30 septembre 2017

City Sonic 17 septembre Charleroi et 21 septembre Bruxelles

City Sonic 17 septembre Charleroi et 21 septembre  Bruxelles

City Sonic ! De super événements autour des Arts Sonores et musiques expérimentales avant la chute des feuilles et les amas de nuages au coeur de  Charleroi et à Bruxelles proposés par l’association Transcultures / Centre des Cultures Numériques et Sonores, récemment installée au Vecteur à Charleroi. Les lieux des concerts sont vraiment intrigants : le dimanche 17 septembre en début d’après-midi City Sonic a investi la Maison de la Presse de Charleroi (dite Maison Dorée) et sa salle de conférences transformée en bar, à deux pas du centre historique, la place Charles II. À Bruxelles, le 21 septembre en soirée, le concert a lieu dans les caves voûtées des Halles St Géry. Curieusement, ces deux lieux magiques (si si !) sont précisément aux centres historiques précis qui remontent à la fondation de chacune des deux villes. En 1666, les Espagnols y construisent une forteresse qui deviendra le futur centre de la ville baptisée Charleroy en l’honneur du Roi d’Espagne. C’est au cœur de l’espace de cette ancienne forteresse disparue que se situe la Maison de la Presse. Par coïncidence, les caves de St Géry occupent l’ancienne crypte de l’antique Eglise St Géry (démolie au XIXème) au cœur du Castrum Bruocsellae occupé par Charles de Lotharingie il y a plus de 1000 ans. Durant une semaine, City Sonic  a présenté journellement une série de concerts et d’animations en différents lieux de la ville, rassemblant différents musiciens – artistes sonores : installations, musiques électroniques, post-rock, musique contemporaine ou expérimentale, à la fois laboratoire, plate-forme d’échange multidisciplinaire professant un œcuménisme  esthétique fédérateur et ouvreur d’horizons pour tous ceux qui se détournent de la culture de masse. Le 17 vers 13 h, l’équipe de City Sonic et certains artistes invités déambulent dans les travées du marché populaire de la place Charles II et environs pour inviter les nombreux passants à participer aux performances : les musiciennes du trio Unda, Ariane Chesaux, Isa Belle et Marie Decarpentrie, toutes les trois déguisées en fées et munies de percussions métalliques, le saxophoniste Maurice Charles JJ (Duerinckx) , un rare incontournable du sax sopranino et moi-même. Des conversations intéressées s’embraient, plusieurs personnes étant ravies qu’un tel événement se déroule dans le quartier, des centaines de flyers sont donnés en mains propres avec une explication verbale, très souvent écoutée avec la bonhommie caractéristique des habitants de Charleroi.
Au programme ce jour là, l’inénarrable objétiste Adam Bohman (GB) , aussi collagiste absurdo-surréaliste des mots et grifonneur-graphiste. Sa philosophie artistique est le recyclage intégral que ce soit au niveau de la poésie, des arts visuels et de la musique. Sur sa table amplifiée au moyen de micro-contacts, il a patiemment collé avec de la gomme ou simplement attaché les objets les plus hétéroclites : verres à vin et à bière, ressorts, cordes métalliques tendues, boîtiers en plastique ou en ferblanc, papier de verre, lames, morceaux de carrelages, support de vaisselle, ampoules électriques, moule à gâteau etc.. qu’il actionne avec des baguettes en bois ou en métal, des limes, fourchettes, couteaux, cuillers, un archet (sur le bord des verres), …. percutant, grattant, frottant, pinçant ces objets certains agrémentés de pince à linge ou de ressorts pour en modifier la résonance. Un art bruitiste sonore où les hauteurs (pitches) aléatoires parlent d’elles même. Pour ce dynamique concert solo, il est accompagné de ses propres enregistrements créant en live un contrepoint sonique. Adam B. nous a aussi gratifié de pièces verbales, poèmes créés en collant des mots et des bouts de phrases tirés d'articles de presse, menus de resto ou publicités auxquelles sa lecture expressive et appliquée et son air faussement innocent apportent un sens imprévu qui défie le cadre de la sémantique dans une forme improbable de la parabole. Sa performance est unanimement appréciée, y compris par les profanes… Les éléments / instructions de chaque pièce prévue étaient notés sur une feuille manuscrite en lettres capitales, ses feuillets étant à eux seuls des œuvres d’art à part entière. D’ailleurs, le responsable de la programmation, Philippe Franck, a été très avisé de présenter une superbe et passionnante exposition des collages graphiques d’Adam Bohman dans deux pièces attenantes. Remarquable ! Vint ensuite une super performance solo de l’excellent saxophoniste Maurice Charles JJ, une pointure des saxophones baryton et sopranino, construisant des improvisations subtiles sur les paysages sonores remarquablement dynamiques et progressifs. Déchiquetant méthodiquement les sonorités du sopranino, un instrument particulièrement difficile à maîtriser, ou évoluant dans les sphères des interrelations harmoniques comme un oiseau, Maurice Charles convainc l’auditoire, la puissance et le lyrisme au baryton achevant la performance avec brio et passion.
Pour finir, le trio Unda est convié à se produire dans le jardin de la Maison de la Presse. Les trois artistes sont installées au fond de l’espace  avec leurs instruments de percussions, un violoncelle de voyage à cordes sympathiques etc… et, entre autres, un très remarquable gong chinois (tam-tam) et le public allongé sur des fauteuils multicolores… La musique du trio est inspirée par la démarche proche du chamanisme oriental d’Ariane Chesaux dans une expression organique, aérée, méditative…. Entre Ariane, Isa Belle et Marie Decarpentrie règne une belle écoute et on ressent l'équipe soudée et concentrée, plongée dans l'instant musical. Imprévu par les organisateurs, le bruit presqu’assourdissant du camion de la voirie carolo  qui assure le nettoyage des trottoirs du marché voisin couvre la prestation du trio. Mais en forçant l’écoute, on distingue les fréquences des percussions métalliques qui s’immiscent mystérieusement dans le bruit des moteurs et des brosses rotatives. Bravement, les trois musiciennes jouent imperturbablement sans laisser paraître la moindre nervosité dans l’atmosphère motorisée et chahutée et le public reconnaissant applaudit. On peut jouer de la musique Zen et rester zen quoi qu’il arrive. Un autre concert programmé à l’Église Saint- Antoine a lieu à 15 heures : le fabuleux pionnier de la musique électro-acoustique Leo Kupper et le compositeur Todor Todoroff. Comme j’aide Adam Bohman à replier son improbable matériel et ses nombreuses œuvres et à les transporter jusqu’à son hôtel et ensuite à la gare etc… il m’a été impossible d’y assister. En effet, nous devons nous rendre sur la côte belge pour réaliser un reportage photo-poétique à De Haan, Ostende et St Idesbald conjointement aux visites de la fondation Paul Delvaux à St Idesbald, de la maison de James Ensor  et du MuZee d’Ostende où se trouve une exposition James Ensor et Léon Spilliaert. Vous trouverez ci-dessous les photos où l’homme de scène Adam Bohman récupère (recycle) des artefacts disposés sur la voie publique.


Le 21 septembre 20h, rendez-vous dans les caves des Halles St Géry avec une remarquable sonorisation. City Sonic présente Sébastien Biset, Teuk Henri, la poétesse Catrine Godin & Paradise Now et à nouveau Adam Bohman en collaboration avec l’asso OMFI de Maurice Charles – JJ Duerinckx dont le sax viendra pointer son nez. Quatre sets courts et bien ramassés devant un public fourni et curieux. Le lieu confère une ambiance d’intimité et d’authenticité à la manifestation. L’électronique bidouillage avec une multitude d’effets et pédales et la cithare génératrice de sons de Sébastien Biset créent une atmosphère dynamique, électrisante, planante où pointe une dimension mélodique. Le fil conducteur du concert est l’utilisation de techniques alternatives étendant ou transformant les instruments … ou les objets détournés d’Adam Bohman. Celui-ci fait une apparition remarquée comme à Charleroi. Cette fois-ci, JJ rejoint Adam en scène avec son sax sopranino, les deux artistes ayant collaboré à plusieurs reprises (Objectif Noise aux Ateliers Claus et chez Kra-ak il y a quelques années ou au Haekem récemment). Maurice Charles JJ joue en contorsionnant le timbre du sax sopranino et sa colonne d’air volubile en accompagnant la diction corsée d’Adam Bohman aux prises avec des menus imaginaires : Eggs, Tomatoes, Sausages, Bacon … ressassés de manière insistante. Un artiste touchant tant par ses textes dingues que son approche objétiste et ses indications gestuelles aux techniciens, lesquels ont fait un travail remarquable au niveau du son. Tout à fait British. 

Teuk Henri et sa guitare d’un autre temps, mais amplifiée / customisée, développe un jeu en phasing précis et métronomique avec une doigté sans faille. La musique est profondément sympathique, dans une veine free-folk électronique inspirée. Là aussi, JJ s’exprime avec la réserve des musiciens intelligents. Teuk construit une remarquable toile qui nous mène aux poèmes subtils de Catrine Godin, dits avec le soutien musical de l’électronique et de la guitare acoustique de Paradise Now, Philippe Franck, principal responsable de City Sonic. C’est à de véritables haïkus sonores de la part de Paradise Now auxquels nous avons eu droit, concis, graduels, clairs et appropriés à la diction et à la présence de la poétesse québecoise. Et c’est avec une guitare arpégiée en boucle que se termine cette charmante soirée. En touchant à de nombreuses esthétiques et pratiques sonores et musicales le Festival des Arts Sonores City Sonic s’impose comme un acteur incontournable dans ce domaine drainant public et artistes de sensibilités diverses mais complémentaires. Coup de chapeau aux organisateurs !!

Adam Bohman at the Belgian Seacoast 18-20 september 2017 
De Haan, Oostende, St Idesbald.




 The Cockerels Suite.


 Chipping 
Shy from a hay.
 John is an inspiration
 Dedicated to Panos , Adam's friend.
 Fondation Paul Delvaux : listening his tape cassette on train wooden seat.
 Don't Swim !

 MuZee 's Colonial Umbrellas.
 Bud Dah ! 



Missed Einstein in De Haan (see below)


15 septembre 2017

Deniz Peters & Simon Rose/ Harald Kimmig Alfred Zimmerlin Daniel Studer / Franziska Baumann & Christoph Baumann / Jean-Marc Foussat & Blick

Edith’s Problem Deniz Peters & Simon Rose Leo Records CDLR 812

Je ne sais pas qui est Edith et quel est le problème. J’ai depuis quelques années quelques problèmes avec le label Leo, suite au réel fléchissement dans l’intérêt que je pouvais y trouver . On se souvient des albums fantastiques de Cecil Taylor, Evan Parker, Anthony Braxton, Sun Ra, du duo Minton –Turner. À l’exception des nombreux enregistrements superbes d’Ivo Perelman, des solos d’Urs Leimgruber et du groupe 6IX avec Jacques Demierre, Roger Turner, Okkyung Lee, Urs Leimgruber, Thomas Lehn et Dorothea Schurch, et bien sûr le cd solo de violoncelle d'Elisabeth Coudoux et du quartette de violoncelle Octopus, on ronge quand même son frein. Mais s’ils continuent avec des pépites telles que ce Edith’s Problem du pianiste Deniz Peters et du saxophoniste Simon Rose (baryton et alto), je ne vais pas hésiter à faire la réclame. Simon Rose est un saxophoniste qui a fait ses débuts en compagnie de Mark Sanders et Simon H Fell dans la galaxie improvisée londonienne dans la direction du free total (Badland Bruce’sFingers BF14 1996). Au fil des années et des enregistrements, son jeu devient de plus en plus focalisé et il affine ses techniques, son univers et est devenu un incontournable de l’improvisation radicale, un frère par l’esprit des Michel Doneda, Urs Leimgruber, Georg Wissel , Jean Luc Guionnet, JJ Duerinckx etc…. Non content de publier de superbes albums solos de sax baryton tels Schmetterling pour Not Two, il s’engage depuis plusieurs années dans un travail de recherche, lequel est trop délaissé par nombre de ces collègues qui louchent du côté du free free-jazz accompagné par une batterie pétaradante et un contrebassiste qui tire sur les cordes ou un guitariste noise. Adepte d’un travail minutieux sur le son, il nous avait livré une merveille intense en compagnie du pianiste Stefan Schulze (Ten Thousand Things /Red Toucan). Il récidive dans une manière plus retenue, plus spacieuse et épurée en compagnie du pianiste Deniz Peters en alternant sax alto et baryton. Le silence fait partie intégrante de la construction musicale et tout l’intérêt du jeu au saxophone baryton réside dans les infimes nuances de timbre, de dynamique, de densité du souffle, ces détails constitutifs de la musique que gomme l’amplification et les lieux inappropriés à la musique acoustique. Simon Rose se retient de jouer et écoute la résonance de ses propres sons dans celle du piano ouvert à tout vent. Le travail instrumental est précis et chaque fin de morceau nous laisse aiguise notre attente pour les notes et les sons que l'on se serait attendu à être joués. Le pianiste fait résonner les notes isolées dans l'espace autour de la table d'harmonie en modifiant subtilement le toucher, la pression sur le clavier et une des pédales. Un registre voisin de John Tilbury. Chaque silence, chaque son est soupesé et mûrement réfléchi et les vibrations du souffle et des cordes meurent dans le silence et la réverbération du piano, les deux musiciens sélectionnant scrupuleusement des fréquences/ hauteurs en empathie.   La musique pourra paraître austère mais il s'en émane un réel lyrisme.  Après une série de séquences toutes en sons suspendus et étirés, une cinquième pièce introduit une angularité tangentielle et une forme d'interaction subtile et mouvante qui renforcent la qualité de l'écoute et l'imagination (Shifts). Un très bon point donc pour le label Leo et les deux musiciens qui réalisent une performance somme toute rare.


Kimmig-Studer-Zimmerlin String Trio Im Hellen  Harald Kimmig Daniel Studer Alfred Zimmerlin hat (now) Art 201


Une belle surprise ! La série now art de Hat Hut Records est consacrée à la musique contemporaine « écrite » par des compositeurs. Morton Feldman, John Cage, Christian Wolff, Roman Haubenstock Ramati, Giacinto Scelsi… etc …. Mais aussi le groupe Polwechsel avec Michael Moser, Werner Dafeldecker, Burkhard Stangl, Radu Malfatti, puis John Butcher, Burkhard Beins situé à mi-chemin de l’écriture alternative contemporaine et l’improvisation minimaliste focalisée sur le travail des textures. Voilà que la série invite ce trio violon (Kimmig) - contrebasse (Studer) – violoncelle (Zimmerlin) entièrement et librement improvisé. Trois cordes dans ce format ont l’heur de se rapprocher d’une instrumentation type « musique contemporaine » d’avant garde. Mais ce n’est pas tout. Ces trois improvisateurs suisses chevronnés ne se contentent pas d’empiler des techniques alternatives ou étendues en frottant, frappant, grattant les cordes et surfaces de leurs instruments en variant les paramètres à l’envi. Ils ont un art consommé pour enchâsser, enchaîner, lier, rejoindre ou disjoindre leurs improvisations individuelles dans un ensemble d’une grande cohérence et avec un son de groupe très marqué. Le travail textural est essentiel sans qu’il soit confiné dans un domaine strict. En effet, leur manière est merveilleusement accentuée, par des chocs de toutes dimensions, des frappes discrètes et coups d’archet insistants, un riche éventail d’harmoniques et des pizzicati précis en diable. Le piano est ceinturé par le forte, des sons à peine audibles ou sotto voce voisinent des frissons denses soulignés par un arco robuste. Des contrepoints sauvages, une expressivité intense, une construction / déconstruction, la remise en question permanente. Et pourtant, il y a une grande cohérence dans cette expression immédiate d’inprovisation radicale.  On trouve dans leur musique autant de  procédés du travail du son, des lignes et du contenu que chez un compositeur exigeant. Mais ici, ils sont agencés spontanément avec une conscience aiguë de la forme et du déroulement temporel, comme si tout coulait de source. Un groupe d’improvisation incontournable qui compose en temps réel. Le texte de pochette indique Composed by Kimmig Studer Zimmerlin. Quelques soient les méthodes et les procédés, ce qui compte, c’est la musique qu’on écoute et celle-ci est superlative, sans parler de la haute qualité de la prise de son, extraordinaire et originale.

Interzones Volume 1 Franziska Baumann & Christoph Baumann Leo Records CD LR 757

Duo d’une chanteuse – vocaliste improvisatrice avec live electronics et d’un pianiste qui joue aussi du piano préparé. Franziska Baumann se rapproche un peu plus de la pratique de Maggie Nicols, s’il faut une référence que de celles de Dorothea Schurch ou Ute Wassermann. Une partie de la musique semble composée parmi la dizaine de pièces enregistrées. La chanteuse se fait volubile tout comme le piano ou plus intériorisée et introspective. On peut l’entendre chanter des harmoniques surprenantes et puissantes comme dans Coming into Things. Tous ceux et celles qui ont été touchés par Maggie Nicols, Tamia, Julie Tippetts, Phil Minton et plein d’autres vocalistes (Viv Corringham, Isabelle Duthoit, Guylaine Cosseron, Ute Wassermann, Shelley Hirsch etc..) seront en territoire connu et apprécieront l’apport personnel de cette vocaliste suisse. Avec le très remarquable pianiste Christoph Baumann, de formation classique et très au fait de la musique contemporaine, s'est établi une réelle connivence. Franziska développe une démarche et un port de voix particuliers pour chaque pièce et le duo prend bien garde de ne pas tomber dans le mimétisme. Par exemple, dans Fixed after your hand and purpose, ils jouent chacun des choses très différentes mais qui, contre toute attente, se complètent et créent la surprise. La fin de ce morceau offre un bel exemple d’harmoniques chantées la bouche quasi fermée produisant une super diphtongue (composite de plusieurs voyelles) fascinante. Son articulation délirante scat parlé-chanté dans Daily Entropy est une partie de haut-vol, dans laquelle les ostinati travaillés du pianiste font merveille, la chanteuse établissant un dialogue bienvenu pour clore le morceau. Elektrofunkel, introduit le piano préparé, des live-electronics, des séquences vocales qui s’enchaînent et les duettistes tentent de raconter une histoire sonique du meilleur effet à laquelle la voix aiguë de FB aspirant une vocalise apporte un caractère fantomatique. La chanteuse chante aussi de remarquables ritournelles sophistiquées sur un rythme impair qui alternent avec ses vocalises/ scats, lesquelles coïncident avec précision avec les accents du jeu de Christoph Baumann. Elle peut chanter avec un port de voix classique ou comme une improvisatrice d’influence jazz/bossa avec un débit, des inflexions et une articulation surprenante. Sa voix se révèle très souvent naturelle. Une fois que tous les morceaux d’Interzones ont défilé, j’ai le sentiment d’avoir pénétré dans un univers complexe et composite à la jonction de plusieurs sentiments, pratiques, textures, piano contemporain, improvisation thématique, musiques jouées avec spontanéité, brio et sensibilité. D’excellents artistes qui méritent largement d’être entendus. Bravo à Leo ! 

Fouïck Mastic Boréal Jean-Marc Foussat & Blick Fou Records FR-CD 22


Voici un super témoignage atypique ! Sur la pochette, c’est écrit  : Jean-Marc Foussat musicien/ improvise à vif synthé AKS voix – FOUÏCK-  Blick imprécateur / flot de parole en flux tendu. Flux tendu fait sans doute allusion à cette technique de management des livraisons des grandes surfaces et des usines contemporaines qui use les travailleurs et diminue la qualité de la production industrielle afin de réaliser des gains de productivité, sans trop tenir compte des couacs en tout genre qui ajoutent des soucis supplémentaires à la vie travailleurs-consommateurs-navetteurs-précaires- etc…  qui n’est déjà pas rose. Et alimente le ras-le bol, la dépression ou la révolte. L’invention verbale et poétique de Blick est une belle contrepartie /complément idéal aux sonorités et triturations électroniques de J-MF et lui permet d’improviser plus dans le subconscient et l’expérimentation instantanée en suivant le cheminement imprévisible du texte. Le musicien se tient en peu en retrait tout en étant réactif, voire proactif, étirant et modelant les sonorités de son antique AKS. Quatre improvisations  de 12 :22, 17 :31, 18 :21 et 12 :31 : Aplati l’Horizon, Normal, Traces d’Esquives et Œilletons. L’imaginaire de Blick fonctionne à plein, l’intériorité de sa poésie spontanée, de ses contes fantasmagoriques (une technique qu’il a dû beaucoup travailler) crée une belle inspiration pour l’écoute de la partie musicale. On sent très bien que l’expression de ses mots surgit ou se dévide dans une écoute profonde des flux vibratoires de l’électronicien. La densité mouvante du texte, ses correspondances secrètes et sa sobre dramaturgie demande des écoutes répétées et c’est ainsi qu’on saisit la valeur de la musique.

4 septembre 2017

Marcelo Dos Reis & Eve Risser / Lawrence Casserley & Jeffrey Morgan / Harri Sjöström Emilio Gordoa Achim Kaufmann Dag Magnus Narvesen Adam Pultz Melbye/ Harri Sjöström or Peter Brötzmann with Guy Bettini Luca Pissavini Francesco Miccolis/ Gianni Lenoci & Francesco Cusa

Timeless Marcelo Dos Reis Eve Risser JACC records 34

Le label portugais JACC devient de plus en plus intéressant. Après un très remarquable STAUB Quartet composé du violoniste Carlos Zingaro, du violoncelliste Miguel Mira, du contrebassiste Hernani Faustino et de Marcelo dos Reis, guitariste omniprésent dans nombreux projets avec Theo Ceccaldi, Carlos Zingaro, Luis Vicente, Onno Govaert, voici Timeless. Créditée unprepared piano and prepared piano, la française Eve Risser lui donne la répartie. Unprepared and prepared acoustic guitar lit-on sur la pochette ornée de motifs gravés qui évoquent le passage du temps dans l’espace. Au moyen des préparations, les deux musiciens transforment la tessiture de la guitare et du piano leur faisant se rencontrer et s’échanger leurs hauteurs respectives, les couleurs et les timbres en jouant des cadences répétitives avec un effet de carillon, de machines insérant un motif mélodique minimaliste dans un ostinato cristallin. Singulière musique qui se détache subtilement d’intervalles raccourcis, de cordes bloquées, de doigtés fugaces enjambant un bruissement ténu. Un affaire de cordes qu’elles soient tirées ou frappées dans la caisse de résonnance du piano ou sur la touche de la six-cordes, qui coïncident, résonnent, débordent dans un affairement accéléré. Il y a une forme de préméditation, mais sur le ton et avec la manière de l’improvisation radicale, un sens de la forme qui échappe à l’entendement et au temps mesuré : les titres Sundial, Hourglass, Water Clock, Timewheel, Chronometer, Pendulum, Balance Spring. Une vivacité, une énergie, un impact rythmique. Du grand art. Surtout que combiner créativement guitare et piano dans les musiques radicales peut se révéler assez ardu.

Exoplanets Lawrence Casserley Jeffrey Morgan Creative Sources CS389CD

Des Exoplanets sont ou seraient des planètes qui pourraient receler la vie qu’on trouve sur la terre et qui se situent hors de notre système solaire. Chacun des six morceaux enregistrés par le spécialiste du live signal processing Lawrence Casserley et le saxophoniste de choc Jeffrey Morgan, aussi clarinettiste « alto » et pianiste, ici au piano sur deux morceaux en concert, portent le nom d’un de ces 35 Exoplanets parmi les milliards d’étoiles de la Voie Lactée : 42 Dracinis b, 55 Cancri b, Kepler 186 f etc… Le principe de la rencontre est que Jeffrey Morgan souffle ou joue du piano en improvisant confronté à la manipulation sonore électro-acoustique en temps réel de ses propres improvisations par l’installation très complexe de Lawrence Casserley (logiciels issus de Max-Msp, un I-Book Apple et trois Ipad dont un ancien protopype très coloré avec lesquels Lawrence contrôle, transforme et altère les moindres détails des structures du son comme s’il jouait d’un orgue ou d’un set de percussions. Les sons extrapolés au départ de la base instrumentale qui alimente l’installation et le jeu de Casserley peuvent se révéler très éloignés  du jeu de l’instrumentiste. Celui improvise au piano de manière subtile (concert au Loft de Cologne 5/10/2014 , plages 2 & 6) et nous fait découvrir les possibilités sonores et texturales de la clarinette alto avec le quel son expression est à la fois proche du free jazz atavique et évoque les musiciens contemporains. Le premier morceau est joué au sax alto (42 Draconis b), les 3,4 et 5 sont consacrés à cette clarinette alto dont il fait éclater le timbre de manière mordante, énergique, avec glissandi, pétages d’harmoniques, grasseyements pas loin de Peter Brötzmann, mais avec une dose de folklore imaginaire balkanique nettement moins forcée. Son jeu de pianiste sombre et nuancé a une belle qualité de toucher et va droit au but. On songe aux pièces de Stockhausen et cie. Le travail de Casserley complète, entoure, s’écarte, détonne les / des improvisations de Morgan avec un bon goût rare créant des nuances sonores, des paysages bruissants et une masse orchestrale d’allure intersidérale d’un type nouveau en constante métamorphose avec une précision fine au niveau de la dynamique et des intensités. Un travail sur les nuances du sombre, reflétant l’immensité de la nuit spatiale et les fréquences émises par les astres. Un dialogue complexe et enchevêtré et dont l’interaction et les réflexes fonctionnent tout à fait autrement que dans un duo acoustique. Un album vraiment intéressant qui va plus loin que leur premier opus Room 2 Room.

Hyvinkää  Move : Harri Sjöström Emilio Gordoa Achim Kaufmann Dag Magnus Narvesen Adam Pultz Melbye 2016 uniSono Records

Move est un quintet sax soprano et sopranino (Harri Sjöström), vibraphone Emilio Gordoa, piano (Achim Kaufmann) batterie (Dag Magnus Narvesen) et contrebasse (Adam Pultz Melbye). Hyvinkää est une longue improvisation de 39 minutes enregistrée à l’Hyvinkää Art Museum. Il semble que l’acoustique de l’espace soit assez (trop ?) réverbérante, obligeant les musiciens à jouer avec une relative retenue en se concentrant sur les détails sonores. Dag Magnus Narvesen joue du bout des baguettes sur les peaux amorties avec des objets en frôlant les cymbales permettant d’entendre le plus clairement possible le piano d’Achim Kaufmann aux sonorités « classiques contemporaines » et les envolées chaleureuses et pleines de nuances du saxophoniste, Harri Sjöström qui semble être l’animateur du groupe. Harri est un maître du soprano dans la lignée de Steve Lacy, avec lequel il a étudié. Son sens des nuances pour chaque note jouée le distingue des ténors qui se servent du soprano pour diversifier leur musique. Le vibraphoniste Emilio Gordoa répand ses légères et fugaces grappes de notes éthérées autour de celles du pianiste. Celui-ci développe un jeu qui convient parfaitement avec celui du sax soprano au point où, à cause de la réverbération, on risque de les confondre. Le contrebassiste soutient et balise les instants, sursauts, frictions, relances, échappées jusqu’à ce que le saxophoniste déchiquète le timbre de son soprano étirant et altérant un jeu qu’il a hérité de Steve Lacy et dont il sait remettre subtilement les paramètres en question quand le besoin se fait sentir. Cela évoque la grande finesse de Trevor Watts à l’époque du SME avec John Stevens et les audaces de son camarade aujourd’hui disparu, Wolfgang Fuchs, avec qui Harri a partagé l’expérience de Nicht Rot Nicht Grun  en compagnie de Paul Lovens et du violoniste alto Karri Koivukoski à la fin des années 80. Contrairement à Move, ce groupe étonnant n’a jamais été enregistré (mais le site de Harri indique un album Po Torch de 1988/89 en préparation !!). Malheureusement, il y a bien longtemps que Paul Lovens a cessé de produire des vinyles sur son label mythique. Par contre, il existe plusieurs enregistrements de Cecil Taylor avec Harri Sjöström (Qua et Qua’Yuba  C.T. Quartet / Cadence 1092 et 1098, Melancholy, Always a Pleasure, Light of Corona / FMP Records) pas piqués des vers. Et un magnifique duo avec un autre sax soprano, Gianni Mimmo (Bauchhund /Amirani). Pour information, l’excellent Achim Kaufmann a enregistré avec Michael Moore, Frank Gratkowski, Mark Dresser, Wilbert De Joode, Thomas Heberer, etc… et Emilio Gordoa a enregistré avec le guitariste Nicola Hein, Ute Wassermann et Richard Scott. Ce qui me plaît spécialement dans ce quintet Move, c’est la manière dont les musiciens jouent ensemble, construisant un jeu collectif cohérent et diversifié où chacun apporte spontanément sa contribution instantanée en interpénétrant leurs sons et actions dans le champ sonore. Un beau concert qui se joue des conditions acoustiques et démontre qu’improviser librement avec cinq musiciens demande un état d’esprit dans lequel une forme d’auto-discipline dans l’écoute mutuelle et les interventions est une attitude fondamentale.

Exit to Now Xol featuring Harri Sjöström & Peter Brötzmann Guy Bettini Luca Pissavini Francesco Miccolis improvising beings ib62 CD



Deux quartettes trompette/bugle – saxophone – contrebasse – percussions pour chacun des deux CD’s  contenus dans le nouvel album du groupe Xol : Guy Bettini (Suisse) à la trompette, Luca Pissavini (Italie) à la contrebasse et Francesco Miccolis (Suisse) aux percussions, un trio de free free-jazz vif qui joue fréquemment avec un invité. Ici, le saxophoniste soprano finlandais installé à Berlin, Harri Sjöström, un maître de l’instrument qui a travaillé avec Cecil Taylor, Paul Lovens, Gianni Mimmo et Wolfgang Fuchs se joint à Xol le 4 juin 2016 à Sowieso à Berlin (CD 1) et le légendaire et fracassant Peter Brötzmann, véritable locomotive de la scène free européenne depuis les années ’60 entraîne le groupe dans un vrai délire le 19 juin 2015 dans le même lieu (CD 2). Le quartet avec Sjöström évolue avec un bel équilibre : par dessus la percussion ludique et virevoltante et le drive puissant (archet ou pizz) du bassiste, les deux souffleurs coordonnent spontanément leurs élans et accordent leur lyrisme. La trompettiste travaille la pâte sonore et fait chevaucher articulations et coups de lèvres et de langue avec une belle énergie. Le saxophoniste est un très solide client alliant un lyrisme lumineux avec un choix d’intervalles peu usités et des colorations détaillées sur les notes dignes d’un des meilleurs élèves de Steve Lacy qu’il a été. Cela donne jeu immédiatement reconnaissable et distinctif. Harri Sjöström a travaillé intensivement avec Cecil Taylor, remplaçant en quelque sorte Jimmy Lyons dans les CT Unit et Ensemble New Yorkais et aussi avec le CT European Quintet avec Lovens, Honsinger et Teppo Hauta-Aho. Il a un style personnel remarquable et complète admirablement  les extemporisations éperdues de Xol (öxö 19 :46 et xöx 29 :23). Le batteur joue à la limite de ses moyens, mais le fait avec conviction, énergie, efficacité et un sens du son du groupe. Son drive infatigable propulse les frictions intenses de la colonne d’air de Sjöström  qui montent inexorablement dans l’aigu et auxquelles répondent le jeu convulsif du trompettiste. Cinq morceaux pour le quartet avec Brötzmann qui valent leur pesant de choucroute arrosé de Chimay (bière préférée de PB lorsqu’il performait en Belgique avec Van Hove et Bennink dans ma jeunesse). Si le CD 1 Xol  Harri Sjöström est enregistré avec clarté en respectant une dynamique raisonnable (j’ai parlé d’équilibre plus haut), le CD 2 Xol Peter Brötzmann démarre sur des chapeaux de roue en fortissimo et le son en est carrément saturé en raison du volume et de la violence. Le batteur se déchaîne, ensevelissant le contrebassiste sous les décombres et poussant / entraîné par le souffleur. Pugnace, véhément, expressionniste, Peter Brötzmann expulse l’air de ses poumons dans des barissements sans équivoques. La colonne d’air est pressurisée par le souffle dément, mordant, abrasif. Le batteur se prend un solo avant que le thème primal imaginé pour la circonstance ne soit projeté dans le public sans ménagement. Brötzm asperge le public de son cri démentiel comme Karel Appel lançait ses poignées de peinture sur la toile. Guy Bettini doit se sentir un peu mis de côté mais réagit par des contrechants désespérés qui surnagent dans la foire d’empoigne. Le batteur est survolté,  mais il frappe soigneusement dans les aigus sur les bords de la caisse et sur les peaux amorties avec des roulements efficaces alors que le bassiste frappe la touche à plaine main et ses doigts courent près du chevalet. Mais le ténor peut laisser flotter une mélopée de deux notes et demie soutenu par l’archet en étirant et grossissant le trait progressivement. Peter Brötzmann est resté fidèle à lui-même et s’accommode de ses compagnons d’un soir du moment qu’ils ne rechignent pas sur la besogne. Bien sûr, la balance n’est pas claire, mais tout se joue dans l’instant, l’énergie et ce lyrisme qui survient en rythme libre, deux notes pour l’essentiel. L’intensité se relâche pour une minute et c’est reparti. Le jeu du batteur finit par imiter avec bonheur et faire corps avec la rafale déferlante du souffleur de Wuppertal. Le morceau n°3, loxol, commence par un solo très habité de Pissavini et Brötzm enchaîne à la clarinette rustique alternant mélancolie et raucité. Le souffleur donne l’impression de s’imposer et d’écouter d’une oreille, mais sa présence gargantuesque pousse ses partenaires à se surpasser. On a droit d’ailleurs dan ce morceau n°3, à un Guy Bettini plus inspiré, jouant l’essentiel. C’est surtout au concert qu’il faudrait assister plutôt que de suivre le disque. Si vous n’avez pas de Brötzmann sous la main, celui-ci fera l’affaire, car PB y est particulièrement endiablé, Francesco Miccolis donnant toute sa mesure. Et vous aurez Sjöström en prime. Improvising beings a encore frappé juste.

Wet Cats Gianni Lenoci Francesco Cusa Amirani AMRN052.

Une longue improvisation en duo piano/percussions parue sur le label Amirani du saxophoniste Gianni Mimmo. Le pianiste Gianni Lenoci travaille régulièrement avec Mimmo en duo ou en groupe, les Reciprocal Uncles, pour lesquels un remarquable cd a été gravé en 2010 sous cette dénomination (Amirani AMRN022). Avec le batteur Francesco Cusa, on entend aussi Lenoci au piano préparé et pour finir discrètement à la wooden flute. La musique du duo est tendue par les groove secs installés par le batteur et autour des quels le pianiste improvise avec un toucher et une classe impressionnantes. On trouve chez lui bon nombre des qualités pianistiques qu’on apprécie chez Agusti Fernandez, Georg Graewe, voire Fred Van Hove. Une belle logique et un sens réel de l’improvisation. La trajectoire du duo traverse des domaines variés proches d’une démarche contemporaine et se rapproche d’un jazz d’avant garde puissant basé sur des tempi autour duquel les deux improvisateurs tournent adroitement durant une belle séquence. Francesco Cusa est avant tout un batteur de jazz à risques qui ne craint pas l’aventure. J’avais beaucoup apprécié un trio roboratif avec l’inoubliable saxophoniste alto sicilien Gianni Gebbia où Cusa était absolument à son avantage. Donc, dans cet album, la musique est remarquable, le pianiste brillant et lumineux avec un savoir faire haut de gamme et le batteur tout à fait à la hauteur. Sachant très bien qu’il ne faut pas attendre des choses très audacieuses, question « liberté », de la part de Francesco Cusa parce que sa pratique est orientée vers la rythmique, je ne vais pas me plaindre. Mais j’aurais préféré une orientation plus chercheuse ou exploratoire au niveau des paramètres sonores et percussifs, des formes et des échanges. On pense à Roger Turner qui vient (enfin !) d’enregistrer avec Fred Van Hove, Martin Blume, Mark Sanders, Paul Lovens ou Marcello Magliocchi, lui aussi de Monopoli comme le pianiste. Cela dit cette musique fera le bonheur de ceux pour qui cette orientation correspond à leurs attentes, car elle est magnifiquement jouée.