9 mai 2021

Paul Rogers solo/ Lol Coxhill solo '85/ Natural Information Society w Evan Parker/ Sam Shalabi Matana Roberts Nicola Caiola/ Luis Vicente – Salvoandro Lucifora – Marcelo dos Reis – Joao Valinho

This is Where I Find Myself Paul Rogers audiosemantics digital
https://audiosemantics.bandcamp.com/album/this-is-where-i-find-myself

Grâce au guitariste Olaf Rupp, nous avons des nouvelles du contrebassiste Paul Rogers, sans doute un des spécialistes du gros violon parmi les plus doués de la scène free européenne.
Cela fait une vingtaine d’années que Rogers a adopté une contrebasse sept cordes avec quatorze cordes sympathiques, un instrument plus petit qui fait aussi songer à un violoncelle ou à une viole gambe, les cordes sympathiques ayant la propriété de renforcer et de colorer la sonorité, surtout à l’archet. Ce This is Where I Find Myself est un extraordinaire tour de force joué entièrement à l’archet par ce contrebassiste entendu fréquemment avec Elton Dean, Keith Tippett,Tony Levin et Paul Rutherford, quatre géants disparus. Son nom est associé à Paul Dunmall et Mark Sanders dans le superbe trio Deep Whole dont Multikulti a publié un autre magnifique album, Paradise Walk que je n’ai pu chroniquer ici faute d’avoir pu mettre la main sur une copie avant la semaine dernière. Il faut aussi rappeler son album solo Listen pour Emanem avec une contrebasse « normale », un autre solo pour Amor Fati (Being) et ce fabuleux Open Paper Tree avec Michel Doneda et Lê Quan Ninh pour FMP. Depuis qu’il a adopté cette contrebasse à six cordes qu’il habite en France et que ses vieux camarades sont décédés, le nom de Paul Rogers ne surgit plus dans les catalogues de disques dédiés à cette musique. Tout au plus No Business avait publié un double cd avec Dunmall, Dean et Levin (Remembrance) et on l’entend encore dans quelques albums de Paul Dunmall ou un digital only en compagnie de la tromboniste Sarah Gail Brand. Ah oui !! Avec Olaf Rupp et Frank Paul Schubert, Three Stories About Rain Sunlight and the Hidden Soil pour Relative Pitch. Que se passe-t-il ? Je crois bien que ces labels « importants » qui publient à tour de bras devraient solliciter Paul Rogers autant que Barry Guy ou Joëlle Léandre. D’abord , disons-le franchement : avec cette bonne vieille quatre cordes à mains nues sans électricité, il n’y pas photo : Paul est un contrebassiste avec une puissance rare, c’à-d la projection du son la plus forte. Son pizzicato est simplement monumental comme celui de Buschi Niebergall naguère, ou aujourd’hui, son compatriote John Edwards. Ici à l’archet avec sa contrebasse prototype, il accomplit des prouesses faisant sonner le plus souvent deux ou trois cordes à la fois avec une technique d’archet hallucinante, avec laquelle il lui arrive de jouer à plusieurs voix. Formellement sa musique est plus conventionnelle, construite et basée sur des structures d’accords ouverts, dans une manière qu’on pourrait qualifier de « folklore imaginaire» ou peut – être « postclassique ». Comme il l’explique lui-même , il n’y a pas de « but » dans sa démarche, si ce n’est de faire sonner son instrument et de jouer… l’impossible. Mais, je demande où a-t-on entendu tournoyer des sonorités de la sorte et créer cette dimension polyphonique. Après trois mises en bouche pour acclimater l’auditeur : Happening (6:10), Existing (11:05) et Living (5:21), il nous livre toute la gomme de son imagination et de son savoir-faire dans deux compositions – voyages de longue haleine : Flexible (24:02) et Now (27:21). Il s’agit alors de sagas imprévisibles, de fuites en avant, de débordements des sons, de recherches mélodiques hallucinantes, de glissandi sans solution de fin, de la vocalité inhérente aux cordes frottées, de percussivité de l’archet, de cadences infernales… avec un contrôle de l’instrument qui vous laisse abasourdi, pantois. On sait que des âmes bien – pensantes ou « subversives » vont dire que c’est trop virtuose pour être vrai, trop « idiomatique » ou que sais-je. Mais trêve de conneries, laissons-nous emporter par son rêve qui débouche sur une réalité vécue, ressentie, inspirée… GÉANT !!

Lol Coxhill '85 Slam SLAMCD2114
https://music.apple.com/gb/album/coxhill-85-live/1564741298

Lol Coxhill : enfin !! Enfin un album PHYSIQUE, un compact disc et donc pas un digital ou un CDr. Ces derniers temps, Liam Stefani a publié des solos et duos de Lol Coxhill avec le pianiste Pat Thomas disponible en digital only sur son label Scätter. Le guitariste Olaf Rupp propose aussi un duo avec Lol Coxhill et lui-même à la guitare sur son propre label audiosemantics (Poschiavo ) et Andrea Centazzo , un trio avec le trompettiste Franz Koglmann et Centazzo lui-même aux percussions en CDr (Speelunke Tapes/ Ictus) et datant de 1982. Trois enregistrements superlatifs qui auraient mérité d’être produits sur des labels « plus importants ». Mais que voulez-vous !!
C’est d’une époque bénie que date ce magnifique solo « absolu » de Lol Coxhill, enregistré dans un club de jazz de Cardiff le 29 juin 1985. Je répète encore que Lol Coxhill est un des saxophonistes les plus originaux de l’après be-bop, du free-jazz et des musiques improvisées, comme Ornette par exemple. Par rapport à ses propres albums solos de cette période (Dunois Solos /Nato, Lid /Ictus, Divers /Ogun ou encore L .C. Solo /Shock), nous trouvons ici la face plus « jazz » de sa musique en solitaire. Sans doute, s’est-il adapté au goût de la clientèle, car il tricote et détricote un ou deux standards dont un « I Thought About You » complètement transformé et surtout , il présente ses morceaux et n’hésite pas à mystifier l’assistance. « Prank » en anglais ! L’album contient plusieurs « Dialogue » numérotés 1, 2, 3 et 4 durant lesquels il s’adresse au public… de manière, disons, délirante. Par exemple, comme à l’époque les hommages pleuvaient, Lol dédie son hommage à un certain Buck Funk, saxophoniste du Sud des États- Unis qu’il aurait connu et l’aurait influencé. Un petit bémol :il y a une petite erreur dans la pochette, Buck Funk est (mal) ortographié Bunk Funk.. On peut entendre un duo de ce Buck Funk avec le Reverend Antony W Reves dans l’album Cou$Cou$ (Lol Coxhill/ Nato 1984) et il le fait revivre l’instant d’un morceau « Still for Buck » en s’efforçant de nous raconter par le détail les moments les plus croustillants de sa rencontre avec cet aîné légendaire tout en nous exprimant crûment son aversion du show-biz et de toutes les platitudes qui tournent autour. Juste après ses déclarations aigres-douces amères, on a droit à une extrapolation géniale de Night in Tunisia (Nit Picking), sinusoïdale à souhait, mais avec un sens du rythme assourdissant et un enchevêtrement de modes et une créativité mélodique détonnants… Comme rarement, il y a une très remarquable improvisation au sax sopranino (My Old Sopranino), instrument qu’il reprend à nouveau vers la fin du concert dans No Stranger, une autre perversion surréaliste de je ne sais quelle mélodie. Beyond the Rainbow est une version vénéneuse d’Over the Rainbow. Bref, le bonhomme est intarissable, subversif par rapport au jazz bon teint (swing, be-bop ou « contemporain »). Lol Coxhill est sans doute un des plus grands raconteurs de l’histoire du jazz. Un seul bémol : vers la fin du gig, le brouhaha des conversations devient gênant, malgré tous les efforts de Lol pour délivrer une performance étonnante question saxophone. Il retourne les gammes et le tracé mélodique dans tous les sens, narquois, ingénu, imprévisible et follement inspiré. Malgré la qualité d’enregistrement pas tout à fait « professionnelle », COXHILL ’85 est un document monument inaltérable et inoubliable. Merci à Nick Lea d'avoir déterré cette cassette datant d'il y a un tiers de siècle !! LOL COXHILL FOREVER !!

descension (Out of Our Constrictions) Natural Information Society with Evan Parker Eremite MTE 74-75 / Aguirre album vinyle
https://www.aguirrerecords.com/products/natural-information-society-with-evan-parker-descension-out-of-our-constrictions-2xlp-cd https://eremite.com/album/mte-74-75

Pour les Européens, le label Aguirre tient à votre disposition le nouvel album de la Natural Information Society du contrebassiste Joshua Abrams, ici joueur de guimbri en compagnie d’Evan Parker publié par Eremite et enregistré au Café Oto à Londres . Cela vous fera économiser les frais de port depuis les USA et découvrir la musique tribale groove acoustique de Joshua Abrams, un des artistes omniprésents chez Eremite. Natural Information Society se compose de Lisa Alvarado ( harmonium & effects), Joshua Abrams (guimbri), Mikel Patrick Avery (drums) et Jason Stein (clarinette basse)avec comme invité Evan Parker au sax soprano. Musique tournoyante autour d’un ostinato de pulsations et d’un riff incantatoire au guimbri, cordophone à trois cordes des Gnaouas du Maroc utilisé pour les musiques de transe. À l’écoute, il y a indubitablement une influence africaine dans ces pulsations hypnotiques, il s’agit clairement d’une musique de danse pour un rituel imaginaire, mais partagé en toute connaissance de cause par les musiciens Rien d’étonnant si Evan Parker s’est joint à la N.I.S. avec son saxophone soprano. Dans sa maturation musicale, E.P. a été fasciné par les musiques traditionnelles, même les plus primitives (Pygmées, flûtes du Rajasthan, etc..). Descension (Out of Our Constrictions) s’écoule d’une traite sur les quatre faces du double album, soit plus de 74 minutes ininterrompues. Sur la deuxième face, Evan évoque le jeu de Coltrane au soprano (India ?) sans pour autant souffler comme un damné comme Trane le faisait avec Elvin Jones. Une question de communion musicale appropriée avec ses collègues. Tout au long de la performance, Abrams et Avery modifient peu à peu la rythmique et les trois ou quatre notes jouées au guembri, tandis qu’Evan Parker se lance dans la respiration circulaire en croisant les doigtés sur quelques notes, elles-mêmes modifiées peu à peu, amplifiées et modulées de manière toujours aussi déconcertante tout en insérant de nouveaux éléments mélodiques. L’harmonium et la clarinette basse créent un contrepoint, une résonance, ponctuant la giration d’un bourdon timbré et sourd. Si le rythme paraît simple au premier abord, il y a, en fait, de subtiles altérations et de très brefs décalages dans la pulsation qui en accentuent la fascination et son efficacité à l’insu de l’auditeur non averti. Ce n’est pas nouveau : par exemple, les musiques de Transe et de Guérison du Balouchistan recèlent aussi des « anomalies » rythmiques qui sont à la base de la transe recherchée par le chaman-musicien (cfr album Ocora). L’ensemble fonctionne à merveille créant une communion complète des âmes et des sensibilités. Il arrive les battements de la langue de Parker sur l’anche suivent exactment la cadence isorythmique d’Avery et Abrams. Le clarinettiste Jason Stein intervient avec goût principalement en mêlant sa « voix » avec celle de Parker sur la face D. Les notes de pochette de Theaster Gates informent que les artistes se réfèrent au souffle et à la respiration, « breath », et à George Floyd qui est mort de ne plus pouvoir respirer par la faute d’un policier raciste : « I can’t breathe ». Un concert fascinant et bienvenu.


Cagibi : Sam Shalabi - Matana Roberts Nicola Caiola Musique Rayonnante digital
https://musiquerayonnante.bandcamp.com/album/cagibi-2010-2
Nous sommes au Cagibi à Montréal en 2010 et pour un soir le public écoute le trio ad hoc du guitariste Sam Shalabi, de la saxophoniste Matana Roberts et du contrebassiste Nicola Caiola. Trilogue basé sur l’écoute et des échappées soniques (la guitare quasi noise de Shalabi), lyriques (le chaleureux sax alto de Roberts) et discrètes (les pizz de Caloia). La musique vire de bord plus qu’à son tour, tentative pour dire, insister, trouver des ouvertures ou foncer malgré tout. Pas question de tracer un chef d’œuvre, mais plutôt d’affirmer la capacité à créer du sens, à divulguer les réserves d’énergie et à témoigner de la nature collective de cette musique. On oublie son nom, sa réputation, on hésite, on bouge les lignes, on transige, on affirme… Un paysage, une aventure prend forme. Et on joue pour un public qui s’ouvre peu à peu. La guitare de Shalabi dévoile des sonorités acides, des effets de slide dans un no man’s land de la six cordes. Matana Roberts, à la fois pensive et incantatoire, nous rappelle avoir séjourné à Montréal à cette époque et y avoir réalisé son déjà légendaire Coin- Coin Chapter One dans lequel Nicolas Caloia jouait du violoncelle. Au fil des minutes, l’intérêt grandit, des tensions se développent, Matana se fait plus incisive et le guitariste élabore des spirales urgentes et fiévreuses. Tout le monde passe un bon moment et les musiciens communiquent leurs sentiments en se créant des espaces mutuels, des opportunités de jeu… rafraîchissant leurs démarches dans l’instant. Rien d’extraordinaire peut – être, mais réellement touchant.

Light Machina Luis Vicente – Salvoandro Lucifora – Marcelo dos Reis – Joao Valinho Multikulti
https://multikultiproject.bandcamp.com/album/light-machina

Encore une réussite astucieuse combinant l’imagination et le savoir-faire du trompettiste Luis Vicente et le guitariste Marcelo dos Reiset mettant en valeur les capacités du tromboniste sicilien Salvoandro Lucifora et du percussionniste Joao Valinho. L’instrumentation originale est souvent une constante chez Vicente et dos Reis dans leurs récents projets. On conviendra que trompette – trombone – guitare – percussion n’est pas la formule qui court les rues. Marcelo dos Reis joue ici de la guitare électrique à peine amplifiée avec un style vraiment personnel. Le batteur, Joao Valinho, travaille sur des cadences cycliques en variant les frappes, souvent délicates au possible, et les angles d’attaque sur les différents coins et recoins de ses tambours et cymbales, ou se contente simplement de faire vibrer ses cymbales en arrière-plan. Comme c’est soigneusement enregistré et mixé , on se régals. Son sens inné de la dynamique et sa précision et l’imagination de son jeu free ouvrent le champ sonore aux deux souffleurs, le tromboniste axé sur des mélismes modaux et le trompettiste cherchant et trouvant les extrêmes de l’embouchure et du pavillon ou des contrepoints minimalistes. Alors que Luis Vicente va toujours plus loin en étendant ses éclats, filets de timbre, trouvailles mélodiques et la pression des lèvres exacerbée jusqu’au bruit, le guitariste attire l’attention par ces audaces tonales, clusters fugitifs et un sens inné de la syncope suggestive. Le tromboniste Salvoandro Lucifora apporte une dimension lyrique qui évoque Roswell Rudd et une épaisseur dans le timbre qui étoffe le son de Light Machina. Ce quartet soudé et à l’écoute sonne à la fois comme un groupe de jazz d’avant-garde et une association d’improvisateurs libres où chacun assume sa différence tout en servant la cause collective avec cohérence. De magnifiques espaces de créent où la musique évolue en apesanteur. Trois morceaux de 9:06 (Machina Girl), 14:42 (Saving Pigs) et 17:32 (The Rain Goat) dans lesquels, on entend défiler différentes combinaisons d’éléments formels et d’idées orchestrales, de motifs mélodiques et de bijoux sonores. Leurs titres sont peut-être l’expression d’un non-sense portugais qui m’échappe, mais chaque morceau développe une architecture orchestrale très équilibrée, remarquablement construite avec une insistance sur la dynamique, tout en favorisant au maximum la liberté d’improviser pour chacun de manière égalitaire avec une légèreté aérienne. Voilà un projet adroitement réussi qui met en évidence les qualités de chacun que la profonde connivence magnifie. En réécoutant encore et encore, de nouvelles perspectives apparaissent. Le label polonais Multikulti a encore eu la main heureuse.


LOL COXHILL AGAIN : the pics of the cassette of the Cardiff 's Gibbs Jazz Club gig 1985 that Nick Lea provided to SLAM for this exhilarating and fascinating issued recording album COXHILL '85.

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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......