Alan Tomlinson Trio avec Dave
Tucker Phil Marks Inside Out FMR
Musique
libre énergétique expressive saturée et haute en couleurs de l’Alan Tomlinson
Trio. Alan Tomlinson s’affirme depuis des décennies un phénomène du trombone à
l’instar de feu Hannes Bauer, jouant avec une puissance et une projection
sonore rare et une maîtrise sensationnelle de l’embouchure et de la coulisse.
Il fit partie du London Jazz Composer’s
Orchestra de Barry Guy et London
Improviser’s Orchestra (LIO), du Tentet de Peter Brötzmann fin des années
70’s et dans les années 80 et enregistra Trap Street avec Steve Beresford et
Roger Turner (Emanem). En s’adjoignant le guitariste électrocuté Dave Tucker
(lui-même un pilier du LIO) et le batteur allumé Phil Marks, il a le ticket
gagnant pour s’imposer sur les scènes. Tucker a une approche carrément noise et
déjantée, maniant les effets comme un barman les ingrédients des cocktails sans
la tenue de rigueur. Phil Marks alterne gestuelles dégingandées qu’il faut
avoir vu en public pour le croire et un souci du détail tout en finesse.
Dérapages, outrances, états de transe, expressivité et sons frictionnés,
explorations explosives ou semi-introspectives. Action- réaction instantanée.
Tomlinson qui peut se montrer faussement suave fait éclater les sons, les
harmoniques et les vocalisations comme une avalanche d’éléphants en rut
appelant à eux la population effrayée de la savane. Émotions fortes, mais
projetées avec un grand talent et une intelligence rare. Avec des moments parfois
plus retenus (Frenzy of Now et Inside Out où John Edwards apporte sa
contrebasse, on appréhende tout le spectre des incartades soniques de ce trio
improbable de stature internationale. Tomlinson
est une voix unique du trombone, aussi essentielle que celles des regrettés
Paul Rutherford et Hannes Bauer, délivrant des colorations spécifiques des
timbres de l’instrument , étrangement aussi jubilatoires que dramatiques. Le
guitariste recrée certains des timbres et agrégats sonores du souffleur et le
percussionniste trouve les accents et pulsations qui décentrent en permanence
l’équilibre allant droit à l’essentiel.
Hautement
recommandable !!
Terry Day Dominic Lash Alex Ward Midnight and Below Illuso
Une belle
découverte que cet album par la grâce de la présence du percussionniste Terry
Day et le talent incontestable de ses deux comparses, le clarinettiste –
guitariste Alex Ward et le contrebassiste Dominic Lash. Terry Day est, pour
ceux qui l’ignorent, un des pionniers incontournables de la musique improvisée
libre dite « British » au même titre que les John Stevens, Evan
Parker, Derek Bailey, Eddie Prévost, Keith Rowe, Paul Rutherford, qui
contribuèrent à dépasser, sublimer le jazz libre et défricher d’autres
territoires. En son temps, sa démarche inspira bien des praticiens dont Han
Bennink, Paul Lytton, Steve Beresford. Ayant abandonné la batterie pour des
raisons de santé dans les années 90 et 2000, on s’était dit qu’on ne
l’entendrait plus. Mais revoilà Terry Day à la batterie en excellent
compagnie ! Alex Ward est un des ténors de la scène britannique,
clarinettiste inspiré et fulgurant, aussi à l’aise dans le jazz moderne que
dans l’improvisation sonique, avec l’écriture pour orchestre et une exécution
impeccable devant un pupitre. Et guitariste free de surcroît particulièrement
doué et audacieux mettant superbement en valeur les possibilités sonores de la
guitare électrique. Nous l’avons souvent entendu en compagnie de Steve Noble et
Simon H Fell, il était temps de le redécouvrir dans un autre contexte. Dominic
Lash, un des contrebassistes les plus demandés dans cette scène britannique,
complète parfaitement cette équipée. Terry Day a un jeu très fin complètement
ouvert, manypulsatoire et enlevé
empreint d’une dynamique remarquable même dans les moments les plus énergétiques
durant lesquels Alex Ward fait exploser sa colonne d’air comme on ne l’entend
jamais. Dans un autre morceau, c’est son côté jazz d’avant-garde à la Braxton
(point de référence) qui fuse à toute allure soutenu par les friselis cadencés
de Day. Ailleurs, la guitare électrique
intervient avec de belles surprises dans une ambiance frottée, grattée,
distendue mystérieuse pleines de contrastes. Dominic Lash joue en décalage de belles notes puissantes qui lient les inventions de Terry et Alex. Un solide contrebassiste ! Bref cet album est à la fois un
panorama et un condensé de modes de jeux divers et variés dans une perspective
ludique, écouteuse véritablement organique et spontanée, sans aucun esprit de
sérieux. Fan inconditionnel et grand connaisseur de la musique de Derek Bailey,
et avec ses moyens personnels (et autodidacte total), Alex Ward lui fait
vraiment honneur en trouvant sa propre voie emportée, plus rock d’une certaine
manière, mais finalement aussi fine qu’expressionniste. Un super groupe qui,
sur scène, vous emportera par leur folie échevelée et la qualité d’écoute et
d’invention.
Duck Baker Plays Monk. Triple Point Records TPR 271
Parmi tous
les projets musicaux "autour" (Round
About’) de la musique de Thelonious Monk, celui du guitariste Richard « Duck » Baker est
sans nul doute un des plus originaux. Produit par ce label classieux (Triple
Point Records a publié un coffret vinyle d’inédits du NY Art Quartet – Tchicaï
/ Rudd / Milford Graves, un coffret de Frank Lowe (Out Loud) et un ultime duo
de Taylor et Oxley), Plays Monk met en évidence le génie monkien transposé à la
guitare acoustique solo par ce géant de la six-cordes, musicien curieux et poisson
dans l’eau dans tous les idiomes et traditions de la musique Afro-Américaine du
blues au ragtime, du swing au jazz d’avant-garde, du folk à la free music. Il
avait enregistré un remarquable album de la musique d’Herbie Nichols (Spinning Song / AVAN 040 produit par John Zorn) et, cette
fois-ci, il s’attaque à celle de Monk, suivant ainsi de nombreux artistes comme Steve Lacy, Johnny Griffin, Yoshko Seffer, Gary Bartz, Tommy Flanagan, Alex von Schlippenbach –
Rudi Mahall et Axel Dörner et tant d’autres. La transposition à la guitare par
Duck Baker en donne un éclairage nouveau, primesautier, aérien et
rafraîchissant. Le musicien joue les lignes de basse et le contour mélodique et
ses variations monkiennes sans fioriture avec un réel aplomb. Pour qui aime
Monk et sa musique, cet album est le compagnon idéal des soirées d’automne qui
s’annoncent. Au menu : Blue Monk, Off Minor, Light Blue, Jackie-Ing, In Walked Bud, Misterioso, etc ...Échos sautillants de Bemsha Swing, Round Midnight des matins
blêmes. Imprévisible et épuré, Baker nous en offre la substantifique moëlle qu’il habille d’habiles extemporisations et subtiles extrapolations. Son Straight No Chaser mimique les
gestes d’un barman imaginaire créant d’improbables cocktails. Le Monk malin,
celui des chemins de traverse et des arrêts de bus au milieu de nulle part. Le
Monk des faubourgs par delà les voies … Un album d’anthologie pour l’île
déserte, le Manhattan des rêveurs.
NAMU 3 Un
Deux Trois Quatre Steve Gibbs Joachim Raffel Willem Schulz Setola di Maiale. SM 3870
Un Deux
Trois Quatre : quatre suite improvisées par un trio guitare huit cordes
(acoustique nylon, Steve Gibbs), percussion (Joachim Raffel) et violoncelle
(Willem Schulz). Chaque instrumentiste est aussi vocaliste et Raffel utilise
des objets. Une musique multi directionnelle mélangeant, confrontant, secouant
différentes approches sonores et instrumentales (styles ?) dans le domaine
de l’improvisation libre. Les percussions colorent le parcours, éparpillant des
sonorités fines, les voix rivalisent d’imagination pour ouvrir le champ des
possibles entre babil délirant, poésie sonore ou colloque absurde, la guitare
et le violoncelle tracent tour à tour des débuts d’architecture ou convoitent
les timbres cachés obtenus par des manipulations improbables. Ils s’écartent
des modèles et traditions « conventionnelles » pour créer une musique
commune, spontanée, pleine de fantaisie, déconstruisant la pratique de
l’instrument. Une flûte/ sifflet surgit et les cordes entretiennent une
conversation bruitiste. La qualité de leur jeu respectif se mesure lorsque que
leur inspiration les mène vers la pratique plus « normale » de leur
instrument. Gibbs joue aussi du bottleneck avec une précision diabolique. Pas
moins de quinze pièces bien centrées et paradoxalement en dérive onirique offrent
un panorama kaléidoscopique sans que jamais on ressente des longueurs, un
manque d’inspiration ou des répétitions. Rien d’héroïque à première vue, mais
beaucoup de bonheur inventif, de
déraison partagée et une vraie communication musicale.
Horace Tapscott Why Don’t You Listen ?
Live at LACMA 1998 Dark Tree
With the Pan
Afrikan People’s Arkestra and the Great Voice of the UGMAA
Le label
Dark Tree tire son nom d’une œuvre musicale phare du pianiste et chef
d’orchestre Horace Tapscott. Enfin, la publication d’un très beau concert de ce
dernier, superbement documenté au niveau prise de son et contenu du livret de
pochette (photos, textes, paroles des chants…). Le Pan Afrikan Arkestra est
essentiellement un groupe rythmique pulsatoire rassemblant un batteur, un
joueur de conga, trois contrebassistes, un pianiste, un chanteur, Dwght Trible
qui dirige aussi le chœur, et seulement deux souffleurs, le saxophoniste
Michael Sessions et le tromboniste Phil Ranelin. Cinq compositions. Aaiiee The
Phantom, Fela Fela et Why don’t You Listen d’Horace Tapscott, Caravan de Duke
Ellington et Little Africa de Linda Hill. Cinq pièces s’étendent chacune autour
du quart d’heure. Une musique musclée, d’une grande cohésion, chaleureuse,
polyrythmique, essentiellement collective avec une saveur indubitablement
africaine, inspirée par l’exemple Coltranien, agrémentée de magnifiques chœurs
mixtes. Les deux souffleurs interviennent pour souligner l’effervescence de la
rythmique, une fois les beaux textes chantés par les voix envoûtantes des Great
Voices de l’UGMAA. Michael Sessions envoie ses volutes dans la stratosphère,
spécialement au sax soprano dans Little Africa et Why Don’t You Listen . Ceux-ci parlent de la condition et de
l’univers culturel afro-américain ou citent les artistes incontournables de
leur musique, Bird, Lady Day, Trane, Cecil, Dexter, Max et leurs membres disparus,
comme Lester Robertson et Everett Brown. Leur style vocal est profondément
original tant chez les solistes (Amina Amatullah, Carolyn Whitaker et Dwight
Trible) que le chœur lui même, majestueux, insufflant une puissance
irrésistible à la musique. Comme on peut le voir sur les photos les membres des
Great Voice, ils – elles sont habillé.es de dashiki et tuniques africaines. Le
Pan Afrikan Orkestra et les Great Voice of the UGMAA offrent une version
communautaire, communale et collective du jazz, musique généralement basée sur
l’expression individuelle originale d’individus. Horace Tapscott a conçu sa
musique et le Pan Afrikan comme un moment et un lieu de rencontre/ partage de
la communauté noire de Los Angeles dans le but d’élever la conscience de son
peuple au point de vue culturel et des droits civiques. Cette aventure avait
débuté dans les années 60 et cet enregistrement réalisé lors d’un concert au
Musée d’Art Moderne de Los Angeles en 1998 quasiment au terme de l’existence de
cette fabuleuse confrérie. Pour ceux des jazzfans qui ne sont pas au parfum,
voici le moment venu de découvrir une magnifique facette de la Great Black
Music trop laissée pour compte et qui est au cœur de ses expressions.
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