30 septembre 2018

Paul Dunmall Jon Irabagon Jim Bashford Mark Sanders / Glasgow Improvisers Orchestra / Anne-Liis Poll & Alistair Mc Donald /Frame Trio /The Dorf jan Klare & Consord

The Rain Sessions Paul Dunmall Jon Irabagon Jim Bashford Mark Sanders FMR CD 492-0618

Deux saxophones ténors : Paul Dunmall & Jon Irabagon. Deux batteries : Jim Bashford & Mark Sanders. Musique en mode Coltrane période ultime (Meditations Ascension Live In Japan Expression Interstellar Space). Cela commence en douceur avec les deux batteurs déjà arqueboutés derrière leurs fûts et cymbales, et les souffleurs qui commencent à chauffer paisiblement les anches et embouchures … avant l’accélération. Cela devient intense autour d’un leitmotiv de deux notes et des harmoniques perçantes. Ceux qui connaissent le parcours de Dunmall songeront immédiatement à l’album Utoma avec le saxophoniste ténor Simon Pickard et le batteur surpuissant Tony Bianco. Paul Dunmall a cette fois laissé de côté ses cornemuses, sax soprano et alto, flûtes et clarinettes des sessions précédentes pour se concentrer sur son instrument premier dont il est un des champions sans appel. À ses côtés, le jeune prodige américain d’origine Philippine, Jon Irabagon, qui dans ce contexte se laisse complètement aller, s’échappant avec son aîné, tel un dirigeable gonflé à l’hélium en rupture de gouvernail, en zigzag par dessus la stratosphère entre les étoiles qui tapissent la voûte céleste. Leurs méandres Coltraniens (Trane étant la source indiscutable de leur travail) établissent des trajectoires improbables dans les points de référence innombrables de la musique des sphères, traçant à profusion des allers et retours dissymétriques entre les intervalles des gammes et modes écartelés et démultipliés. Et pourtant, l’oreille et la mémoire captent des effluves – bribes de mélodies suggérant le blues et les chants africains. Cette musique qui déchire l’espace –temps, est profondément terrienne, tellurique. Elle suggère la puissance des forces de la nature. La simplicité des éléments thématiques – deux ou trois notes en tierces ou en quintes, le cri du blues, contrastent avec les sursauts désarticulés – déflagration d’énergies effervescentes qui se pressent sous le rouleau compresseur continu du ressac saisissant des roulements des deux percussionnistes. Ces deux là voguent en synergie parfaite tel un Çiva à dix bras …. Aussi et à quelques moments, les souffleurs se posent sur le sol en fracturant le timbre de l’instrument à la limite du silence… transformant la perspective. Quelques soient les hyperboles et métaphores que l’on pourrait aligner en écoutant cette musique, je me dis que si Coltrane a ouvert la boîte de pandore à de très nombreux artistes qui ont eux-mêmes ouvert le(ur) champ des possibles du jazz improvisé à sa suite, Dunmall est, avec quelques autres et l’aide de ses fidèles, un de ceux qui le (J.C.) prolongent réellement en utilisant les éléments de son univers pour le rendre vivant aujourd’hui avec leur propre expérience. Out of this world. Illustration pochette : Paul Dunmall. Moralité : un disque énorme qui tranche encore plus dans la production pléthorique de Dunmall, laquelle contient une quantité inespérée de brûlots et de gâteries irrésistibles. 
PS : pas encore référencé sur le site du label (FMR publie à tour de bras : 52 CD's depuis janvier 2017 !! ) mais disponible chez Squidco pour l'avide public américain qui suit Dunmall à la trace. 

GIO : Glasgow Improvisers Orchestra : The Word For It Now FMR

The Glasgow Improvisers Orchestra est un des nombreux orchestres d’improvisation qui ont essaimé suite à l’expérience du London Improvisers Orchestra depuis 1999 laquelle allie l’improvisation totale avec la pratique de la conduite, celle-ci étant basée sur une gestuelle/ signes – instructions des mains et, éventuellement de la baguette de chef. Lawrence Butch Morris a contribué à répandre cette pratique en faisant suite à Frank Zappa à l’époque des Mothers of Invention et à Charles Moffett. Le London IO a été brillamment documenté par les labels Emanem et PSI jusqu’en 2010 et se perpétue tout en ayant renouvelé sensiblement son personnel. C’est aussi le cas du présent Glasgow Improvisers Orchestra qui, lui, a été fondé quelques années après le London et a enregistré plusieurs albums pour le label FMR avec Barry Guy, Maggie Nicols, Evan Parker, George Lewis. Grâce à l’aide du CCA – Centre For Contemporary Arts de Glasgow où se déroulent leurs répétitions et leurs concerts maisons, les membres du GIO ont pu développer et mûrir une belle musique d’orchestre libertaire et des projets spéciaux, tel celui illustré par A Bit in the Air(2015) le premier enregistrement qui ouvre l’album. Parmi ceux du Glasgow qui avaient rencontré le London Improvisers Orchestra à Freedom of The City 2007( London Improvisers Orchestra  Glasgow Improvisers Orchestra separately & together/ Emanem), je note la présence de piliers du groupe : Una Mae Glone, les saxophonistes Graeme Wilson et Raymond McDonald, les guitaristes George Burt et Neil Davison. On notera cette fois les présences de la pianiste Marylin Crispell et de la chanteuse Maggie Nicols. A Bit in the Airest une composition dédiée aux voix (cinq chanteuses) et aux sculptures céramiques de l’une d’entre elles (Cath Keavy). Une belle dynamique et de l’imagination pour tracer, dessiner, colorier collectivement avec talent une fresque sonore à la quelle chacun participe librement et qui s’écoute avec plaisir. Cette capacité individuelle et collective trouve son achèvement dans les deux pièces suivantes de 2013 :  A Peculiar Slumber I & II signées Graeme Wilson.  La partie I s’intitule From Witchever Angleet la II, Near & Remote. Si de toute évidence la musique du GIO est moins ambitieuse, complexe et brillante que celle du LIO des années 2000-2010 documentée par les CD’s Emanem et Psi, elle est vraiment intéressante avec une réelle profondeur et offre au public un réjouissant bain sonore et musical. Le développement naturel des mouvements du GIO démontre qu’un groupe large et ouvert réunissant sur la base de l’écoute mutuelle des personnalités différentes, voire même contrastées, peut trouver un dénominateur commun caractéristique : un son d’orchestre directement reconnaissable même si le personnel réuni en 2013 et 2015 diverge sensiblement. Une belle réussite. 

Untold Story Anne-Liis Poll / Alistair Mc Donald Leo Records CDLR829.

Un excellent duo : Anne Liis Poll, créditée voix, kalimba, bottles, thunder tube, piano, rattle, jaw harp, wind chimes vs les live electronics d’Alistair McDonald, créent de magnifiques paysages sonores, spacieux, exotiques, bruissants, mystérieux (Inside the Two Worlds). Le talent vocal et les glossolalies- effets d’Anne-Liis sont un ingrédient majeur relayé par le travail électronique en temps réel d’Alistair qui dose remarquablement plusieurs pistes / échantillons de son chant en en multipliant les sections en canon mouvant et subtilement irrégulier (Sorrow) ou en agitant l’effervescence de l’articulation de la vocaliste (Click Clack Buzz). Rattlerest une pièce d’anthologie en ce qui concerne les effets percussifs des lèvres alliés à ceux d’un hochet ou d’un grattoir. Chaque pièce offre une perspective et une dynamique sonore et spatiale différente en prolongeant des éléments entendus auparavant et finalement, leur enchaînement forme un tout cohérent. La précision de l’enregistrement et la haute qualité de l’exécution alliées à une forme de spontanéité rendent très attrayant ce travail au départ balisé (et qui aurait pu se révéler convenu). En effet, l’Estonienne Anne-Liis Poll, chanteuse classique de formation, est une improvisatrice délurée et très expressive avec une superbe technique. Les effets sonores tirés de son instrumentarium nourrissent l’évolution du projet au fil de l’écoute des 11 pièces enregistrées. Son partenaire développe une conception « classe » de l’électronique « live » en temps réel : subtilité, synergie, précision, relative complexité et pas du tout envahissante. Techniquement : delay, filtering, live sampling, reverb. Sa capacité à jongler avec les fragments en boucle (loops) de la voix de sa collègue et des niveaux sonores n’est jamais prise en défaut. On évite souvent une série de poncifs. Une grande part d’improvisation avec une mise en scène / en sons talentueuse dans ses dimensions ludique, dramatique et expressive. Très recommandable.

 Frame Trio  Luminaria FMR CD491-0618

Ayant chroniqué avec intérêt et souvent positivement les envois du remarquable guitariste portugais Marcelo dos Reisen compagnie d’artistes aussi divers que Carlos Zingaro, Miguel Mira, Vincent et Léo Ceccaldi, Kabas, Luis Vicenteou Eve Risser, j’aurais peut être évité d’encore vous resservir un de ses projets, Frame TrioLuminariaen compagnie de son compatriote le trompettiste Luis Vicenteet du contrebassiste du groupe Kabas, Nils Vermeulen.  Un bel essai dans le dosage et la structuration équilibrée de l’improvisation libre liée au jazz d’avant-garde (ou l’inverse)par des artistes de la nouvelle génération. Bien sûr, comme viennent de me le faire remarquer des camarades un peu râleurs impliqués depuis des décennies, il y a trop d’albums – compacts…etc. Pour ceux qui connaissent déjà Vicente et dos Reis, un pièce en plus dans leur dossier et pour Nils Vermeulen, un document convainquant. Ici, Marcelo utilise l’électricité à la punk – no wave – noise ou trace des ostinati … et Luis persévère avec fruit sa découverte remarquable des effets multiples des embouchures et de la colonne d’air de sa trompette vif-éclair. Excellent. Nils Vermeulen a une inspiration bruissante et percussive qui s’allie très bien avec ses deux acolytes portugais. Un album de plus, sans doute mais sans redite interne d’une des six Luminariaà l’autre ! Gageons que le quidam intéressé qui ignore tout de ces musiciens passera un excellent moment : plaisir, découverte, énergie, originalité, conviction. 

Note : FMR Records est en retard de publication sur son site . Il faut chercher les albums via un distributeur ou les artistes.

The Dorf & consord Die Vollkommene Larve Umland

Bien que publié avec l’aide du Ministère de la Culture de la Rhénanie du Nord – Westphalie et du Muzikfonds, cet album orchestral et opératique illustrant textes et lied (libretto) écrits par Ruskin Watts, eux-mêmes chantés par Marie Daniels et Wilhelm Müller König avec la musique de Jan Klare, a vu son budget pochette réduit à sa plus simple expression et les informations concernant l’oeuvre et sa réalisation sont assez ténues. Difficile alors pour un non-germanophone comme votre serviteur, d'en saisir les tenants et aboutissants et d’en rendre compte de manière appropriée. Le label Umland publie des choses vraiment intéressantes comme le duo  Crazy Notions du batteur Simon Camatta avec le violoncelliste Fred Lonberg Holm , Bruit 4 d'Axel Dörner/Torben Snekkestad/ Flavio Zanuttini/ Florian Walter, La Notte de Flavio Zanuttini et Indes de Simon Camatta avec le saxophoniste Georg Wissel et le contrebassiste Achim Tang. J'ai chroniqué ces quatre excellents albums il y a quelque temps. On retrouve Camatta et Walter impliqué dans cette multiforme Die Vollkommene Larveau sein du collectif The Dorf,un orchestre imposant : deux violons, deux violoncelles, deux trompettes, cinq saxophones, quatre trombones, un tuba, un Buchla 200e, un computer, une thérémine, trois guitares, un synthé, une basse électrique et deux batteries. Consord, groupe associé au projet, est de dimension plus modeste : flûte, clarinette, fagott, saxophone, cor, trompette, trombone, tuba et deux percussions. La partition complexe et remarquablement écrite par Jan Klare est exécutée avec brio et le projet est bien rendu par l’enregistrement. La chanteuse Marie Daniels chante  le rôle de la Junge Frau ou jeune femme), (l’acteur ?) Wilhelm Müller König dit les extraits de textes de « The Compleat Robot » de Michael Schiven et chante le rôle  du commandant des insectes du Cosmos (Kosmos Insektenführer). L’œuvre a été enregistrée au Dorf + Umland Festival 2017. Superbe travail aux crédits du saxophoniste Jan Klare, de the Dorf, de consord  et de toute l’équipe. La musique hybride emprunte à plusieurs genres entre musique savante et populaire, jazz, prog rock etc… çà swingue et çà s’écoute avec plaisir, suggérant l’atmosphère des brass bands qui pulullent au-delà du Rhin. Les arrangements sont chatoyants et les rythmes complexes et cela tourne au millipoil. C’est assez réjouissant de constater que des artistes improvisateurs radicaux publiés par Umland sont adossés à un tel projet, entreprise musicale et scénique susceptible d’intéresser festivals et lieux plus « festifs » et « large public », plus large que celui très pointu de la musique improvisée radicale, l’objet des chroniques (reviews) que je vous sers régulièrement dans ce blog. La scène improvisée radicale allemande est relativement intégrée dans la vie musicale locale et nombre de ses musiciens participent  à des projets musicaux collectifs originaux créant ainsi une synergie saine et efficace. Jan Klare joue régulièrement avec Bart Maris, Wilbert De Joode et Michael Vatcher dans le groupe 1000 que j’ai repéré (Leo Records) et dont j’espère bien pouvoir écouter l’album publié par Umland . Même si ma méconnaissance de l’allemand ne me permet pas de rentrer plus à fond dans les commentaires sur Die Vollkommene Larve, je souligne la qualité sans faille du projet et l’existence du collectif the Dorf (le village), le quel a publié un album chez Leo Records que je vais essayer aussi d’écouter. Remarquable travail ! 

24 septembre 2018

Biliana Voutchkova Michael Thieke Roy Carroll/ Edoardo Marraffa & Nicola Guazzaloca / Rudi Mahall & Ivo Perelman / Antoine Beuger - Nikolaus Geszewski / Z-Country Paradise

Voutchkova / Thieke / Carroll as found Sound Anatomy SA 10

Sound Anatomy est un label Berlinois intitulé « A new channel for original electroacoustic and experimental music » et mis sur orbite par Richard Scott, un champion du Modular Synth. Le catalogue déborde de références alléchantes. Outre Richard Scott lui-même, on notera pêle-mêle les noms de Kazuhisa Uchihashi, Clive Bell, Axel Dörner, Jon Rose, Evan Parker, Richard Barrett, Michael Vatcher, Ute Wassermann, Emilio Gordoa et Audrey Chen avec qui Scott a enregistré un duo vraiment recommandable. La violoniste Biliana Voutchkova (aussi vocaliste), le clarinettiste Michael Thieke et Roy Carroll aux electro-acoustic media se concentrent sur des drones qui font vibrer des aigus brillants, tremblants, intenses, unissons fragiles et altérés soigneusement par un changement d’intensité ou un glissement de note. Concerné par la hauteur exacte et tenue en sustain/ halo et les harmoniques qui s’en dégagent, les musiciens enchaînent sur d’autres timbres ou textures, parfois sans que l’on s’en aperçoive. Un motif joué à l’archet rebondissant est répété et malaxé jusqu’à ce que la trajectoire amorce des échanges plus contrastés vraiment intéressants pour plusieurs raisons (formelles, sonores, mystérieuses), parce ce que, entre autres raisons, elle fait partie intégrale du tout et de ce qui vient d’être joué  … Thieke respire de curieuse façon dans son bec de clarinette. Curieusement, la répétition de sons noisy, d’agrégats sonores et d’actions instrumentales instaure un rapport auditif avec les sons qui se métamorphosent, créant ainsi une véritable tension dans l’évolution de as found (38 :11).  as left dure  8:40…  
Mastered by Richard Scott et Photography / Design by David Sylvian.
Voilà un enregistrement qui mérite une écoute approfondie et nous invitera à passer un moment de création avec ces trois artistes. 

Edoardo Marraffa & Nicola Guazzaloca EM Portugal. SPM II 

Produit par la Scuola Popolare di Musica Ivan Illich, une école de musique alternative et expérimentale pas comme les autres située à Bologne, et avec l’aide de Bologna Unesco City of Music, EM Portugal nous offre deux improvisations du duo Marraffa – Guazzaloca, professeurs et animateurs de cette école et duettistes depuis une bonne dizaine d'années. On leur connaît plusieurs albums, dont Gluck Auf (Setola di Maiale) et Les Ravageurs (Klopotek). Em Portugal contient deux longues improvisations enregistrées au Festival MIA à Atouguia de Baleia et à la Livraria Ler Devagar à Lisbonne. Edoardo Marraffa a acquis un style vraiment personnel au sax ténor et double au sopranino. Ses idées de jeu, vocalisations, articulations, inflexions, peuvent avoir un air de famille de celles des Luc Houtkamp, John Butcher ou même Stefan Keune et bien sûr l’Archie Shepp des sixties et Ayler. Sifflements d’harmoniques aussi hargneux que chantants. Tout en marchant dans les pas de souffleurs du free-jazz, Marraffa a un jeu personnel immédiatement identifiable tant par le timbre et sa sonorité que par la construction de ses improvisations. L’apparence expressionniste exacerbée est conjointe à une réflexion basée sur le sens des proportions et de la forme (visuelle) et des harmonies distendues par un travail minutieux sur le son, le bec et l’anche. Au sopranino, il canarde comme un dératé, vraiment jouissif en étirant les notes comme un Coxhill ultramontain. Nicola Guazzaloca est un des pianistes les plus convaincants parmi ceux qui prolongent ou redéfinissent les apports de Cecil Taylor, Alex von Schlippenbach ou Fred Van Hove, comme Agusti Fernandez, Sten Sandell, . Au fil de ses nombreux albums que ce soit avec Marraffa (le récent Les Ravageurssur Klopotek) avec Szilard Mezei en duo (Lucca & Bologna Concerts)ou en trio avec Tim Trevor Briscoe (Cantiere Simone Weil/ AUT & Exuvia/ FMR), et en solo (Tecniche ArcaÏche et Live At Angelica), Nicola Guazzaloca affirme sa capacité créative à renouveler son jeu, ses idées, ses concepts, le feeling de l’instant et la trajectoire d’une performance. Sa puissance virtuose et ses qualités rythmiques, son toucher franc et limpide, le renouvellement constant de ses idées musicales et la densité de ses accords pousse son camarade dans les excès les plus répréhensibles. Entre les deux acolytes que tout semble séparer règne un sens de l’écoute, un esprit ludique et l’imagination combinés en toute spontanéité. Ils savent happer chez l’autre un détail d’un frêle instant pour le resservir/ recycler instantanément avec un son inattendu. NG se montre ici sous son jour le plus agressif (pour la musique de chambre, cliquez sur ses groupes avec le violiste Szilard Mezei). La musique du duo  ne laisse pas indifférent. Elle a gardé la fraîcheur et l’aplomb des pionniers de la free-music ne fut ce que par le contraste improbable de leurs personnalités. Du Free Jazz original par la grâce des qualités intrinsèques de nos duettistes. 
PS : Disque sorti tout frais : impossible d'en trouver déjà (le 25/09/18) une image sur le net. 

Rudi Mahall & Ivo Perelman Kindred Spirits Leo Records 2 CD LR CD 840/841

Double cédé de 100 minutes de duo saxophone ténor (Perelman) et clarinette basse (Mahall) réparties en douze improvisations spontanées où l’impétuosité et l’appétit sonore soulignent tout autant un évident sens de la forme et de la dramaturgie  qu’un élan spontané sans rétroviseur ni calcul. Les idées fusent et s’échangent d’un bec à l’autre, chaque musicien, aussi typé qu’ils puissent être l’un par rapport à l’autre, s’abandonne dans l’instant à la musique qui se fait, sortant souvent du bois ou des sentiers battus. Il est parfois difficile de distinguer si c’est le sax ou la clarinette basse tant leurs staccatos sont puissants, leurs sonorités chaleureuses et leur dialogue rapproché. Une invention mélodique merveilleuse s’épanouit et l’amour du son envahit leurs âmes qui aiment à s’égarer dans les harmoniques et les sursauts d’octave et de quinte augmentées. Rudi Mahall et Ivo Perelman aiment à réitérer des motifs hachurés, découpés comme un diamant à tailler ou une flèche à chauffer à la flamme sauvage des feux de brousse. En focalisant leurs improvisations sur le concassage exorcisant de motifs mélodiques courts qui s’enchaînent en se répondant, s’écartant, s’inversant, s’échappant, se découpant, se recollant et s’ajustant, ils inventent une manière de construire une musique de souffles conjoints/disjoints/ tordus et accidentés comme on n’en a très peu entendus. C’est sans doute fortuit, voire accidentel : il n'y a sans doute pas eu (beaucoup) de discussions préalables sur la stratégie du duo avant d'enregistrer. Mais de grands improvisateurs libres sont payés pour créer le meilleur de leur univers commun dans l’immédiat sans s’être concertés auparavant. Le sixième sens. Le clarinettiste n’a d’autre choix que d’étirer les notes au-delà de la gamme face aux timbres du saxophoniste. Une bribe d’air jetée en l’air par RM revient instantanément dans le souffle d'IP avec une petite idée géniale. Le génie naturel des vrais improvisateurs, lyriques envoûtés de surcroît. Ils renouvellent le genre (jazz free - improvisé) parce qu’ils ont tous deux une créativité et un vécu qui n’ont rien à envier à plusieurs créateurs – pionniers qui ont défini cette musique il y a cinquante ou quarante ans. Musiciens de jazz confirmés (il faut entendre leur version des compositions de Thelonious Monk !), ils n’hésitent pas à assumer le champ d’investigation sonore de l’improvisation libre en se perdant dans les méandres et les espaces indéfinis du jeu compulsif, extrême, en faisant reculer le moment de la redondance vers l’infini, entre autres par un sens du timing prodigieux. De la hargne et de la tendresse, suave et brûlant à la fois. Et des extrêmes sonores… Je pense que parmi les nombreux duos et trios suscités par Ivo Perelman, ces Kindred Spirits avec Rudi Mahall sont à mon avis une de ses meilleures initiatives et elle doit être remise sur le métier car le jeu en vaut vraiment la chandelle ! À écouter d’urgence pour votre plus grand plaisir ! Pour ceux qui en ont la capacité d’écoute et d’absorption, il y a un deuxième CD ! 

Antoine Beuger to the memory of  inexhaustible editions ie-007
By Nikolaus Gerszewski  conceptual soundproductions Budapest 

Musiciens : Nikolaus Gerszewski: piano, objects, Lenke Kovács: vocals, Ferenc Getto: vocals, objects, László Németh: trumpet, Dorottya Poór: violin, Nóra Lajkó: guitar, Julien Baillod: guitar, feedback Andor Erazmus Illés: electronics Erik Benjámin Rafael: percussions, objects 
Conceptual, c’est vraiment le cas de le dire. Les notes de pochette de Nikolaus Gerszewski mettent l’œuvre, sa réalisation et la philosophie qui la sous-tend en contexte. Parsemés dans le silence, se font entendre tour à tour les interventions solitaires/ solistes ponctuelles de chacun des musiciens vocalement ou avec leur instrument respectif. Dynamiques et intentions semblent être la prérogative de chacun d’eux. Il n’y a pas d’indications « paramétriques » dans les instructions / la partition. Les sons (ou le son) joués par chaque musicien à chaque intervention est considérée comme une pièce en soi. Les mots parlés sont sensés apporter une dimension poétique et interviennent de plus en plus fréquemment dans la deuxième partie de l'oeuvre jusqu'à ce qu'ils remplacent les instruments. Comme si cette suite interminable de "solos" ultra-courts était en fait une conversation secrète, codée (en langue magyare, généralement inconnue des locuteurs indo-européens que nous sommes). Un dialogue distendu par le temps.
Je pense que cette œuvre nécessite d’être vécue et écoutée en concert plutôt qu’en disque. Les musiciens sont concentrés et démontrent une réelle capacité à ne pas jouer cette musique n’importe comment. Chacune des interventions étant très courte, l’élément conducteur est la variété / multiplicité insolite des différentes attaques et caractéristiques sonores de celles-ci au fur et à mesure que musiciens et auditeurs avancent dans la pièce et l’intention – l’intensité – le lâcher prise de l’exécutant créateur . C’est l’élément Ba-ba de la musique en fait, où le musicien doit concevoir instantanément ce qu’il fait au moment où il le fait, même s’il a la liberté d’y penser bien avant, vu que chacun joue plus ou moins à tour de rôle. D’où, sans doute la signification, du mot conceptuel. En tant qu’auditeur, je m’arroge la liberté d’interpréter la musique pour moi-même. Une œuvre intéressante. Le label inexhaustible editions est sûrement un des labels les plus pointus de la galaxie improvisée – alternative. 

Z-Country Paradise : Live In Lisbon Leo Records CD LR 801

Groupe à mi chemin entre le rock - chanson alternatif un peu "prog"et le free-jazz avec du noise, Z-Country Paradise rassemble la chanteuse (diseuse) Jelena Kuljic , le saxophoniste Frank Gratowski, le guitariste Kalle Kalima, le bassiste Oliver Potratz et le batteur Christian Marien lors d'un concert à Jazz Em Agosto à Lisbonne, soit l'un des plus prestigieux événements consacrés aux jazz d'avant-garde et aux musiques improvisées. Je conçois qu'il faut gagner sa vie : Gratkowski est un super saxophoniste et clarinettiste parmi les meilleurs et plus demandé que d'autres et malgré ses opportunités relativement importantes, il est normal qu'il joue et qu'il aime à jouer d'autres musiques. La musique du groupe est bien jouée et les parties qui relèvent de l'improvisation sont OK (solo de clarinette basse dans Talking the Little Birdies). Christian Marien est un super percussionniste en musique libre, cfr le duo Superimpose avec le tromboniste Matthias Müller. Ici, il joue le tempo avec quelques incartades pour donner le change au souffleur. Le bassiste ronronne. Kalle Kalima guitarise entre le noise et le jazz-rock sans la joliesse plan-plan. L'ensemble est tout à fait professionnel et la musique n'est pas indigente du tout. Mais écoutez les albums du Magic Band avec Capt Beefheart, comme les trois derniers sur Virgin (Bat Chain Puller, Doc at The Radar Station, Ice Cream Crow, plus tempérés on va dire) et vous entendrez des inventions rythmiques qui donnent un sens à cette musique qui se détache du rock d'une certaine manière pour le subvertir mieux que de nombreux punks ont pu le faire. Un modèle du genre. Je n'entends quasiment pas de tentatives pour décaler le tempo d'une manière un peu audacieuse, fofolle, imprévue, un peu de sel. Non la musique est à cet égard est assez plan-plan, souvent répétitive. La chanteuse est assez incantatoire, on aurait aimé qu'elle joue un peu de la voix. Elle en est capable, mais c'est une question d'imagination. Ce qui me chiffonne, c'est que Z-Country Paradise ait obtenu un engagement à Jazz Em Agosto, une rencontre ciblant les musiciens et amateurs de jazz d'avant-garde et aux musiques improvisées. Cet événement a présenté ce qui se fait de mieux dans le genre. Mais ici, je n'en vois pas l'intérêt... ou je ne l'entends pas. Il y a aujourd'hui un tas d'improvisateurs de grand talent qui ne jouent presque jamais dans des festivals de cette envergure (comme Nickelsdorf, Ulrichsberg, Mulhouse, Stavanger, Café Oto) avec un cachet décent (pour une fois). La liste est très longue, il suffit de lire dans ce blog les nombreux patronymes qui ne sont quasi jamais mentionnés dans les programmes notoires. J'appelle cela du foutage de gueule. Ce serait quand même assez simple au moyen d'un sondage systématique des Bandcamp et Soundcloud de quantité d'artistes passionnants , même inconnus, de trouver des invités de haute tenue qui déchaîneraient les passions. Quand je pense qu'un saxophoniste d'envergure mondiale comme Michel Doneda rame pour trouver un concert payé et qu'un géant comme Paul Dunmall doit renoncer à jouer hors Grande-Bretagne faute de propositions normalement décentes. C'est triste !! 



20 septembre 2018

Fabrice Charles Sophie Delizée Gérard Fabbiani / Ivo Perelman & Jason Stein / Paul Dunmall Phil Gibbs Neil Metcalfe Ashley Long John/ Alex Cline Dan Clucas Peter Kuhn Dave Sewelson Scott Walton/ Eugenio Sanna Massimo Simonini Edoardo Ricci Edorado Marraffa Mirko Sabatini

Pfff …Charles Delizée Fabbiani  

Voici un remarquable document d’une musique improvisée enregistrée à trois par Fabrice Charles, trombone, Sophie Delizée, voix et Gérard Fabbiani, clarinette basse en 2008 ou 2009 un soir et un lendemain matin. Cinq pièces entre 9’25’’ et 16’48’’. Album autoproduit avec un beau texte poétique illustré dans un livret inclus dans la pochette ouvrante. On pourrait rapprocher cette musique de celle du trio Contest of Pleasures de John Butcher, Xavier Charles et Axel Dörner. C’est tout aussi intéressant, dynamique et captivant. Je viens de mettre la main dessus en juillet dernier. C’est le genre d’albums qu’on conserve précieusement dans la pile des (nombreux) incontournables qui font craquer l’enveloppe de l’espace-temps et dont les instants font coordonner par un hasard pas si fortuit de superbes occurrences sonores en tout liberté. J’ajoute encore que certains albums de Butcher ou de Dörner sont moins affriolants que ce Pfff…magique. Tout l’intérêt réside dans le travail minutieux sur le son, dans les timbres où le bruit en tant que tel est complètement intégré, dans le flux sauvage et contrôlé par l’écoute sensible et l’action précise dans l’instant qui très souvent semble ici ne pas se répéter. L’enregistrement sature légèrement par instants, mais ce n’est pas un défaut, car il est pris au plus près de l’instrument, permettant la captation de son intimité et de celle des bruissements favorisés par leur activité instrumentale à la limite des possibles sonores et au-delà. Les sons défilent au fil des secondes et se métamorphosent constamment, chaque improvisateur recherchant de nouvelles choses par rapport à la musique des deux autres et la sienne. Accents, éclats, murmures, harmoniques, diffractions du spectre sonore, intensités, craquements, effets de souffle, percussion des lèvres sur l’embouchure, vibrations minimalistes, grognements, phonèmes sourds ou voilés, variations infimes et infinies, poésie sonore, soubresauts de la glotte ou de l’anche et du bocal, sens pointu du timing, paroles subreptices d’une langue imaginaire, interactions imaginatives et illimitées et leurs coordinations instantanées imparables. Amateurs inconditionnels de l’improvisation libre et autres poètes, n’hésitez pas à contacter les deux musiciens/producteurs de cet album fantastique : www.gerardfabbiani.com. Un morceau de la session non publié dans ce cd se trouve ici : www.gerardfabbiani.com/son/ecoute.html Cliquez sur Pfff / S- 11.41 .
Ce trio sublime dépasse allègrement la somme de ses parties. Un vrai trésor. 

Ivo Perelman & Jason Stein Spiritual Prayers Leo Records CD LR 842

New York, sax ténor, Ivo Perelman. Chicago, Jason Stein, clarinette basse. Une belle conversation entre deux souffleurs habiles à convoquer graves bourdonnants, glissandi et harmoniques expressives, déambulation onirique dans l’espace, souffles graveleux et étirés, mélodies impalpables, sens de la dynamique, papillonnements indicibles, étirement vers les extrêmes, articulations bousculées. Sans contrebasse, piano et batterie. Une belle conférence des oiseaux désignant à chacune des huit improvisations en duo, un nouveau domaine à explorer, des idées musicales à distendre … Entre autres, une séquence pépiante  et bruissante durant la quelle  les souffleurs dialoguent avec leur seuls becs … sans saxophone jusqu’au concassage cocasse des sons, canardage, si on veut.. J’aime particulièrement le jeu subtilement microtonal chaleureux (évoquant singulièrement l’Archie Shepp de the Way Ahead, The Pickaninny et Magic of the Juju) du saxophoniste. Musiciens de jazz « libre », Jason Stein et Ivo Perelman déclinent les appétences du jazz contemporain pointu avec bon nombre de paradigmes de la libre improvisation et beaucoup de naturel. Les deux artistes ont pris de la graine dans la lignée des duos d’anches de Braxton, Evan Parker, etc... Complexité, densité, intensités, évocations, univers multiples qui s’interpénètrent, musiques de l’instant et de la mémoire des instants qui viennent de s’écouler, l’essence des choses. Au fil des morceaux, Jason Stein s’accroche méthodiquement à de nombreuses échelles tel un acrobate, alors qu’Ivo Perelman dérape en altérant (presque) chaque intervalle avec sa griffe sonique personnelle, un cri apaisé : le feu qui couve sous la cendre. Vraiment un excellent disque à écouter avec ravissement. 

Seascapes Paul Dunmall Phil Gibbs Neil Metcalfe Ashley Long John FMRCD484-0318

Sans doute un des albums « musique de chambre jazz improvisé libre » les plus attachants de la galaxie Dunmall. Paul Dunmall au sax ténor et soprano, Phil Gibbs à la guitare électrique, Neil Metcalfe à la flûte baroque et Ashley Long John contrebasse… et archet ! Le contrebassiste dynamise les échanges avec une approche joyeusement percussive tant à l’archet inquisiteur qu’aux doigts puissants. On songe à Barry Guy jeune acoustique – post La Faro (sans les dégoulinades émotives d’aucun), en ajoutant qu’il est très personnel – reconnaissable. Tous les amoureux de la contrebasse se devraient de (pouvoir) l’écouter un jour. Ce niveau de jeu coule de source dans une équipe où officie le saxophoniste Paul Dunmall et le guitariste Phil Gibbs, deux des improvisateurs les plus remarquables sur leur instrument. Neil Metcalfe est un musicien secret qui injecte une belle dose de microtonalité dans les volutes aériennes de ses improvisations créant une émulation avec la propension à Dunmall à plus distendre ses notes au soprano. Le timbre de son instrument (en bois) diverge de la flûte métallique et il arrive à lui insuffler un brillant … et de subtiles blue notesinattendues sur un tel instrument. Il ajuste sans doute très précisément le cylindre de son embouchure suivant sa très longue expérience. Même si Neil, aujourd’hui septuagénaire, est peu connu hors de la communauté Londonienne, il s’est révélé après de nombreuses décennies obscures, un élément indispensable ou considéré parmi l’entourage de « pointures » telles que Dunmall, Paul Rogers, Evan Parker, Adrian Northover et de la jeune génération des Tom Jackson, Olie Brice, Benedict Taylor et Dan Thompson. Une personnalité en phase avec celle de Lol Coxhill, son ami disparu. C’est un peu vers Lol et sa voix – système ultra-personnel d’étirement des notes au micropoil inimitable, que lorgne Dunmall dans cette session. C’est sûrement une démarche spontanée de sa part, ses ressources et sa vision ne sont jamais restreintes : difficile de tracer avec précision sa personnalité et le champ de ses investigations en constante extension. On s’en aperçoit au fil de ses innombrables albums qui finissent par donner le tournis à ceux qui le suivent à la trace et mystifient les autres. Guitariste sensible et peu amplifié (quelques effets bien dosés durant cette session, Phil Gibbs tournoie, gire, réitère des arpèges sans attaque, cascade de liquides aux couleurs délicates et travaillées. Un feu follet de la six cordes qui glisse instantanément de la position « face » avec la gauche sur la touche et la droite entre le chevalet et le haut du manche, au tapping intuitif par dessus les frettes ou jusqu’à la position couchée sur les genoux où les mains et les doigts folâtrent indépendamment comme sur une harpe ou un piano, (attirant le regard amusé des auditeurs lors des concerts). Dunmall, tout à l’écoute laisse de temps en temps pagayer une telle volière et s’insère spontanément au ténor ou au soprano quand il ne délaisse pas le front mélodique à l’archet magnifique de Long John. Si les quatre évoluent tels une escadre de canards par dessus les étangs où fleurissent joncs et saules, leur sens du timing les fait aussi rebondir comme des écureuils surpris dans les hautes branches de pin sous un ciel bleu maculé de soleil. Un passage en duo au ténor (articulation chevauchante) fait se secouer les harmoniques de la flûte et entraîne les zig-zags du guitariste et soudainement, la conversation s’apaise par miracle et les sons s’étalent. Un trio s ‘enchaîne sur un autre, donnant à chaque musicien une prépondérance momentanée dans l’équilibre des forces et des attirances. Cet instantané, parmi tant d’autres aussi diversifiés qu’éphémères, éclaire la nature volatile, insaisissable de l’improvisation libre dont l’école Dunmall, Gibbs et consorts en assume la part mélodique au top de la profession, face au travail sonore ou textural de fratries plus éloignées de l’univers des musiques improvisées. Encore un album différent de la filière - filon Dunmall – Gibbs, autrefois Moksha Trioavec le grand contrebassiste Paul Rogers. Comme très souvent, il y a un élément neuf qui surgit dans le jeu du prodige du saxophone : par exemple les véritables morsures au soprano face à la guitare déchaînée de Gibbs dans la plage 5, Seascape’s.  Voici une session qui sort du lot, si c’est encore possible dans la saga dunmallienne. 

Dependant Origination Alex Cline Dan Clucas Peter Kuhn Dave Sewelson Scott Walton FMR CD 478-1117

Quintet californien superbement coordonné et très libre. Percussions, le puissant Alex Cline, souffleurs : Dan Clucas au cornet, Peter Kuhn à la clarinette, clarinette basse et sax ténor et Dave Sewelson au sax baryton et sopranino. À la contrebasse, Scott Walton. Une successions de moments légers, puissants, explosifs, graveleux, aérés, éthérés, profonds, fragmentés, hésitants. Le  free dans plusieurs dimensions avec une intelligence de l’imbrication des discours individuels dans le collectif. À cet égard le deuxième morceau du disque, The Nibbler, est un magnifique exemple de partage de l’espace sonore et du temps qui se déroule. Les interventions d’Alex Cline, proches des univers de Paul Lovens et de Gerry Hemingway, dynamisent l’ensemble. Son jeu fonctionne comme une horlogerie qui met en branle chacun de ses quatre collègues en alternance créant un subtil jeu de questions réponses réparties irrégulièrement entre les souffleurs qui s’en donnent à cœur joie. Ces improvisations minutées en canon créent une forme et un fil conducteur jusqu’au remarquable solo de percussions en contrepoint d’Alex Cline sur lequel le cornet Dan Clucas enchaîne une controverse reprise par la clarinette stylée de Peter Kuhn qui s’envole en morsure d’aigus au moment où Cline démarre. Si la musique semble fort improvisée, le bassiste Scott Walton pulse avec un drive à la Haden et on découvre petit à petit et après coup une structure qui se dessine, une histoire qui prend forme et se métamorphose en dérive sonique. Peter Kuhn, vraisemblablement démonte sa clarinette en saturant les aigus … Alex Cline a développé un jeu free en équilibre instable dynamique et virevoltant assumant la dimension « free » - libertaire dans sa démarche. Ses collègues sont propulsés, dépassés par ses roulements agrémentés de coups de cymbales, cloches et autre métaux expressifs dans une perspective contemporaine. Le pizzicato intense et puissant de Scott Walton fait tenir l’édifice malgré les coups de boutoir et démarrages du batteur, lequel active les ébats ludiques des trois souffleurs. Chacun d’eux joue un rôle précis par rapport aux autres, contrasté, complémentaire … du growl éléphantesque du baryton de Dave Sewelson aux gazouillements exacerbés de la clarinette de Peter Kuhn. Le concert se termine par une manière de blues et d’Art Ensemble… : The Way Out (Is in).Un des meilleurs albums du genre par un collectif soudé et inventif qui n’hésite pas à introduire dans son free- jazz ouvert des incartades sonores audacieuses avec une réelle indépendance/ interaction de chacun des participants.  

Bellezza Fiammeggiante Eugenio Sanna Massimo Simonini Edoardo Ricci Edoardo Marraffa Mirko Sabatini Setola di Maiale SM 3280

Une équipe d’incontournables de l’improvisation transalpine : de Pise, le guitariste Eugenio Sanna, de Florence, le saxophoniste alto Edoardo Ricci aussi clarinette basse et cornetta, de Bologne, le saxophoniste ténor Edoardo Marraffa, Massimo Simonini, crédité CD, disques, bandes, live sampling Casio sk1 et Mirko Sabatini batterie préparée. Mais aussi voix, objets mégaphones, textes... Une belle bande d’allumés captés sur le vif en studio en 2000. Un bon nombre d’improvisateurs (libres) italiens se rattachent au lignage euro-jazz et « jouent  de la mélodie ». Moins connus que leurs collègues rassemblés dans l’Italian Instabile Orchestra, ces musiciens sont plus incisifs et radicaux. Dès la première plage, les samples délirants et le platinisme de Massimo Simonini plante le décor, les instrumentistes interviennent par touches bien senties entre le noise pointilliste électrique de Sanna et les timbres étirés et vocalisés des deux souffleurs, Ricci, et Marraffa. L’articulation de ce dernier au ténor et ses harmoniques attirent l’écoute. Sonorités de batterie vraiment intéressantes de Sabatini. Quant à Eugenio Sanna, son inventivité sonore à la guitare électrique est très personnelle. De nombreux changements de registres et d’atmosphères qui collent avec la technique du collage instantané de Simonini. Ça dégage et déménage plus qu’à son tour. Mais durant un autre morceau, la musique se construit par bribes et courtes phrases retenues qui fusent, surprenantes et complémentaires, bruissements et dérapages s’interpénètrent avec une remarquable lisibilité. Le flux est constamment remis en question, l’aspect ludique et non-sensique des échanges mis en avant dans une belle foire d’empoigne expressionniste qui n’est pas sans rappeler les ineffables AlterationsBellezza Flameggiante est un bel exemple de musique déraisonnable et anarchique, parfois au bord d’une transe semi-contrôlée voire chaotique par instants, état d’esprit et jeu collectif qu’il n’est possible d’atteindre qu’en improvisant librement (et une solide expérience !). En outre, ils s’efforcent de créer des instants précis, formes éphémères où chacun des musiciens est libre d’intervenir spontanément au travers de l’écoute et qui restent gravées dans la mémoire de l’auditeur, car elles n’ont pas d’autre équivalents. Les paroles, morceaux de conversations édifiantes, extraits de chansons tirées par les cheveux et samples de musiques improbables  qui fusent çà et là, affirment une dimension surréaliste bienvenue. On s'amuse aussi beaucoup. Vouloir déterminer le degré de réussite, 3, 4 ou 5 étoiles est complètement illusoire avec une telle équipée. C’est à prendre ou à laisser. Moi je prends !

14 septembre 2018

Phil Gibbs Marcello Magliocchi Adrian Northover Maresuke Okamoto / Flavio Zanuttini/ Paulo J Ferreira Lopes – Karoline Leblanc/ Earle Brown by Gianni Lenoci / Akira Sakata Simon Nabatov Takashi Seo Darren Moore/ Willy Kellers Quartet with Paul Dunmall Frank Paul Schubert et Clayton Thomas.

Sezu Phil Gibbs Marcello Magliocchi Adrian Northover Maresuke Okamoto FMR cd 0487-0518

Guitare électrique (et banjo) : Phil Gibbs, un des plus constants alter-ego du grand saxophoniste Paul Dunmall. Percussions : Marcello Magliocchi, un véritable feu follet pugliesede la batterie alternative dans la meilleure lignée Lovens -Turner - Blume. Saxophone soprano et alto Londonien mordant et distendeur de la polymodalité : Adrian Northover. Violoncelle (et voix), Maresuke Okamoto, énigmatique improvisateur nippon éternellement frippé à la japonaise à la scène comme à la ville. Pour notre bonheur, le groupe n’est pas uniformément relié à une esthétique particulière avec un fort dénominateur commun comme par exemple le légendaire trio Iskra 1903 (Bailey Guy Rutherford). Ces artistes ayant été amenés à se rencontrer successivement au fil du temps, Magliocchi et Okamoto dans des tournées italiennes et portugaises, Northover et Magliocchi à Londres et en Italie intensivement dès 2015 jusqu’à ce jour, Phil Gibbs rencontrant ensuite Magliocchi au Vortex et Adrian Northover à I’Klectic, il s'agit plutôt d'un assemblage amical intuitif qu'une stratégie focalisée sur un dénominateur commun très sélectif. Finalement les quatre se rejoignent en octobre 17 à Londres pour une session où leurs différences se marient grâce à leur esprit de recherche. Une session ad-hoc avec des artistes qui savent évoluer indépendamment de manière intéressante. Il faut entendre Okamoto réciter une histoire incompréhensible en japonais alors que les vagues/ boucles plus ou moins répétitives du  guitariste évoluent sans rapport apparent avec les frottements métalliques et grattages percussifs astringents de Magliocchi et le jeu contorsionné à peine audible de Northover. Et l’édifice tient la route. À d’autres moments, le violoncelliste répond au plus profond des intervalles alambiqués du sax soprano pointu. Règne un excellent équilibre sonore des quatre individualités dans le champ auditif. Une volubilité inextricable où l’écoute est prédominante au niveau harmonique, intervalles, bruissements en rhizomes, clés et modes suggérés. Car la suggestion est le mode principal de cette intercommunication – interaction poétique. Partout, les mini-crépitements – roulements accélérés, boisés ou métalliques du batteur commentent les échanges, communiquant une espèce de folie tout en maintenant un savant contrôle sur la qualité de ses frappes et leurs multiplicités – variétés sonores et leur cadence à la fraction de seconde. Des changements sensibles  d’atmosphères pointent du nez sans qu’il n’y paraisse, alors qu’est maintenue une cadence aussi tournoyante qu’accidentée. Une capacité de prendre subitement au vol un élément remarquable dans l’invention volatile d’un des collègues et de le réintroduire subtilement … et spontanément dans des variations travaillées.  Il me semble que chacun de ses artistes serait peut - être individuellement mieux mis en valeur dans une autre configuration de groupe (duos – trios ..). Mais, confronté à la réalité du moment présent, ils remplissent ces 59 minutes d’inventions, de délires sans ciller, et font valablement évoluer leurs recherches sonores au fil des sept improvisations. La cinquième atteint, sans doute, un état second de la conscience, aiguillonnée par le jeu complètement dingue et violemment microtonal de Phil Gibbs au banjo acoustique. Ce faisant, libère la furia rentrée de Magliocchi et la vélocité de l’archet d’Okamoto, Northover ayant un réel sens du cool, à la fois feutré et dynamique créant un bel espace pour ses collègues. Dans ce groupe, notez, Adrian Northover se retient d’envoyer la purée, mais je l’ai déjà entendu exploser son soprano en fortissimo avec un Marcello Magliocchi furieux. La créativité et la compréhension du groupe se bonifient dans les deux derniers morceaux, Shanty et Sezu, un peu plus longs que les précédents. Plus longs  sans doute parce que la matière devient plus dense, plus vécue, plus contrastée, nettement moins prévisible et encore plus convaincante. On essaie plus, on oublie ses réflexes. Certains groupes semblent au premier abord plus réussis, comme par exemple ces duos de pointures confirmées qui sont faites l’un.e pour l’autre et ne peuvent échouer. Cette session s’affirme comme une leçon d’improvisation, de transformation de soi, de partage et de découverte où rien n’est acquis d’avance et tout est à conquérir. 

Flavio Zanuttini  La Notte  Creative Sources CS 505 CD 

Un album solo de trompette improvisé / composé dans le sillage des Axel Dörner, Birgit Ulher, Nate Wooley, Mazen Kerbaj, Franz Hauzinger, Masafumi Ezaki, Leonel Kaplan etc… artistes révélés autour de 2000 et qui ont fait parler d’eux. On croirait qu’un chapitre de la musique improvisée avait été tracé. Voici un nouveau venu qui n’a rien à envier à ses aînés.  Un excellent album réunissant 9 pièces où les possibilités sonores et expressives « alternatives » sont dilatées, comprimées, étirées, croisées selon l’inspiration du trompettiste. Enregistré au plus près, un grand soin a été apporté à la technique d’enregistrement et au placement des micros. Quelques idées évoquent Bill Dixon (Secrets, Cantabile). ME & me dévoilent des hyper graves superbement contrôlés. D’étonnants effets de souffle obtenus en démontant à moitié l’instrument (Bipede). Chaque morceau apporte sa moisson de sonorités et de timbres fous. Au fur et à mesure que la musique s’écoule (comme le temps) et qu’on découvre les merveilleux détails de cette sculpture sonore vivante qui déchire l’espace, une impression d’infini se fait jour. J’éprouve beaucoup de plaisir à l’écoute de ces extrêmes de la trompette mis au service d’une pensée musicale profonde. Là où la sensibilité et le talent font corps avec une démarche formelle audacieuse. Hautement recommandable !! 

KUMBOS Paulo J Ferreira Lopes – Karoline Leblanc atrito – afeito 008


Electroacoustic Composition by Paulo J. Ferreira Lopes. Celui-ci est crédité synthesizers reel to reel recordings electromechanical devices percussion. La pianiste canadienne  Karoline Leblanc joue aussi du clavecin, de l’orgue et des field recordings. Le piano, on l’entend, est un Imperial Bösendorfer. Une œuvre intense de 46:36 où s’interpénètrent des traitements électroniques aux sonorités très détaillées, le clavier résonnant du grand piano, des bruissements provenant d’une installation (electromechanical devices), des bandes , des extrêmes sonores qui surviennent brusquement et se dissolvent…Plus qu’un paysage sonore, il s’agit d’un rêve, de portions du temps découpées et insérées aux autres dans une autre réalité, d’un cauchemar esquissé, le piano granitique et monstrueux nous rattachant à notre condition d’auditeur. Le son du piano semble quelque fois traité électroniquement. Karoline Le Blanc enfonce les touches graves avec puissance faisant résonner toute la caisse de résonance au maximum en symbiose avec les sons électroniques et quelques notes du piano altérées électroniquement. Œuvre complexe, dense, radicale, au cheminement imprévisible et vraiment intéressante qui mérite d’être écoutée à plsuieurs reprises pour en déceler les fils conducteurs. 

Earle Brown Selected Works for Piano and Sound Producing Media Gianni Lenoci Amirani Contemporary.
Ce n’est pas le premier album du pianiste Gianni Lenoci pour Amirani tant en musiques improvisées que dans la série du label dédiée à la musique (classique) contemporaine. Cet album consacré au compositeur Earle Brown (1926 – 2002) est une parfaire réussite tant au point de vue musical qu’au niveau de la production, vraiment soignée. Pour construire leur univers en improvisant spontanément leur musique, de nombreux artistes se réfèrent directement ou indirectement à la musique des compositeurs contemporains. Edgar Varèse, Schönberg, Webern pour commencer, ensuite Cage, Stockhausen, Boulez, Berio, Xenakis, Morton Feldman. Et Earle Brown. En écoutant les œuvres choisies par l’interprète et qui datent des années 50, on retrouve ce langage contemporain qui investiguait et découvrait tout un champ de possibilités sonores du piano, des résonances alors inouïes qui n’ont pas encore fini de répandre leurs ondes de choc. Et surtout la création de formes qui mettent en exergue ces procédés de jeux, de toucher, ces vibrations, ces contrastes, cette dynamique subtile, eux-mêmes vivifiés par le métier indiscutable et la sensibilité du pianiste. S’ajoutent aussi des moyens électroniques de production sonore. À mon avis, c’est un album important car Gianni Lenoci est non seulement un très solide instrumentiste, mais il a baigné pendant des décennies dans cette musique improvisée d’avant-garde issue du jazz (free) et du contemporain. Cette pratique intense lui permet de faire vivre la musique d’Earle Brown, mieux peut-être qu’elle ne l’aurait jamais été auparavant. Malgré le fait que je n’ai jamais eu le temps d’écouter à fond ce genre de  compositeurs comme j’ai pu le faire avec nombre d’improvisateurs de premier plan (cela est dû au fait que j’ai accompli une vie professionnelle à plein temps de 1976 à 2016), je perçois bien toute la puissance paradoxale de cette musique retenue où chaque son est pensé, respiré et soupesé avec soin et la qualité de l’interprétation – mise en vie de Gianni Lenoci.

Akira Sakata Simon Nabatov Takashi Seo Darren Moore Not Seeing Is A Flower Leo Records 843

Quartet « classique » sax alto : Akira Sakata (aussi clarinette voix et percussions) , piano : Simon Nabatov, contrebasse : Takashi Seo, batterie : Darren Moore. Simon Nabatov , un pianiste superlatif, trace sa carrière à coup d’albums Leo avec des musiciens superlatifs comme Frank Gratkowski. Il écope ici d’une très bonne « section rythmique». La présence d’Akira Sakata donne un supplément d’âme. On avait connu ce saxophoniste alto impétueux souffler le chaud et le froid avec le pianiste Yosuke Yamashita et le batteur Takeo Moriyama dans une aventure complètement libre durant les premières années 70 et un registre hyper énergétique voisin des trios Taylor-Lyons-Cyrille, Schlippenbach-Parker-Lovens, Brötzmann-Van Hove-Bennink. Il n’a pas baissé la garde, toujours aussi prompt à en découdre. On découvre aujourd’hui un saxophoniste alto de premier plan, avec une connaissance remarquable/ intuitive des modes et des harmonies. Qu’est ce que cela à avoir quand on joue « free », me direz vous ? À se guider dans la jungle sonore, celle des intervalles auxquels sont confrontés tous les musiciens. Il jongle avec les sons et leur hauteur relative et c’est ce qui rend son phrasé mordant, volatile et perçant vraiment attirant. On suit ses improvisations endiablées à la trace sans se lasser. La maîtrise du clavier de Simon Nabatov est confondante : ses ruissellements cristallins et ondulations de doigtés main droite - main gauche sont superbement articulés et offrent une réponse convaincante aux envolées exacerbées et sensuelles du souffleur. Le groupe est remarquablement soudé et inventif, toujours prêt à s'égarer dans le domaine des sons libres et spontanés. Le batteur Darren Moore est remarquable dans son rôle de soutien - commentateur aussi discret qu'efficace. Le bassiste Takashi Seo se démène pour tirer la musique hors de la zone confort avec une belle puissance.  Les compositions – improvisations libres collectives sont rondement menées autour d’intentions précises et spontanément partagées qui transcendent les individualités.  Ai écouté plusieurs albums récents de Nabatov et celui-ci est sans nul doute une pièce de choix. Du free-jazz énergique en roue libre, basé sur l'écoute et profondément musical . 

Life in a Black Box Willy Kellers Quartet FMRCD0382 0714 avec Paul Dunmall Frank Paul Schubert et Clayton Thomas.

Voici comment rendre le so-called free jazz joué « complètement libre » (sans compositions préétablies et basé sur l’improvisation totale) fascinant avec le quartet schématique deux souffleurs, une contrebasse et une batterie. Je pense qu’il n’y a rien à expliquer. Cette musique peut se révéler prévisible et dans ce cas, parfois relativement ennuyeuse. Mais Life in a Black Box, enregistré live à Black Boxdans la ville de Munster le 14 février 2014 défie tous les pronostics. Ici, en premier lieu, officie le puissant batteur Willy Kellers, un phénomène de la polyrythmie dans la lignée des Milford Graves, Andrew Cyrille, Hamid Drake. Sa fougue (furia, emportement, rage de jouer, énergie folle) n’a d’égale de son invention dans le champ de la batterie conventionnelle. C’est le leader qui infuse sa vision libertaire des choses  Clayton Thomas , australien basé à Berlin est un de ces prodiges organiques de la contrebasse de la trempe de John Edwards. Il donne toute sa mesure pour sortir des sentiers battus, mais aussi pour pulser autant que son acolyte à la batterie. Deux souffleurs, Frank Paul Schubert aux sax alto et soprano et Paul Dunmall au sax ténor et à la cornemuse – bagpipes jouent en communion complète. Deux longues improvisations de 33 (First Box) et 24 minutes (Second Box) qui forme l’essentiel de chacun des deux sets du concert, clôturés chacun par un morceau plus court : Interlude (9’) et Burlesque (7’). La combustion d’énergie est considérable même quand les souffleurs semblent effleurer par instants leur anche. Irrésistiblement, la musique collective évolue vers des passages extatiques – statiques qu’on n’entend jamais ailleurs. Un univers sonore dont Derek Bailey disait qu'il ne pouvait être atteint qu'avec l'improvisation libre, discipline qui requiert une bonne dose de fantaisie, qualité de choix selon lui de l'improvisateur "sérieux" dans le domaine de la liberté "totale". Dunmall ajoute un drone à la cornemuse et les fréquences s’interpénètrent mystérieusement. Dunmall et Thomas entraînent spontanément le quartet dans des zones inconnues. Le batteur et le contrebassiste  tente avec succès de coller en duo l’un à l’autre comme dans un rêve éveillé. Kellers fait merveille avec des cloches et des crotales qui pointent leur nez à bon escient, conférant une dimension onirique après les déflagrations extatiques. Life In A Black Boxaltère la perception du temps et transforme intensément ce quartet dans une dimension insoupçonnée, qui assume le défi de l'improvisation libre. Vraiment à marquer d’une pierre blanche. 

PS : Dunmall, musicien très stylé qui connaît son jazz moderne et traditionnel comme sa poche, se révèle comme un doux poète, un free jazzman explosif tout en étant (plus qu’) à la mesure des saxophonistes de jazz moderne révérés qui défie les lois de la gravitation comme Dave Liebman, Michael Brecker, Joe Lovano etc… . Ses triples détachés et ses harmoniques ont peu d’égaux dans le saxophone contemporain. Un cas rare d’expressionnisme réfléchi et sauvage à la fois. Comme le reconnaissait lucidement un saxophoniste de haut vol : c’est un « tueur » ! Lui et Evan Parker font la paire au sax ténor. Un autre collègue américain très remarqué m’a confié qu’il n’osait pas comparer à ces deux saxophonistes exceptionnels. C'est dire la densité de personnalités comme Kellers, Schubert et Thomas. Dunmall n’est pas plus visible sur la scène simplement parce qu’il préfère vivre dans sa campagne du Gloucestershire, ne se déplaçant hors de Grande Bretagne une ou deux fois l’an si les conditions de travail sont confortables. Donc allez l’écouter à Bristol, Cardiff, Birmingham ou au Vortex à Londres.