que si il y a une pléthore de saxophonistes improvisateurs de haute qualité à différents niveaux d’accomplissement dans « l’acte d’improviser », on peut très bien se caler ce quadruple CD « AIR » du début à la fin pour découvrir jusqu’où un saxophoniste expérimenté et ses acolytes sont capables d’aller : au fin fond des choses – Out of This World (dixit Coltrane). Vraiment unique et essentiel.
Dachau Polyphonies MUC Chamber Art Trio Udo Schindler Gunnar Geisse Sebastian Gramss FMR CD673-0423
https://www.discogs.com/release/27213543-MUC_Chamber-ArtTrio-Schindler-Geisse-Gramss-Dachau-Polyphonics-LowToneStudies_acoustronic
Trio sax alto et sopranino + clarinette basse (Udo Schindler), guitare laptop (Gunnar Geisse) et contrebasse (Sebastian Gramss). Udo Schindler est un souffleur multi-instrumentiste abonné aux publications enregistrées avec des improvisateurs de tout bord (dont Sebi Tramontana, Damon Smith, Wilbert De Joode, Jaap Blonk, Ove Volquarz. Avec Ove Volquarz, il forme un excellent duo de clarinettes basses (Answers and Maybe a Question et Tales about Exploding Trees and other Absurdities) et il nous a laissé un superbe témoignage avec l’ajout providentiel du guitariste Gunnar Geisse (artoxin – Unit Records). Je suis donc bien heureux de retrouver ce curieux guitariste en compagnie de ce super contrebassiste parmi les meilleurs de la scène allemande, improvisée ou jazz pointu. Deux longues improvisations intitulées Dachau Polyphonic part1 (36 :07) et part2 (23 :12). Le contrebassiste et le souffleur créent les contrepoints mouvants et hasardeux de cette « Polyphonie » où s’insèrent les sons électroniques trafiqués- manipulés- exacerbés et surprenants de ce guitariste inventif au-delà de l’ordinaire. Ils naissent de nulle part, se laissent triturer plus que de raison, s’évaporent, flottent, percutent sourdement, sifflent, oscillent, rebondissent en creux dans le flux de ses comparses. Le temps s’écoule sans qu’on puisse le saisir. La qualité de timbre à l’archet Au fil des minutes et après quelques temps, le paysage sonore ne fait plus qu’un avec les interventions de chacun dans un infini insaisissable. Flux d’orgue cosmique et croassement mesuré de la clarinette basse. Des moments mystérieux qui finissent par rebondir, le guitariste se métamorphosant en claviériste microtonal avec les volutes du souffleur au sax sopranino et des sons de cloches. Étrange, mais frais.
Walter Prati Lullabies & Other Stories Amirani records AMRN#73 Disponible en CD et en LP
https://www.amiranirecords.com/editions/lullabiesandotherstories0
https://www.amiranirecords.com/editions/lullabiesandotherstories
Walter Prati est connu pour son travail de musicien électronique et sound processing dans l’Evan Parker Electro-Acoustic Ensemble des années 1990 à 2010 (de Towards the Margins jusqu’à Hasselt) a aussi enregistré, toujours comme artiste électronique deux albums en duo avec Evan Parker : Hall of Mirrors en 1990, réédité en double CD avec l’album Pulse (2016) du même duo sur le label Auditorium. Son travail de transformation du son fut à la base de la création de cet ensemble qui inclus aussi Joel Ryan, Lawrence Casserley, Richard Barrett, Paul Obermayer et son ami Bill Vecchi. On l’a aussi entendu en duo avec Giancarlo Schiaffini et en trio avec Thurston Moore et Evan Parker. Mais j’ignorais que Walter Prati est un excellent violoncelliste. Dans cet enregistrement de 2020, il nous fait entendre cinq Lullabies et huit Stories au violoncelle dans un genre qu’on pourrait qualifier de « post-classique » ou contemporain. Au violoncelle, il ajoute de temps en temps des electronics « (Cycling ’74 Max and Grm Tools). Minutieux, distingué et un peu austère ou parfois grandiose, son travail, excellemment enregistré dans son MMT Creative Lab à Milan, mérite le plus grand intérêt pour toutes les techniques utilisées et leur insertion judicieuse dans le contexte de compositions miniatures qui les mettent en valeur. Pizzicato, glissandi, évocations mélodiques, suggestions harmoniques, lyrisme détaché et ferveur retenue. Tout comme les enregistrements en solo des violoncellistes Guilherme Rodrigues et Emmanuel Cremer, ces Lullabies and Other Stories situent plusieurs facettes de l’approche de l’instrument en exergue dans l’écoulement de la performance, ici réalisée de Mars à Juin 2022 avec une superbe cohérence. Exemplaire et à réécouter avec un vrai plaisir.
https://www.creativeworks.ch/home/cd-shop/cw1070ccd/#cc-m-product-14750268532
Note incluse résumant la présentation de ce quadruple album sur le site du label : AIR The Space in Lucerne is the working space of saxophonist Urs Leimgruber and sometimes, on occasion, also a space for concerts and for recording. A space where the acoustics have been professionally calibrated to the finest degree, ensuring that even the smallest sound can be heard, the sound that is barely a sound anymore but is still there.
Fort heureusement, Creative Works Records, un label helvétique créé il y a bien des lustres, publie ce rare AIR Vol.1 du saxophoniste Urs Leimgruber en duo avec , respectivement, le percussionniste Gerry Hemingway, le piano préparé de Hans Peter Pfammater, l’épinette amplifiée de Jacques Demierre et le synthé analogue de Thomas Lehn dans une somme de quatre compacts. Un par partenaire, et rassemblés dans un coffret blanc 001 en carton dépliant aussi classe que le coffret 5 CD de Trevor Watts pour Fundacja Sluchaj dans un tout autre registre.
Le pianiste Jacques Demierre est un des improvisateurs les plus proches d’Urs, les deux artistes ayant travaillé très souvent ensemble et enregistré plusieurs albums avec le contrebassiste Barre Phillips, ainsi que dans un duo récent où Demierre joue de l’épinette amplifiée (It Forgets about the snow même label). Thomas Lehn figurait dans un enregistrement de ce trio augmenté en quartet à Willisau. Gerry Hemingway est aujourd’hui un résident suisse et s’adonne de plus en plus à la libre improvisation. J’ai retracé le nom de Norbert Pfammatter dans un duo avec le saxophoniste Bertrand Denzler,mais j’ignorais jusqu’à présent l’existence de Hans Peter Pfammatter comme pianiste et sa performance au piano préparé avec Urs Leimgruber m’a convaincu.
Urs Leimgruber est un improvisateur spécialiste du saxophone soprano dans les sphères de l’improvisation radicale doué d’une grande virtuosité qui s’efforce de faire du sens avec une superbe précision sans vous abreuver avec une avalanche de notes. Sa musique peut être déchirante, détaillée, ultra-sensible, extrême et parfois mélodique. Il aime à décortiquer les sonorités « alternatives », explorer les harmoniques, les infra-sons, les bruissements ou murmures tout comme se lancer subitement dans des giclées expressionnistes, des spirales désarticulées et l’expression acide du cri primal. Bien qu’il a joué intensément avec Barre Phillips et côtoyé Joëlle Léandre, Urs ne court pas après le pedigree, mais privilégie les collaborations avec des camarades avec qui il entretient des affinités profondes : Roger Turner, Jacques Demierre, Thomas Lehn ou ce pianiste allemand de Dresde méconnu, Oliver Schwerdt.
Chacun de ces duos est une belle perle et le saxophoniste donne ici le meilleur de lui – même avec la plus profonde authenticité. Si vous n’avez pas encore prêté l’oreille à un de ses disques, vous pouvez vous fier à ce coffret « AIR Vol.1 » , surtout si vous êtes déjà un inconditionnel de Steve Lacy (ses albums solos et duos improvisés), d’Evan Parker (Saxophone solos 1975) ou de Lol Coxhill. Urs Leimgruber - et Michel Doneda- c’est vraiment la quintessence du sax soprano « d’avant-garde ». J’ajouterai aussi les noms d’Harri Sjöström, de Gianni Mimmo et Gianni Gebbia.
Pour ceux qui connaissent Gerry Hemingway par l’intermédiaire des enregistrements d’Anthony Braxton, de Marylin Crispell ou avec Ray Anderson et ses propres groupes, leur duo sera une belle surprise. Tout comme Steve Lacy, Urs Leimgruber cultive le registre ultra aigu du sax soprano bien au-delà de sa tessiture normale, et il entrouve certaines clés intermédiaires pour obtenir des « fausses notes », des harmoniques sifflantes et infimes et des timbres bigarrés. Dans le premier morceau, après « avoir détonné » de merveilleuse manière il évoque brièvement Coltrane et le son de son soprano en relevant des fragments d’un de ces chevaux de bataille lorsque Gerry s’emballe pour un rythme endiablé. Plus loin c’est l’ascèse, le silence qui fait partie de sa (leur) musique. Deuxième improvisation, on plonge dans la micro-improvisation, la percussion frottée hasardeusement par les balais et le sax cherchant grognements assourdis et sonorités millimétrées au bord du silence. C’est la sculpture de l’air, l’ébauche d’un geste, des esquisses à peine visibles, des suggestions timbrales pour lesquelles il faut tendre l’oreille. Le troisième nettement plus long fait onze minutes et débute comme un fantôme introverti à la recherche du sifflement perdu, le percussionniste se faisant ultra minimaliste en faisant à peine vibrer ses cymbales alors que l’anche distille un filet de souffle hyper aigu. Oscillations des fines harmoniques du sax et des glissandi sur les cymbales frottées à l’archet. On se situe plus dans la poésie sonore ou dans une cérémonie initiatrice dans une tribu imaginaire. Les volutes naissantes apparues au mitant des discrètes harmoniques se muent alors dans des antiennes de notes mordantes répétées et de roulements décalés et accélérés de la batterie. Le souffleur fait se contorsionner sa sonorité et l’articulation sauvage – morsures du bec, quintoiements saturés – spirales en escalier entre les intervalles. Cette musique libre et spontanée s’efforce de créer un narratif, nous entraîner dans une démarche, une course à travers les bois ou une dans sur la grève endormie. Le quatrième laisse l’initiative à la batterie chercheuse, le saxophoniste jouant des clapets. Bref, à mes oreilles ce CD1 avec Hemingway respire l’improvisation instantanée avec le plaisir ludique et la recherche pointue et insouciante.
Une autre et bien différente perspective initie les échanges entre le souffleur et le pianiste Hans Peter Pfammatter dans le CD2. La lente alternance de notes touchées au clavier sur des cordes préparées d’objets et résonnantes inspire des sonorités tenues extrêmes et fines, calcinées, harmoniques pointues ou cris cornés (1- 6 :58). L’expressivité du souffle brûlant est aussi zen que déchirante (2-9:12) survolant les battements de gamelan imaginaire avec des cordes du piano préparé et des doigtés insistants sur les notes « normales ». Le pianiste crée des canevas dynamiques et flottants dans les 6 improvisations de leur duo, le saxophoniste explorant sauvagement les timbres extirpant des sons hallucinés qui échappent à l’idée de style, de démarche « logique », de gammes complexes ou d’harmonies savantes issues de la musique sérielle ou polymodale et nous plongent dans le vécu émotionnel de l’expérience sonore et ludique subjective. Un amour de la pâte sonore (3 – 9 :10) et la folie de tous les étirements physiquement possibles par la grâce d’une technique fort peu commune. Avec un tel abattage aussi profond - sincère que dévastateur, on évitera toute comparaison (Evan Parker, Steve Lacy, John Butcher, Lol Coxhill). Comme Michel Doneda, à qui Urs fait penser, ce saxophoniste est unique en son genre. Il transperce la réalité et la perception des songes, cornant, sifflant, tournoyant et zig-zaguant comme un enfant émerveillé qui joue. Avec ce CD 2, Urs Leimgruber atteint une sphère supérieure avec un collègue inspiré et inspirant qui rend ici hommage à l’idée du piano préparé. Au fur et à mesure qu’on s’avance dans la série d’improvisations, les choses deviennent plus recherchées, osées, minutieuses, curieuses, aussi étrangement prosaïques que lumineusement poétiques (4- 8 :02) ou simplement sinueuses et à la pointe du registre extrême de l’instrument (5 – 12 :26) comme si on s’égarait dans le superflu ou l’essentiel, la valeur des actions s’évanouissant sous la poussée du réel. Lorsqu’on aborde les CD 3, avec l’épinette amplifiée « dérisoire » de Jacques Demierre (accordée vaguement sur une note identique avec quelques commas de différence), et CD4, avec le synthé analogue de Thomas Lehn, on rentre dans l’univers des duos relationnels au long cours du saxophoniste. Ces deux musiciens vont ici encore plus loin, à mon avis dans l’outrance et la sophistication par rapport à ce que j’avais écouté d’eux-mêmes en compagnie de Leimgruber. Le CD4 nous fait entendre un surprenant Thomas Lehn comme je ne l’avais pas entendu avant complètement imbriqué dans les sortilèges du souffleur. Avec Jacques Demierre en duo (CD3) on assiste à l’évolution de leur récent et mémorable double CD «It Forget about the Snow ». Les duos enregistrés dans ces quatre albums n’ont aucune prétention comme manifeste, démonstration virtuose ou gamberge « free », mais seulement des intentions inédites qui défie nos sens et nos habitudes et une sincérité totale.
Je vais m’arrêter là juste pour dire que si il y a une pléthore de saxophonistes improvisateurs de haute qualité à différents niveaux d’accomplissement dans « l’acte d’improviser », on peut très bien se caler ce quadruple CD « AIR » du début à la fin pour découvrir jusqu’où un saxophoniste expérimenté et ses acolytes sont capables d’aller : au fin fond des choses – Out of This World (dixit Coltrane). Vraiment unique et essentiel.
Dachau Polyphonies MUC Chamber Art Trio Udo Schindler Gunnar Geisse Sebastian Gramss FMR CD673-0423
https://www.discogs.com/release/27213543-MUC_Chamber-ArtTrio-Schindler-Geisse-Gramss-Dachau-Polyphonics-LowToneStudies_acoustronic
Trio sax alto et sopranino + clarinette basse (Udo Schindler), guitare laptop (Gunnar Geisse) et contrebasse (Sebastian Gramss). Udo Schindler est un souffleur multi-instrumentiste abonné aux publications enregistrées avec des improvisateurs de tout bord (dont Sebi Tramontana, Damon Smith, Wilbert De Joode, Jaap Blonk, Ove Volquarz. Avec Ove Volquarz, il forme un excellent duo de clarinettes basses (Answers and Maybe a Question et Tales about Exploding Trees and other Absurdities) et il nous a laissé un superbe témoignage avec l’ajout providentiel du guitariste Gunnar Geisse (artoxin – Unit Records). Je suis donc bien heureux de retrouver ce curieux guitariste en compagnie de ce super contrebassiste parmi les meilleurs de la scène allemande, improvisée ou jazz pointu. Deux longues improvisations intitulées Dachau Polyphonic part1 (36 :07) et part2 (23 :12). Le contrebassiste et le souffleur créent les contrepoints mouvants et hasardeux de cette « Polyphonie » où s’insèrent les sons électroniques trafiqués- manipulés- exacerbés et surprenants de ce guitariste inventif au-delà de l’ordinaire. Ils naissent de nulle part, se laissent triturer plus que de raison, s’évaporent, flottent, percutent sourdement, sifflent, oscillent, rebondissent en creux dans le flux de ses comparses. Le temps s’écoule sans qu’on puisse le saisir. La qualité de timbre à l’archet Au fil des minutes et après quelques temps, le paysage sonore ne fait plus qu’un avec les interventions de chacun dans un infini insaisissable. Flux d’orgue cosmique et croassement mesuré de la clarinette basse. Des moments mystérieux qui finissent par rebondir, le guitariste se métamorphosant en claviériste microtonal avec les volutes du souffleur au sax sopranino et des sons de cloches. Étrange, mais frais.
Walter Prati Lullabies & Other Stories Amirani records AMRN#73 Disponible en CD et en LP
https://www.amiranirecords.com/editions/lullabiesandotherstories0
https://www.amiranirecords.com/editions/lullabiesandotherstories
Walter Prati est connu pour son travail de musicien électronique et sound processing dans l’Evan Parker Electro-Acoustic Ensemble des années 1990 à 2010 (de Towards the Margins jusqu’à Hasselt) a aussi enregistré, toujours comme artiste électronique deux albums en duo avec Evan Parker : Hall of Mirrors en 1990, réédité en double CD avec l’album Pulse (2016) du même duo sur le label Auditorium. Son travail de transformation du son fut à la base de la création de cet ensemble qui inclus aussi Joel Ryan, Lawrence Casserley, Richard Barrett, Paul Obermayer et son ami Bill Vecchi. On l’a aussi entendu en duo avec Giancarlo Schiaffini et en trio avec Thurston Moore et Evan Parker. Mais j’ignorais que Walter Prati est un excellent violoncelliste. Dans cet enregistrement de 2020, il nous fait entendre cinq Lullabies et huit Stories au violoncelle dans un genre qu’on pourrait qualifier de « post-classique » ou contemporain. Au violoncelle, il ajoute de temps en temps des electronics « (Cycling ’74 Max and Grm Tools). Minutieux, distingué et un peu austère ou parfois grandiose, son travail, excellemment enregistré dans son MMT Creative Lab à Milan, mérite le plus grand intérêt pour toutes les techniques utilisées et leur insertion judicieuse dans le contexte de compositions miniatures qui les mettent en valeur. Pizzicato, glissandi, évocations mélodiques, suggestions harmoniques, lyrisme détaché et ferveur retenue. Tout comme les enregistrements en solo des violoncellistes Guilherme Rodrigues et Emmanuel Cremer, ces Lullabies and Other Stories situent plusieurs facettes de l’approche de l’instrument en exergue dans l’écoulement de la performance, ici réalisée de Mars à Juin 2022 avec une superbe cohérence. Exemplaire et à réécouter avec un vrai plaisir.
31 août 2023
Milford Graves with Arthur Doyle & Hugh Glover/ Birgit Ulher Carol Genetti & Eric Leonardson/ Guillaume Gargaud Patrice Grente & Thierry Waziniak/Maria Mange Valencia Paolo Pascolo & Stefano Giust
Children of The Forest Milford Graves with Arthur Doyle & Hugh Glover Black Editions Archives BEA 2LP BEA-002
https://milfordgraves-blackeditionsarchive.bandcamp.com/album/children-of-the-forest
C’est le deuxième album que les Black Editions Archives consacrent à Milford Graves. Le précédent, Historic Music Past Tense Future, publiait un concert de 2002 avec Peter Brötzmann et William Parker. Ces enregistrements de janvier février et mars 1976 sont dans le sillage du légendaire et démentiel Bäbi Music de la même année (LP IPS – 004, réédité récemment en dble CD + inédits par CorbettvsDempsey) avec les saxophonistes Arthur Doyle et Hugh Glover. On retrouve ces deux acolytes au fil des plages en trio dans les faces A et B , en duo Glover - Graves C et D, la face D se terminant par un solo de percussions de Milford. Il y a aussi un ou deux extraits verbaux de l’émission radio de WKCR durant lesquelles ces sessions ont été transmises. Dans les faces A & B , Hugh Glover est crédité « klaxon, percussion, vaccine »(sic !) et c’est donc l’allumé Arthur Doyle qui officie en vocalisant furieusement dans son embouchure. C’est apocalyptique et émotionnel, Doyle étant un souffleur unique en son genre. Il semble avoir eu une influence sur Joseph Jarman et Frank Lowe au début des années 70, Frank ayant joué et enregistré en duo avec Rashied Ali la même année dans un registre similaire. Mais il y a une différence notable au point de vue esthétique entre Milford Graves et les Rashied Ali et Andrew Cyrille. L’art free de ces derniers provient en droite ligne de la pratique de la batterie jazz avec baguettes et balais et de ces formules et techniques ludiques. Milford Graves, qui a joué des congas avec Mongo Santamaria, est influencé par les percussions d’origine africaine et caraïbe jouées avec les mains ainsi que les timbales. Chacun de ses membres de gauche et de droite effectuent des figures rythmiques, des battements et des accentuations en crescendo – decrescendo de manière indépendante l’un de l’autre. Sa musique semble sortir tout droit d’un orchestre de percussions africaines tel qu’on peut les écouter sur les vinyles Folkways, Musicaphon ou Ocora de musique traditionnelle africaine. Han Bennink a déclaré avoir été influencé par Milford et ses deux albums ESP et Fontana du New York Art Quartet avec John Tchicaï et Roswell Rudd. Milford a aussi enregistré avec Albert Ayler (Love Cry), Sonny Sharrock (Black Woman), Giuseppi Logan, Don Pullen, Andrew Cyrille en duo, Kaoru Abe Toshinori Kondo et cie, John Zorn, Anthony Braxton et un quartet de percussions avec Don Moye, Cyrille et Kenny Clarke.
Par rapport à la folie intégrale du fameux LP Bäbi Music (que j’avais acquis en 1978), ces Children of the Forest semblent un peu en retrait. Le tandem Doyle et Graves est de toute façon hallucinant, même si l’intervention au klaxon ( !) de Hugh Glover est un peu « mystérieuse ». Cet album est disponible en Europe via Aguirre Records et des revendeurs sérieux, mais il vous en coûtera plus de 50 euros (+ frais) alors qu’il aurait pu être concentré en un seul CD. Néanmoins, comme Milford a peu publié au fil de sa carrière de son vivant, cet album mérite d’être écouté et si vous êtes un inconditionnel de Graves, vous ne serez pas décu. En outre, il y a de bonnes notes de pochette et une interview intéressante de Hugh Glover.
Horizontal Shift Birgit Ulher Carol Genetti Eric Leonardson amalgamusic.org AMA044
https://birgitulhercarolgenettiericleonardson.bandcamp.com/track/horizontal-shift
Crédits : Birgit Ulher – trumpet, radio, speaker, objects. Carol Genetti -voice, objects. Eric Leonardson - springboard, objects, electronics. Je n’avais jamais entendu parler d’Eric Leonardson. Birgit Ulher et Carol Genetti avaient toutes deux enregistré pour le label Balance Acoustics du contrebassiste Damon Smith il y a bien longtemps. Birgit dans Sperrgut en trio avec ce dernier et le batteur Martin Blume et Carol dans Sense of Hearing avec Smith et le violoncelliste Fred Lonberg-Holm. Deux excellents albums de free-music. Birgit Ulher est une des improvisatrices – clé de la trompette révolutionnaire des années 2000 en compagnie d’Axel Dörner, Franz Hauzinger, Peter Evans et Nate Wooley. Elle est sans doute aussi une des plus radicales. Allez distinguer les scories et éclats de l’embouchure, les vibrations des « objets » (sourdines de différentes matières), les compressions bruissantes de la colonne d’air de Birgit Ulher et les égosillements -percussions de glotte – gémissements gutturaux de Carol Genetti. C’est parfois un maquis impénétrable même si lisible. Leurs shrapnels soniques et murmures oscillants se confondent, s’interpénètrent, ou éclatent subrepticement dans deux directions opposées. Lèvres irritées et cordes vocales hérissées s’unissent comme rarement. Elles s’allient étonnamment aux bruitages d’Eric Leonardson et ses ressorts mirifiques à peine ouïs. Vertical Shift (1) et ses vingt minutes est un No Man’s Land bruitiste compact et fragmenté à la fois. Le trio atteint la plénitude avec les 9 :26 d’Horizontal Shift en détaillant avec précision les sculptures sonores et la matière vibratoire de chacun en convergeant leurs efforts. Chaque cellule de la gorge de Carol Genetti prononce les plus insensées syllabes éclatées, verbophonie de la vocalité automatique au sens surréaliste du terme. Birgit Ulher a exprimé verbalement l’inspiration reçue d’un Bill Dixon ou d’un Leo Smith ; depuis, elle crée des merveilles audacieuses et intemporelles dans l’au-delà en transcendant le complexe lèvres – dents – langue – embouchure – colonne d’air – pistons sans rien devoir à personne. Phase Shifts permet de saisir la magie opératoire des deux chamanes de l’indicible et l’empathie de leur acolyte bruiteur qui a bien du mérite en telle compagnie . Durant Vertival Shift, il se révèle complètement en agrégeant ses frottements scintillants à la transe introvertie de la vocaliste et de la trompettiste. Bruitisme radical basé sur des techniques pointues et requérantes qui demandent un travail harassant pour pouvoir s’éclater en toute liberté.
Guillaume Gargaud Patrice Grente Thierry Waziniak OMUSUE TORF Records TR007
https://torfrecords.bandcamp.com/album/omusue
Trio guitare acoustique (Guillaume Gargaud) – contrebasse (Patrice Grente) – percussions (Thierry Waziniak) complètement et collectivement improvisé dans le sillage, dira-t-on, du Spontaneous Music Ensemble « string » (John Stevens - Nigel Coombes – Roger Smith) ou de « Fairly Young Bean » du trio John Russell - Maarten Altena - Terry Day). Thierry Waziniak pratique une percussion détaillée d’une grande finesse ouvrant l’espace de jeu avec des frappes assourdies plutôt piano – pianissimo que forte. Patrice Grente assure une forme de lien – colonne vertébrale plus terrienne et lyrique, que ce soit à l’archet ou en pizzicato, alors que le guitariste explore différents registres sonores de la guitare free avec grattages, tournoiements, clusters ou intervalles dissonants. On l’entend empressé à entraîner ses deux collègues dans cette ronde incessante en arcs brisés ou à souligner les suggestions mélodiques du contrebassiste. Improviser librement de telle manière (avec une guitare acoustique) durant sept improvisations de cinq à sept minutes et plus en s’efforçant à renouveler son inspiration n’est pas une mince affaire. On est impressionné par leur faculté partagée à créer ces rhizomes tactiles, vibratoires, ces interactions tangentielles en échangeant des signaux tacites et en suggérant des changements de régime (vitesse, densité, dynamique, espace ludique, hyper-activité ou souffle zen). Au centre du dispositif, un percussionniste sensible, expérimenté et intuitif agissant en toute transparence. Où se situent les pulsations, l’exploration – extrapolation mélodique, le canevas harmonique, le feeling ? Dans le travail de chacun des instrumentistes et le trio tout entier : chacun essaie de truster tous les rôles, de les partager, de s’abstenir ou d’offrir des réponses inattendues. Dans leur parcours en trio, il s’agit sans doute d’une initiation en vue de transcender le potentiel de leur imaginaire en aiguillonnant leur imagination. À suivre !
Maria Mange Valencia Paolo Pascolo Stefano Giust Politácito Ricordi del Tardigrado Setola Di Maiale SM 4530
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4530
Deux souffleurs : Maria Mange Valencia, sax alto et clarinette et Paolo Pascolo flûte, flûte basse et sax ténor. Un percussionniste : Stefano Giust, le patron et graphiste du label. Enregistrement stuperbement bien réalisé d’un concert très inspiré entièrement dédié à l’expression improvisée libre et généreusement ouverte. Misskappa, Udine le 6 octobre 2022. Les vents flottent sensibles et délicieusement sonores, fragiles, suspendus dans le champ auditif, notes tenues, vibrations ondoyantes, frémissements subtils, poésie de narratifs spontanés. Entre Maria et Paolo , l’entente est parfaite. Titres : Resonancias Orientales 9 :33 … El Nacimento de Los Orangutanes (part 1) 6 :15 et (part2) 8 :02, etc… Tout au long de ces improvisations concentrées et certains gazouillis d’oiseaux des tropiques, le jeu tout à fait remarquable de Stefano Giust avec chaque objet percussif frappé, frotté, résonnant, rebondi, gratté, ... Sa polyrythmie étudiée et la grande variété de ses frappes, leur remarquable lisibilité happent l’écoute et l’attention de l’auditeur. Les belles nuances du toucher des cymbales et des discrets roulis aléatoires sur les peaux entraînent le mouvement constant, une scansion multilatérale impalpable. Cet homme détient quelques secrets du free drumming, du drive – swing invisible, de la recherche sonore et un style bien à lui. Ses comparses explorent le jeu du souffle, la colonne d’air, les pépiements la gorge serrée, un chant amoureux et secret, en mettant à profit leur savoir-faire sonore pour s’inventer un univers de rêves éveillés avec une belle coolitude. Il s’ensuit une magnifique mise en commun d’idées, de sentiments, de sons et de timbres au sein d’un trio atypique.
Voilà bien un trio issu de la vulgate free free-jazz qui nous change complètement des habitudes, tics et lieux communs régurgités ailleurs.
https://milfordgraves-blackeditionsarchive.bandcamp.com/album/children-of-the-forest
C’est le deuxième album que les Black Editions Archives consacrent à Milford Graves. Le précédent, Historic Music Past Tense Future, publiait un concert de 2002 avec Peter Brötzmann et William Parker. Ces enregistrements de janvier février et mars 1976 sont dans le sillage du légendaire et démentiel Bäbi Music de la même année (LP IPS – 004, réédité récemment en dble CD + inédits par CorbettvsDempsey) avec les saxophonistes Arthur Doyle et Hugh Glover. On retrouve ces deux acolytes au fil des plages en trio dans les faces A et B , en duo Glover - Graves C et D, la face D se terminant par un solo de percussions de Milford. Il y a aussi un ou deux extraits verbaux de l’émission radio de WKCR durant lesquelles ces sessions ont été transmises. Dans les faces A & B , Hugh Glover est crédité « klaxon, percussion, vaccine »(sic !) et c’est donc l’allumé Arthur Doyle qui officie en vocalisant furieusement dans son embouchure. C’est apocalyptique et émotionnel, Doyle étant un souffleur unique en son genre. Il semble avoir eu une influence sur Joseph Jarman et Frank Lowe au début des années 70, Frank ayant joué et enregistré en duo avec Rashied Ali la même année dans un registre similaire. Mais il y a une différence notable au point de vue esthétique entre Milford Graves et les Rashied Ali et Andrew Cyrille. L’art free de ces derniers provient en droite ligne de la pratique de la batterie jazz avec baguettes et balais et de ces formules et techniques ludiques. Milford Graves, qui a joué des congas avec Mongo Santamaria, est influencé par les percussions d’origine africaine et caraïbe jouées avec les mains ainsi que les timbales. Chacun de ses membres de gauche et de droite effectuent des figures rythmiques, des battements et des accentuations en crescendo – decrescendo de manière indépendante l’un de l’autre. Sa musique semble sortir tout droit d’un orchestre de percussions africaines tel qu’on peut les écouter sur les vinyles Folkways, Musicaphon ou Ocora de musique traditionnelle africaine. Han Bennink a déclaré avoir été influencé par Milford et ses deux albums ESP et Fontana du New York Art Quartet avec John Tchicaï et Roswell Rudd. Milford a aussi enregistré avec Albert Ayler (Love Cry), Sonny Sharrock (Black Woman), Giuseppi Logan, Don Pullen, Andrew Cyrille en duo, Kaoru Abe Toshinori Kondo et cie, John Zorn, Anthony Braxton et un quartet de percussions avec Don Moye, Cyrille et Kenny Clarke.
Par rapport à la folie intégrale du fameux LP Bäbi Music (que j’avais acquis en 1978), ces Children of the Forest semblent un peu en retrait. Le tandem Doyle et Graves est de toute façon hallucinant, même si l’intervention au klaxon ( !) de Hugh Glover est un peu « mystérieuse ». Cet album est disponible en Europe via Aguirre Records et des revendeurs sérieux, mais il vous en coûtera plus de 50 euros (+ frais) alors qu’il aurait pu être concentré en un seul CD. Néanmoins, comme Milford a peu publié au fil de sa carrière de son vivant, cet album mérite d’être écouté et si vous êtes un inconditionnel de Graves, vous ne serez pas décu. En outre, il y a de bonnes notes de pochette et une interview intéressante de Hugh Glover.
Horizontal Shift Birgit Ulher Carol Genetti Eric Leonardson amalgamusic.org AMA044
https://birgitulhercarolgenettiericleonardson.bandcamp.com/track/horizontal-shift
Crédits : Birgit Ulher – trumpet, radio, speaker, objects. Carol Genetti -voice, objects. Eric Leonardson - springboard, objects, electronics. Je n’avais jamais entendu parler d’Eric Leonardson. Birgit Ulher et Carol Genetti avaient toutes deux enregistré pour le label Balance Acoustics du contrebassiste Damon Smith il y a bien longtemps. Birgit dans Sperrgut en trio avec ce dernier et le batteur Martin Blume et Carol dans Sense of Hearing avec Smith et le violoncelliste Fred Lonberg-Holm. Deux excellents albums de free-music. Birgit Ulher est une des improvisatrices – clé de la trompette révolutionnaire des années 2000 en compagnie d’Axel Dörner, Franz Hauzinger, Peter Evans et Nate Wooley. Elle est sans doute aussi une des plus radicales. Allez distinguer les scories et éclats de l’embouchure, les vibrations des « objets » (sourdines de différentes matières), les compressions bruissantes de la colonne d’air de Birgit Ulher et les égosillements -percussions de glotte – gémissements gutturaux de Carol Genetti. C’est parfois un maquis impénétrable même si lisible. Leurs shrapnels soniques et murmures oscillants se confondent, s’interpénètrent, ou éclatent subrepticement dans deux directions opposées. Lèvres irritées et cordes vocales hérissées s’unissent comme rarement. Elles s’allient étonnamment aux bruitages d’Eric Leonardson et ses ressorts mirifiques à peine ouïs. Vertical Shift (1) et ses vingt minutes est un No Man’s Land bruitiste compact et fragmenté à la fois. Le trio atteint la plénitude avec les 9 :26 d’Horizontal Shift en détaillant avec précision les sculptures sonores et la matière vibratoire de chacun en convergeant leurs efforts. Chaque cellule de la gorge de Carol Genetti prononce les plus insensées syllabes éclatées, verbophonie de la vocalité automatique au sens surréaliste du terme. Birgit Ulher a exprimé verbalement l’inspiration reçue d’un Bill Dixon ou d’un Leo Smith ; depuis, elle crée des merveilles audacieuses et intemporelles dans l’au-delà en transcendant le complexe lèvres – dents – langue – embouchure – colonne d’air – pistons sans rien devoir à personne. Phase Shifts permet de saisir la magie opératoire des deux chamanes de l’indicible et l’empathie de leur acolyte bruiteur qui a bien du mérite en telle compagnie . Durant Vertival Shift, il se révèle complètement en agrégeant ses frottements scintillants à la transe introvertie de la vocaliste et de la trompettiste. Bruitisme radical basé sur des techniques pointues et requérantes qui demandent un travail harassant pour pouvoir s’éclater en toute liberté.
Guillaume Gargaud Patrice Grente Thierry Waziniak OMUSUE TORF Records TR007
https://torfrecords.bandcamp.com/album/omusue
Trio guitare acoustique (Guillaume Gargaud) – contrebasse (Patrice Grente) – percussions (Thierry Waziniak) complètement et collectivement improvisé dans le sillage, dira-t-on, du Spontaneous Music Ensemble « string » (John Stevens - Nigel Coombes – Roger Smith) ou de « Fairly Young Bean » du trio John Russell - Maarten Altena - Terry Day). Thierry Waziniak pratique une percussion détaillée d’une grande finesse ouvrant l’espace de jeu avec des frappes assourdies plutôt piano – pianissimo que forte. Patrice Grente assure une forme de lien – colonne vertébrale plus terrienne et lyrique, que ce soit à l’archet ou en pizzicato, alors que le guitariste explore différents registres sonores de la guitare free avec grattages, tournoiements, clusters ou intervalles dissonants. On l’entend empressé à entraîner ses deux collègues dans cette ronde incessante en arcs brisés ou à souligner les suggestions mélodiques du contrebassiste. Improviser librement de telle manière (avec une guitare acoustique) durant sept improvisations de cinq à sept minutes et plus en s’efforçant à renouveler son inspiration n’est pas une mince affaire. On est impressionné par leur faculté partagée à créer ces rhizomes tactiles, vibratoires, ces interactions tangentielles en échangeant des signaux tacites et en suggérant des changements de régime (vitesse, densité, dynamique, espace ludique, hyper-activité ou souffle zen). Au centre du dispositif, un percussionniste sensible, expérimenté et intuitif agissant en toute transparence. Où se situent les pulsations, l’exploration – extrapolation mélodique, le canevas harmonique, le feeling ? Dans le travail de chacun des instrumentistes et le trio tout entier : chacun essaie de truster tous les rôles, de les partager, de s’abstenir ou d’offrir des réponses inattendues. Dans leur parcours en trio, il s’agit sans doute d’une initiation en vue de transcender le potentiel de leur imaginaire en aiguillonnant leur imagination. À suivre !
Maria Mange Valencia Paolo Pascolo Stefano Giust Politácito Ricordi del Tardigrado Setola Di Maiale SM 4530
https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4530
Deux souffleurs : Maria Mange Valencia, sax alto et clarinette et Paolo Pascolo flûte, flûte basse et sax ténor. Un percussionniste : Stefano Giust, le patron et graphiste du label. Enregistrement stuperbement bien réalisé d’un concert très inspiré entièrement dédié à l’expression improvisée libre et généreusement ouverte. Misskappa, Udine le 6 octobre 2022. Les vents flottent sensibles et délicieusement sonores, fragiles, suspendus dans le champ auditif, notes tenues, vibrations ondoyantes, frémissements subtils, poésie de narratifs spontanés. Entre Maria et Paolo , l’entente est parfaite. Titres : Resonancias Orientales 9 :33 … El Nacimento de Los Orangutanes (part 1) 6 :15 et (part2) 8 :02, etc… Tout au long de ces improvisations concentrées et certains gazouillis d’oiseaux des tropiques, le jeu tout à fait remarquable de Stefano Giust avec chaque objet percussif frappé, frotté, résonnant, rebondi, gratté, ... Sa polyrythmie étudiée et la grande variété de ses frappes, leur remarquable lisibilité happent l’écoute et l’attention de l’auditeur. Les belles nuances du toucher des cymbales et des discrets roulis aléatoires sur les peaux entraînent le mouvement constant, une scansion multilatérale impalpable. Cet homme détient quelques secrets du free drumming, du drive – swing invisible, de la recherche sonore et un style bien à lui. Ses comparses explorent le jeu du souffle, la colonne d’air, les pépiements la gorge serrée, un chant amoureux et secret, en mettant à profit leur savoir-faire sonore pour s’inventer un univers de rêves éveillés avec une belle coolitude. Il s’ensuit une magnifique mise en commun d’idées, de sentiments, de sons et de timbres au sein d’un trio atypique.
Voilà bien un trio issu de la vulgate free free-jazz qui nous change complètement des habitudes, tics et lieux communs régurgités ailleurs.
10 août 2023
Marion Brown Quartet 1969/ Jacques Demierre & Martina Brodbeck/ Karoline Leblanc Paulo J. Ferreira Lopes/ Jean-Marc Foussat & Guy Frank Pellerin
Marion Brown Quartet Mary Ann Live in Bremen 1969 Ed Kröger Sigi Busch Steve Mc Call Moosicus M1221-2 2CD
Album invisible sur le site web du label Moosicus – un label jazz « large public ».
https://propermusic.com/products/marionbrownquartet-maryannliveinbremen1969
Marion Brown Quartet ! Enregistré le 24 avril 1969 à la légendaire Lila Eule de Brême par Radio Bremen, là où l’Octet de Peter Brötzmann avait gravé Machine Gun en mai 1968. À la batterie rien moins que Steve Mc Call en personne avec qui Marion Brown avait déjà enregistré Gesprächfetzen en compagnie de Günter Hampel, le trompettiste Ambrose Jackson et le contrebassiste Busch Niebergall le 20 septembre 1968. Le 17 mai 1969 à Wurzburg, Marion, Gunther et Steve enregistreront les morceaux de « Marion Brown in Sommerhausen » avec Jeanne Lee et Daniel Laloux. Rappelons encore l’illustre et explosif « Porto Novo » de décembre 1967 en compagnie d’Han Bennink et de Maarten Altena. Ce double CD « Mary Ann » est fort bienvenu, il s’agit d’un témoignage relativement bien enregistré d’un « vrai » groupe de Marion Brown jouant son répertoire personnel avec un quartet qui se moule dans la thématique de ses compositions de manière un peu plus conventionnelle que le groupe bicéphale Brown - Hampel ou le trio avec le percutant (et violent) Han Bennink à la batterie. Les huit compositions captées en club sont étendues dans la durée , Mary Ann dépasse les 24 minutes au CD 1 et Juba Lee, qui donne son nom à l’album publié par Phillips Fontana, atteint les 26 minutes. Les musiciens en profitent pour improviser, chercher des sons, s’égarer, transformer les atmosphères et nous entraîner dans leur délire. Et swinguer comme dans Ode to Coltrane ou Mary Ann. Le bassiste Sigi Busch est connu pour son travail avec Joe Viera, Charlie Mariano, Jasper Van ‘t Hof, Wolfgang Dauner, Toto Blanke et à l’époque il jouait dans le quartet du saxophoniste Joe Viera et du tromboniste Ed Kröger, qu’on retrouve dans le Requiem pour Che Guevara, Martin Luther King et JF Kennedy de Fred Van Hove. Busch et Kröger, ayant des affinités communes, n’ont aucune difficulté à s’intégrer auprès du binôme Marion Brown et Steve Mc Call. La liberté ludique que Sigi Busch s’octroie dans Gesprächfetzen fait de sa performance un marqueur dans l’évolution de la contrebasse free des années 60, tout comme Alan Silva chez Cecil Taylor (Student Studies 1966) ou le Barre Phillips de Journal Violone a/k/a Basse Barre enregistré l’année précédente. Écoutez le final du concert, Study for 4 instruments, on entre là dans ce que deviendra le free-jazz plus pointu des années 70 sous l’influence des Roscoe Mitchell, Leo Smith et Anthony Braxton. Mais dès le départ, s’impose le lyrisme étonnant de Marion Brown, sa sonorité unique (elle évoque la pureté d’un Johny Hodges , le père du sax alto jazz), ses intervalles en dents de scie, ses staccatos éclairs qui aboutissent à une spirale mélodieuse. Chaque CD contient quatre longs morceaux développés jusqu’à plus soif avec une aisance et une cohérence merveilleuses et pimentées par une vraie prise de risque au niveau du temps de jeu. En effet, une composition atteint les 20 minutes, trois autres dépassent largement ces 20 minutes et deux, les dix-sept minutes, sans jamais nous lasser. Marion Brown est un artiste essentiellement collectif qui, en tant que leader, laisse s’exprimer ses camarades à parts égales dans un principe assumé d’égalité et de généreuse collaboration. On ressent un véritable souffle d’enthousiasme émotionnel dans le groupe. Avec Steve Mc Call, nous sommes particulièrement gâtés : propulsant le groupe en accélérant et croisant les tempi et les beats, il emporte ses collègues dans une autre dimension. Il n’hésite pas à chercher et à jouer des « petits » sons espacés de silence, ouvrant le jeu collectif aux audaces du contrebassiste. Chacun donne le meilleur de lui-même. Le tromboniste Ed Kröger, un peu timide au départ, ouvre son coeur et insuffle un supplément d’âme. Il s’agit d’un document irremplaçable de la réalité vécue du free-jazz des années 60, musique du partage et du voyage, de l’amitié et de l’instant. Gloire à Marion Brown et à sa superbe inspiration qui incarne les valeurs les plus profondes et le message ultime de cette musique improvisée collective quand elle s’appelait New Thing - Free Jazz - Great Black Music !
Remarque : il s'agit d'un enregistrement de bonne qualité et approuvé par la famille de Marion Brown. Son fils Djinji en a rédigé les notes de pochette.
Jacques Demierre - Martina Brodbeck a falling sound insub records 2CD
https://insub.bandcamp.com/album/a-falling-sound
Notes pour cet intrigant double album de Jacques Demierre piano et Martina Brodbeck violoncelle :
A recording of a piano tuning session was the starting point for a series of different pieces, all of which question the experience of measurement. These two pieces, «about a thousand years» and «a falling sound», for piano and cello, are a new stage in this process. If the music results from a work of measurement - that of the piano as a territory and of its different acoustic regions, both the voice of Pandit Prân Nath, which gave rise to the playing and scordatura of the cello, and the bass of one of Arturo Benedetti Michelangeli's pianos, used for this recording, were other equally determining influences. (Jacques Demierre)
Music composed by Jacques Demierre (SUISA) in collaboration with Martina Brodbeck
The titles are taken from haïku by Matsuo Basho in “Basho: The Complete Haiku”, Kodansha International
Recorded December 21st, 2022 by Antoine Etter at Phonotope Studio, Renens
Mixed and mastered January 23rd, 2023 by Antoine Etter at Phonotope Studio, Renens
Je ne vais pas épiloguer sur les intentions des deux artistes. Il s’agit de deux œuvres expérimentales très « pointues » construites et développées au départ de quelques constatations de particularités de la pratique physique du piano et du violoncelle. À mon sens, il s’agit pour l’auditeur (« informé » ou occasionnel d’une expérience auditive, sensorielle. Le pianiste réitère inlassablement le jeu d’une touche ou deux touches comme le ferait un accordeur en en modifiant légèrement et très soigneusement le son, le timing, la résonance de manière obsessionnelle. La violoncelliste fait vibrer légèrement une note en un filet de son proche du sifflement mumuré en créant d’infimes glissandi. Une oreille exercée saisira immédiatement la maîtrise instrumentale intense peu commune de Jacques Demierre au piano et Martina Brodbeck au violoncelle. About a thousand years dure 47 minutes 54 secondes et c’est au fil des minutes qui semblent paraître interminable que la musicalité inhérente à cette entreprise, son chant intime, son lyrisme secret s’affirme et s’impose à moi. C’est bien sûr mon expérience d’écoute et ma pratique de vocaliste qui œuvrent à ma perception très positive de leur travail. Faut-il informer le public que pour devenir « un excellent instrumentiste musicien » de haut vol, il faut s’adonner interminablement / obsessionnellement à des exercices avec une seule note, un seul son depuis l’intensité pianissimo jusqu’au forte ou au fortissimo avec les variantes de crescendo et decrescendo etc… Cela pour le piano, le violon, la voix humaine, les instruments à vent, etc… et cela requiert dès le départ une concentration maximale. De même l’accordage très lent du piano ou les possibilités de la scordatura, soit les modifications d’accord du violoncelles. De là à créer une musique cohérente avec ses éléments très basiques de la pratique instrumentale, il n’y a qu’un pas que nos deux artistes franchissent avec un très grand talent. Un album à insérer dans la lignée de ces improvisateurs radicaux qui ont transformé ou redéfini la pratique de l’improvisation expérimentale et de leurs publications « révolutionnaires » depuis un peu plus de vingt ans (Axel Dörner, Rhodri Davies, Mark Wastell, Michel Doneda, Phil Durrant, Franz Hautzinger, Burkhard Beins, Birgit Ulher, Keith Rowe etc… ) tout en se singularisant de ce mouvement. Tout à fait plus que remarquable.
The Wind Wends Its Way Round. Karoline Leblanc Paulo J. Ferreira Lopes atrito afeito 012
https://atrito-afeito.com/atrito-afeito-012/
La pianiste québécoise Karoline Leblanc nous propose ici un album alternant solos de piano et duos avec le batteur Paulo J Ferreira Lopes (en 1/ 3/ et 6/). Son jeu emporté, lyrique et aérien évoquera pour celui d’Irène Schweizer. Chaque pièce aux durées pas trop longues (9 :57, 7 :53, 5 :49, 3 :26, 7 :03, 5 :08) développe une musique puissante, multirythmique, dissonante, foisonnante et focalisée sur des possibilités de jeux complexes, organiques et tournoyantes. On admire son travail dans les graves avec des réitérations de clusters oscillantes, grondantes ou lumineuses. La participation active du free-drumming de Ferreira Lopes apporte une puissance et un challenge bienvenus dans un chassé – croisé ludique vitaminé qui pousse la pianiste à tourner sur elle-même et se laisser emporter par les irrésistibles vagues – bourrasques du flux instrumental. Karoline Leblanc plonge dans le clavier et l’embrasse à pleines mains empilant et déconstruisant de denses conjonctions harmoniques (Obsidiennes) dans une veine aussi poétique que « constructionniste ». Plus loin , elle mesure adroitement la résonnance et les intervalles impairs avec des arpèges qui changent d’humeur à chaque seconde, enfonçant puissamment les notes en contrastes aigus, pointilleux, perlés (Porter les Pas). Dans Sillages, on voit littéralement ses mains se croiser et s’abattre sur les occurrences du clavier sur sa largeur et toutes ses latitudes, obstinément, et en faisant tournoyer les grappes de notes sous leurs multiples coutures et leurs couleurs étincelantes. On songe à Fred Van Hove aussi touchant même si moins « ambitieux. Et quel savoir-faire, quelle précision au niveau du timing ! C’est un magnifique album pour se laisser emporter, rêver et se réveiller au bord de l’aube. Très remarquable.
Jean-Marc Foussat & Guy Frank Pellerin les Beaux Jours FOU RECORD FR-CD 54
https://www.fourecords.com/FR-CD54.htm
Intense et orageuse musique électronique « vintage » - boucles éthérées ou effets d’orgue ou de claviers – synalgies de l’irrésolu - (AKS de Jean-Marc Foussat) aiguillonnée et déchirée par les morsures extrêmes du saxophoniste soprano (Guy Frank Pellerin). Le sentiment de durée de leurs improvisations (22, 19 et 25 minutes), s’amenuise au fur et à mesure où les sortilèges s’abattent dans cette météo de l’instant surgissant. Une belle variété de jeux dans les phases de jeux fait que l’on ne suit plus l’ordonnancement de la musique, ni sa logique. On trouve un fil conducteur impalpable dans les nombreuses suggestions qu’elle évoque. Glissements, ponctuations, oscillations de timbres fous, vent sauvage sous la toiture éventrée, éclatement sonique des articulations du souffle et des doigtés du sax droit, rage du souffleur, tourbillons sonores lacérés, les voix folles et hébétées des haut-parleurs. Le son du sax est parfois traité, voire torturé par l’opérateur électronique. Murmures planants au départ de Phase de nuit à peine audible, croassements…. Poème de Tristan Tzara, mer d’émeraude de Guy – Frank, l’enregistrement est assorti de signes poétiques et cette poésie est immanente dans la musique. Une moto ronronnante s’échappe et le son lancinant du sax s’élance dans l’infini. On devine la présence d’un piano où s’agite(nt) un deux objets – jouets. Le souffleur étire les scories des vibrations de la colonne d’air alors que les sonorités électro s’enveloppent, se superposent, s’étirent ou se contractent. Les touches du piano tintent et sursautent , agitent les suraigus déchirants et les notes mouvantes et brûlantes du saxophone ténor. Le paysage est en perpétuelle mutation jusqu’au silence où se révèle les lentes notes tenues de Guy Frank, sifflements du désespoir où d’un matin qui se lève au bord de mer. Une musique définitive de l’indéfinissable. Un super dialogue entre des faisceaux d’intentions très diversifiés sous le sceau de l’audace zen bruissante. La qualité sensible de la musique transcende la performance « instrumentale » pour laisser s’exprimer nos fantômes, découvrir nos obsessions ou laisser flotter le subconscient. Ne pas essayer de comprendre ou de juger et se laisser envahir par l’expérience des sens.
Album invisible sur le site web du label Moosicus – un label jazz « large public ».
https://propermusic.com/products/marionbrownquartet-maryannliveinbremen1969
Marion Brown Quartet ! Enregistré le 24 avril 1969 à la légendaire Lila Eule de Brême par Radio Bremen, là où l’Octet de Peter Brötzmann avait gravé Machine Gun en mai 1968. À la batterie rien moins que Steve Mc Call en personne avec qui Marion Brown avait déjà enregistré Gesprächfetzen en compagnie de Günter Hampel, le trompettiste Ambrose Jackson et le contrebassiste Busch Niebergall le 20 septembre 1968. Le 17 mai 1969 à Wurzburg, Marion, Gunther et Steve enregistreront les morceaux de « Marion Brown in Sommerhausen » avec Jeanne Lee et Daniel Laloux. Rappelons encore l’illustre et explosif « Porto Novo » de décembre 1967 en compagnie d’Han Bennink et de Maarten Altena. Ce double CD « Mary Ann » est fort bienvenu, il s’agit d’un témoignage relativement bien enregistré d’un « vrai » groupe de Marion Brown jouant son répertoire personnel avec un quartet qui se moule dans la thématique de ses compositions de manière un peu plus conventionnelle que le groupe bicéphale Brown - Hampel ou le trio avec le percutant (et violent) Han Bennink à la batterie. Les huit compositions captées en club sont étendues dans la durée , Mary Ann dépasse les 24 minutes au CD 1 et Juba Lee, qui donne son nom à l’album publié par Phillips Fontana, atteint les 26 minutes. Les musiciens en profitent pour improviser, chercher des sons, s’égarer, transformer les atmosphères et nous entraîner dans leur délire. Et swinguer comme dans Ode to Coltrane ou Mary Ann. Le bassiste Sigi Busch est connu pour son travail avec Joe Viera, Charlie Mariano, Jasper Van ‘t Hof, Wolfgang Dauner, Toto Blanke et à l’époque il jouait dans le quartet du saxophoniste Joe Viera et du tromboniste Ed Kröger, qu’on retrouve dans le Requiem pour Che Guevara, Martin Luther King et JF Kennedy de Fred Van Hove. Busch et Kröger, ayant des affinités communes, n’ont aucune difficulté à s’intégrer auprès du binôme Marion Brown et Steve Mc Call. La liberté ludique que Sigi Busch s’octroie dans Gesprächfetzen fait de sa performance un marqueur dans l’évolution de la contrebasse free des années 60, tout comme Alan Silva chez Cecil Taylor (Student Studies 1966) ou le Barre Phillips de Journal Violone a/k/a Basse Barre enregistré l’année précédente. Écoutez le final du concert, Study for 4 instruments, on entre là dans ce que deviendra le free-jazz plus pointu des années 70 sous l’influence des Roscoe Mitchell, Leo Smith et Anthony Braxton. Mais dès le départ, s’impose le lyrisme étonnant de Marion Brown, sa sonorité unique (elle évoque la pureté d’un Johny Hodges , le père du sax alto jazz), ses intervalles en dents de scie, ses staccatos éclairs qui aboutissent à une spirale mélodieuse. Chaque CD contient quatre longs morceaux développés jusqu’à plus soif avec une aisance et une cohérence merveilleuses et pimentées par une vraie prise de risque au niveau du temps de jeu. En effet, une composition atteint les 20 minutes, trois autres dépassent largement ces 20 minutes et deux, les dix-sept minutes, sans jamais nous lasser. Marion Brown est un artiste essentiellement collectif qui, en tant que leader, laisse s’exprimer ses camarades à parts égales dans un principe assumé d’égalité et de généreuse collaboration. On ressent un véritable souffle d’enthousiasme émotionnel dans le groupe. Avec Steve Mc Call, nous sommes particulièrement gâtés : propulsant le groupe en accélérant et croisant les tempi et les beats, il emporte ses collègues dans une autre dimension. Il n’hésite pas à chercher et à jouer des « petits » sons espacés de silence, ouvrant le jeu collectif aux audaces du contrebassiste. Chacun donne le meilleur de lui-même. Le tromboniste Ed Kröger, un peu timide au départ, ouvre son coeur et insuffle un supplément d’âme. Il s’agit d’un document irremplaçable de la réalité vécue du free-jazz des années 60, musique du partage et du voyage, de l’amitié et de l’instant. Gloire à Marion Brown et à sa superbe inspiration qui incarne les valeurs les plus profondes et le message ultime de cette musique improvisée collective quand elle s’appelait New Thing - Free Jazz - Great Black Music !
Remarque : il s'agit d'un enregistrement de bonne qualité et approuvé par la famille de Marion Brown. Son fils Djinji en a rédigé les notes de pochette.
Jacques Demierre - Martina Brodbeck a falling sound insub records 2CD
https://insub.bandcamp.com/album/a-falling-sound
Notes pour cet intrigant double album de Jacques Demierre piano et Martina Brodbeck violoncelle :
A recording of a piano tuning session was the starting point for a series of different pieces, all of which question the experience of measurement. These two pieces, «about a thousand years» and «a falling sound», for piano and cello, are a new stage in this process. If the music results from a work of measurement - that of the piano as a territory and of its different acoustic regions, both the voice of Pandit Prân Nath, which gave rise to the playing and scordatura of the cello, and the bass of one of Arturo Benedetti Michelangeli's pianos, used for this recording, were other equally determining influences. (Jacques Demierre)
Music composed by Jacques Demierre (SUISA) in collaboration with Martina Brodbeck
The titles are taken from haïku by Matsuo Basho in “Basho: The Complete Haiku”, Kodansha International
Recorded December 21st, 2022 by Antoine Etter at Phonotope Studio, Renens
Mixed and mastered January 23rd, 2023 by Antoine Etter at Phonotope Studio, Renens
Je ne vais pas épiloguer sur les intentions des deux artistes. Il s’agit de deux œuvres expérimentales très « pointues » construites et développées au départ de quelques constatations de particularités de la pratique physique du piano et du violoncelle. À mon sens, il s’agit pour l’auditeur (« informé » ou occasionnel d’une expérience auditive, sensorielle. Le pianiste réitère inlassablement le jeu d’une touche ou deux touches comme le ferait un accordeur en en modifiant légèrement et très soigneusement le son, le timing, la résonance de manière obsessionnelle. La violoncelliste fait vibrer légèrement une note en un filet de son proche du sifflement mumuré en créant d’infimes glissandi. Une oreille exercée saisira immédiatement la maîtrise instrumentale intense peu commune de Jacques Demierre au piano et Martina Brodbeck au violoncelle. About a thousand years dure 47 minutes 54 secondes et c’est au fil des minutes qui semblent paraître interminable que la musicalité inhérente à cette entreprise, son chant intime, son lyrisme secret s’affirme et s’impose à moi. C’est bien sûr mon expérience d’écoute et ma pratique de vocaliste qui œuvrent à ma perception très positive de leur travail. Faut-il informer le public que pour devenir « un excellent instrumentiste musicien » de haut vol, il faut s’adonner interminablement / obsessionnellement à des exercices avec une seule note, un seul son depuis l’intensité pianissimo jusqu’au forte ou au fortissimo avec les variantes de crescendo et decrescendo etc… Cela pour le piano, le violon, la voix humaine, les instruments à vent, etc… et cela requiert dès le départ une concentration maximale. De même l’accordage très lent du piano ou les possibilités de la scordatura, soit les modifications d’accord du violoncelles. De là à créer une musique cohérente avec ses éléments très basiques de la pratique instrumentale, il n’y a qu’un pas que nos deux artistes franchissent avec un très grand talent. Un album à insérer dans la lignée de ces improvisateurs radicaux qui ont transformé ou redéfini la pratique de l’improvisation expérimentale et de leurs publications « révolutionnaires » depuis un peu plus de vingt ans (Axel Dörner, Rhodri Davies, Mark Wastell, Michel Doneda, Phil Durrant, Franz Hautzinger, Burkhard Beins, Birgit Ulher, Keith Rowe etc… ) tout en se singularisant de ce mouvement. Tout à fait plus que remarquable.
The Wind Wends Its Way Round. Karoline Leblanc Paulo J. Ferreira Lopes atrito afeito 012
https://atrito-afeito.com/atrito-afeito-012/
La pianiste québécoise Karoline Leblanc nous propose ici un album alternant solos de piano et duos avec le batteur Paulo J Ferreira Lopes (en 1/ 3/ et 6/). Son jeu emporté, lyrique et aérien évoquera pour celui d’Irène Schweizer. Chaque pièce aux durées pas trop longues (9 :57, 7 :53, 5 :49, 3 :26, 7 :03, 5 :08) développe une musique puissante, multirythmique, dissonante, foisonnante et focalisée sur des possibilités de jeux complexes, organiques et tournoyantes. On admire son travail dans les graves avec des réitérations de clusters oscillantes, grondantes ou lumineuses. La participation active du free-drumming de Ferreira Lopes apporte une puissance et un challenge bienvenus dans un chassé – croisé ludique vitaminé qui pousse la pianiste à tourner sur elle-même et se laisser emporter par les irrésistibles vagues – bourrasques du flux instrumental. Karoline Leblanc plonge dans le clavier et l’embrasse à pleines mains empilant et déconstruisant de denses conjonctions harmoniques (Obsidiennes) dans une veine aussi poétique que « constructionniste ». Plus loin , elle mesure adroitement la résonnance et les intervalles impairs avec des arpèges qui changent d’humeur à chaque seconde, enfonçant puissamment les notes en contrastes aigus, pointilleux, perlés (Porter les Pas). Dans Sillages, on voit littéralement ses mains se croiser et s’abattre sur les occurrences du clavier sur sa largeur et toutes ses latitudes, obstinément, et en faisant tournoyer les grappes de notes sous leurs multiples coutures et leurs couleurs étincelantes. On songe à Fred Van Hove aussi touchant même si moins « ambitieux. Et quel savoir-faire, quelle précision au niveau du timing ! C’est un magnifique album pour se laisser emporter, rêver et se réveiller au bord de l’aube. Très remarquable.
Jean-Marc Foussat & Guy Frank Pellerin les Beaux Jours FOU RECORD FR-CD 54
https://www.fourecords.com/FR-CD54.htm
Intense et orageuse musique électronique « vintage » - boucles éthérées ou effets d’orgue ou de claviers – synalgies de l’irrésolu - (AKS de Jean-Marc Foussat) aiguillonnée et déchirée par les morsures extrêmes du saxophoniste soprano (Guy Frank Pellerin). Le sentiment de durée de leurs improvisations (22, 19 et 25 minutes), s’amenuise au fur et à mesure où les sortilèges s’abattent dans cette météo de l’instant surgissant. Une belle variété de jeux dans les phases de jeux fait que l’on ne suit plus l’ordonnancement de la musique, ni sa logique. On trouve un fil conducteur impalpable dans les nombreuses suggestions qu’elle évoque. Glissements, ponctuations, oscillations de timbres fous, vent sauvage sous la toiture éventrée, éclatement sonique des articulations du souffle et des doigtés du sax droit, rage du souffleur, tourbillons sonores lacérés, les voix folles et hébétées des haut-parleurs. Le son du sax est parfois traité, voire torturé par l’opérateur électronique. Murmures planants au départ de Phase de nuit à peine audible, croassements…. Poème de Tristan Tzara, mer d’émeraude de Guy – Frank, l’enregistrement est assorti de signes poétiques et cette poésie est immanente dans la musique. Une moto ronronnante s’échappe et le son lancinant du sax s’élance dans l’infini. On devine la présence d’un piano où s’agite(nt) un deux objets – jouets. Le souffleur étire les scories des vibrations de la colonne d’air alors que les sonorités électro s’enveloppent, se superposent, s’étirent ou se contractent. Les touches du piano tintent et sursautent , agitent les suraigus déchirants et les notes mouvantes et brûlantes du saxophone ténor. Le paysage est en perpétuelle mutation jusqu’au silence où se révèle les lentes notes tenues de Guy Frank, sifflements du désespoir où d’un matin qui se lève au bord de mer. Une musique définitive de l’indéfinissable. Un super dialogue entre des faisceaux d’intentions très diversifiés sous le sceau de l’audace zen bruissante. La qualité sensible de la musique transcende la performance « instrumentale » pour laisser s’exprimer nos fantômes, découvrir nos obsessions ou laisser flotter le subconscient. Ne pas essayer de comprendre ou de juger et se laisser envahir par l’expérience des sens.
2 août 2023
Gianni Mimmo & Harri Sjöström/ Didier Fréboeuf & Jean-Luc Petit/ Timo van Luijk & Kris Vanderstraeten/ Maria Da Rocha Ernesto Rodrigues Daniel Levin João Madeira
Wells Gianni Mimmo & Harri Sjöström Amirani AMRN074
https://www.amiranirecords.com/editions/wells
https://harrisjostrom.bandcamp.com/album/wells-2
Ensemble, ces deux saxophonistes sopranos font plus qu’évoquer feu Steve Lacy, leur maître : Gianni Mimmo et Harri Sjöström. C'est leur deuxième album en duo (après Bauchhund, même label) et ils partagent aussi un groupe commun. On connaît la polémique au sujet des « copycats ». De la stupidité totale. D’abord, il faut savoir jouer du saxophone (sporano!) à un (très) haut niveau pour s'approcher de la performance de Steve Lacy et ces deux artistes ont une expressivité, une sensibilité indéniables. Steve Lacy était un artiste aussi indispensable et fascinant que l’était John Coltrane. Tout comme John Coltrane ou Lester Young avant lui, Lacy avait tellement de talent et sa musique était tellement lumineuse et évidente qu’elle a entraîné des « suiveurs », des fidèles qui ont étudié son travail. À l'époque où Coltrane n'avait pas encore joué publiquement du sax soprano, Steve Lacy était déjà un maître de l'instrument (cfr ses albums Evidence avec Mal Waldron et Elvin Jones et Evidence avec Don Cherry). Tout comme Dave Liebman, Joe Farrell, Alan Skidmore ou Paul Dunmall ont marché dans les pas de Coltrane, nos deux amis, Gianni et Harri ont évolué dans la direction indiquée par Lacy. Certains artistes choisissent de créer un univers radicalement différent de leurs prédécesseurs, comme l’ont fait Albert Ayler, Anthony Braxton, Evan Parker, John Butcher ou Michel Doneda, d’autres suivent avec enthousiasme l’enseignement d’un grand maître afin d’acquérir une base solide pour apprendre leur instrument avec un maximum d’exigence musicale et un travail intense … Pour ensuite se surpasser et imprimer leur marque personnelle. Copieurs, on s’en fout ! Jouer ainsi ensemble avec deux sax sopranos en duo avec autant d’à-propos, ce n’est pas donné à tout le monde. Il faut vraiment être de mauvaise foi ou un peu crétin pour y trouver matière à critique (négative). Écoutez honnêtement un gros paquet d’albums bien choisis de Paul Dunmall et comparez-le ensuite à son maître Coltrane et vous pourrez mesurer … le travail intense et démesuré de ce saxophoniste de l’impossible. C’est un peu ce qui se passe dans ce duo : en combinant leurs talents et leurs sensibilités dans l'improvisation "totale", Gianni Mimmo et Harri Sjöström magnifient les facettes infinies du saxophone droit, le difficile sax soprano, auquel s’ajoutent les facéties de Sjöström au sax sopranino, un instrument tout à fait ingrat, ne fut-ce que pour en assurer sa « justesse ». Nous avons ici l’impression de nous balader dans des galeries infinies de miroirs déformants, où s’étirent, se compressent ou spiralent à l’infini toutes les combinaisons sonores, timbrales, harmoniques, mélodiques de ces deux saxophones en face à face avec une myriade de suggestions, répons, fragments mélodiques, harmonies induites ou perçues, imbrications, imprécations, caquetages, articulations fébriles ou hyper contrôlées. Qui joue quoi : Harri ou Gianni, vous seriez bien en peine de le deviner. Donc, écoutons. Une musique profondément sensible, éthérée, intime, intense un partage profond de la « matière », un sens étonnant des couleurs. Gianni représente un peu le côté un peu sérieux – organisé de Steve et Harri, son côté « canard » (The Duck !) avec un brin de Lol Coxhill. Inépuisable (Wells ?). Mais en écoutant maintenant le duo de Lacy avec Evan Parker (Chirps/FMP) et ce Wells à la suite, je n’arrive pas à me décider sincèrement lequel de ces deux albums je préfère. Evan Parker a écrit un texte en utilisant toutes les lettres de des prénoms et patronymes de Gianni Mimmo et Harri Sjöström pour exprimer son ravissement. En fait, cet album est génial !
Crusts Didier Fréboeuf & Jean-Luc Petit FOU Records FR-CD 48
https://fourecords.com/FR-CD48.htm
Duo piano et anches. Plus exactement, Didier Fréboeuf, le pianiste, est aussi crédité clavietta et objets et le souffleur Jean-Luc Petit, sax ténor et sopranino ainsi que clarinette contrebasse. Trois Crusts (trad. littérale croûtes) intitulées Bark (16:44), soit écorce, Scab (12:14) soit gale … ou croûte et Crisp (16:03), soit croustillant. Titres pas mal choisis par rapport à la musique improvisée qu’ils jouent toutes oreilles l’un vers l’autre : ces deux-là ne restent pas à la surface des choses. Ils travaillent en profondeur leurs échanges en développant une belle variété de modes de jeux tant au clavier et dans les cordages qu’ aux anches. J’apprécie le jeu sec et mordant, elliptique et contemporain de Jean-Luc Petit au sax ténor à travers différentes phases de jeu face au travail concis sur l’approche rythmique et le toucher de Didier Fréboeuf, un musicien à la fois expérimenté question harmonies et au savoir schoenbergien mis en pratique de manière spontanée (Bark). La deuxième improvisation est un peu un challenge des « opposés » : face aux dix doigts et deux mains maniant le clavier et toutes leurs possibilités, le souffleur a choisi d’emboucher son énorme clarinette contrebasse plus propice à créer des sonorités étranges que d’articuler d'agiles phrases mélodiques vu la grande « gravité » de l’instrument . Se basant sur l’écoute mutuelle, l’imagination et le goût pour le sonore du très grave bourdonnant à l’extrême aigu d’harmoniques difficiles à contrôler de cette clarinette hors norme, un dialogue fructueux se crée au fil des minutes. C’est tout à l’opposé dans Crisp où Jean-Luc Petit souffle dans son très volubile sax sopranino dont il maîtrise la technique et les hauteurs de chaque note. Il finit par colorer, saturer / grincer l’anche et le tube et faire sursauter son jeu par-delà clés et intervalles distendus face aux ostinatos et cadences mouvants et complexes du pianiste. Le jeu du chat et de la souris ou alors les gambades d’un écureuil feu-follet au milieu des écorces et feuilles mortes jonchées sur le sol à la recherche des noix, châtaignes et noisettes dont il rejette les écorces pour les grignoter ou qu’il rassemble pour les cacher sous les feuilles et la mousse jusqu’à l’hiver, afin d’ avoir plus d’un tour dans son sac comme nos deux improvisateurs. On croit l’entendre ronger son frein d’ailleurs en fin de parcours quand les doigts de Fréboeuf glissent sur le mince boudin fileté des cordes du grand piano.
Un très bon album qui fera un beau cadeau à une amie ou un ami en manque de musiques à écouter. C’est vrai que j’ai peine à entasser tous ces CD’s dont je vous abreuve de chroniques alambiquées ou déraisonnables.
Autour du Lac d’Asselt Timo van Luijk & Kris Vanderstraeten La Scie Dorée 2022 album vinyle
https://timovanluijkkrisvanderstraeten.bandcamp.com/album/autour-du-lac-dasselt-2
Nouvel album mirifique du duo du créateur d’objets sonores – détourneurs d’instruments Timo van Luijk et du percussionniste Kris Vanderstraeten. Hasselt est la ville chef-lieu de la province belge du Limbourg et fut, autrefois, une ville importante de la Principauté de Liège. Timo et Kris ont tous deux leurs racines dans cette région et le patronyme du premier, van Luijk, se traduit « de Liège » en français. Alors le lac d’asselt, pourquoi pas, surtout pour une musique qui appelle autant à la suggestion et à l’imaginaire par le truchement de la curiosité imaginative de ses deux protagonistes et de leur extrême sensibilité face aux vibrations, murmures et infimes sonorités provenant de leur instrumentarium un brin surréaliste. D’ailleurs, si on retrouve chez Kris l’utilisation très étendue d’un kit de percussions « fait-maison », il est assez difficile de deviner quels instruments, objets (bois, métaux, plastiques), Timo manipule, actionne sans précipitation et amplifie avec de curieuses résonnances. Il suffit de se laisser plonger dans l’écoute et la découverte. Cette musique évolue lentement dans un temps suspendu, un souffle fantomatique, des nuances irisées, au bord d’un silence intériorisé. Elle ignore la virtuosité pour se focaliser sur l’écoute attentive des sons produits, cherchés, découverts, entrevus ou abandonnés. Mais le moindre son émis compte et a sa raison d’être. Il en ressort un univers musical et sonore unique qui sollicite une rêverie féérique au-delà d’une vision théorique, dogmatique ou idéologique. Timo Van Luijk anime son propre label vynile La Scie Dorée et travaille régulièrement avec Andrew Chalk, Christoph Heemann, Limpe Fuchs, Raymon Dijkstra, Frederyk Croene. Kris Vanderstraeten a enregistré en solo et avec Stefan Keune et John Russell, le trio Sureau, Dirk Serries et Martina Verhoeven.
Merveilleux !
Maria Da Rocha Ernesto Rodrigues Daniel Levin João Madeira Hoya Creative Sources CS782CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/hoya
Ernesto Rodrigues est la cheville ouvrière – responsable du label portugais Creative Sources, lequel a publié un nombre record d’enregistrements d’un nombre exponentiel d’improvisateurs du monde entier (ici N° 782 du catalogue !!). Altiste (violon alto), Ernesto a à cœur de réunir un maximum de collègues portugais et étrangers dans de nombreuses formations qui vont du duo ou trio, du quintet au grand orchestre avec un sens du collectif très prononcé Se dessine particulièrement une prédilection relativement récente pour les ensembles de cordes frottées (famille du violon) comme ce très intéressant Hoya. Violon : Maria Da Rocha, alto : Ernesto Rodrigues, violoncelle : Daniel Levin, contrebasse João Madeira, lequel est un de ses collaborateurs les plus proches si on en juge par leur discographie commune. Daniel Levin a, par exemple, travaillé et enregistré avec le saxophoniste Rob Brown, un « poids lourd » de la scène free-jazz authentique (William Parker, Matt Shipp et cie). Cet album est divisé , disons en trois parties. Pour commencer quatre solos (très) improvisés de chaque instrumentiste (cello - alto- contrebasse - violon). Ensuite, six duos qui réunissent chaque instrumentiste avec un des trois autres, ce qui permet d’entendre chacun trois fois avec un instrument différent. Pour terminer deux Quartets. Cela paraît bien organisé et logique, même un peu bien propre sur soi. En fait, cette structure un peu figée autorise toutes les incartades, leurs spécificités personnelles à s’épanouir et finalement l’auditeur partage d’heureux moments de poésie sonore, de découvertes inopinées des curiosités inhérentes à chaque instrument. Bien des choses sont possibles avec ces instruments à cordes, boisés, résonnants, vibrants, gratouillants, percutés col legno… avec une solide technique, de l’imagination, un sens ludique, une vision inventive de formes et d’échanges spontanés. Une série détaillée de pièces « uniques », bien différenciées par l’ambiance, l’intensité, les intentions du moment, l’inspiration, les cohérences ou les contrastes qui finissent par tracer une œuvre collective où s’inscrit un sentiment intense d’écoute et de respect mutuel. Bien sûr, on trouve là les avancées de la musique contemporaine où s’intègre, s’insuffle une sorte de folie inhérente à la libre improvisation. Mais aussi l’apaisement ou des frictions soniques. Appelez cela comme vous voulez, composition instantanée, deep listening ou non idiomatique, on s’en moque en fait. Ce qui compte c’est la musique et là, je vous assure que le compte y est. Vraiment remarquable.
https://www.amiranirecords.com/editions/wells
https://harrisjostrom.bandcamp.com/album/wells-2
Ensemble, ces deux saxophonistes sopranos font plus qu’évoquer feu Steve Lacy, leur maître : Gianni Mimmo et Harri Sjöström. C'est leur deuxième album en duo (après Bauchhund, même label) et ils partagent aussi un groupe commun. On connaît la polémique au sujet des « copycats ». De la stupidité totale. D’abord, il faut savoir jouer du saxophone (sporano!) à un (très) haut niveau pour s'approcher de la performance de Steve Lacy et ces deux artistes ont une expressivité, une sensibilité indéniables. Steve Lacy était un artiste aussi indispensable et fascinant que l’était John Coltrane. Tout comme John Coltrane ou Lester Young avant lui, Lacy avait tellement de talent et sa musique était tellement lumineuse et évidente qu’elle a entraîné des « suiveurs », des fidèles qui ont étudié son travail. À l'époque où Coltrane n'avait pas encore joué publiquement du sax soprano, Steve Lacy était déjà un maître de l'instrument (cfr ses albums Evidence avec Mal Waldron et Elvin Jones et Evidence avec Don Cherry). Tout comme Dave Liebman, Joe Farrell, Alan Skidmore ou Paul Dunmall ont marché dans les pas de Coltrane, nos deux amis, Gianni et Harri ont évolué dans la direction indiquée par Lacy. Certains artistes choisissent de créer un univers radicalement différent de leurs prédécesseurs, comme l’ont fait Albert Ayler, Anthony Braxton, Evan Parker, John Butcher ou Michel Doneda, d’autres suivent avec enthousiasme l’enseignement d’un grand maître afin d’acquérir une base solide pour apprendre leur instrument avec un maximum d’exigence musicale et un travail intense … Pour ensuite se surpasser et imprimer leur marque personnelle. Copieurs, on s’en fout ! Jouer ainsi ensemble avec deux sax sopranos en duo avec autant d’à-propos, ce n’est pas donné à tout le monde. Il faut vraiment être de mauvaise foi ou un peu crétin pour y trouver matière à critique (négative). Écoutez honnêtement un gros paquet d’albums bien choisis de Paul Dunmall et comparez-le ensuite à son maître Coltrane et vous pourrez mesurer … le travail intense et démesuré de ce saxophoniste de l’impossible. C’est un peu ce qui se passe dans ce duo : en combinant leurs talents et leurs sensibilités dans l'improvisation "totale", Gianni Mimmo et Harri Sjöström magnifient les facettes infinies du saxophone droit, le difficile sax soprano, auquel s’ajoutent les facéties de Sjöström au sax sopranino, un instrument tout à fait ingrat, ne fut-ce que pour en assurer sa « justesse ». Nous avons ici l’impression de nous balader dans des galeries infinies de miroirs déformants, où s’étirent, se compressent ou spiralent à l’infini toutes les combinaisons sonores, timbrales, harmoniques, mélodiques de ces deux saxophones en face à face avec une myriade de suggestions, répons, fragments mélodiques, harmonies induites ou perçues, imbrications, imprécations, caquetages, articulations fébriles ou hyper contrôlées. Qui joue quoi : Harri ou Gianni, vous seriez bien en peine de le deviner. Donc, écoutons. Une musique profondément sensible, éthérée, intime, intense un partage profond de la « matière », un sens étonnant des couleurs. Gianni représente un peu le côté un peu sérieux – organisé de Steve et Harri, son côté « canard » (The Duck !) avec un brin de Lol Coxhill. Inépuisable (Wells ?). Mais en écoutant maintenant le duo de Lacy avec Evan Parker (Chirps/FMP) et ce Wells à la suite, je n’arrive pas à me décider sincèrement lequel de ces deux albums je préfère. Evan Parker a écrit un texte en utilisant toutes les lettres de des prénoms et patronymes de Gianni Mimmo et Harri Sjöström pour exprimer son ravissement. En fait, cet album est génial !
Crusts Didier Fréboeuf & Jean-Luc Petit FOU Records FR-CD 48
https://fourecords.com/FR-CD48.htm
Duo piano et anches. Plus exactement, Didier Fréboeuf, le pianiste, est aussi crédité clavietta et objets et le souffleur Jean-Luc Petit, sax ténor et sopranino ainsi que clarinette contrebasse. Trois Crusts (trad. littérale croûtes) intitulées Bark (16:44), soit écorce, Scab (12:14) soit gale … ou croûte et Crisp (16:03), soit croustillant. Titres pas mal choisis par rapport à la musique improvisée qu’ils jouent toutes oreilles l’un vers l’autre : ces deux-là ne restent pas à la surface des choses. Ils travaillent en profondeur leurs échanges en développant une belle variété de modes de jeux tant au clavier et dans les cordages qu’ aux anches. J’apprécie le jeu sec et mordant, elliptique et contemporain de Jean-Luc Petit au sax ténor à travers différentes phases de jeu face au travail concis sur l’approche rythmique et le toucher de Didier Fréboeuf, un musicien à la fois expérimenté question harmonies et au savoir schoenbergien mis en pratique de manière spontanée (Bark). La deuxième improvisation est un peu un challenge des « opposés » : face aux dix doigts et deux mains maniant le clavier et toutes leurs possibilités, le souffleur a choisi d’emboucher son énorme clarinette contrebasse plus propice à créer des sonorités étranges que d’articuler d'agiles phrases mélodiques vu la grande « gravité » de l’instrument . Se basant sur l’écoute mutuelle, l’imagination et le goût pour le sonore du très grave bourdonnant à l’extrême aigu d’harmoniques difficiles à contrôler de cette clarinette hors norme, un dialogue fructueux se crée au fil des minutes. C’est tout à l’opposé dans Crisp où Jean-Luc Petit souffle dans son très volubile sax sopranino dont il maîtrise la technique et les hauteurs de chaque note. Il finit par colorer, saturer / grincer l’anche et le tube et faire sursauter son jeu par-delà clés et intervalles distendus face aux ostinatos et cadences mouvants et complexes du pianiste. Le jeu du chat et de la souris ou alors les gambades d’un écureuil feu-follet au milieu des écorces et feuilles mortes jonchées sur le sol à la recherche des noix, châtaignes et noisettes dont il rejette les écorces pour les grignoter ou qu’il rassemble pour les cacher sous les feuilles et la mousse jusqu’à l’hiver, afin d’ avoir plus d’un tour dans son sac comme nos deux improvisateurs. On croit l’entendre ronger son frein d’ailleurs en fin de parcours quand les doigts de Fréboeuf glissent sur le mince boudin fileté des cordes du grand piano.
Un très bon album qui fera un beau cadeau à une amie ou un ami en manque de musiques à écouter. C’est vrai que j’ai peine à entasser tous ces CD’s dont je vous abreuve de chroniques alambiquées ou déraisonnables.
Autour du Lac d’Asselt Timo van Luijk & Kris Vanderstraeten La Scie Dorée 2022 album vinyle
https://timovanluijkkrisvanderstraeten.bandcamp.com/album/autour-du-lac-dasselt-2
Nouvel album mirifique du duo du créateur d’objets sonores – détourneurs d’instruments Timo van Luijk et du percussionniste Kris Vanderstraeten. Hasselt est la ville chef-lieu de la province belge du Limbourg et fut, autrefois, une ville importante de la Principauté de Liège. Timo et Kris ont tous deux leurs racines dans cette région et le patronyme du premier, van Luijk, se traduit « de Liège » en français. Alors le lac d’asselt, pourquoi pas, surtout pour une musique qui appelle autant à la suggestion et à l’imaginaire par le truchement de la curiosité imaginative de ses deux protagonistes et de leur extrême sensibilité face aux vibrations, murmures et infimes sonorités provenant de leur instrumentarium un brin surréaliste. D’ailleurs, si on retrouve chez Kris l’utilisation très étendue d’un kit de percussions « fait-maison », il est assez difficile de deviner quels instruments, objets (bois, métaux, plastiques), Timo manipule, actionne sans précipitation et amplifie avec de curieuses résonnances. Il suffit de se laisser plonger dans l’écoute et la découverte. Cette musique évolue lentement dans un temps suspendu, un souffle fantomatique, des nuances irisées, au bord d’un silence intériorisé. Elle ignore la virtuosité pour se focaliser sur l’écoute attentive des sons produits, cherchés, découverts, entrevus ou abandonnés. Mais le moindre son émis compte et a sa raison d’être. Il en ressort un univers musical et sonore unique qui sollicite une rêverie féérique au-delà d’une vision théorique, dogmatique ou idéologique. Timo Van Luijk anime son propre label vynile La Scie Dorée et travaille régulièrement avec Andrew Chalk, Christoph Heemann, Limpe Fuchs, Raymon Dijkstra, Frederyk Croene. Kris Vanderstraeten a enregistré en solo et avec Stefan Keune et John Russell, le trio Sureau, Dirk Serries et Martina Verhoeven.
Merveilleux !
Maria Da Rocha Ernesto Rodrigues Daniel Levin João Madeira Hoya Creative Sources CS782CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/hoya
Ernesto Rodrigues est la cheville ouvrière – responsable du label portugais Creative Sources, lequel a publié un nombre record d’enregistrements d’un nombre exponentiel d’improvisateurs du monde entier (ici N° 782 du catalogue !!). Altiste (violon alto), Ernesto a à cœur de réunir un maximum de collègues portugais et étrangers dans de nombreuses formations qui vont du duo ou trio, du quintet au grand orchestre avec un sens du collectif très prononcé Se dessine particulièrement une prédilection relativement récente pour les ensembles de cordes frottées (famille du violon) comme ce très intéressant Hoya. Violon : Maria Da Rocha, alto : Ernesto Rodrigues, violoncelle : Daniel Levin, contrebasse João Madeira, lequel est un de ses collaborateurs les plus proches si on en juge par leur discographie commune. Daniel Levin a, par exemple, travaillé et enregistré avec le saxophoniste Rob Brown, un « poids lourd » de la scène free-jazz authentique (William Parker, Matt Shipp et cie). Cet album est divisé , disons en trois parties. Pour commencer quatre solos (très) improvisés de chaque instrumentiste (cello - alto- contrebasse - violon). Ensuite, six duos qui réunissent chaque instrumentiste avec un des trois autres, ce qui permet d’entendre chacun trois fois avec un instrument différent. Pour terminer deux Quartets. Cela paraît bien organisé et logique, même un peu bien propre sur soi. En fait, cette structure un peu figée autorise toutes les incartades, leurs spécificités personnelles à s’épanouir et finalement l’auditeur partage d’heureux moments de poésie sonore, de découvertes inopinées des curiosités inhérentes à chaque instrument. Bien des choses sont possibles avec ces instruments à cordes, boisés, résonnants, vibrants, gratouillants, percutés col legno… avec une solide technique, de l’imagination, un sens ludique, une vision inventive de formes et d’échanges spontanés. Une série détaillée de pièces « uniques », bien différenciées par l’ambiance, l’intensité, les intentions du moment, l’inspiration, les cohérences ou les contrastes qui finissent par tracer une œuvre collective où s’inscrit un sentiment intense d’écoute et de respect mutuel. Bien sûr, on trouve là les avancées de la musique contemporaine où s’intègre, s’insuffle une sorte de folie inhérente à la libre improvisation. Mais aussi l’apaisement ou des frictions soniques. Appelez cela comme vous voulez, composition instantanée, deep listening ou non idiomatique, on s’en moque en fait. Ce qui compte c’est la musique et là, je vous assure que le compte y est. Vraiment remarquable.
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