16 mai 2021

XPACT 2 Stefan Keune Erhard Hirt Hans Schneider Paul Lytton/ Elisabeth Coudoux Emiszatett/ Olaf Rupp solo / Paul Dunmall Paul Rogers Mark Sanders

XPACT II Stefan Keune Erhard Hirt Hans Schneider Paul Lytton FMR CD601-0221
https://stefankeune.com/concerts/xpact/
https://handaxe.org/album/xpact-ii

XPACT n° 2 !! Enfin réunis après plus de trente ans sans le regretté Wolfgang Fuchs (RIP 1949 – 2016), mais avec le saxophoniste Stefan Keune au sax ténor, si j’en crois le crédit. Je rappelle que le premier album du Stefan Keune trio (Loft / Hybrid Music 1992) avait été enregistré avec Paul Lytton, ici crédité aux Tobriander laptop et miscellaneous table top objects (and percussions !), et le contrebassiste Hans Schneider, tous deux fondateurs du « premier » XPACT avec Erhard Hirt, guitar and electronics. Le groupe avait enregistré et publié Frogman’s View en 1984 sur le label Uhlklang, un sub-label Berlinois plus expérimental et électronique de FMP – SAJ. Après quelques années d’activités, XPACT s’est dissous pour des raisons de désaccord artistique entre Fuchs et Hirt au sein du King Übü Orkestrü, groupe dans lequel ces quatre musiciens étaient impliqués (avec Marc Charig, Torsten Müller, Radu Malfatti, Peter Van Bergen , Günter Christmann, Phil Wachsmann, Phil Wachsmann etc… ). Par rapport à l’album de 1984, on retrouve ces sonorités électroniques « trafiquées » de Hirt et celles de Lytton, lequel jouait alors d’objets et de cordes de guitare montés sur un cadre métallique amplifié. Question souffle, il y a quelques similitudes entre les attaques extrêmes de Fuchs à la clarinette basse et au sax sopranino, ces recherches de timbres et contorsions radicales de la colonne d’air et du bec et les morsures acides et les pépiements au sax ténor de Keune. Ce dernier évoque l’Evan Parker « abstrait » des années septante, mais avec un style et une « voix » immédiatement reconnaissable. Si ce groupe semble être un quartet de format « free jazz » par son instrumentation saxophone - guitare – contrebasse avec un percussionniste, il faut bien insister sur le fait que Paul Lytton ne joue pas de batterie ici, comme dans le trio avec Barry Guy et Evan Parker, mais improvise avec les moyens du bord , laptop et un attirail d’objets percussifs et créateurs de bruits étalés sur la surface d’une table. Une fois qu’il agite ses percussions et les éventuelles baguettes, on le reconnaît immédiatement à son imagination follement claudicante et contrastée. Quant à l’énigmatique contrebassiste Hans Schneider, il travaille de l’archet en s’insérant dans les frictions et fluctuations zébrées et éthérées des sons électroniques ou, étrangement dans le n°4, il fait résonner systématiquement deux notes graves d’un gros coup de patte nonchalant. Quatre improvisations de 29 :33 (Restart), 8 :10 (Immersion), 11 :27 (In Between) et 3:14 (After All). Il faut s’attendre à une palette étendue d’atmosphères, de dialogues différenciés et simultanés au sein d’une entité en perpétuel mouvement, dialogues en tournante impliquant successivement l’un ou l’autre, bouillonnements électroniques, extrêmes fragmentations de l’articulation faisant éclater, malaxer, étirer les timbres, cris, coups de langue, pincements du bec, vocalisations très brèves, explosif, volatile et ... quelle dynamique !! Surtout quand on pense que c'est joué au saxophone ténor. Parfois, on jurerait qu'il s'agirait d'un sax soprano. Cela s'appelle jouer sur le fil du rasoir. Le contrebassiste relève les effets de ses doigtés croisés et coups de langue répétés torturant la colonne d’air avec des coups d’archets frénétiques, des rotations d’harmoniques moirées ou des grondements sombres. Le décor évolue depuis une activité ludique assidue jusqu’à des sons épars dans les aigus planant dans le silence, cymbale frottée et murmure électronique. Ici, on explore de nombreuses possibilités, on tente le collègue, on essaie un son et puis un autre, on écoute , évalue, on laisse le temps s’étaler et les choses venir et se dérouler en ajoutant , après un silence réfléchi, ou une respiration, un son minime, une résonance, un choc, un fragment de phrase, un grincement jusqu’à ce que les sons et les bruits de l’imaginaire se croisent, se répondent, se fondent créant une trame. Connu, inconnu ? Gouvernail laissé pour compte ? Solo, dialogue, fil conducteur, logique, disruption, réactifs, la musique peut s’échauffer, se compresser, s’amplifier ou s’arrêter brusquement. Le morceau suivant a chaque fois une autre tonalité, une autre densité, une autre intention, une autre intensité : sa propre personnalité collective.

EARIS Emiszatett : Pegelia Gold Elisabeth Coudoux Matthias Muche Robert Landfermann Philip Zoubek Etienne Nillesen Impakt Records
https://impakt-koeln.bandcamp.com/album/emiszatett-earis

EARIS : The ear behind the iris – the idea of seeing without words , of forming a musical poem from the inner emotional landscape, which needs no words. cfr notes de pochette
Un cycle de douze compositions de la violoncelliste Elisabeth Coudoux proposées et conçues pour un remarquable sextet contemporain : la chanteuse Pegelia Gold, le tromboniste Mathias Muche, le contrebassiste Robert Landfermann, le pianiste (préparé) Philip Zoubek, aussi au synthé, et Etienne Nillesen à la caisse claire étendue. Former un poème musical de l’intérieur d’un paysage émotionnel ou du paysage émotionnel intérieur. Au-delà des émotions partagées par ce collectif, on est subjugué par la multiplicité des formes, des textures, des contrastes et des dynamiques activées et échangées au sein d’Emiszatett. L’écriture d’Elisabeth Coudoux se met totalement au service des capacités et de la volonté de chacun d’exprimer sa personnalité au niveau musical, la recherche sonore autant que la coexistence créative de différentes approches. Ces musiciens sont avant tout des improvisateurs radicaux de la région de Cologne, encore que la chanteuse Pegelia Gold apporte sa très belle voix sans « effet ». J’avais déjà chroniqué le précédent album d’Emiszatett (Physis) et on les retrouve sous la houlette du tubiste Carl Ludwig Hübsch dans Artblau : Other Kinds of Blue sur le même label Impakt qui rassemble une bonne partie de la crème des improvisateurs de Cologne. Évidemment, les techniques alternatives sont au rendez-vous et chaque contribution individuelle s’intègre comme une partie instrumentale constitutive d’un tout dont les paramètres et les formes s’évanouissent et se régénèrent dans des structures mouvantes, métamorphosées au fil des secondes ou des minutes. Si la plupart des pièces déploient des textures, des actions sonores, des ombres, des glissandi, notes tenues, détails pointillistes, on en trouve deux qui s’animent autour de séquences rythmiques avec la plus grande subtilité : le « gauche » Peculiar et le tournoyant et répétitif Earis qui pourrait être le support d’un chant et finit par évoluer dans un magnifique decrescendo en « decelerando ». EARIS est sans nul doute une des meilleures choses que la scène créative de la free music qui aborde une démarche vraiment originale susceptible de s’adresser aussi au public de la musique contemporaine, très important en Allemagne. Une très belle réussite impliquant des « jeunes » improvisateurs dont on devine à travers leurs enregistrements successifs, leur très solide potentiel. Musiciens et label Impakt à suivre absolument !!

Nowhere Near Olaf Rupp solo acoustic audiosemantics CD disponible
https://audiosemantics.bandcamp.com/album/nowhere-near


Une longue improvisation de 44 minutes d’une précision flamboyante à la guitare acoustique. Olaf Rupp est ce bon génie doué en techniques d’enregistrement et du traitement numérique du son qui a reconstitué l’entièreté du catalogue FMP – SAJ en digital et disponible sur https://destination-out.bandcamp.com/ : Cecil Taylor, Peter Kowald, Globe Unity, Wolfgang Fuchs, Hans Reichel, Peter Brötzmann, Fred Van Hove, Alex von Schlippenbach, Irene Schweizer, mais aussi Butch Morris, Wim Breuker, Radu Malfatti, Gunther Sommer, Misha Mengelberg, Keith Tippett, Evan Parker …et d’extraordinaires albums introuvables ailleurs et « physiquement » comme les Outspan Ein & Outspan Zwei du trio Brötzmann Van Hove Bennink. Tout un pan important des musiques improvisées documentées sur le même site. Lui-même a d’ailleurs documenté sa musique chez FMP : White Out / FMP CD131 et Life Science / FMP CD109 à la guitare électrique, sans parler de son trio violent et explosif avec Marino Pliakas et Michaël Wertmüller : Too Much is Not Enough (FMP CD 135), en français, plus que ça , tu meurs…
Mais c’est à la guitare acoustique avec les cinq doigts de la main droite, force clusters, accords ouverts, doigtés en zig-zags ou percussifs, effets d’harmoniques ou de sourdines, vagues d’ongles, etc… qu’il s’exprime dans une infinité de détails. Un conseil : si vous avez été séduit par Derek Bailey, Fred Frith ou croisé avec étonnement et plaisir le français Raymond Boni, l’américain Henry Kaiser ou mon ami John Russell aujourd’hui disparu, Olaf Rupp est vraiment le guitariste free à découvrir et à suivre. Tout récemment, il a publié un magnifique et incontournable duo avec (feu) Lol Coxhill sur son label audiosemantics démontrant sa capacité à créer du sens et à improviser aventureusement dans la durée avec un géant (trop méconnu). En solo (absolu), il a choisi la difficile école de l’enchaînement improbable de ce qui lui vient à l’esprit et sous les doigts dans l’instant révélant de nombreuses possibilités expressives et formelles de la six cordes. Celle-ci, jouée avec chacun des dix doigts et une coordination sans faille, traverse une dimension atonale, avec des formes libres et des effets sonores qui lui donnent une souffle orchestral. Cascades, escaliers sans fin, spirales, tourbillons, empilements d’angles et de coins, brisures, échos, résonnances, prodigalités d’intervalles multidimensionnels…. Légèreté et densité, tremblements effarés et assise rythmique inébranlable. Il semble atteindre l'impossible. Nowhere Near, en fait.
Si vous croyez que Derek Bailey est un génie, car vous êtes médusés par ses trouvailles (acoustiques ou électriques) etc.. , il vous faut alors compléter votre information et votre plaisir en écoutant Olaf Rupp, car c’est une approche tout à fait différente qui n’a en fait rien à voir musicalement, si ce n’est la qualité de la musique, elle, optimale. Les bases de la musique d’Olaf Rupp sont clairement plus « conventionnelles » que ce qui est perceptible dans la démarche de Derek Bailey. Chez Olaf, il y a un va et vient entre des formes récurrentes issues d’une pratique classique de la guitare et un jeu complètement free. Mais alors, je vous pose quand – même la question quels sont les éléments « conventionnels » - « traditionnels » enfouis dans le jeu de Derek Bailey, lequel insistait sur le fait que sa guitare devait être impeccablement accordée ? (Ces éléments m'ont d’ailleurs été corroborés par John Russell). J’attends votre réponse en commentaires. Bref, pour son instrument, Olaf Rupp est un musicien improvisateur incontournable et fascinant, toutes discussions d’écoles et de mouvances improvisées mises à part…. et Nowhere Near vous entraînera dans les mystères de cet instrument terriblement difficile et exigeant.
Paradise Walk Deep Whole Trio Paul Dunmall Paul Rogers Mark Sanders Multikulti Project MPI 034
https://multikultiproject.bandcamp.com/album/paradise-walk

Association de longue durée dans le format « jazz libre » le plus répandu, le trio sax/souffle – contrebasse – percussions. Ici Deep Whole, un trio de rêve dont cet album est sans doute son dernier enregistrement en date et assurément un des meilleurs dans le genre. Paul Dunmall est ici crédité saxophones soprano, alto et ténor ainsi que bagpipes. Paul Rogers amène son extraordinaire contrebasse à 7 cordes et 14 cordes sympathiques, instrument qui a aussi un registre proche du violoncelle et une sonorité différente de la bonne vielle contrebasse à quatre cordes. À la batterie, Mark Sanders. Sanders et Rogers forment une équipe empathique – télépathique depuis plus de trente ans : on les a entendus avec Evan Parker, Elton Dean et Howard Riley, et à de très nombreuses occasions avec Paul Dunmall. J’avais manqué cet album Paradise Walk à l’époque de sa sortie en 2016 et ayant pu l’acquérir tout récemment, je n’ai pu m’empêcher de vous en relater mes impressions et mes réflexions. Paul Dunmall, il faut le répéter, est un saxophoniste improvisateur majeur qui a embrassé une tâche colossale. En utilisant le maximum de techniques de souffle avec une étonnante projection du son et une articulation vertigineuse, il réalise l’intégration organique et spontanée de l’expérience pratique de la tradition jazz du sax ténor, de la théorie musicale et de l’imagination débridée de la musique libre, totalement improvisée Son talent de souffleur et d’improvisateur se situe au sommet musical de son instrument, auquel s’ajoute le sax soprano et les cornemuses, plus éventuellement selon les circonstances le sax alto, la flûte et les clarinettes… Si on reconnaît son style au ténor assez vite, celui-ci est assez extensible car il lui arrive d’évoquer successivement , Coltrane, dont il a enregistré de nombreux morceaux (certains jamais joués par d’autres), le Rollins d’Our Man in Jazz, Sam Rivers, Joe Henderson et même Jimmy Giuffre. Si, si , véridique !! Je peux vous faire écouter l’enregistrement où cela surgit…
Au soprano, il cultive une sonorité fluide avec un contrôle de la justesse à laisser bien des professionnels pantois et, là encore, c'est la vivacité de son articulation qui épate (cfr 1/ mema). Dans un autre morceau à la cornemuse (3/ involuntary music for others), PD fait siffler et exploser un de ses cornemuses ( la gaïda peut - être? ) et c'est alors au tour du batteur de s'affoller dans des incartades de dératé après avoir réalisé une intro d'anthologie. À plusieurs reprises, le régime baisse à quelques murmures du silence et le moment est venu où Paul Rogers développe ses glissandi multi-directionnels (intro de 2/ a road less travelled). Comme improvisateur, Dunmall ne calcule pas, ne prévoit rien, il improvise sans regarder dans le rétroviseur avec une générosité prodigue et une énergie fascinante. Le point fort de ce trio Deep Whole est la dynamique sonore du batteur Mark Sanders qui, tout en virevoltant sur fûts et cymbales prend bien soin de calibrer ses frappes pour créer un équilibre entre chaque instrument avec une classe peu égalée et une sensibilité vibrationnelle du toucher dans cette manière de « swinguer » free en dehors des barres de mesures avec un enchevêtrement de pulsations « élastiques »… Cette ouverture dans le champ sonore permet au contrebassiste Paul Rogers d’être entendu dans les détails. Car le jeu de Paul Rogers à l’archet est absolument unique en son genre : le timbre de sa contrebasse est d’une grande richesse sonore car il frotte deux ou trois cordes à la fois avec un archet « large » à l’allemande et les cordes sympathiques, qui se mettent en vibration lorsque la note de chacune est jouée, colorent le son « normal » avec une richesse harmonique, une sonorité boisée qu’on ne trouve nulle part ailleurs. Je le répète : unique. Cela semblera « moins » free (dans le sens avant-garde – non idiomatique *) que d’autres contrebassistes (je pense à Torsten Müller , Hans Schneider…). Mais en fait on s’en fout, car Paul Rogers joue et improvise extraordinairement bien, avec une flamme folle, déraisonnable, ne s’épargnant aucune peine, aucune complexité, en intégrant une dimension polyphonique…. Il s’est fait construire cette contrebasse par Alain Leduc, un luthier de Nîmes, par « facilité logistique », afin de pouvoir transporter l’instrument plus facilement en voyage. D’un point de vue instrumental, c’est beaucoup plus difficile, car il doit tenir compte de la spécificité des cordes sympathiques qui ne vibrent que si on joue à la hauteur précise sur une ou plusieurs des sept cordes de l’instrument. Et donc parmi tous les trios sax basse batterie, le Deep Whole Trio occupe une place à part que je n’hésite pas à situer au niveau du Spiritual Unity Trio d’Ayler Peacock Murray, du trio Rollins Henry Grimes Pete La Rocca (ou avec Wilbur et Elvin), Ornette Izenzon Moffett, Sam Rivers Dave Holland Barry Altschul et Parker Guy Lytton. Fabuleux !!
PS : autres albums du trio : Deep Whole FMR CD 243-0807 et That Deep Calling FMRCD370-0214.

9 mai 2021

Paul Rogers solo/ Lol Coxhill solo '85/ Natural Information Society w Evan Parker/ Sam Shalabi Matana Roberts Nicola Caiola/ Luis Vicente – Salvoandro Lucifora – Marcelo dos Reis – Joao Valinho

This is Where I Find Myself Paul Rogers audiosemantics digital
https://audiosemantics.bandcamp.com/album/this-is-where-i-find-myself

Grâce au guitariste Olaf Rupp, nous avons des nouvelles du contrebassiste Paul Rogers, sans doute un des spécialistes du gros violon parmi les plus doués de la scène free européenne.
Cela fait une vingtaine d’années que Rogers a adopté une contrebasse sept cordes avec quatorze cordes sympathiques, un instrument plus petit qui fait aussi songer à un violoncelle ou à une viole gambe, les cordes sympathiques ayant la propriété de renforcer et de colorer la sonorité, surtout à l’archet. Ce This is Where I Find Myself est un extraordinaire tour de force joué entièrement à l’archet par ce contrebassiste entendu fréquemment avec Elton Dean, Keith Tippett,Tony Levin et Paul Rutherford, quatre géants disparus. Son nom est associé à Paul Dunmall et Mark Sanders dans le superbe trio Deep Whole dont Multikulti a publié un autre magnifique album, Paradise Walk que je n’ai pu chroniquer ici faute d’avoir pu mettre la main sur une copie avant la semaine dernière. Il faut aussi rappeler son album solo Listen pour Emanem avec une contrebasse « normale », un autre solo pour Amor Fati (Being) et ce fabuleux Open Paper Tree avec Michel Doneda et Lê Quan Ninh pour FMP. Depuis qu’il a adopté cette contrebasse à six cordes qu’il habite en France et que ses vieux camarades sont décédés, le nom de Paul Rogers ne surgit plus dans les catalogues de disques dédiés à cette musique. Tout au plus No Business avait publié un double cd avec Dunmall, Dean et Levin (Remembrance) et on l’entend encore dans quelques albums de Paul Dunmall ou un digital only en compagnie de la tromboniste Sarah Gail Brand. Ah oui !! Avec Olaf Rupp et Frank Paul Schubert, Three Stories About Rain Sunlight and the Hidden Soil pour Relative Pitch. Que se passe-t-il ? Je crois bien que ces labels « importants » qui publient à tour de bras devraient solliciter Paul Rogers autant que Barry Guy ou Joëlle Léandre. D’abord , disons-le franchement : avec cette bonne vieille quatre cordes à mains nues sans électricité, il n’y pas photo : Paul est un contrebassiste avec une puissance rare, c’à-d la projection du son la plus forte. Son pizzicato est simplement monumental comme celui de Buschi Niebergall naguère, ou aujourd’hui, son compatriote John Edwards. Ici à l’archet avec sa contrebasse prototype, il accomplit des prouesses faisant sonner le plus souvent deux ou trois cordes à la fois avec une technique d’archet hallucinante, avec laquelle il lui arrive de jouer à plusieurs voix. Formellement sa musique est plus conventionnelle, construite et basée sur des structures d’accords ouverts, dans une manière qu’on pourrait qualifier de « folklore imaginaire» ou peut – être « postclassique ». Comme il l’explique lui-même , il n’y a pas de « but » dans sa démarche, si ce n’est de faire sonner son instrument et de jouer… l’impossible. Mais, je demande où a-t-on entendu tournoyer des sonorités de la sorte et créer cette dimension polyphonique. Après trois mises en bouche pour acclimater l’auditeur : Happening (6:10), Existing (11:05) et Living (5:21), il nous livre toute la gomme de son imagination et de son savoir-faire dans deux compositions – voyages de longue haleine : Flexible (24:02) et Now (27:21). Il s’agit alors de sagas imprévisibles, de fuites en avant, de débordements des sons, de recherches mélodiques hallucinantes, de glissandi sans solution de fin, de la vocalité inhérente aux cordes frottées, de percussivité de l’archet, de cadences infernales… avec un contrôle de l’instrument qui vous laisse abasourdi, pantois. On sait que des âmes bien – pensantes ou « subversives » vont dire que c’est trop virtuose pour être vrai, trop « idiomatique » ou que sais-je. Mais trêve de conneries, laissons-nous emporter par son rêve qui débouche sur une réalité vécue, ressentie, inspirée… GÉANT !!

Lol Coxhill '85 Slam SLAMCD2114
https://music.apple.com/gb/album/coxhill-85-live/1564741298

Lol Coxhill : enfin !! Enfin un album PHYSIQUE, un compact disc et donc pas un digital ou un CDr. Ces derniers temps, Liam Stefani a publié des solos et duos de Lol Coxhill avec le pianiste Pat Thomas disponible en digital only sur son label Scätter. Le guitariste Olaf Rupp propose aussi un duo avec Lol Coxhill et lui-même à la guitare sur son propre label audiosemantics (Poschiavo ) et Andrea Centazzo , un trio avec le trompettiste Franz Koglmann et Centazzo lui-même aux percussions en CDr (Speelunke Tapes/ Ictus) et datant de 1982. Trois enregistrements superlatifs qui auraient mérité d’être produits sur des labels « plus importants ». Mais que voulez-vous !!
C’est d’une époque bénie que date ce magnifique solo « absolu » de Lol Coxhill, enregistré dans un club de jazz de Cardiff le 29 juin 1985. Je répète encore que Lol Coxhill est un des saxophonistes les plus originaux de l’après be-bop, du free-jazz et des musiques improvisées, comme Ornette par exemple. Par rapport à ses propres albums solos de cette période (Dunois Solos /Nato, Lid /Ictus, Divers /Ogun ou encore L .C. Solo /Shock), nous trouvons ici la face plus « jazz » de sa musique en solitaire. Sans doute, s’est-il adapté au goût de la clientèle, car il tricote et détricote un ou deux standards dont un « I Thought About You » complètement transformé et surtout , il présente ses morceaux et n’hésite pas à mystifier l’assistance. « Prank » en anglais ! L’album contient plusieurs « Dialogue » numérotés 1, 2, 3 et 4 durant lesquels il s’adresse au public… de manière, disons, délirante. Par exemple, comme à l’époque les hommages pleuvaient, Lol dédie son hommage à un certain Buck Funk, saxophoniste du Sud des États- Unis qu’il aurait connu et l’aurait influencé. Un petit bémol :il y a une petite erreur dans la pochette, Buck Funk est (mal) ortographié Bunk Funk.. On peut entendre un duo de ce Buck Funk avec le Reverend Antony W Reves dans l’album Cou$Cou$ (Lol Coxhill/ Nato 1984) et il le fait revivre l’instant d’un morceau « Still for Buck » en s’efforçant de nous raconter par le détail les moments les plus croustillants de sa rencontre avec cet aîné légendaire tout en nous exprimant crûment son aversion du show-biz et de toutes les platitudes qui tournent autour. Juste après ses déclarations aigres-douces amères, on a droit à une extrapolation géniale de Night in Tunisia (Nit Picking), sinusoïdale à souhait, mais avec un sens du rythme assourdissant et un enchevêtrement de modes et une créativité mélodique détonnants… Comme rarement, il y a une très remarquable improvisation au sax sopranino (My Old Sopranino), instrument qu’il reprend à nouveau vers la fin du concert dans No Stranger, une autre perversion surréaliste de je ne sais quelle mélodie. Beyond the Rainbow est une version vénéneuse d’Over the Rainbow. Bref, le bonhomme est intarissable, subversif par rapport au jazz bon teint (swing, be-bop ou « contemporain »). Lol Coxhill est sans doute un des plus grands raconteurs de l’histoire du jazz. Un seul bémol : vers la fin du gig, le brouhaha des conversations devient gênant, malgré tous les efforts de Lol pour délivrer une performance étonnante question saxophone. Il retourne les gammes et le tracé mélodique dans tous les sens, narquois, ingénu, imprévisible et follement inspiré. Malgré la qualité d’enregistrement pas tout à fait « professionnelle », COXHILL ’85 est un document monument inaltérable et inoubliable. Merci à Nick Lea d'avoir déterré cette cassette datant d'il y a un tiers de siècle !! LOL COXHILL FOREVER !!

descension (Out of Our Constrictions) Natural Information Society with Evan Parker Eremite MTE 74-75 / Aguirre album vinyle
https://www.aguirrerecords.com/products/natural-information-society-with-evan-parker-descension-out-of-our-constrictions-2xlp-cd https://eremite.com/album/mte-74-75

Pour les Européens, le label Aguirre tient à votre disposition le nouvel album de la Natural Information Society du contrebassiste Joshua Abrams, ici joueur de guimbri en compagnie d’Evan Parker publié par Eremite et enregistré au Café Oto à Londres . Cela vous fera économiser les frais de port depuis les USA et découvrir la musique tribale groove acoustique de Joshua Abrams, un des artistes omniprésents chez Eremite. Natural Information Society se compose de Lisa Alvarado ( harmonium & effects), Joshua Abrams (guimbri), Mikel Patrick Avery (drums) et Jason Stein (clarinette basse)avec comme invité Evan Parker au sax soprano. Musique tournoyante autour d’un ostinato de pulsations et d’un riff incantatoire au guimbri, cordophone à trois cordes des Gnaouas du Maroc utilisé pour les musiques de transe. À l’écoute, il y a indubitablement une influence africaine dans ces pulsations hypnotiques, il s’agit clairement d’une musique de danse pour un rituel imaginaire, mais partagé en toute connaissance de cause par les musiciens Rien d’étonnant si Evan Parker s’est joint à la N.I.S. avec son saxophone soprano. Dans sa maturation musicale, E.P. a été fasciné par les musiques traditionnelles, même les plus primitives (Pygmées, flûtes du Rajasthan, etc..). Descension (Out of Our Constrictions) s’écoule d’une traite sur les quatre faces du double album, soit plus de 74 minutes ininterrompues. Sur la deuxième face, Evan évoque le jeu de Coltrane au soprano (India ?) sans pour autant souffler comme un damné comme Trane le faisait avec Elvin Jones. Une question de communion musicale appropriée avec ses collègues. Tout au long de la performance, Abrams et Avery modifient peu à peu la rythmique et les trois ou quatre notes jouées au guembri, tandis qu’Evan Parker se lance dans la respiration circulaire en croisant les doigtés sur quelques notes, elles-mêmes modifiées peu à peu, amplifiées et modulées de manière toujours aussi déconcertante tout en insérant de nouveaux éléments mélodiques. L’harmonium et la clarinette basse créent un contrepoint, une résonance, ponctuant la giration d’un bourdon timbré et sourd. Si le rythme paraît simple au premier abord, il y a, en fait, de subtiles altérations et de très brefs décalages dans la pulsation qui en accentuent la fascination et son efficacité à l’insu de l’auditeur non averti. Ce n’est pas nouveau : par exemple, les musiques de Transe et de Guérison du Balouchistan recèlent aussi des « anomalies » rythmiques qui sont à la base de la transe recherchée par le chaman-musicien (cfr album Ocora). L’ensemble fonctionne à merveille créant une communion complète des âmes et des sensibilités. Il arrive les battements de la langue de Parker sur l’anche suivent exactment la cadence isorythmique d’Avery et Abrams. Le clarinettiste Jason Stein intervient avec goût principalement en mêlant sa « voix » avec celle de Parker sur la face D. Les notes de pochette de Theaster Gates informent que les artistes se réfèrent au souffle et à la respiration, « breath », et à George Floyd qui est mort de ne plus pouvoir respirer par la faute d’un policier raciste : « I can’t breathe ». Un concert fascinant et bienvenu.


Cagibi : Sam Shalabi - Matana Roberts Nicola Caiola Musique Rayonnante digital
https://musiquerayonnante.bandcamp.com/album/cagibi-2010-2
Nous sommes au Cagibi à Montréal en 2010 et pour un soir le public écoute le trio ad hoc du guitariste Sam Shalabi, de la saxophoniste Matana Roberts et du contrebassiste Nicola Caiola. Trilogue basé sur l’écoute et des échappées soniques (la guitare quasi noise de Shalabi), lyriques (le chaleureux sax alto de Roberts) et discrètes (les pizz de Caloia). La musique vire de bord plus qu’à son tour, tentative pour dire, insister, trouver des ouvertures ou foncer malgré tout. Pas question de tracer un chef d’œuvre, mais plutôt d’affirmer la capacité à créer du sens, à divulguer les réserves d’énergie et à témoigner de la nature collective de cette musique. On oublie son nom, sa réputation, on hésite, on bouge les lignes, on transige, on affirme… Un paysage, une aventure prend forme. Et on joue pour un public qui s’ouvre peu à peu. La guitare de Shalabi dévoile des sonorités acides, des effets de slide dans un no man’s land de la six cordes. Matana Roberts, à la fois pensive et incantatoire, nous rappelle avoir séjourné à Montréal à cette époque et y avoir réalisé son déjà légendaire Coin- Coin Chapter One dans lequel Nicolas Caloia jouait du violoncelle. Au fil des minutes, l’intérêt grandit, des tensions se développent, Matana se fait plus incisive et le guitariste élabore des spirales urgentes et fiévreuses. Tout le monde passe un bon moment et les musiciens communiquent leurs sentiments en se créant des espaces mutuels, des opportunités de jeu… rafraîchissant leurs démarches dans l’instant. Rien d’extraordinaire peut – être, mais réellement touchant.

Light Machina Luis Vicente – Salvoandro Lucifora – Marcelo dos Reis – Joao Valinho Multikulti
https://multikultiproject.bandcamp.com/album/light-machina

Encore une réussite astucieuse combinant l’imagination et le savoir-faire du trompettiste Luis Vicente et le guitariste Marcelo dos Reiset mettant en valeur les capacités du tromboniste sicilien Salvoandro Lucifora et du percussionniste Joao Valinho. L’instrumentation originale est souvent une constante chez Vicente et dos Reis dans leurs récents projets. On conviendra que trompette – trombone – guitare – percussion n’est pas la formule qui court les rues. Marcelo dos Reis joue ici de la guitare électrique à peine amplifiée avec un style vraiment personnel. Le batteur, Joao Valinho, travaille sur des cadences cycliques en variant les frappes, souvent délicates au possible, et les angles d’attaque sur les différents coins et recoins de ses tambours et cymbales, ou se contente simplement de faire vibrer ses cymbales en arrière-plan. Comme c’est soigneusement enregistré et mixé , on se régals. Son sens inné de la dynamique et sa précision et l’imagination de son jeu free ouvrent le champ sonore aux deux souffleurs, le tromboniste axé sur des mélismes modaux et le trompettiste cherchant et trouvant les extrêmes de l’embouchure et du pavillon ou des contrepoints minimalistes. Alors que Luis Vicente va toujours plus loin en étendant ses éclats, filets de timbre, trouvailles mélodiques et la pression des lèvres exacerbée jusqu’au bruit, le guitariste attire l’attention par ces audaces tonales, clusters fugitifs et un sens inné de la syncope suggestive. Le tromboniste Salvoandro Lucifora apporte une dimension lyrique qui évoque Roswell Rudd et une épaisseur dans le timbre qui étoffe le son de Light Machina. Ce quartet soudé et à l’écoute sonne à la fois comme un groupe de jazz d’avant-garde et une association d’improvisateurs libres où chacun assume sa différence tout en servant la cause collective avec cohérence. De magnifiques espaces de créent où la musique évolue en apesanteur. Trois morceaux de 9:06 (Machina Girl), 14:42 (Saving Pigs) et 17:32 (The Rain Goat) dans lesquels, on entend défiler différentes combinaisons d’éléments formels et d’idées orchestrales, de motifs mélodiques et de bijoux sonores. Leurs titres sont peut-être l’expression d’un non-sense portugais qui m’échappe, mais chaque morceau développe une architecture orchestrale très équilibrée, remarquablement construite avec une insistance sur la dynamique, tout en favorisant au maximum la liberté d’improviser pour chacun de manière égalitaire avec une légèreté aérienne. Voilà un projet adroitement réussi qui met en évidence les qualités de chacun que la profonde connivence magnifie. En réécoutant encore et encore, de nouvelles perspectives apparaissent. Le label polonais Multikulti a encore eu la main heureuse.


LOL COXHILL AGAIN : the pics of the cassette of the Cardiff 's Gibbs Jazz Club gig 1985 that Nick Lea provided to SLAM for this exhilarating and fascinating issued recording album COXHILL '85.

5 mai 2021

Samo Kutin & Lee Patterson / Achim Kaufmann Harri Sjöström Adam Putz Melbye Dag Magnus Narvesen Emilio Gordoa/ Lauren Newton Myra Melford & Joëlle Léandre/ Ingrid Schmoliner Adam Putz Melbye & Emilio Gordoa/ Ferran Fages - Lluïsa Espigolé

The Universal Veil That Hangs Together Like a Skin Lee Patterson Samo Kutin Editions FriForma eff-007
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/the-universal-veil-that-hangs-together-like-a-skin

Samo Kutin nous avait livré un véritable OVNI sonore l’année dernière en compagnie du saxophoniste Martin Küchen : Stutter and Strike (Zavod Sploh 021). Samo est un fanatique de la « modified hurdy-gurdy » ou, si vous voulez, de la vièle à roue modifiée, amplifiée et il ajoute la réverbération de ressorts métalliques et autre objets. Démoniaque, hors norme, drone expressionniste envoûtant. Avec l’artiste sonore Britannique Lee Patterson, crédité lui amplified devices, chemical and mechanical synthesis, c’est une affaire plus en retenue par rapport à l’opus précité. Patterson est un habitué des projets du harpiste Rhodri Davies, du violoncelliste et percussionniste Mark Wastell ou du saxophoniste John Butcher et un des improvisateurs expérimentaux parmi les plus estimés actuellement en Grande Bretagne. Les deux musiciens unissent leurs moyens sonores et leurs sensibilités dans une expression quasi statique basée sur les vibrations de drones – textures et sonorités tenues dont l’enveloppe et l’ambiance évoluent imperceptiblement au milieu de glissandi insondables et de crépitements parasites, crissements et agrégats de timbres et de sons qui se délitent ou se renforcent avec une lenteur infinie. Chacune des six pièces enregistrées cernent des occurrences sonores bien distinctes comme s’ils avaient tous les deux une intention préalable minutieusement partagée, alors qu’ils fonctionnent à l’instinct. Cet esprit d’à-propos dans la réalisation d’une musique aussi « abstraite », peu formelle et aussi abrupte démontre bien que leur art est basé sur une expérience acquise par une pratique intensive et un enthousiasme communicatif. Dans le chef d’Inexhaustible Editions et FriForma, le label innovant en pointe, il y a une volonté éditoriale de grande qualité. Sur le fond blanc 000 de la pochette où aucun titre n’apparaît, une très remarquable reproduction d’une œuvre picturale circulaire signée Rachael Ewell, fascinante aquarelle où on distingue de minutieux pointillés blancs, des fonds bleux foncés recouverts d’un effet nuageux – laiteux ceinturant un cercle grossier noir avec des traces de vert et de bleu où s’impriment des pointillés minuscules et sous-jacents. À l’intérieur du triptyque de la pochette, un texte descriptif poétique de David Toop. Dans le genre drone textural expressif, c’est une réussite dont le registre se situe à une lieue du paraphernaliaque Stutter and Strike. Mais quelle réussite !! Musiciens et label à suivre.

Move in Moers Achim Kaufmann Harri Sjöström Adam Putz Melbye Dag Magnus Narvesen Emilio Gordoa Fundacja Sluchaj FSR 07/2021
https://sluchaj.bandcamp.com/album/move-in-moers

Un concert au festival de Moers en juin 2019 durant 43 minutes bien remplies qui se déroulent en rubans improvisés souples et saccadés dans une musique excellemment construite. Chacun s’affirme par petites touches et vagues sonores mesurées, le saxophone sopranino d’Harri Sjöström étire les notes avec une articulation d’oiseau des îles, lunaire et sautillant pour lequel le pianiste Achim Kaufmann trace des accords clairsemés de notes oscillantes. La batterie de Dag Magnus Narvesen résonne à peine sous les frappes précises et aléatoires décortiquant les pulsations comme si on secouait un mobilier précieux. Adam Putz Melbye frotte consciencieusement les cordes émettant des vibrations boisées et sourdes alors que le vibraphoniste Emilio Gordoa émet des signaux liquides et volatiles. Volatile est l’adjectif qui s’applique aux spirales et ellipses en coin du souffleur, élève de Steve Lacy qui évite soigneusement les modèles pour se concentrer dans une colloquialité d’oiseau parleur redistribuant gammes et intervalles et déchiquetant la pâte sonore à belles dents. Un sens de la prononciation achevé, même dans la frénésie. Cela finit par tournoyer grave avec un sens de l’équilibre précaire et reconsidéré au fil des secondes. Chacun des musiciens garde sa place tout en métamorphosant et s’échangeant les rôles au sein du quintet où tout le monde dirige et invente figures, signes, cadences, timbres, sonorités… Une belle anarchie assumée où chacun trouve sa place, sa partie, son espace. Le pianiste fait vibrer des harmoniques en calant les cordes alors que cela frotte, sussure, grince, avec des sons aigus flottant et interférant dans l’atmosphère dilatée ou contractée selon l’humeur et l’état d’esprit du moment. Une capacité à faire évoluer et transformer le paysage et l’intensité de l’ensemble, avec ses audaces, ses hésitations, ses lenteurs et ses fureurs. Le point de non-retour du free jazz dont il maintient adroitement des éléments expressifs et architectoniques. Savant dosage dans la répartition instrumentale et individuelle des actions improvisées dans l’instant. Remarquable quintet issu de la très active scène Berlinoise.

Lauren Newton Myra Melford Joëlle Léandre stormy whispers Fundacja Sluchaj
https://sluchaj.bandcamp.com/album/stormy-whispers-2

Sorti depuis quelques temps, j’ai enfin reçu d’une bonne âme ce magnifique enregistrement mettant en valeur leur savoir-faire d’improvisatrices et les qualités sonores individuelles investies dans la construction vivante d’un merveilleux trialogue. C’est à mon avis un enregistrement concluant pour chacune de ses trois musiciennes. La chanteuse vocaliste Lauren Newton et la contrebassiste Joëlle Léandre ont déjà partagé des aventures fascinantes en duo (18 Colours – Leo records) et en trio avec le saxophoniste Urs Leimgruber (Out of Sound – Leo Records). J’avais été refroidi par leur duo enregistré pour NotTwo records en raison de la qualité de l’enregistrement pas vraiment satisfaisante. Mais avec ses Stormy Whispers publiés par une autre compagnie polonaise, Fundacja Sluchaj, un label passionnant et intelligemment sélectif, on a droit à la haute qualité à tous points de vue, surtout qu’une pianiste inspirée s’est insérée avec un vrai bonheur dans leur relation tempétueuse avec un véritable équilibre, Myra Melford. Question chanteuse, je suis un fan absolu de la voix humaine, féminine et masculine et le talent incontestable de Lauren Newton réunit bien des atouts, en premier lieu sa voix est naturelle, comme l’eau coule d’une source de montagne, sans apprêt. Elle a la capacité extraordinaire de la transformer avec des outrances expressives, spontanément délirante, excessive, contrefaite, aliénée, bruitiste, pudique ou sarcastique, aspirant l’air, pointant dans l’aigu soprano avec une suprême aisance, se jouant de filets de voix volatile qu’elle contorsionne avec une puissance qui semble non contrôlée. On retrouve cette qualité vocale dans les frottements de l’archet de la contrebasse de Joëlle, avec ces microtons et glissandi expressifs, ces grondements expressifs, faisceau vocalisé de fréquences, cadences libérées. Un jeu naturel. On a droit à des duos plus intimes contrebasse - piano, voix – contrebasse et piano- voix. Et dans cette affaire, la pianiste Myra Melford travestit son piano en outil sonore au service de la dramaturgie collective, comme lorsqu’elle frappe dans les parois et les supports métalliques de la table d’harmonie alors que Lauren zozote et tente d’exprimer l’indicible au moyen de phonèmes éructés, chiffonnés, déchirés, … Cette rencontre vaut clairement le déplacement et illustre les possibilités musicales, sonores et expressives de la voix humaine, laquelle semble avoir du mal à être considérée par une frange importante du public axé sur les saxophonistes énergétiques, les pianistes brillants ou les guitaristes flashy alors que c’est l’instrument le plus flexible qui existe et que la musique improvisée est la musique flexible par excellence. Ce que ces Stormy Whispers prouvent à volonté…

GRIFF Ingrid Schmoliner Adam Putz Melbye Emilio Gordoa inexhaustible editions ie-025
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/griff

L’album commence étrangement par une note vibrante de contrebasse répétée à l’envi sur une pulsation isolée jusqu’à ce que le piano la rejoigne dans ce mouvement répétitif en imprimant des légères variations de faibles amplitudes et un ou deux changements de rythme. Cette introduction à la première composition, but still, donne le la d’un album curieux, pas comme les autres qui se distingue radicalement des nombreuses productions qui ont un air de famille avec bien d’autres. C’est le pari d’inexhaustible editions, ce label slovaque qui présente de plus en plus régulièrement la fraîcheur de choses nouvelles, inattendues, pointues hors des conventions inhérentes à la free-music, expression aujourd’hui cinquantenaire avec ses codes et sa tradition, ses icônes et valeurs sûres. Vous l’avez deviné, la pianiste Ingrid Schmoliner est une inconnue et avec ses deux collègues Emilio Gordoa, le vibraphoniste argentin de Berlin et Adam Putz Melbye, le contrebassiste norvégien de… Berlin, sont des membres éminents de la nouvelle génération intéressante et ambitieuse. Melbye et Gordoa ont été entendus avec Move d’Harri Sjöström et avec Matthias Müller, ce qui contribue à la cohésion de GRIFF. N’ayant jamais écouté Ingrid Schmoliner auparavant, c’est avec une curiosité récompensée que je me suis plongé dans cet album intrigant, en relevant que la pianiste a enregistré en trio avec Pascal Niggenkemper et Joachim Badenhorst, en solo et en duo avec Elena Kakaliagou pour corvo records. Ingrid Schmoliner manie très adroitement les effets hypnotiques de la répétition de plusieurs notes ou d’une ou deux grappes de notes (effet carillon de bell skin ) en conjonction avec des effets sonores joués par le contrebassiste et le vibraphoniste. Celui-ci utilise l’archet pour faire vibrer les lames de son vibraphone de manière intrigante et fantomatique. Au fil des minutes, bell skin se transforme en happening sonore peu descriptible si ce n’est que la vivacité du carillon contraste avec les constantes vibrations spectrales du vibraphone trafiqué et de la contrebasse striée de coups d’archet, l’ensemble transitant par un parasitage inouï de la cadence initiale par les interventions des deux acolytes, pour mourir avec un decrescendo de notes isolées au vibraphone. Une construction super bien menée. Moss rock développe une idée rythmique similaire au piano préparé, un carillon désarticulé et obsessionel dans lequel s’insère des sons parasites et des accents marqués sur des touches amorties. C’est assez radical comme conception dans le domaine de l’expression texturale ici martelée par un ostinato machinique qu’Emilio agrémente de coups métalliques à même une touche amortie de son vibraphone. Les coups pleuvent comme les marteaux d’une fabrique ensorcelée jusqu’à ce qu’ils s’arrêtent abruptement laissant s’échapper une vibration délétère. Et puis, sadiquement après un long silence, un cinquième morceau bref et non annoncé surgit dans la même veine, maculé de silences. La pianiste frappe littéralement et isolément quelques notes au clavier agrégeant à chaque battue des timbres et des notes différentes, certaines préparées créant un univers sonore mystérieux et hanté. Un projet audacieux et parfaitement maîtrisé en dehors des sentiers battus et illustré dans un beau triptyque avec des œuvres d’art de Lena Czernawiaska et un texte poétique d’Andrew Choate. i-e est un des labels à suivre par excellence !!

Ferran Fages From Grey to Blue Lluïsa Espigolé inexhaustible editions ie-032
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/from-grey-to-blue

Ci-dessous, extrait des notes de pochette de from grey to blue.
The resonance, the ticking over of a note, stretches out time; but notes always fade away at the same speed. Perhaps it is our memory that makes them last forever, that holds them for longer. They disarrange known places, connect spaces, tidy unknown places, filaments of shadow or fragments of light. It does not matter which.
With each note she plays, Lluïsa Espigolé captures that which is left in suspense, without movement, without emotion. She sets up a dialogue with resonance, she gives it a presence, she slows down expectations, should there be any.
From Grey To Blue (2018) is the result of a collaboration between Ferran Fages and Lluïsa Espigolé which has been ongoing since 2016. Ferran Fages October 2020
Gairebé res: malformacions del silenci / Barely anything: deformities of silence - Carles Camps Mundó
Guitarist, composer and improviser Ferran Fages (1974) works within various musical contexts, but most of his discography and experience centers around improvisation. Marked by an interest in minimalist and austere approaches, his music decontextualizes the relationship between soft acoustic sounds and bold electronic sounds. His interest in resonance and interpretive gestures serve him as a support in the search for the elasticity of sound. His recent works have been released on labels such as Another Timbre, Edition Wandelweiser or Confront. / ferranfages.net
Barcelona-based pianist Lluïsa Espigolé (1981) is intensively engaged in contemporary music: her activity is focused on performances and premieres as soloist, chamber musician, and increasingly in interdisciplinary projects, sound performances and free improvisation. She develops pedagogical activities with universities as well as with musical institutions in particular on piano music of the XX. and XXI. centuries and multimedia repertoire. She is currently professor of contemporary piano and chamber music at the CSMA University Of Music in Zaragoza. / lluisaespigole.com


Une composition en trois parties du gris au bleu (12:51 – 17:35 – 11:00) écrite par Ferran Fages pour la pianiste Lluïsa Espigolé dont j’appécie particulièrement la qualité de toucher et la force d’interprétation de l’oeuvre. Issu de la scène improvisée – expérimentale, le guitariste Ferran Fages, connu pour son travail dans la mouvance réductionniste – lower case, conçoit des musiques focalisées sur des intentions et des buts soigneusement délimités. Ici la mort lente du son du piano dans le silence en cultivant la résonance, la plasticité du son dans l’espace. L’ensemble composition - exécution – réalisation technique est optimal. Bon nombre d’improvisateurs radicaux ont rejoint les rangs des compositeurs « conceptuels » réunis dans la mouvance Edition Wandelweiser et another timbre, sans doute parce qu’ils ressentaient une limitation ou un blocage dans la démarche improvisée libre. Certains improvisateurs finissent sans doute par se répéter, d’autres ont la capacité d’étendre leurs moyens et de se/nous surprendre au fil des ans. Quoi qu’on fasse, il y a toujours une part d’inconnu si on en a la détermination. Et cet aspect des choses est bien ressenti dans from grey to blue. Félicitations à Ferran Fages, à la pianiste Lluïsa Espigolé et à l’équipe d’inexhaustible editions.

3 mai 2021

Jennifer Allum John Butcher Ute Kanngiesser Eddie Prévost/ Zsolt Sörès/ Daniel Thompson/John Butcher Sharon Gal David Toop/ Saadet Türköz & Nils Wogram

Jennifer Allum John Butcher Ute Kanngiesser Eddie Prévost Sounds of Assembly Meenna-964
https://matchlessrecordings.com/music/sounds-assembly

Depuis une dizaine d’années, la violoniste Jennifer Allum et la violoncelliste Ute Kanngiesser collaborent étroitement avec Eddie Prévost d’AMM et se sont investies dans son atelier d’improvisation avec un nombre croissant d’improvisateurs de la nouvelle génération, à Londres, faut-il le souligner. Le label d’Eddie, Matchless Recordings, a d’ailleurs publié leur excellent album en duo, Bell Tower Productions (MRCD90 2013) et il n’est pas rare que les deux musiciennes soient réunies dans divers projets avec l’incontournable percussionniste et philosophe de l’improvisation. Eddie et le saxophoniste John Butcher ont tous deux joué fréquemment en duo ou en groupe et enregistré des albums particulièrement minimalistes comme ce fascinant Interworks (MRCD66 - 2005) bien avant que les deux musiciennes n’apparaissent dans la scène londonienne. (NB : Eddie a tenu aussi à inviter John dans sa série Meetings with Remarkable Saxophonists d’obédience plus « free-jazz »). Sounds Assembly exprime bien ce qu’il veut dire : comment assembler les sons … de chacun !? Et à cet égard, l’enregistrement nous montre que l’entreprise est parfaitement réussie et probante. Les quatre musiciens s’étaient réunis pour cette session en vue de fournir du matériel audiovisuel pour le film de Stewart Morgan «Eddie Prévost’s Blood ». Pour notre grand bonheur, il a été decidé par la suite que cette remarquable session soit publiée au Japon via www.ftarri.com
Connaissant la teneur des précédents enregistrements reliant ces individualités et dans lesquels il y a des intentions préalables clairement définies, ce quartet s’est ouvert spontanément à ce qui pouvait arriver dans leur rencontre tout en s’accrochant à leurs valeurs personnelles et à l’éthique conviviale et sensible qu’ils partagent à des degrés divers. Une musique qui se déroule dans le temps sans accroc, ni accent rythmique mesuré ou démesuré. Tout à la fois, les frottements experts des deux cordistes avec harmoniques et vibrations boisées oscillantes , les résonances de la grosse caisse, l’archet qui fait crisser et scintiller les bords de la cymbale (avec le pas de vis tubulaire fiché dans son orifice central) et des tam-tam, les extrêmes du saxophone ténor à base de growls, d’harmoniques, de saturations, de frictions de la colonne d’air se distinguent en créant des contours précis, lumineux ou ombragés et s’interpénètrent simultanément comme s’il y avait un savant calcul et un dosage précis des fréquences qui s’unifient. Les deux dames filent de remarquables glissandi et méandres qui s’insinuent ou font écho aux crissements modulés par leur mentor sur un instrument métallique. Les silences, naturels, acquièrent une expressivité indéniable sur lesquels grattent des doigts de souris sur la surface des boyaux comme un poème. On est dans un univers éloigné (moins nerveux) du trio sax – contrebasse – percussion butchérien tel qu’on peut l’entendre dans Crucial Anatomy et Last Dream of the Morning (avec John Edwards et Mark Sanders) ou the White Spot (avec Torsten Müller et Dylan van der Schyff) ou encore Tincture, un album plus ancien avec un percussionniste Michael Zerang et le violoncelliste Fred Lonberg- Holm. Dans ces musiques, les improvisateurs rebondissent et une forme d’interactivité plus ou moins « ping-pong » est au centre, même s’ils explorent textures et couleurs sonores.
Sound of Assembly s’écoule comme une rivière apaisante et charriant des contenus organiques de toute nature, attirant les algues d’eau douce dans son sillage, comme les fils d’Ariane du cheminement intérieur de chacun des quatre dans leur vécu, écoute - réaction – jeu imaginatif ludique. De ce momentum tendu et étendu sur pas moins de cinq improvisations et un total de 48 :48, émanent une expressivité chaleureuse, un lyrisme immanent, une puissance des sons à travers une dynamique transparente où l’oreille aiguisée et à l’affut décèle des miroitements d’ombres mouvantes. Lyrisme perceptible et touchant malgré cette approche musicale qui évoque une démarche scientifique. Prévost n’a-t-il pas rédigé de véritables traités à ce sujet, Butcher n’était-il pas un mathématicien renommé ? La multiplicité étonnante des techniques instrumentales convergent vers une unanimité dans chaque instant et cet état d’esprit, ce feeling, cette ouverture – plénitude vis-à-vis de ce flux intense et pacifique imprègnent totalement toute la musique enregistrée dans ces moindres recoins de la première à la dernière seconde. Chacune des cinq pièces (Shot Silk, Bright as Ink, Angelica Green Sky, Stars Like Needle Point, Crooked Lines of Grey) offrent un chapitre distinctif et subtilement circonstancié par leurs capacités à improviser collectivement. Des tensions existent qui se traduisent par des réactions diversifiées chez chaque individu – partenaire et cela contribue fortement à l’étendue maximale de la palette sonore collective. J’ai toujours beaucoup apprécié AMM, le groupe d’Eddie, et je pense que cette réalisation instantanée, et la deuxième occasion de ce quartet d’exception, gravite au même niveau.

Mitragyina Metro Zsolt Sörès Hinge Thunder HT 003
https://hingethunder.bandcamp.com/album/mitragyna-metro

On nous parle souvent de musique « noise » , drone, etc… et aussi DIY. Soit « fais le toi-même » avec les moyens du bord sans te soucier si ça signifie quelque chose d’un point de vue conventionnel, plan com’ , etc... Zsolt Sörès invoque même le psychédélisme. Les gens « sérieux » qui écrivent dans les magazines de jazz diront que c’est du bric-à-brac minimaliste. Songez un peu, à la lecture des « credits » de ce double CD composé de 4 longs morceaux (1/ 31 :51 et 2/ 29 :31 au CD1 et 3/ 39 :19 et 4/ 17 :21 au CD2) : Voice, 5 string viola, Dàn Bāu, cymbal on top of the viola, mellotron, pipe organ, Domino Synth, Mole Rat EMF Explorer, e bow, vibrating devices, contact mics, objects and preparations, effects. Les tenants de l’école post improvisée – néo académique – alt composition vont peut-être frémir d’incrédulité. Dans les notes de pochette, l’artiste indique dans quel morceau ces instruments, effets et installations sont utilisés. Les 4 titres de ce double-album sont assez révélateurs du fait que Zsolt Sörès n’appartient à aucune école ou « chapelle » , car comme on le connaît, c’est un généreux enthousiaste que le talent des autres musiciens rend profondément et sincèrement heureux sans se soucier si leur démarche s’intègre dans sa propre cosmogonie utopiste. Citons les : 1/ the Mysterious Life and Death of Dr Ahad Ghost Sonic Ontologist, 2/ “Haeccities” – the Deleuze “Effect”, 3/ Mitragyina Metro, 4/ “… teaching old dogs new trumpets” , lequel morceau est dédié au tromboniste Hillary Jeffery. Tout cela a été enregistré en 2017 (4) et 2020 par l’excellent ingénieur du son Szabolcs Puha qui en a réalisé le mixage et la mastérisation. Chapeau les deux artistes !! Car ce n’est pas une mince besogne que de matérialiser un enregistrement qui rende justice à la démarche audacieuse et complexe de Zsolt Sörès. Aux tréfonds de ces courants de lave sonore, on perçoit un lyrisme qui soudain surgit lorsqu’il joue de son alto amplifié, lequel est la plupart du temps couché et manipulé dangereusement sur une table munie de micro-contacts et d’effets reliés en circuits… avec parfois une cymbale retournée et appliquée énergiquement sur le chevalet et qu'il frotte comme un dément... une puissance expressive incontournable dotée d’un sens inné de la dynamique…
Les interférences organiques de ses différents instruments, manipulations, effets, micro-contacts dans des vibrations assourdissantes, réverbérantes, bruitistes, saturées et des notes tenues dont on retrouve les traces dans les frictions et chocs, créent un univers sonore finalement assez unique en son genre, produit de l’improvisation et d’une transe ou le mental et le corporel sont finement mêlés. Indescriptible et OSNI convaincant qui vrille notre capacité d’écoute et remet le décompte des instants qui s’échappent inexorablement à zéro ou aux antipodes de notre imagination. Plusieurs concepts et pratiques sont à l’œuvre ici dans une démarche aux confluents de sensibilités et d’intentions divergentes. La sienne est obscure, secrète et peu descriptible. Bien sûr, il faut l’avoir vu et ressenti dans une performance vécue pour percevoir où il veut en venir. Car il sait très bien ce qu’il veut et ce qu’il fait Zsolt Sörès, un sage et un artiste incontournable de la scène Est – Européenne, de la vie culturelle de Budapest et dans l’espace magyar… n’est pas seulement un « soliste » (qui se produit en solo), mais aussi un formidable collaborateur sur scène avec nombre de collègues et amis . On songe à Adam Bohman, Julo Fujak, Katalin Ladik, Jean-Hervé Peron, Oli Mayne, Hillary Jeffery, mais aussi à tous les utopistes de rencontre… À découvrir absolument, si vous cherchez à écouter quelque chose d’essentiel dans le domaine du « noise », du « drone » ou des «live electronics » …. Etc…

"john" Daniel Thompson Empty Birdcage Records EBR003
https://emptybirdcagerecords.bandcamp.com/album/john

Enregistré par le guitariste Daniel Thompson le jour où John Russell nous a quitté, « john » est à la fois un profond hommage au guitariste disparu et un témoignage de la pratique improvisée à la guitare acoustique que John nous a laissé. 12 minutes 20 secondes essentielles, concentrées et dirigées vers un momentum où les repères de la guitare six cordes s’efface dans la gestuelle débridée. On perçoit clairement ces détails sonores et cette touche qui rendaient la démarche de John Russell unique, en s’intégrant dans celle, personnelle, de Daniel Thompson. Celui fut au début des années 2010, un élève de John Russell au point de vue purement technique, tout comme John fut l’élève de Derek Bailey au début des années septante. Daniel est réellement le guitariste le plus à même d’incarner l’hommage d’un guitariste à son cher ami disparu. En effet, sa démarche est basée sur un point de vue instrumental acoustique similaire mais avec des idées différentes. Même si « john » fait plus qu’évoquer Russell, il est très aisé de distinguer les deux musiciens. Au fur et à mesure que l’improvisation évolue, il s’élance dans un tourbillon imaginatif et sauvage, émotion de l’instant , expression la volonté de transcender le message de notre grand ami à tous, John Russell, un galvaniseur d’énergies et de bonnes intentions inoubliable vers l’inconnu. La disparition de John laisse un vide béant dans nos consciences et nos interactions, tant il avait créé des liens profonds avec un nombre incalculable d'improvisateurs à Londres et ailleurs. Et bien sûr, à suivre : l'excellent label de Daniel : Empty Birdcage

Until the Night Melts Away John Butcher Sharon Gal David Toop Shrike Records
https://shrikerecords.bandcamp.com/album/until-the-night-melts-away
John Butcher Saxophone soprano et ténor
Sharon Gal Voice, electronics, bells, objects
David Toop Lap steel guitar, flutes, bass recorder, African chordophone, objects
Mixed/Mastered by John Butcher

Voici un genre d’album qui échappe aux prévisions, a priori et idées toutes faites. Un pur produit de la scène londonienne où tous les improvisateurs se croisent quasi hebdomadairement dans les différents lieux où ils partagent la scène et s’écoutent les uns les autres. Ne cherchez pas un fil conducteur, une intention commune, un plan quelconque ou un projet ficelé pour l’export. Cela les amènent à créer des rencontres hors des sentiers battus. Purement un moment de plaisir et d’échange et un assemblage d’idées et d’imaginaires. Sharon Gal est une chanteuse inspirée qui complète son travail vocal avec de l’électronique ; elle construit un univers personnel un brin fantasmagorique, presque visuel et suggestif. Elle se produit régulièrement au Boat-Ting, et différents lieux ouverts. Autant John Butcher est concentré sur ses anches et les clés de ses deux saxophones avec un éventail impressionnant de techniques de souffle alternatives, soit une démarche monolithique que David Toop sollicite des flûtes de diverses origines, une flûte à bec basse, des objets, un cordophone adricain et une lap steel guitar donnant l’impression de s’éparpiller, alors qu’il est tout aussi concentré que ses acolytes dans une écoute intense. Toop est un exceptionnel chroniqueur et connaisseur des musiques expérimentales qu’il connaît de l’intérieur. Les trois improvisateurs étalent parallèlement et alternativement leurs sonorités avec une relative parcimonie créant un univers sonore en mutation permanente : bruissements, effets vocaux, expressivité soudaine, dialogues impromptus, extrêmes, grattements électrisés, clochettes, effets noise de la guitare cadencés, phonèmes et imprécations amplifiées, charivari, sax ténor acide et mordant, hullullement forcené du micro trafiqué, vocalisation délicate d’une flûte, vocalité ensorcelée du larynx à l’avant-bouche , noise forcené…. Des micro-séquences se succèdent et s’interpénètrent défiant toute logique ou appartenance à quelconque sub-genre de l’improvisation. Mais la récolte de trouvailles sonores bat son plein en dépit et jusqu’à l’extinction du raisonnement au profit du délire de l’imaginaire, bric-à-brac de l’instant où chaque action individuelle ou mutation sonore est reliée intimement au. Ligne du temps illusoire Until the Night Melts Away: trente – cinq minutes inexplicables, polémiques, oniriques, abruptes, poétiques…

Saadet Türköz & Nils Wogram Song Dreaming Leo Records CD LR 898
http://nilswogram.com/discography/nils-wogram-saadet-turkoz-duo/song-dreaming

Excellente idée cette collaboration d’une chanteuse et un tromboniste. Mais Saadet Türköz est bien plus qu’une chanteuse, plutôt une vocaliste, artiste « traditionnelle », conteuse, sculptrice de la voix humaine, actrice de ses dilemmes personnels qui puise dans la culture musicale turque et kazakh. Une personnalité riche et complexe qui a trouvé une sensibilité complémentaire auprès du tromboniste Nils Wogram, lequel joue aussi du mélodica. Cet enregistrement fraîchement publié par Leo Records était resté dans les tiroirs depuis cette session de 2006 à la D.R.S 2 de Zürich. Le cœur de Saadet balance entre l’expression vocale de l’avant-garde et la mélancolie orientale, une diction mi-parlée mi-chantée, un chant grave avec la bouche presque fermée. Remarquable de bout en bout que ce soit dans le murmure, dans les tréfonds du larynx ou à gorge déployée. On retrouve des sonorités et des techniques vocales de l’Asie Centrale. Pour chacun des chants dont elle a écrit les paroles, son partenaire propose des interventions subtiles, épurées et constamment renouvelées en fonction des sentiments exprimés et de l’esprit qui anime chacun d’eux. Ce qu’il arrive à faire avec un mélodica est remarquable. Je pense à cette évocation tremblotante de la lire ghijak frottée par un archet. Au trombone, on appréciera le timbre curieux et étrangement vocalisé dans Yurt. Douze pièces qui offrent un éventail convaincant de ce qu’on pourrait qualifier comme étant du « folklore imaginaire ». Cela dit, cela manque de folie à mon goût malgré leurs évidentes qualités.