27 août 2019

Frantz Loriot Sebastian Strinning Daniel Studer Benjamin Brodbeck / Vid Drašler Tom Jackson Daniel Thompson/ Dirk Serries Martina Verhoeven Colin Webster/ Gianni Mimmo Yoko Miura Thierry Waziniak/ Paul Dunmall Philip Gibbs Benedict Taylor Ashley John Long


Anemochore : suites and seeds   Frantz Loriot Sebastian Strinning Daniel Studer Benjamin Brodbeck Creative Sources  CS 593 CD

Un quartet helvétique consacré à l’improvisation libre: anemochore . Deux cordes : le violon alto de Frantz Loriot (qui vit aujourd’hui à Zürich) et la contrebasse de Daniel Studer, des anches : le saxophone et la clarinette basse de Sebastian Strinning, et les percussions de Benjamin Brodbeck. 12 pièces de taille différentes en formes de suites et de semences sous la forme des hélices de l’érable entre une et huit minutes. Un travail précis et circonspect d’exploration, de dialogues collectifs, de miniatures pointillistes. L’alto incisif de Frantz Loriot, le saxophone pépieur ou en glissandi de Sebastian Strinning, les résonances des peaux et des bois (woodblocks) de Benjamin Brodbeck, les frottements voilés et les chocs col legno de Daniel Studer. La dynamique se focalise sur le ppp ou le P … sans aller jusqu’au mezzo forte, entre ombres et clarté. Chaque improvisation raconte une histoire, développe un autre aspect, une nouvelle perspective dans le travail du son, de la phrase musicale introduisant une magnifique variété de timbres, d’alliages de sons, de phonèmes sonores en suspension, d’approches du silence croisées avec les murmures intérieurs, de traces d’action musicale et d’échos fragiles des réactions engendrées. Ecouter cet album est un florilège du vécu et de l’expérience acquise à improviser et à chercher / trouver l’instant précis où tout bascule et prend sens à travers une infinité de sonorités et de gestes. Dans cette galerie de signes, l’auditeur finira par trouver son chemin et jouir de la musique.  Très réussi.

Nauportus Vid Drašler Tom Jackson Daniel Thompson Creative Sources CS 595 CD

Trois voix clairement distinctes, complémentaires, à l’écoute, en dialogue, construisant une musique libre basée sur des vibrations rythmiques, des flux, un travail sonore spécifique et l’utilisation de leurs background musical individuel : Vid Drašler, percussionniste au jeu clair, précis, franc, adepte de la frappe sèche et des roulements bienvenus. Tom Jackson, clarinettiste rompu au travail contemporain et aux musiques de jazz. Daniel Thompson inconditionnel de la guitare acoustique et de ses techniques alternatives, harmoniques et pointillisme en tête. Tom et Daniel ont une grande familiarité : ils jouent ensemble fréquemment en compagnie de l’altiste Benedict Taylor  (Hunt at The Brook) ou du trompettiste Roland Ramanan (Zubeneschamali). En quelques années, Tom est devenu l’autre grand clarinettiste incontournable de la scène Londonienne avec le merveilleux Alex Ward. Daniel, un pupille de John Russell, ne compte plus les collaborations : outre Taylor et Jackson, Simon Rose, Steve Noble, Andrew Lisle, Adrian Northover, Neil Metcalfe, Marcello Magliocchi… Mais pour faire une musique sérieusement avec un nouveau comparse, le batteur slovène Vid Drašler, il faut reconsidérer tout le concept de jeu collectif, repartir à zéro. Comme deux des pôles du trio peuvent se révéler en contradiction par leur volume respectif : une guitare acoustique non amplifiée avec moultes attaques d’harmoniques et de cordes stoppées / en sourdine versus un attirail de percussion par essence plus bruyant, Tom Jackson suit une démarche de jeu Giuffrienne remarquable soufflant plus ppp voire P… et oblige ainsi la sensibilité de Vid à jouer en douceur variant les effets métalliques de la pointe de baguettes lègères, maillochant discrètement la surface de ses tambours. Le jeu arachnéen et percussif du guitariste sert alors d’aiguillon rythmique. Pour cela il décale subtilement des séquences répétées de coups de griffe et ponctue des ostinatos minimalistes  pour inciter les deux autres à des dialoques tangentiels. J’ai entendu John Russell dans différentes circonstances et tout le mérite de Daniel Thompson est d’en apporter une vision complémentaire, voisine certes, mais on distingue clairement ses intentions et sa personnalité originale. La percussionniste révèle toute sa maîtrise des rythmes /pulsations croisées, multiples et imbriquées/ tuilées dans un véritable continuum, c’est sur ces vagues et ondulations rythmiques changeantes qu’oscillent les pépiements / sursauts de l’anche du clarinettiste, lequel ne se départit pas de son jeu lunaire et énigmatique basé sur des harmonies étirées et un timbre propre à l’introspection dont il a le secret, maintenu durant toute la performance (Nauportus I-V), créant ainsi une composition instantanée à lui seul. Je l’ai entendu de nombreuses fois puissant, mordant, virevoltant, bruissant, jazzy – contemporain. Ici son jeu est étrangement ouaté, brumeux. À écouter et musiciens à suivre.

Cinépalace Dirk Serries Martina Verhoeven Colin Webster new wave of jazz nwoj 0010
Musique intuitive, introspective, collective initiée dans des drones à la fois statiques et mouvants où on devine les harmoniques de la contrebasse de Martina Verhoeven, le souffle indifférencié et détimbré du saxophone ténor Colin Webster et les étincelles invisibles de la guitare électrique de Dirk Serries. Au Cinépalace à Courtrai en 2015, les sonorités et le jeu collectif cohérent de ces trois intrépides improvisateurs créent un événement sonore vivant, une sculpture temporelle faites de scories, de vibrations et d’une écoute attentive. Le flux semble infini et ne s’arrête que dans notre imaginaire, l’action des instrumentistes se faisant plus charnelle, plus mordante, plus aiguë à mesure que les minutes s’étirent. Une action naît et se développe en harmonie avec chacun et entre tous alignée avec ce qui précède : la guitare crépite, le bec du sax chante une longue note tenue, l’archet s’égaye à proximité du chevalet et fait crier les cordes… les idées, les motifs s’échangent et girent de l’un à l’autre dans une tournante expressionniste, frénétique. Volatile jacasseur, articulation bruitiste de Webster, diffractions électriques de Serries, frottement primal de Verhoeven. Jusqu’à un point de répit où les harmoniques de la contrebasse pique une ritournelle surréaliste surnageant dans les drones insaisissables de la guitare électrique. L’enchaînement des sons et des séquences s’affirme comme une dérive contrôlée, construction méthodique de l’instant et du partage. Une belle expérience d’improvisation radicale.

Live at l’Horloge Gianni Mimmo Yoko Miura Thierry Waziniak Amirani

Styliste du saxophone soprano dans le droit fil de Steve Lacy, Gianni Mimmo a développé une pratique de rencontre et de partage avec plusieurs improvisateurs qui trouve un exutoire assez contrasté et fort différent de celui du maestro disparu. Faut il citer et (re) découvrir ses collaborations passées avec Gianni Lenoci, Harri Sjöström, Vinny Golia, Daniel Levin, Angelo Contini pour s’en convaincre.  Avec la pianiste japonaise Yoko Miura (aussi au miano jouet) et le percussionniste français Thierry Waziniak, c’est à un jeu de haïkus musicaux qu’ils se livrent, retenant le temps et écartant les limites de l’espace. On goûte un lyrisme secret, une puissance cachée, partagés de minute en minute, des notes tenues et taraudées de Mimmo dans un forte imprécateur qui s’évanouit dans les répétitions de notes lumineuses et décalées de Miura, elles mêmes s’enchaînant en une comptine naïve sans solution. Tout s’enchaîne avec une belle logique et une expressivité plus belle encore avec des changements de registre assumés. Jouer la mélodie avec des effluves monko-lacyens et nous y faire croire est sans nul doute le point fort de Gianni Mimmo. Ses deux comparses s’entendent à merveille pour souligner, enrichir, alléger, magnifier cette voix originale, ramenant le silence méditatif, relance de l’inspiration. Thierry Waziniak y insère des bruissements mystérieux, des friselis épars, lorsque le saxophone s’éternise sur une harmonique rare ou deux notes lunaires, crissant le silence. Ce magnifique concert d’une heure et plus, gravé d’une dizaine de digits, est excellemment joué d’une traite et contient de beaux instants de vérité à partager, réécouter et méditer. J’avais découvert Gianni Mimmo il y a une dizaine d’années comme un honnête artisan et avec ce disque j’entrevois l’éclosion d’une vraie maîtrise dans la durée.

Landscapes Paul Dunmall Philip Gibbs Benedict Taylor Ashley John Long FMR CD 5330519.
Poids lourd du saxophone ténor parfaitement à l’aise avec des batteurs énergiques et débordants (Tony Bianco, Hamid Drake, Mark Sanders, Tony Levin) et des grands formats de la contrebasse (Paul Rogers, John Edwards), Paul Dunmall est aussi l’homme du free jazz de chambre avec cordes principalement avec le guitariste Philip Gibbs, ses contrebassistes attitrés et parfois le flûtiste Neil Metcalfe. Lors de ces sessions on l’entend plus au sax soprano et parfois à la flûte ou la clarinette. Deux albums précédents avaient initié la collaboration avec l’excellent contrebassiste Ashley John Long, Now Has No Dimension et Seascapes et l’inévitable Phil Gibbs. Neil Metcalfe partageait la session de Seascapes. Pour Landscapes, c’est autour du violoniste alto Benedict Taylor, entendu fréquemment avec le clarinettiste Tom Jackson, lui-même un pote à Ashley John Long, et le guitariste Daniel Thompson, un compagnon de route de Neil Metcalfe. Si Dunmall, Metcalfe et aussi Phil Gibbs sont des « vétérans », Ashley, Benedict, Tom et Daniel sont de la « nouvelle génération apparue dans les années 2010. C’est dire à quel point cette scène britannique est multi-générationnelle. Si le point de départ de leur musique se situe dans le free-jazz libertaire, les cordistes tirent les débats dans le domaine improvisation libre plus radicale, tout à tour pointilliste, bruissant, ou exubérant. Les deux frotteurs de cordes s’entendent à faire grincer les cordes près du chevalet, frapper col legno, étirer les notes et leur hauteur, manipuler le son. Phil Gibbs a le médiator véloce et pointilleux et alterne avec un jeu en tapping sur les genoux tout en amplifiant à peine son instrument rendant sa sonorité proche de l’acoustique, le tout avec une dimension rythmique obsédante. Un solide client à la guitare au point où sa présence est devenue constitutive de la démarche de Paul Dunmall, lui-même un souffleur exceptionnel. L’ensemble tend à jouer avec la microtonalité altérant intelligemment les intervalles ce qui donne naissance à un flou harmonique fascinant. Si la voix instrumentale de Dunmall est essentiellement lyrique, la manière très ouverte et naturelle de travailler du quartet autorise les audaces instrumentales de Benedict Taylor contagieuses vis-à-vis du contrebassiste. Dunmall n’impose pas sa voix au soprano, mais s’intègre dans le jeu diffus de ses comparses, dans la végétation de lianes, feuillages, branchages, ombres au même titre que ses acolytes. Une véritable sagacité de l’instant ludique est partagée par chacun : on entend souvent les instrumentistes engager simultanément des approches différentes quant à la vitesse, les timbres, les motifs, les lignes mélodiques, les techniques de son, créant une diversité très étendue, organique  et en perpétuelle métamorphose. Il devient dès lors très difficile de saisir et de considérer sur une seule écoute les tenants et aboutissants de leur cheminement. Celui-ci est à la fois éminemment ludique, intuitif, spontané, limpide et aboutit à une complexité qui oblige l’auditeur à plusieurs écoutes successives pour réaliser mentalement le cadre de leur univers. Certains enregistrement « excellents » , voire fabuleux, de musique improvisée posent leur démarche étant lisible tout de suite. Et donc, l'’auditeur averti peut en appréhender le(s) schéma(s), la direction, le tracé presqu’exact dès une première écoute. Dans la jungle de Dunmall, Gibbs et consorts, on semble rentrer dans un maquis superbement ordonné, mais inextricable qui semble se répandre dans de multiples formes et dimensions et sortir de l’infini. Aussi, le plaisir partagé oblitère tout sentiment de redondance et même pour les afficionados, une éventuelle lassitude, par leur capacité à dialoguer, à se différencier, à s’agréger, à s’extasier et à nous communiquer le plaisir intense de jouer avec les éléments.

22 août 2019

Alan Tomlinson Dave Tucker Phil Marks/ Terry Day Dominic Lash Alex Ward / Duck Baker Plays Monk/ Steve Gibbs Joachim Raffel Willem Schulz / Horace Tapscott


Alan Tomlinson Trio avec Dave Tucker Phil Marks Inside Out FMR

Musique libre énergétique expressive saturée et haute en couleurs de l’Alan Tomlinson Trio. Alan Tomlinson s’affirme depuis des décennies un phénomène du trombone à l’instar de feu Hannes Bauer, jouant avec une puissance et une projection sonore rare et une maîtrise sensationnelle de l’embouchure et de la coulisse. Il fit partie du London Jazz Composer’s Orchestra de Barry Guy et London Improviser’s Orchestra (LIO), du Tentet de Peter Brötzmann fin des années 70’s et dans les années 80 et enregistra Trap Street avec Steve Beresford et Roger Turner (Emanem). En s’adjoignant le guitariste électrocuté Dave Tucker (lui-même un pilier du LIO) et le batteur allumé Phil Marks, il a le ticket gagnant pour s’imposer sur les scènes. Tucker a une approche carrément noise et déjantée, maniant les effets comme un barman les ingrédients des cocktails sans la tenue de rigueur. Phil Marks alterne gestuelles dégingandées qu’il faut avoir vu en public pour le croire et un souci du détail tout en finesse. Dérapages, outrances, états de transe, expressivité et sons frictionnés, explorations explosives ou semi-introspectives. Action- réaction instantanée. Tomlinson qui peut se montrer faussement suave fait éclater les sons, les harmoniques et les vocalisations comme une avalanche d’éléphants en rut appelant à eux la population effrayée de la savane. Émotions fortes, mais projetées avec un grand talent et une intelligence rare. Avec des moments parfois plus retenus (Frenzy of Now et Inside Out où John Edwards apporte sa contrebasse, on appréhende tout le spectre des incartades soniques de ce trio improbable de stature internationale.  Tomlinson est une voix unique du trombone, aussi essentielle que celles des regrettés Paul Rutherford et Hannes Bauer, délivrant des colorations spécifiques des timbres de l’instrument , étrangement aussi jubilatoires que dramatiques. Le guitariste recrée certains des timbres et agrégats sonores du souffleur et le percussionniste trouve les accents et pulsations qui décentrent en permanence l’équilibre allant droit à l’essentiel.
Hautement recommandable !!

Terry Day Dominic Lash Alex Ward Midnight and Below Illuso 

Une belle découverte que cet album par la grâce de la présence du percussionniste Terry Day et le talent incontestable de ses deux comparses, le clarinettiste – guitariste Alex Ward et le contrebassiste Dominic Lash. Terry Day est, pour ceux qui l’ignorent, un des pionniers incontournables de la musique improvisée libre dite « British » au même titre que les John Stevens, Evan Parker, Derek Bailey, Eddie Prévost, Keith Rowe, Paul Rutherford, qui contribuèrent à dépasser, sublimer le jazz libre et défricher d’autres territoires. En son temps, sa démarche inspira bien des praticiens dont Han Bennink, Paul Lytton, Steve Beresford. Ayant abandonné la batterie pour des raisons de santé dans les années 90 et 2000, on s’était dit qu’on ne l’entendrait plus. Mais revoilà Terry Day à la batterie en excellent compagnie ! Alex Ward est un des ténors de la scène britannique, clarinettiste inspiré et fulgurant, aussi à l’aise dans le jazz moderne que dans l’improvisation sonique, avec l’écriture pour orchestre et une exécution impeccable devant un pupitre. Et guitariste free de surcroît particulièrement doué et audacieux mettant superbement en valeur les possibilités sonores de la guitare électrique. Nous l’avons souvent entendu en compagnie de Steve Noble et Simon H Fell, il était temps de le redécouvrir dans un autre contexte. Dominic Lash, un des contrebassistes les plus demandés dans cette scène britannique, complète parfaitement cette équipée. Terry Day a un jeu très fin complètement ouvert, manypulsatoire et enlevé empreint d’une dynamique remarquable même dans les moments les plus énergétiques durant lesquels Alex Ward fait exploser sa colonne d’air comme on ne l’entend jamais. Dans un autre morceau, c’est son côté jazz d’avant-garde à la Braxton (point de référence) qui fuse à toute allure soutenu par les friselis cadencés de Day. Ailleurs, la guitare électrique  intervient avec de belles surprises dans une ambiance frottée, grattée, distendue mystérieuse pleines de contrastes. Dominic Lash joue en décalage de belles notes puissantes qui lient les inventions de Terry et Alex. Un solide contrebassiste ! Bref cet album est à la fois un panorama et un condensé de modes de jeux divers et variés dans une perspective ludique, écouteuse véritablement organique et spontanée, sans aucun esprit de sérieux. Fan inconditionnel et grand connaisseur de la musique de Derek Bailey, et avec ses moyens personnels (et autodidacte total), Alex Ward lui fait vraiment honneur en trouvant sa propre voie emportée, plus rock d’une certaine manière, mais finalement aussi fine qu’expressionniste. Un super groupe qui, sur scène, vous emportera par leur folie échevelée et la qualité d’écoute et d’invention.

Duck Baker Plays Monk. Triple Point Records TPR 271

Parmi tous les projets musicaux "autour"   (Round About’) de la musique de Thelonious Monk, celui du guitariste Richard « Duck » Baker est sans nul doute un des plus originaux. Produit par ce label classieux (Triple Point Records a publié un coffret vinyle d’inédits du NY Art Quartet – Tchicaï / Rudd / Milford Graves, un coffret de Frank Lowe (Out Loud) et un ultime duo de Taylor et Oxley), Plays Monk met en évidence le génie monkien transposé à la guitare acoustique solo par ce géant de la six-cordes, musicien curieux et poisson dans l’eau dans tous les idiomes et traditions de la musique Afro-Américaine du blues au ragtime, du swing au jazz d’avant-garde, du folk à la free music. Il avait enregistré un remarquable album de la musique d’Herbie Nichols (Spinning Song / AVAN 040 produit par John Zorn) et, cette fois-ci, il s’attaque à celle de Monk, suivant ainsi de nombreux artistes comme Steve Lacy, Johnny Griffin, Yoshko Seffer, Gary Bartz, Tommy Flanagan, Alex von Schlippenbach – Rudi Mahall et Axel Dörner et tant d’autres. La transposition à la guitare par Duck Baker en donne un éclairage nouveau, primesautier, aérien et rafraîchissant. Le musicien joue les lignes de basse et le contour mélodique et ses variations monkiennes sans fioriture avec un réel aplomb. Pour qui aime Monk et sa musique, cet album est le compagnon idéal des soirées d’automne qui s’annoncent. Au menu : Blue Monk, Off Minor, Light Blue, Jackie-Ing, In Walked Bud, Misterioso, etc ...Échos sautillants de Bemsha Swing, Round Midnight des matins blêmes. Imprévisible et épuré, Baker nous en offre la substantifique moëlle  qu’il habille d’habiles extemporisations et subtiles extrapolations. Son Straight No Chaser mimique les gestes d’un barman imaginaire créant d’improbables cocktails. Le Monk malin, celui des chemins de traverse et des arrêts de bus au milieu de nulle part. Le Monk des faubourgs par delà les voies … Un album d’anthologie pour l’île déserte, le Manhattan des rêveurs.

NAMU 3 Un Deux Trois Quatre Steve Gibbs Joachim Raffel Willem Schulz Setola di Maiale. SM 3870

Un Deux Trois Quatre : quatre suite improvisées par un trio guitare huit cordes (acoustique nylon, Steve Gibbs), percussion (Joachim Raffel) et violoncelle (Willem Schulz). Chaque instrumentiste est aussi vocaliste et Raffel utilise des objets. Une musique multi directionnelle mélangeant, confrontant, secouant différentes approches sonores et instrumentales (styles ?) dans le domaine de l’improvisation libre. Les percussions colorent le parcours, éparpillant des sonorités fines, les voix rivalisent d’imagination pour ouvrir le champ des possibles entre babil délirant, poésie sonore ou colloque absurde, la guitare et le violoncelle tracent tour à tour des débuts d’architecture ou convoitent les timbres cachés obtenus par des manipulations improbables. Ils s’écartent des modèles et traditions « conventionnelles » pour créer une musique commune, spontanée, pleine de fantaisie, déconstruisant la pratique de l’instrument. Une flûte/ sifflet surgit et les cordes entretiennent une conversation bruitiste. La qualité de leur jeu respectif se mesure lorsque que leur inspiration les mène vers la pratique plus « normale » de leur instrument. Gibbs joue aussi du bottleneck avec une précision diabolique. Pas moins de quinze pièces bien centrées et paradoxalement en dérive onirique offrent un panorama kaléidoscopique sans que jamais on ressente des longueurs, un manque d’inspiration ou des répétitions. Rien d’héroïque à première vue, mais beaucoup de bonheur inventif,  de déraison partagée et une vraie communication musicale.

Horace Tapscott Why Don’t You Listen ? Live at LACMA 1998 Dark Tree
With the Pan Afrikan People’s Arkestra and the Great Voice of the UGMAA

Le label Dark Tree tire son nom d’une œuvre musicale phare du pianiste et chef d’orchestre Horace Tapscott. Enfin, la publication d’un très beau concert de ce dernier, superbement documenté au niveau prise de son et contenu du livret de pochette (photos, textes, paroles des chants…). Le Pan Afrikan Arkestra est essentiellement un groupe rythmique pulsatoire rassemblant un batteur, un joueur de conga, trois contrebassistes, un pianiste, un chanteur, Dwght Trible qui dirige aussi le chœur, et seulement deux souffleurs, le saxophoniste Michael Sessions et le tromboniste Phil Ranelin. Cinq compositions. Aaiiee The Phantom, Fela Fela et Why don’t You Listen d’Horace Tapscott, Caravan de Duke Ellington et Little Africa de Linda Hill. Cinq pièces s’étendent chacune autour du quart d’heure. Une musique musclée, d’une grande cohésion, chaleureuse, polyrythmique, essentiellement collective avec une saveur indubitablement africaine, inspirée par l’exemple Coltranien, agrémentée de magnifiques chœurs mixtes. Les deux souffleurs interviennent pour souligner l’effervescence de la rythmique, une fois les beaux textes chantés par les voix envoûtantes des Great Voices de l’UGMAA. Michael Sessions envoie ses volutes dans la stratosphère, spécialement au sax soprano dans Little Africa et  Why Don’t You Listen . Ceux-ci parlent de la condition et de l’univers culturel afro-américain ou citent les artistes incontournables de leur musique, Bird, Lady Day, Trane, Cecil, Dexter, Max et leurs membres disparus, comme Lester Robertson et Everett Brown. Leur style vocal est profondément original tant chez les solistes (Amina Amatullah, Carolyn Whitaker et Dwight Trible) que le chœur lui même, majestueux, insufflant une puissance irrésistible à la musique. Comme on peut le voir sur les photos les membres des Great Voice, ils – elles sont habillé.es de dashiki et tuniques africaines. Le Pan Afrikan Orkestra et les Great Voice of the UGMAA offrent une version communautaire, communale et collective du jazz, musique généralement basée sur l’expression individuelle originale d’individus. Horace Tapscott a conçu sa musique et le Pan Afrikan comme un moment et un lieu de rencontre/ partage de la communauté noire de Los Angeles dans le but d’élever la conscience de son peuple au point de vue culturel et des droits civiques. Cette aventure avait débuté dans les années 60 et cet enregistrement réalisé lors d’un concert au Musée d’Art Moderne de Los Angeles en 1998 quasiment au terme de l’existence de cette fabuleuse confrérie. Pour ceux des jazzfans qui ne sont pas au parfum, voici le moment venu de découvrir une magnifique facette de la Great Black Music trop laissée pour compte et qui est au cœur de ses expressions.