16 août 2024

Anthony Braxton Solo/ Gabby Fluke Mogul & Ivo Perelman/ Roberto Di Blasio Antonio Pio Caramella & Giulio Izzo/ Ignaz Schick Anaïs Tuerlinckx & Joachim Zoepf

Anthony Braxton Solo Bern 1984 First Visit ezz-thetics 103.
https://first-archive-visit.bandcamp.com/album/anthony-braxton-solo-bern-1984-first-visit
Ezz-thetics est une bouture du légendaire Hat-Hut – Hat Art (hatology etc…) qui avait publié une série d’enregistrements d’Anthony Braxton dans les années 80 et 90. Voici qu’Ezzthetics propose une fantastique perfomance inédite du saxophoniste alto en solo (« absolu ») enregistrée à Berne en 1984. Braxton est le premier saxophoniste à avoir initié des concerts de saxophone (alto) en solo dès 1968 avec son propre répertoire de compositions et accessoirement quelques Standards. Sa démarche en solitaire a entraîné d’autres saxophonistes d’envergure à se produire en solo : Steve Lacy, Roscoe Mitchell, Evan Parker, Joe Mc Phee, Larry Stabbins etc… Dans cet extraordinaire concert Bernois, Anthony Braxton « interprète » quatre standards : Alone Together, Giant Steps, Naima (tous deux de Coltrane) et I Remember you parmi les seize compositions concises et relativement courtes entre les 3 et les 4 minutes et quelques choses. Pour la facilité, la pochette indique les compositions par leurs numéros et lettres (99B, 77H, 170C, 99Q, 118F, 26B, 77G, 106R, 106J, 118Q, 77D, et 118A) sans documenter les schémas – dessins qui leur font office de titres visuel.
J’avoue ne pas être un exégète de la musique de Braxton, même si j’ai écouté intensément ses quartets, solos, duos et autres ensembles qu’il a dirigé dans les années 60, 70 et 80, puis 90. En 1984, il faisait déjà figure d’artiste incontournable depuis au moins 10 ans avec son style complexe et multiforme complètement unique. Il travaille autant le matériau harmonique et « spatial », que les timbres et sonorités dont il a exploré un maximum de ressources au sax alto avec antre autres ces techniques alternatives "bruissonnantes". On y trouve aussi un lyrisme très particulier, une sonorité d’une très grande qualité et une technique en triple détaché d’une complexité et d’une virtuosité ahurissantes. Une musique d’une richesse inouïe et d’une inspiration qui puise autant dans les univers de Webern ou Stockhausen que dans les musiques du monde et l’histoire du jazz. Chacune de ses compositions investigue et décortique un matériau particulier en spirales affolantes staccatos en variation infinie, escaliers eschériens multidimensionnels, bruitages suraigus en ostinatos, ballade sentimentale en suspension, lyrisme moderniste « classique », tournoiements mélodiques infinis, growls gargantuesques accentués en contraste avec des pépiements d’oiseau effarouché, radicalité hérissée de la free-music explosive… Il met à égalité les matériaux mélodique, rythmique, harmonique dans une perspective tridimensionnelle, architecturale et aussi poétique. Notez qu’au saxophone sopranino, instrument difficile, son jeu atteint des hauteurs tout autant similaires. Bref, j’arrête la description en ajoutant, que si vous désirez commencer à vous documenter sur Braxton , First Visit est le must to listen intégral à défaut de trouver un autre album solo disponible. Et il y a la quintessence de Giant Steps à la Braxton qui vaut son pesant d'or. Veuillez noter que le label Leo a publié trois concerts en solo à Pise, Milan et Cologne des années 78, 79 et 81 et Intakt un enregistrement plus récent, en CD, bien sûr. Mais si vous ne les trouvez pas ne faites pas l'impasse sur ce Bern 1984, vous le regretterez toute votre vie. À tomber par terre et s’envoler dans la troisième dimension.

Ivo Perelman - Gabby Fluke - Mogul Joy Duologues vol 2 ibeji Records
https://open.spotify.com/intl-fr/album/ 5vGeeLHfQoDPC2sZ4LfUxX

Entendue récemment avec Fred Frith en Europe, la violoniste New Yorkaise Gabby Fluke-Mogul effectue ici un superbe pas de deux en compagnie du saxophoniste ténor Brésilien Ivo Perelman. Leur tout frais album est paru en digital sur le label digital Ibeji pour lequel Perelman publie ses « Duologues » . Après une extraordinaire parution en duo avec le batteur Tom Rainey (Turning Point), son micro label propose d’excellentes improvisations en duo avec cette violoniste au potentiel indubitable. Gabby a travaillé dans la sphère expérimentale improvisée avec Nava Dunkelman, Joanna Mattrey, Ava Mendoza, Charles Burnham, Fred Frith, Luke Stewart, Zeena Parkins, Tcheser Holmes, Lester St. Louis, William Parker, and Pauline Oliveros (http://www.flukemogul.com/about.html). Sans doute pour elle le duo avec ce saxophoniste si particulier qu’est Ivo Perelman constitue une première et on perçoit bien qu’elle est entièrement à l’écoute de son partenaire lequel est un partisan acharné de l’improvisation collective libre et égalitaire. En plus, iIvo s'est souvent entouré de violonistes, d’altistes ou de violoncellistes remarquables (Mat Maneri, Mark Feldman, Jason Hwang, Phil Wachsmann, Hank Roberts). Dès le premier abord, les deux improvisateurs partagent un goût atavique, organique pour étendre les notes, étirer leurs intervalles avec une remarquable expressivité. Le souffleur monte dans les aigus en les faisant chanter dans le droit fil d’un aylerisme « adulte » et c’est avec grand plaisir que Gabby Fluke-Mogul reprend à son compte ces inflexions sinueuses qui simultanément interfèrent ou se dissocient des notes tenues et des spirales perelmaniennes. Aussi, le morceau 4 début dans le grave du sax ténor induisant de fantastiques timbres graves à l’archet d’une magnifique plasticité. Mais, tous deux ne se contentent pas de formules formatées et de signaux explicites : ils se lancent dans des narrations truffées d’événements sonores et de réactions spontanées qui embrassent différents modes de jeux, spirales, staccatos, suraigus, sifflements modulés et chantants... Au fil de la session, la violoniste, qui semblait sur ses gardes au départ, prend de plus en plus d’assurance pour optimaliser sa créativité instantanée, puisant de plus en plus les meilleures idées parmi les nombreux trucs dans son bagage instrumental classico- alternatif. Bien qu’il soit un musicien très éduqué dans la théorie musicale et les sphères harmoniques, la démarche artistique d’Ivo Perelman est poétique et visuelle avant tout : en écoutant et jouant sa musique, il y voit des couleurs et des formes vivantes, une plastique en mouvement perpétuel semblable à celles qu’un chercheur perçoit par le truchement d’un microscope ultrapuissant dans la matière d’organismes vivants. Une expression jazz intuitive basée sur l’expérience de plusieurs générations de saxophonistes ténor de Ben Webster à Albert Ayler, dont il étend merveilleusement la dimension lyrique en s'inspirant des musiques populaires de son Brésil natal dans une démarche "microtonale". Il joue "faux" en connnaissance de cause pour une authentique expressivité. Une improvisatrice aussi talentueuse et ouverte que Gabby Fluke-Mogul cultive l’ approche télépathique idéale pour s’insérer dans cet univers si particulier par la grâce de sa sensibilité. Splendide duo !

Ratti – O Theta Roberto Di Biaso Antonio Pio Caramella Giulio Izzo Barly Records
https://barlyrecords.it/prodotto/theta/

Roberto Di Blasio a/k/a Aniello Perduto joue des sax alto et soprano et de la batterie sur un morceau, Antonio Pio Caramella de la guitare électrique et Giulio Izzo de la contrebasse et tous trois forment le groupe RATTI ( les rats) et leur album s’intitule O (omicron en Grec ancien),Theta (la lettre grecque pour « th » , le « t » se disant tau). Pas besoin de batterie, les trois musiciens ont une solide sens du rythme. Sauf quand Roberto se met à la batterie, transformant le trio en groupe guitare- basse batterie sans saxophone. Leur musique affiliée au free-jazz combine des thèmes écrits dans l’esprit de cette mouvance avec une « inspiration » rock progressive avec des rythmes complexes en ostinato et parfois une approche très électrique « jazz-rock » de la guitare. Le trio a beaucoup travaillé pour obtenir un style et une identité très personnelle. Comme j’avais déjà chroniqué l’albums solo d’Aniello Perduto, ils m’ont envoyé leur CD et je n’ai pas hésité à le chroniquer vu tous leurs efforts et la réflexion profonde qu’ils ont investi amoureusement dans leur musique, laquelle illustre excellement de nombreuses facettes dans les huit compositions (entre les 3 et 7 minutes, mais plutôt 3), y compris nuances musiciennes et audaces sonores. Fischerle est d’ailleurs une belle pièce de jazz contemporain et Memories endosse tout l’art de la comptine avec celui du contrepoint. Si, généralement, j’écoute rarement ce genre de musiques qui découlent du jazz contemporain, je n’hésiterais pas à assister à un de leurs concerts si j’en avais l’occasion. Surtout que le cheminement du disque morceau par morceau tire progressivement vers l'excellence et une véritable consistance musicale. Une belle réussite d'un vrai collectif pour un beau festival.

Ignaz Schick Anaïs Tuerlinckx Joachim Zoepf Ensemble A Confront Records Core 44.
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/ensemble-a

Depuis de nombreuses années, Confront Records publie des albums d'improvisation radicale dans la mouvance "réductionniste" , lower case, la frange électro-acoustique de cette musique autour de musiciens comme Mark Wastell, Rhodri Davies, Matt Davies, Burkhard Beins, Phil Durrant ou Simon H Fell. Le micro label de Mark Wastell, a mué progressivement vers une démarche multicourants publiant aussi des albums du guitariste Duck Baker, de Paul Dunmall ou de Maggie Nicols. Cet Ensemble A navigue précisément dans cet univers sonore radical fait de textures, de bruissemnts surprenants, signaux électroacoustiques, traitements électroniques, vibrations soniques volatiles qui s'enchevêtrent et s'associent comme on l'entend rarement. Deux "compositions : Electronic Kaléidoscope(30:01) signé Joachim Zoepf et TurntableTurn (22:36) signé Ignaz Schick. Ignaz est un saxophoniste et platiniste (turntablist) de choix et un des acteurs majeurs de la scène Berlinoise "réductionniste" des années 2000 (Andrea Neumann, Burkhard Beins, Michael Renkel, Axel Dörner et cie). Il joue ici du "turntable" et du sampler. Surtout il évite tous les poncifs et effets banals qu'on obtient avec cet engin-objet. Anaïs Tuerlinckx est une excellente pianiste découverte récemment dans un autre album Confront : Au Crépuscule avec Jonas Gerigk et, justement, Burkhard Beins particulièrement remarqué et décrit dans ces lignes. Le troisième larron, le clarinettiste basse et sax soprano Joachim Zoepf mérite qu'on parle de lui et qu'il soit invité sur la scène internationale depuis longtemps. Depuis des nombreuses années, Joachim est un des collaborateurs les plus proches du génial Gunter Christmann et un activiste proche des Georg Wissel, Wolfgang Schliemann, Hans Schneider, etc... C'est sans doute un des plus précis et distingués clarinettistes basses dans la mouvance "comtemporaine" chercheuse de l'improvisation radicale. Sa composition Electroacoustic Kaleidoscope est une pure merveille d'invention sonore et une réalisation essentiellement collective avec un sens de l'imbrication - intrication organique. Si on entend quelques fois le toucher "désincarné" d'Anaïs au clavier ou on devine les délicats pépiements à la clarinette basse qui s'immisce dans les fins bruitages de la platine. Cette demi-heure kaléidoscopique a en fait et paradoxalement une extrême cohérence. Si on me demandait c'est quoi le "soft" noise, l'improvisation radicale contemporaine, je ferais écouter cette pièce. La suivante Turntable Turn contient une dynamique ludique interactive et un surcroît d'intensité tout en maintenant l'émission constante de sonorités inouïes avec un sens du contraste. On y reconnaît mieux le souffle grasseyant de la clarinette basse qui alterne avec les dérapages sonores affolés en giclées et oscillations frénétiques soudaines de Schick. Les incursions de Tuerlinckx dans les cordes et mécanismes du piano, leurs résonances surréelles et les grattages obstinés du filetage cuivré ajoutent encore plus de mystère. Mais dans cette aventure, les paysages sonores et les ambiances se succèdent dans une diversité fascinante et imprévisible. Rien n'est jamais acquis. C'est à mon avis un des albums majeurs à avoir été publié par Confront. Direction Berlin !!

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