20 août 2024

Tony Oxley Quintet Angular Apron Manfred Schoof Larry Stabbins Pat Thomas Sirone/ Catalogue : Jac Berrocal Jean-François Pauvros Gilbert Artmann/ Zlatko Kaucic & Gal Furlan / Udo Schindler Andreas Willers Zwang Eriksson

Tony Oxley Quintet Angular Apron avec Manfred Schoof Larry Stabbins Pat Thomas Sirone 1992 Corbett vs Dempsey
https://corbettvsdempsey.bandcamp.com/album/angular-apron

Durant sa carrière, Tony Oxley a surtout enregistré des albums avec son propre Quintet ou Sextet à la charnière des années 60-70 avec Barry Guy, Derek Bailey, Evan Parker, Kenny Wheeler et Paul Rutherford ainsi qu’en trio avec Howard Riley et Barry Guy et un duo avec Alan Davie ou encore February Papers avec Guy Wachsmann et le guitariste Ian Brighton. Par la suite durant les années 80, les Tony Oxley Quartet, Quintet ou Sextet firent de nombreux concerts avec Barry Guy, Phil Wachsmann,Ian Birghton, Howard Riley, Larry Stabbins, Alan Tomlinson et l’ineffable Hugh Metcalfe (sic !). Malheureusement, rien ne fut jamais publié, si ce n’est the Glider and the Grinder avec Wachsmann, Wolfgang Fuchs et Hugh Metcalfe (Bead Records) et trois plages dans February Papers (Incus 18). Récemment, le label Discus music a sorti un CD où figure la composition Frame (14’53’’) avec Metcalfe, Wachsmann, Riley et Larry Stabbins. Enfin, voici une version de soixante minutes de sa légendaire composition Angular Apron enregistrée en octobre 1992 à Bochum au Ruhr Jazz Festival avec une formation aussi intéressante qu’originale. On retrouve le saxophoniste ténor et soprano Larry Stabbins lequel avait enregistré dix ans plus tôt un double LP free particulièrement mémorable avec Keith Tippett et Louis Moholo pour le label FMP (TERN SAJ 43-44). Larry a développé très tôt une approche sonore au sax ténor et soprano voisine de celle d’Evan Parker. Son fait d’armes le plus pointu est « Fire Without Bricks » enregistré en duo avec le percussionniste Roy Ashbury pour Bead Records en 1976 et réédité par le même label Corbett VS Dempsey. C’est un de mes concerts de free music parmi les plus mémorables : j’étais assis par terre à trois mètres des musiciens dans le Hall du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles et n’en ai pas perdu la moindre note et le moindre son, complètement fasciné. Au piano, le brillant Pat Thomas qui joue aussi des electronics... Celui-ci a fait la découverte de sa vie avec Tony Oxley à Oxford lors d’un concert qui a déterminé son cheminement musical. Par la suite Pat enregistra trois CDs dans le Tony Oxley Quartet deux avec l’électronicien Matt Wand et Derek Bailey lui-même (Incus CD The Tony Oxley Quartetet un CD pour JazzWerkstatt) et un troisième avec Phil Wachsmann en lieu et place de Bailey. (The BIMP Quartet Floating Phantoms). Quoi de plus naturel de retrouver le légendaire contrebassiste Sirone. En effet Oxley et Sirone ont beaucoup travaillé et enregistré avec Cecil Taylor. Sirone était aussi le contrebassiste du Revolutionary Trio avec Leroy Jenkins et Jerome Cooper, mais aussi de Pharoah Sanders et Charles Gayle. Et comme on est en Allemagne, on trouve une autre légende du free-jazz, le trompettiste Manfred Schoof connu pour son association avec Alexander Schlippenbach et son Globe Unity Orchestra dès le début des années 60 et aussi avec Mal Waldron et Steve Lacy. Question qualité d’enregistrement, cela laisse un peu à désirer, MAIS , il s’agit indubitablement d’un témoignage majeur des groupes et des compositions de Tony Oxley qui comble une sérieuse lacune dans sa documentation. Sa démarche éclairée fait à la fois coexister et fusionner les apports de la musique contemporaine et l’intensité virulente du free radical sans concession. Le contraste entre ses avalanches déflagrations de "micros sons" et la puissance agressive du pianiste et des souffleurs est unique et fascinante. Très tôt dans son évolution et avant de devenir la batteur maison du Ronnie’s Scott, Oxley a écouté et intégré dans sa pratique de l’improvisation les implications de la musique de John Cage, Stockhausen en compagnie de Derek Bailey et Gavin Bryars. Son style de drumming est ici assez éloigné du jazz par l’utilisation abrupte d’accessoires percussifs métalliques dont une cloche trapézoïdale soudée artisanalement, des cymbales destinées à la musique contemporaine, crotales, temple blocks, tambours chinois, mais aussi grincements du métal à la pointe des baguettes effectuées en un crucial instant. Ses frappes particulières évitent tout soupçon de coordination rythmique "jazz" et mettent en évidence une fluidité très contrastée qui se répand dans une infinité de détails sonores ou éclate dans de curieux agrégats de timbres qui semble produits par un seul geste. Aussi des roulements caractéristiques avec des sonorités aiguës qui sont suspendus dans le vide oblitérant la notion de pulsation et de rythme conventionnel. En outre, il ajoute l’utilisation d’électroniques. Son jeu est immédiatement reconnaissable et tout – à fait unique. On applaudira ici la performance de Pat Thomas, un pianiste virtuose aussi enragé et intense qu’ait pu l’être un Alex Schlippenbach. Ses entrechats cosmiques au clavier rivalisent avec les frappes stellaires du leader. Pour ceux qui ne l’ont jamais entendu, ce sera l’occasion de découvrir l’extraordinaire mordant de Larry Stabbins qui fait ici éclater l’anche de son sax ténor avec une violence hallucinante, déchiquetant les sonorités et ses triples détachés comme si une machine faisait accélérer le débit du souffle pour hacher menu la notion de phrasé. On est tout proche du délire bruitiste d’Evan Parker avec Alex von S. et Paul Lovens des premiers albums FMP. Sirone contribue intensément en gardant le cap contre vents et marées avec des doigtés concentrés et des coups d’archet qui occupent une place enviable et profondément significative dans le champ auditif. Cerise sur le gâteau, les interventions de Manfred Schoof dans le jeu d’ensemble avec une dimension proche de Ligeti et ou dans des improvisations puissantes et centrifuges. À l’écoute, l’auditeur est emporté par le torrent tumultueux de la musique et une écoute à tête reposée perçoit clairement les étapes successives et l’excellente construction de la composition dont l’exécution « spontanée » endiablée fait oublier qu’il y ait une partition. À saisir en priorité.
Veuillez aussi vous référer à tous les CD's récents d'Oxley que j'ai systématiquement chroniqués car je pense avoir été en manque de ses trop rares LP's "Oxleyiens" des années 70 et 80 avant son intense collaboration avec Cecil Taylor ainsi qu'avec Bill Dixon, Paul Bley des décennies suivantes. R.I.P Tony.

Assassins Catalogue Jac Berrocal Jean-François Pauvros Gilbert Artmann. Fou Records FR CD 64.
https://fourecords.com/FR-CD64.htm
Trois légendes du free – rock expérimental – noise – punk : le trompettiste chanteur etc… Jacques Berrocal, le guitariste Jean-François Pauvros et le batteur compositeur Gilbert Artmann sont les membres de Catalogue. Mis à part le titre « Assassins », le nom du groupe des musiciens et la mention « enregistré et produit par Jean-Marc Foussat. Il y a trois morceaux de 6 :28, 6 :13 et 8 :36 respectivement sans aucune mention de titres etc… toutes les informations sont contenues dans des griffonnés à l’encre noire dans laquelle on a évidé les lettres des indications (groupe -musiciens – titre et les crédits). Donc trois morceaux « heavy noise » pour trois musiciens et trois références : Catalogue, Assassins et enreg. et produit par J-MF. La règle de trois, mais pas de date ni de lieu. À l’intérieur du diptyque en papier fort de la pochette, les deux faces internes sont aussi noires que la musique. Une apparence quasi-anonyme abrupte. Rythmes isochrones basiques obsédants au marteau piqueur qui finit par se déglinguer. Riffs sourdement électriques rageurs qui peuvent se muer en giclées électro-acoustiques flashy, cris – harangues vocales trafiquées . On imagine des stroboscopes et des lumières noires hypnotiques. Musique violente, noise pulsionnel, effets de guitare hard-core harsh abrasifs. Le guitariste maîtrise sa rage sans bavure en allant droit au but. Le son de la batterie est furieusement organique : dans son jeu, on ne trouve pas une once de banalité issue de manuels de batteur qui suinte ou surnage toutes les trois mesures. C'est de la pure révolte aussi spontanée que mûrement réfléchie. Je dois avouer ne pas avoir souvent assisté et fréquenté des concerts de ce genre de musique, même si je me suis amusé à faire du noise à la guitare à certains moments, car trop souvent les coquilles pleuvent et les peintures de guerre se délaient misérablement. J’ajoute aussi que j’ai assisté à une de leurs premières performances le 11 août 1979 au King-Kong à Anvers lors du Free-Music Festival/ W.I.M. Le saxophoniste du groupe jouait de l’ harmonium et le batteur était Jean-Pierre Arnoux. Le concert a été publié en vinyle peu après et réédité ensuite en CD sous le titre Catalogue Live In Antwerpen par le label Spalax. Dans ce genre de choses, Assassins est pas mal du tout, ultra mordant à l’arraché, uppercut sonore sans fioriture avec quelques dérapages soniques précis qui font sens dans le flux brûlant de la musique. Seraient-ce le guitariste ou le trompettiste qui tripatouillent leurs "effets" électroniques... et avec quelle précision de malades ? Comme le disque est court, c’est ultra-efficace. Je rappelle que Pauvros et Foussat ont collaboré dans le groupe Marteau Rouge dont Fou Records a produit un album avec Evan Parker et un autre avec Keiji Haino. Artmann fut , entre autres, le batteur de Lard Free et le compositeur leader d’Urban Sax, deux groupes de légende. Et Jacques Berrocal a multiplié les collaborations les plus improbables entre autres avec Vince Taylor (Rock n’Roll Station) et figurait déjà dans un premier inclassable album pour le label futuriste Futura - Son à l'aube des seventies,Musik Musiq. Dans cet album, Jac B. semble hurler das un vide sidéral sidérant l'auditeur. À vous de choisir. Sans nul doute indispensable pour les amateurs de noise destroy avec de la classe.

Zlatko Kaucic & Gal Furlan Father, Son and Holy Sound Klopotek IZK CD1K52
https://www.klopotec.si/klopotecglasba/cd_kaucicfurlan70/

Le titre, Father, Son & Holy Sound, fait référence à l’album Meditations de Coltrane dans lequel trône, sur la Face A, « the Father, the Son and the Holy Ghost”. Mais détrompez-vous ! Il ne s’agit pas ici de hard-free jazz dans lequel excellaient Coltrane et Pharoah Sanders avec Elvin, Rashied Ali,Jimmy et Mc Coy. Mais plutôt un magnifique échange de percussions en duo, détaillé et subtil avec une utilisation raffinée et créative de nombreux instruments – objets percussifs. Plus qu’un dialogue, nous découvrons ici une mise en commun des ressources collaboratives où le jeu de chacun est entièrement intégré à celui de l’autre, un peu comme s’il n'y avait qu’un seul musicien présent. Impossible de distinguer clairement qui joue quoi dans cet enregistrement à l’excellente qualité technique (Iztok Zupan du label klopotek). Les techniques de frappe traditionnelles croisent celles qui sont « alternatives » en évitant les effets faciles et les cascades de roulement et figures de style entendues partout. L’aspect sonore et les pulsations en roue libre font bon ménage. Un seul long morceau superbement construit durant 40:44 en un long crescendo jusqu’au la profusion de rythmes du final. Les deux acolytes font preuve d’une technique remarquable, mais surtout, la qualité musicale et la réussite tant expressive qu’émotionnelle subliment leur savoir-faire de batteur. Du grand art. Des nuances remarquables la recherche sonore, le foisonnement de pulsations libres et une admirable qualité de toucher et de frappes La musique de percussions jouent de toute évidence un rôle primordial dans l’évolution de la free-music ou improvisation libre parce qu’elle ne se réfère pas à la tonalité ni à l’harmonie avec des instruments accordés. De ce point de vue, le duo légendaire de Paul Lovens et Paul Lytton (enregistré à trois reprises) occupe à mon avis une position centrale, mais aussi par exemple, le Trio de Batteries de Matthias Ponthévia, Didier Lasserre et Edward Perraud (Amor Fati) ou le NoNoNo Percussion Ensemble de Gino Robair, Christiano Calganile et Stefano Giust (Excantatious – Setola di Maiale). Ces deux albums de percussions ont été décrits dans ces lignes . Si les Slovènes Gal Furlan et Zlatko Kaucic ont une pratique plus « conventionnelle » que celle plus radicale des deux Paul,le niveau d’excellence et la cohérence peu ordinaire de leur prestation du 21 février 2023 en font un véritable tour de force. Un des meilleurs albums de free percussions.
PS Klopotek est un excellent label slovène . Jugez du peu : Trevor Watts & Jamie Harris, Sabu Toyozumi & Claudia Cervenca, Elisabeth Harnik, Giorgio Pacorig & Clarissa Durizotto, Pat Thomas, Keith Tippett, Edorado Marraffa & Nicolà Guazzaloca, Marco Colonna et un fantastique duo Daunik Lazro & Joe McPhee)

Cassiber Complex Udo Schindler Andreas Willers Erik Zwang Eriksson Unconditionned Sounds in a Box FMR CD

J'ai reçu plusieurs cd's du souffleur multi-instrumentiste Udo Schindler à quelques reprises. Mais vu les limites temporelles et rédactionnelles de ma capacité à décrire ce que j'entends au fil de mes écoutes et mes impressions, je ne peux inonder mon blog avec la production d'un seul artiste afin de maintenir un semblant de diversité. J'ai donc choisi ce Cassiber Complex pour deux raisons : la personnalité et les trouvailles sonores d'Andreas Willers, un guitariste free avec un solide parcours et la collaboration évolutive d'Udo Schindler et du batteur Erik Zwang Eriksson. Udo est ici crédité cornet, tubax et sa chère clarinette basse qui fait mes délices lorsqu'il est confronté au clarinettiste Ove Volquartz dans des duos mémorables publiés par FMR que je recommande chaudement. Cassiber Complex est une longue improvisation exploratoire de 54 minutes, éthérée, spacieuse, suspendue dans le champ auditif d'une écoute minutieuse. Musique détaillée, guitare électrique en glissandi quasi permanent rehaussé par un jeu soigné à la pédale de volume, le silence étant ici un facteur créatif primordial dans les 14 premières minutes. Zwang Eriksson dépose adroitement des sons et frappes épars. Le souffle méthodique de Schindler trace une narration qui évolue vers une interaction action - réaction plus directe où la batterie free est rehaussée par des sons électroniques de Willers. Udo Schindler se veut clarinettiste, saxophoniste, corniste, tubiste etc... Si les exigences de chaque instrument sont difficiles à assumer lorsque quelqu'un joue tant des instruments à anche différents que des cuivres à embouchures aussi divers que la trompette, le trombone, le tuba, etc..., il faut reconnaître que dans l'instant et sur la durée, Udo Schindler assure et est devenu un solide improvisateur. En outre ce Cassiber Complex est truffé de trouvailles sonores qui peuvent déraper follement vers une agressivité non feinte et une bonne dose de mystère autour d'un silence musical. Aussi, les harmoniques outrées et grasseillements du souffleur font merveille et sens. Les interventions du guitariste ajoutent de la clarté pour rediriger le trio vers une autre perspective et un autre feeling. Un bon point aussi pour les graves volutes du tubax soulignées délicatement par les frappes éclaircies d'EZE et le savoir faire du guitariste, un improvisateur peu commun dont les ressources renouvellent constamment l'entreprise qui ne craint pas la foire d'empoigne saturée et explosive située vers les minutes 30-32. La succession des séquences et l'aspect évolutif de l'improvisation collective sur une si longue durée en toute liberté est vraiment méritoire avec une bienvenue déflagration finale follement noise. Un concert munichois du 28 juillet 2023 qui valait sûrement le déplacement.

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