Alex Ward ITEM 10 Volition (Live at Café Oto) Copecod
PO013
Talentueux
clarinettiste et guitariste, improvisateur et compositeur incontournable de la
scène londonienne et internationale, Alex
Ward nous gratifie régulièrement d’opus étincelants, tels Gruppen Modulor et d'autres projets ébouriffants avec le contrebassiste-compositeur
Simon H. Fell, Déjà Vouty avec le trio de Duck Baker, ses solos Cremated Thoughts (Treader) et Proprioceptions (Weekertoft) et un très emballant
Duck Baker quartet, Coffee for Three
avec Steve Noble et John Edwards. Sans parler de collaborations avec Derek
Bailey, Eugene Chadbourne ou Thurston Moore. Ou encore l’excellent Glass Shelves and Floor (Copecod) qui
préfigure Volition. Un sens musical rare qui nous apporte une très remarquable
synthèse entre le jazz contemporain, la composition pour improvisateurs libres
et l’improvisation libre intégrale. Avec l’Alex Ward Item 10, il a rassemblé
quatre musiciennes et six musiciens au
Café Oto dans une forme de mini-grand orchestre pour leur faire jouer –
improviser (sur) ses nouvelles compositions, Your Overture (4 :14),
Entreaty (42 :19) et Volition (32 :52). On navigue ici au niveau du
London Jazz Composer’s Orchestra ou de l’ICP. Les dames : Cath Roberts,
sax baryton, Sarah Gail Brand, trombone, Charlotte Keefe, trompette et flügelhorn,
Mandira de Saram, violon, d’une part et les messieurs : Alex Ward,
clarinette et guitare électrique, Yoni Silver, clarinette basse et sax alto,
Otto Wilberg, contrebasse, Andrew Lisle, percussion, Benedict Taylor, violon
alto et Joe Smith Sands, guitare électrique. Pour une majorité, des nouvelles / nouveaux
venu.e.s dont on ignorait tout il y a quelques années. Je dois souligner la
qualité de l’écriture des ensembles où chaque fois une ou un ou deux excellent(s) improvisatrice(s) – teur(s) intervien(nen)t dans une multiplicité de registres.
On se régale à l’écoute d’artistes sublimes comme la tromboniste Sarah Gail
Brand, l’altiste Benedict Taylor, ou le maestro (partie de clarinette
incendiaire dans le final de Entreaty), la finesse de Mandhira de Saram, l’intelligence instantanée du guitariste Joe Smith Sands ou du bassiste Otto
Wilberg et la solidité du batteur Andrew Lisle. Le son du groupe se décline en trios, quartets, etc … évolutifs mettant
en évidence la palette instrumentale et des associations de timbres, d'intensités et de voix solistes du meilleur effet. Des parties sans batterie aèrent le
processus et ses flux vers une manière de musique de chambre. La balance entre l’invention
individuelle et l’aspect collectif minuté et précis de la musique s’avère de
haute volée. Je songe au quintet de Gerry Hemingway avec Mark Dresser, Ernst
Reyseger, Michael Moore et Wolter Wierbos. On retrouve dans la musique d’Alex
Ward les meilleurs ingrédients du free –jazz structuré de l’école Braxton et
ses acolytes des années 80 comme John Lindberg ou Hemingway et l’esprit de
l’improvisation libre. On peut écouter et réécouter
cet album pour y découvrir quelque chose de neuf et de nouvelles perspectives à
l’envi.
Coffee For Three
Duck Baker Quartet Duck Baker Alex Ward John Edwards & Steve Noble. Copecod PO014.
La musique
de ce quartet devrait intéresser ceux qui écoutent, aiment, adorent ou révèrent
Herbie Nicols, le génial pianiste méconnu de son vivant dont Richard « Duck » Baker enregistra il y a longtemps un album solo de ses compositions à la guitare acoustique. Je vous ai déjà entretenu du très bel
album du Duck Baker Trio avec le
clarinettiste Alex Ward et le
contrebassiste John Edwards, Déjà Vouty, du jazz de haute volée dont
Richard Duck Baker a composé tous les morceaux dans les règles de l’art (du
jazz moderne) avec un je ne sais quoi en plus qui fascine le jazzfan averti, à la limite de la
subversion. En ajoutant à cette équipe, le batteur Steve Noble, lui-même un compagnon régulier de Ward et Edwards, la
musique du quartet évolue entre un jazz moderne complexe fortement inspiré par
les compositions enlevées d’Herbie Nicols (ou par celles du quartet de Mulligan) et
une free music subtile, les musiciens passant insensiblement d’un swing
superbement articulé et vivace à l’improvisation libre audacieuse tout en
décalant/ décortiquant la structure des morceaux de manière ludique dans une
voie parallèle au trio de Giuffre avec Bley et Swallow. Edwards, Noble et Ward
doivent ici maîtriser la dynamique car Duck Baker joue exclusivement de la
guitare acoustique nylon qui swingue comme un malade. Je dois informer que
Baker a un long passé dans la musique afro-américaine du ragtime au blues,
ayant enregistré des perles pour le label Kicking Mule du guitariste Stefan
Grossman il y a fort longtemps. Il a aussi publié un vinyle solo de
compositions de Thelonious Monk paru chez le très classieux (et coûteux) Triple Point Records. Au menu deux improvisations plus ou moins
libres, Vorpmi Xetrov I et II, et un Song
for CH inspiré par le Song For Che de Charlie Haden. Alex Ward a mis au
point un style anguleux et volubile qui a plusieurs points communs avec celui
d’Anthony Braxton. Sans nul doute, un
album de jazz contemporain free élégant, audacieux et authentique. Dans cette
aventure, les trois britanniques utilisent à bon escient tous les acquis de
l’improvisation libre pour apporter une autre perspective à la musique du
quartet. Quant à Duck Baker, il s’affirme comme un styliste de la guitare jazz
d’avant-garde unique et pétri de swing : il n’appartient à aucune
école. Même quand ses incursions
polytonales escamotent les barres de mesure, son sens du tempo est sans pareil.
Je viens d’apprendre que Richard Baker se
voit contraint d’éviter les tournées pour raison de santé. C’est vraiment
triste ! Raison de plus pour commander ses albums !
Julien Desprez - Mette Rasmussen The Hatch Dark Tree DT 10
La formule
duo guitare électrique – saxophone est
un fil rouge de la free – music depuis les concerts et enregistrements
révolutionnaires de Derek Bailey avec Evan Parker (the London Concert – Incus
15 rééd Psi) ou Anthony Braxton (DUO Emanem 601 1974 rééd Emanem 5038) ou
encore les duo Fred Frith – John Zorn (The Art of the Memory - Incus CD 20).
Dark Tree vient de publier une sorte de poursuite – sequel – réévaluation de ce
format fascinant avec de jeunes musiciens révélés il y a quelques années. En
effet, Dark Tree avait déjà publié un
album avec Julien Desprez assez noise(Tournesol). Et le présent duo permet encore de mieux cerner
sa démarche. Je trouve très réjouissant que des femmes improvisent au
saxophone, cela déplace les repères relatifs au sexe etc…. ce qui doit se
concevoir dans une musique où la liberté (totale ?) assumée , revendiquée
est le maître-mot. Mette Rasmussen essaye avec énergie et imagination de faire
vibrer l’anche de son alto et d’articuler, vibrer, malaxer des sons en relation
avec les (relativement) surprenantes inventions sonores de son vis-à-vis,
lequel actionne pédales et effets de manière à saturer, dénaturer, parasiter le
son amplifié de la guitare. Sons sens de la dynamique est excellent et sa lisibilité stupéfiante. Leurs actions sonores se développent, se
différencient, se métamorphosent avec autant de cohérence que de diversité dans
les agrégats, les timbres, la saturation du son, les intensités. Il n’y
a pas souvent redite. Il existe une série de saxophonistes plus passionnants à
mon avis, mais il faut reconnaître que the Hatch (le duo) fonctionne très bien
et que Mette est, comme on dit, « habitée » par quelques ghosts ou
spirits qui nous attirent dans un au-delà qui nous manque. Dans la suite des
prises de sons, le délire et l’invention sonique de Julien Desprez feront
halluciner les amateurs de noise (Haino, Rowe, Mizutani ou le jeune Nicola
Hein). Il y a une richesse dans son travail sonore qui sublime l’astringence,
le bruitisme électro(cuté)… entre autres un sens du timing peu commun (Twin
Eye), une lisibilité efficace et une invention toujours renouvelée, inspirant
et poussant sa partenaire à investiguer d’autres matériaux plus avant. Je
recommande vivement l’écoute de cet album, spécialement aux auditeurs qui
essayent d’appréhender cette musique et d’en rechercher les meilleures choses.
Avec bonheur, ce duo réussi évite plusieurs écueils et se révèle comme un point
de référence valable dans ces démarches musicales (avec une telle conception
guitaristique) parmi pas mal d’autres.
Readings Red Cavalry Phil Minton, Simon
Nabatov, Frank Gratkowski, Marcus
Schmickler & Gerry Hemingway. Leo Records.
Depuis ses
débuts en 1979, Leo Records s’est investi à publier les musiciens de free-jazz
russes, ukrainiens, baltes, etc… de manière quasiment systématique. Simon Nabatov, dont la famille est
originaire d’Odessa, a publié une série
impressionnante d’albums pour Leo où on peut l’entendre sous toutes les
coutures avec entre autres, les musiciens réunis pour cet album à son
initiative. Le sujet central de Readings Red Cavalry est un texte
poétique de Isaac Babel , Red Cavalry (1926), qui dénonce les
agissements de la Cavalerie Rouge durant la guerre Civile Russe et la guerre
contre la Pologne en dénonçant les agissements du pouvoir pseudo-marxiste
mécanique – prêchi-prêcha léniniste et le sens de la discipline très rigoureux
(criminel) de Leonid Trotsky le leader de l’Armée Rouge. J’ajoute encore que le
chef militaire de la Cavalerie Rouge soviétique, le cosaque Semion Boudienny fut un des plus importants partisans de Staline. Isaac Babel fut arrêté, torturé puis mis à mort. Son livre
écrit dans une mixture d’ukrainien, de yiddish et de russe fut longtemps
censuré. Simon Nabatov a sélectionné
les extraits de Red Cavalry et en fait chanter, dire ou chanter – parler par Phil
Minton qui livre ici une de ses performances les plus convaincantes. Le
sujet fondamental : toute une génération a cru dans la révolution
communiste pour constater sa dérive vers une dictature brutale, criminelle et
injuste, imposant en fait un véritable capitalisme d’état au service d’une
nomenklatura hypocrite et de la Tchéka (futur KGB) en suivant d'une raison d’état paranoïaque
atteignant toute son horreur avec le règne du petit Père des Peuples et
accumulant erreurs sur erreurs de gestion et de gouvernement avec pour
conséquences la disparition de millions d’êtres humains. Simon Nabatov a conçu
son œuvre comme une sorte de radio play
où la voix et la diction de Phil Minton at trace un fil rouge à travers la trame
instrumentale partiellement écrite par lui-même et partiellement improvisée
spontanément au service du texte. Des improvisateurs du calibre de Nabatov au
piano, du clarinettiste et saxophoniste Frank
Gratkowski et du batteur Gerry
Hemingway, jouent ici la carte de l’improvisation libre intelligente et
raffinée quand Phil Minton intervient et fait vivre le texte de mille et une
façons. Plus qu’un chanteur, Minton se révèle encore une fois un véritable
acteur capable d’inventer (sur le champ ?) une série de manières de
chanter et interpréter les extraits de Red
Cavalry en fonction de l’atmosphère, du contenu, des sentiments ou des circonstances narrées. Il le fait
comme un chanteur populaire, un bateleur de rue ou un bonimenteur, un
visionnaire, soit comme un révolutionnaire authentique parsemant quelques
folles improvisations vocales, aiguillonné par les doigtés de Nabatov et la
clarinette volubile et expressive de Gratkowski aboutissant au délire total d’ After the Battle qui clôture l’album.
Projet parfaitement réussi. Un autre album tout aussi révélateur avec Jaap
Blonk et les mêmes instrumentistes a été publié simultanément sous la houlette du même Simon Nabatov. À suivre !
Incunabulum Hans Koch – Jacques Demierre Herbal Concrete Disc 1901
Enregistré à
Biel en Suisse les 8 et 9 mai à "Le Singe", Incunabulum
se compose de 8 improvisations dont les
titres sont extraits du livre « i never knew what time it was » de
David Antin : 1/ but there were no words 2/ but we weren’t prepared to
enter this game of musical houses , 3/ but I’ve been living here from a long
time , etc... Si les instruments de Jacques Demierre sont clairement définis (piano
et épinette), ceux d’Hans Koch sont désignés par le vocable reeds (anches),
soit clarinettes (basse, contrebasse, ..) ou saxophones (soprano, ténor ). Il faut un peu deviner de quel instrument il joue, vu sa capacité à en transformer et sublimer leurs usages conventionnels. Les caractéristiques de son jeu évoluent très fort d’un morceau à l’autre,
ressemblant parfois à une machine indifférenciée (n°3). Au piano, ce sont
quelques notes qui viennent poindre dans un silence que le souffle du
clarinettiste trouble à peine, un peu comme un vent presqu’immobile anime la
surface d’une étendue d’eau. Les sonorités de l’épinette qui se rapprochent
d’un instrument à cordes pincées apportent une légèreté, une résonance qui
favorisent les singularités imprévisibles du souffleur. Mais comme le démontre
les n°1 et 4, l’épinette put s’agiter comme un furieux ostinato noise démembré
et hypnotique, ou comme une machine éclatée aux intervalles insensés. Certains
sons semblent provenir de l’au-delà sans qu’on puisse deviner s’il s’agit du
souffleur ou du claviériste (n°5). Le but commun des deux improvisateurs est la
recherche de sons acoustiques plus qu’à une forme de dialogue. Plutôt un art
sonore où les bruits qui s’animent créent des perspectives, des lueurs, dans
des matières qui semblent mener leur vie propre. Cette quête les mène loin des
connivences explicites, et rapproche leurs sonorités de la nature sauvage, de
textures organiques … Encore un document probant qui exemplifie la nature
intransigeante, irréductible de l’improvisation libre qui rejette tout modèle
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