20 juillet 2019

Jason Alder Thanos Chrysakis Caroline Kraabel Yoni Silver/ Daniel Studer Extended with Harald Kimmig Franz Loriot Alfred Zimmerlin Daniel Studer Philip Zoubek/ Gileya Revisited Jaap Blonk, Simon Nabatov, Frank Gratkowski, Marcus Schmickler & Gerry Hemingway / Dirk Serries & Benedict Taylor : Puncture Cycle


Jason Alder Thanos Chrysakis Caroline Kraabel Yoni Silver Music for Baritone Saxophone Bass clarinets and Electronics. Aural Terrains

Label boss and electronic improviser / composer Thanos Chrysakis is often concentrated on that kind of drone music which goes in fact beyond of the features and the moods inherent to such music. With two blowers like Yoni Silver, a regular bass clarinet player of choice on the London scene, and Caroline Kraabel, an avid explorer of the baritone sax aided with her own voice and very much involved in many collective projects there, you have two great  instrumental voices maintaining a kind of sonic continuity, although they manage to reach deeply different dynamics and actions to attract and to revive  our active listening. Jason Alder not only plays bass clarinet but also contrabass, Eb and Bb clarinets following the demands of each piece. No one of these crafted improvisers are playing solos but ensemble playing with quite minute and astute sound variations, harmonics, subdued voicings to the point you forget and, even, you don’t care who is playing what. Thanos Chrysakis is playing either laptop computer and electronics and his noisy, windy sounds are inserting, slotting, meshing around and inside the instrumental proceedings. You hear also some voices from a sort of radio waves. The reed players can digress from the main line of the piece with the more adapted intensity and poise to make it coherent with the whole sound.  So all in all, you have a very pleasant, well balanced spooky, a bit extraterrestrial, music made by players who are intense listeners and experienced improvisers. Aural Terrains is issuing serious works ! 

Daniel Studer Extended For Strings and Piano Harald Kimmig Franz Loriot Alfred Zimmerlin Daniel Studer Philip Zoubek. EzzThetic 1007

EzzThetic est un tout nouveau sub-label de Hat-Hut (Hat Art, Hatology etc..) et poursuit leur intérêt manifesté déjà par quelques projets remarquables autour du contrebassiste Daniel Studer, dont le fascinant CD Im Hellen du String Trio avec le violoncelliste Alfred Zimmerlin et le violoniste Harald Kimmig). Cette fois, s’ajoutent au String Trio le violiste (altiste) Franz Loriot et le pianiste Philip Zoubek. La musique a été conçue – écrite par Daniel Studer dans le prolongement de leurs pratiques d’improvisateurs libres. Quelles que soient les moyens (écriture, notation alternative, conduction, improvisation etc...), c’est bien le résultat musical qui compte et qui finalement remporte l’assentiment de celui qui écoute et l’enthousiasme et la concentration des musiciens. De la démarche de Daniel Studer aidé par ses quatre camarades, on retiendra une remarquable extension des possibilités sonores, des formes musicales, de la mise en abîme des timbres, de l’intégration de chaque voix instrumentale dans l’ensemble, … Les neuf pièces enregistrées évitent radicalement ce qu’on appelle « le noodling » (péché mignon de la musique improvisée) par la précision du jeu, la clarté des intentions, et la variété des formes qui se dessinent dans chaque composition basée dans l’utilisation de techniques étendues ou alternatives. Le pianiste joue très souvent dans les cordes et la carcasse de son instrument et il est parfois difficile de distinguer les cordistes entre eux. On ne va pas se casser la tête pour ranger Extended dans tel ou tel type de démarches de compositeurs en se référant à X, Y ou Z. La musique d’Extended vit et existe par elle-même : son déroulement se révèle complexe, peu prévisible, et la musique complète par la richesse de son imaginaire et des perspectives nombreuses dans sa géométrie spatiale, intégrant une foule de traitements sonores et de modes de jeux acquis par des décennies de travail ardu dans l’acte d’improviser librement.

Readings : Gileya Revisited Jaap Blonk, Simon Nabatov, Frank Gratkowski, Marcus Schmickler & Gerry Hemingway. Leo Records. CD LR 856

Leo Records, le label insigne de la free music russe / ex-soviétique, publie simultanément deux albums dirigés par le brillant pianiste Simon Nabatov, un exilé  et dont la musique est conçue autour de textes littéraires critiques  liés à l’après Révolution Russe et au lendemains qui chantent. Les textes d’Isaac Babel (Red Cavalry) utilisés dans leur précédent album chroniqué par moi-même étaient dits, chantés etc… par Phil Minton avec la même équipe d’instrumentistes. Pour Gileya Revisited, on a droit au vocaliste – poète sonore Néerlandais Jaap Blonk, lui-même duettiste occasionnel avec Phil Minton. Les quatre instrumentistes , Nabatov, le saxophoniste Frank Gratkowski, le percussionniste Gerry Hemingway et l’électronicien Marcus Schmickler tissent une bande sonore – contrepoint – paysage en liaison étroite avec des textes et surtout avec le ton, la gouaille, les bruissements vocaux de Jaap Blonk, particulièrement en verve ici. Gileya est un collectif de poètes russes irrévérencieux qui à partir de 1910 fit parler de lui en tant que précurseur de Dada, du Futurisme et du Surréalisme avec leur manifeste « Une Claque sur la face du goût public ». Des textes des différents poètes de Gileya (dont Alexander Kruchenyk, Vladimir Maiakovsky, Victor Khlebnikov et le peintre David Burluk) ont été traduits en anglais et insérés dans la trame musicale. Le talent extraordinaire de Jaap Blonk rend la violence moqueuse, l’humour absurde et la folle déraison de ces révolutionnaires d’un autre temps, qui exprimaient les conflits et contradictions criantes du bon goût et de la société Russe de leur époque au travers de leur art de manière totale. L’intense liberté d’expression de ses artistes fut par la suite balayée par le pouvoir « rouge ». Simon Nabatov, le concepteur du projet dont la famille (ukrainenne) a quitté l’URSS en 1979 quand il était enfant, remonte aux sources de la liberté artistique telle qu’elle a été vécue dans son pays d’origine.   Avec de tels musiciens improvisateurs et un tel vocaliste, l’auditeur fera à la fois un voyage dans le temps et rejoindra notre actualité brûlante. Une véritable cohérence et de nombreuses audaces sonores alimentent une œuvre originale qui a tout à gagner si vous entendez – comprenez l’anglais avec l’accent et les intonations facétieuses et expressives de Jaap Blonk. Une vraie réussite.

Puncture Cycle Benedict Taylor & Dirk Serries nwja 0018 new wave of jazz
Improvisation radicale en duo entre un guitariste acoustique, le belge Dirk Serries et un altiste (violon alto), le britannique Benedict Taylor. Exploration sonore au-delà des conventions instrumentales, bruissantes, crissantes, pointillistes, abstraites… Une forme de lyrisme pointe très en avant des glissandi éthérés de Benedict Taylor quand il ne frictionne pas la touche et l’archet, tandis que la guitare de Dirk Serries est traitée comme une source sonore, caisse de résonnance tendues de cordes qui résonne en staccato, griffouillages éclair, frottements extrêmes. Une forme de dialogue basé sur l’énergie, des juxtapositions de motifs contradictoires, parallèles et sortis d’une imagination fertile et une déroutante jubilation ludique avec une bonne dose de réflexion sur l’acte et l’art d’improviser librement (cfr Derek Bailey). La musique peut contourner le silence et se faire discrète, presqu’attentiste mais toujours concentrée sur une écoute active. Elle évite d’exprimer les évidences pour chercher / trouver la surprise, le non connoté, la richesse sonore, un dépassement de ce que l’auditeur pensait surprendre ou reconnaître. Et cela va assez loin, parfois en frôlant le silence, créant au fil des morceaux, le sentiment profond que ce duo prolonge, renouvelle, vivifie les acquits de cette scène londonienne marquée par les John Russell et Phil Durrant (compagnons de John Butcher dans les années 80-90), Phil Wachsmann et Richard Beswick (du trio Chamberpot de sinistre mémoire quand j’avais à peine passé la vingtaine), Roger Smith et Nigel Coombes (du « string » Spontaneous Music Ensemble de feu John Stevens). Face à ses musiciens, violonistes et guitaristes, reconnus et déjà d’un autre temps, Serries et Taylor s’affirment comme des instrumentistes improvisateurs tout aussi originaux qui auraient sans doute joué de la sorte même s’ils avaient ignoré l'existence de leurs excellents prédécesseurs. D’ailleurs en conversant avec Dirk Serries, celui-ci m’a dit être intrigué et très admiratif de Derek Bailey, mais semble n’avoir jamais entendu in vivo ou via des enregistrements les Russell, Smith et consorts. D’ailleurs, son style n’a rien à voir avec celui de Bailey. Quant à Benedict Taylor, c’est un des princes de la microtonalité assumée à l’alto (Jon Rose, Mat Maneri, LaDonna Smith, Szilard Mezei). Malgré tout, si vous ne connaissez pas ou peu les artistes cités, je vous promets une très belle découverte qui vous ouvrira les horizons d’une new wave of jazz, label administré de main de maître par Dirk Serries.

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