27 avril 2021

Roscoe Mitchell & Mike Reed/ Benedict Taylor & Dirk Serries/ Evan Parker Alex Hawkins John Edwards & Paul Lytton/Paul Dunmall Philipp Gibbs Keith Tippett Pete Fairclough/Paulo Chagas Nicola Guazzaloca Lee Noyes

the Ritual and the Dance Roscoe Mitchell & Mike Reed Astral Spirits AS145
https://astralmitchellreed.bandcamp.com/album/the-ritual-and-the-dance


Pour un patriarche du free-jazz aussi iconique et aussi âgé que Roscoe Mitchell, lui-même fondateur de l’Art Ensemble of Chicago, la musique enregistrée ici est assez confondante par son urgence incisive, l’intensité agressive de l’énergie qu’elle déploie et son insistance à traquer les dissonances outrancières dans des spirales infernales. Celles-ci explosent hors du pavillon du sax sopranino durant les dix sept premières minutes de cette performance unique du 22 octobre 2015 à Anvers, laissant ensuite le batteur Mike Reed poursuivre ses cadences tribales et ses pulsations démultipliées. À la minute 21, tel un canard, il ressurgit : Roscoe introduit un monologue de fragments expressifs au sax alto, sorte de signes minimalistes et secrets qui finissent par dessiner des lambeaux de mélodies et des notes tenues et saturées par un souffle implacable. Au cœur de cette énergie à l’apparence immobile se dessine une magnifique intelligence doublée d’un instinct infaillible de la valeur des notes, des sons et des intervalles. On retrouve son inspiration « cubiste » dans les remarquables dessins multicolores qui ornent la pochette du CD. Avec Mike Reed, un percussionniste vraiment original entre tous, il a trouvé le point d’équilibre et cette volonté d’affronter l’inconnu. Oui, l’inconnu face à ces dissonances et assonances insérées dans ses boucles tortueuses et infernales, ces spirales désarticulées, bruissantes et ultra-tendues dont la sonorité évoque plus la cornemuse sauvage des montagnes de Thrace ou des forêts sardes ou ces ghaïta hurlantes au fin fond du Sahara. Depuis l’époque glorieuse du séjour européen de l’Art Ensemble des années 69-70, des enregistrements pour Atlantic et ECM, des tournées incessantes, Roscoe Mitchell n’a jamais quitté sa trajectoire d’artiste radical et d’improvisateur chercheur, alors qu’il aurait pu couler des jours tranquilles avec des projets plus consensuels et rémunérateurs et préfère la compagnie de musiciens engagés comme ce phénoménal percussionniste chicagoan comme lui, Mike Reed, lui aussi organisateur incontournable de concerts et de publications sans concession. Ces trente-six minutes du Rituel et de la Danse délivrent un grigri magique, transmuté dans un temps insaisissable et pourtant chargé de sens et d’émotions indicibles et donc, bien présent.
PS : Concert organisé par Oorstof / Sound in Motion (Koen Vandenhoudt) et enregistré par le légendaire Michel Huon.

Benedict Taylor & Dirk Serries Live Offerings Confront core series digital
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/live-offerings-2019


Alto et guitare acoustique : Benedict Taylor et Dirk Serries renouvellent l’art du duo. Les deux pôles du binôme sont clairement définis. L’archet puissant et la pâte sonore multiforme de l’alto de Taylor créent des spirales charnues, effilées, denses en glissandi mouvants et goûteux. Les doigts du guitariste secouent des grappes de notes qui s’entrechoquent sur les frettes et griffent leurs profils cuivrés, parmi d’autres manipulations de la six cordes pas simples à décrire. Bien vite, l’altiste répond au quart de tour en éludant les questions à coup d’archets frappés sur les cordes qu’il pince tout autant de guingois. Le dialogue s’évapore, renaît et s’échappe inlassablement, Dirk frotte lui-même les cordes à l’archet alors que Benedict fait vibrer l’intimité nue des harmoniques aigües. Le guitariste s’affaire pour brouiller les pistes et lacérer l’espace de la rosace de son instrument en désordonnant volontairement toute espèce de guitarisme identifiable. C’est une fièvre affolante qui propulse les timbres étirés, hantés, rougeoyants et expressifs à outrance de l’altiste. La performance de Taylor est impressionnante, car l’alto est un engin plus rétif à manœuvrer que le violon, surtout à ce niveau, proche de la transe. Pour une fois, c’est Confront qui accueille leur duo méritoire en lieu et place du label de Dirk, a new wave of jazz, lequel avait publié le premier enregistrement de leur duo, Puncture Cycle (2018 a new wave of jazz nwoj0018. Je vais me précipiter pour réécouter ce dernier via ma hi-fi ! Car Live Offerings 2019 étant un album digital, je l’écoute via mon IBook. Donc, à suivre à la trace et à réécouter tant et plus.

Evan Parker Quartet « All Knavery and Collusion” w. Alex Hawkins John Edwards & Paul Lytton. Cadillac SGCD 018. https://cadillacrecords77.com/releases/all-knavery-collusion/
https://evanparkerquartet.bandcamp.com/album/all-knavery-collusion


Le vieux label Cadillac de feu John Jack nous envoie le premier album de l’Evan Parker Quartet ainsi nommé. E.P. est devenu au fil des décennies, un saxophoniste (ténor et soprano) reconnu parmi les plus légendaires. À la batterie, son acolyte de plus de cinquante ans, le batteur Paul Lytton, un des percussionnistes les plus extraordinaires de la scène improvisée libre. À la contrebasse, un as de la génération suivante, John Edwards, d’une efficacité redoutable. Au piano, nourrissant les interstices entre ces trois fortes personnalités, le « jeune » pianiste Alexander Hawkins. Entre parenthèses, John et Alex jouent régulièrement avec Louis Moholo, ce qui est un plus pour ce quartet, le bassiste étant aussi un des compagnons habituels de Parker. Donc une équipe soudée, une musique cohérente enregistrée en studio et répartie dans cinq compositions de durée moyenne (de 7’48’’ à 2’25) sous la plume de chaque musicien, dont deux pour Parker et une sixième nettement plus longue (The Weather Set in Hot 24’14’’) signée Evan Parker. Pour finir, une brève conclusion co-signée par Hawkins, Edwards et Lytton. Sans doute, les musiciens ont établi des propositions de jeu et des enchaînements de solos, duos, trios et quartets au sein de chaque morceau avec des instructions précises. En effet, la musique semble entièrement improvisée, mais le quartet s’est efforcé de créer des espaces, des structures temporelles logiques qui permettent une variété d’occurrences sonores propices à ce qu’on puisse bien distinguer le travail de chaque musicien et les multiples relations entre chacun d’entre eux. Lisibilité garantie ! Un bon exemple est la pièce signée Paul Lytton et intitulée « The Alchemy of John Edwards » : le contrebassiste commence le morceau en imposant sa présence boisée à coups de tirages de cordes (pizzicati) géants ou microscopiques et de frottements abyssaux autour des quels le batteur s’insère avec sa capacité fantastique à faire mouvoir de multiples pulsations dans plusieurs directions et vitesses simultanément.
Evan Parker a cette faculté insigne à contorsionner ses phrases en boucles et spirales à la fois pressantes et relâchées établissant spontanément des signaux fugaces avec l’activité instrumentale de ses collègues. À chaque instant, la fugacité nerveuse et spasmodique et cette lenteur relaxante se croisent pour étirer les notes. Evan Parker est sans nul doute un des plus brillants héritiers de Coltrane, mais il a pris bien soin de mettre au point un « style » très personnel qui n’appartient qu’à lui, une culture d’intervalles disjoints et de morsures d’harmoniques. Après la génération des Coltrane, Dolphy, Ornette Coleman et Albert Ayler, Parker est un des saxophonistes les plus originaux de l’après free-jazz au même titre que Steve Lacy, Anthony Braxton, Roscoe Mitchell ou Lol Coxhill. Dans cet album, les quatre musiciens nous offrent l’idéal d’un free-jazz libre aussi spontané que remarquablement dosé et réfléchi avec une insistance sur plusieurs formes de dialogues, actions – réactions - interactions. Si Alexander Hawkins se situe un peu en retrait par ses interventions mesurées et toujours à propos, on découvre un équilibre vivant et instable dans celles des trois pôles présents, souffle, cordes et percussions avec une qualité d’écoute et de complémentarité. Et surtout une magnifique lisibilité pour chaque intervention. Paul Lytton est un adepte de la rythmique libre, évolutive avec changements de vitesses permanents, mêlant énergie et délicatesse dans un foisonnement hyper nerveux, portant les innovations d’un Sunny Murray à un point ultime d’élégance.Il est très loin le temps où Evan Parker et Paul Lytton incarnait l’avant-garde radicale exploratoire du son, franchissant la frontière du bruit avec des sources sonores hétéroclites,(années 70 – 80). Mais ces expériences qui paraissent si lointaines sont de toute évidence le ferment qui les réunit. Une belle réussite.

Onosante Paul Dunmall Philipp Gibbs Keith Tippett Pete Fairclough 577 records
https://577records.bandcamp.com/album/onosante

Cet album avait été enregistré en novembre 2000 à Bristol et publié par Duns Limited Edition à quelques dizaines copies. Duns Limited Edition était le label CDr de Paul Dunmall lui-même comptant une soixantaine de numéros, certains en double, triple ou quadruple albums avec des pochettes ornées de peintures, dessins ou lithogravures du musicien lui-même. Non seulement on l’y entend au sax ténor ou au soprano, mais aussi aux flûtes et cornemuses. Onosante manquait à ma collection. Comme souvent avec Dunmall, ses albums sont des rencontres avec plusieurs des nombreux musiciens avec qui il travaille régulièrement et des invités de passage, car il adore essayer toutes les formules instrumentales même les plus difficiles . Le défunt pianiste Keith Tippett et Dunmall partagent l’aventure du quartet Mujician avec le contrebassiste Paul Rogers et le batteur Tony Levin. Dunmall et Rogers ont aussi beaucoup enregistré en trio avec le guitariste Phil Gibbs. Quoi de plus naturel pour Paul de réunir Keith Tippett et Phil Gibbs en ajoutant la batterie de Peter Fairclough, un compagnon habituel de Tippett. Dès le départ, la guitare préparée de Gibbs résonne comme une sanza déjantée, effet de piano à pouces ferraillant obtenu en glissant des morceaux de cordes de guitare entre les cordes et avec des doigtés tournoyants ou cycliques. On retrouve ces effets de tournoiements dans le jeu du pianiste. Survolant ces cordes survoltées, le saxophone soprano de Dunmall se fait limpide, liquide : une sonorité magique articulée avec une capacité de souffle magistrale avec triples détachés virtiginieux. Obtenir un tel son est le résultat d’un travail intense. Mais dès le long morceau suivant, son intensité se fait débridée, survoltée et la sonorité aphrodisiaque.
Si Peter Fairclough souligne les mouvements intenses de ses trois compagnons avec réserve et perspicacité, le pianiste et le guitariste conjugue leurs efforts pour faire éclater l'espace-temps par des rotations tourbillonesques de fragments mélodiques arrachés aux forces de la nature avec l'énergie désespérée de corsaires face aux éléments océaniques déchaînés. Keith Tippett se montre souvent survolté, incantatoire, incarnant la transe qu'il communique au guitraiste Phil Gibbs. Celui-ci s'engage tête baissée dans croisements de zigs-zags bouillonnants on ne peut plus trash, sans pour autant pour autant faire assaut de décibels et d'effets électroniques, de la pure six - cordes, purement destroy ou selon l'ambiance orientée jazz avec beaucoup de libertés assumées. Certains passages côtoient une proximité avec le silence et une belle intériorité : durant les 34 minutes de For Lost Souls, on entend Dunmall jouer du ténor avec une belle énergie, reprendre le sax soprano pour nous faire découvrir un aspect inconnu de son inspiration, gauchissant la mélodie ou serain avec un fife (flûte traditionnelle) alors que Tippett martelle ses cadences tournoyantes et obsessionnelles et pousse le ténor à fracasser sa sonorité au final de ce morceau épique. Deux pièces plus courtes (Onosante et Manosante) rééquilibrent les forces en présence au creux d'une dimension plus mélodique dans une atmosphère nettement plus aérée et lyrique. L'aventure Dunmallienne défie la logique du jazz, des musiques improvisées et de la combinatoire des choix esthétiques pointus et des pronostics simplistes. En voici un très bel exemple qui confirme ma constatation : même s'il y a sûrement des oeuvres enregistrées "plus abouties" qu'Onosante, ce titre vaut par toutes ses audaces et sa suprême franchise.

Where Fear Ends Paulo Chagas Nicola Guazzaloca Lee Noyes Zpoluras
https://zpoluras.bandcamp.com/album/where-fear-ends


Exemplaire collaboration improvisée entre un souffleur, hautboïste et flûtiste, Paulo Chagas, un pianiste, Nicola Guazzaloca et un percussionniste, Lee Noyes. Quatre improvisations en trio de respectivement 11’15’’ (Prove Them Wrong) , 9’06’’ (Respect the Thorns), 13’03 (Where Fear Ends) et 08’29’’ (To Look After) incisives et lucides mettant en évidence les possibilités sonores du piano dans la table d’harmonie, les cordes, des préparations et le clavier de manière méticuleuse. L’attention du percussionniste est entièrement rivée sur les manipulations quasi-percussives du pianiste comme s’il s’en faisait l’écho. Plutôt que de « jouer de la batterie », il focalise ses interventions ponctuelles dans un registre bien déterminé qui complète et enrichit le dialogue et la construction sonore. Une multiplicité d’effets sonores, de grattages, de frappes pointillistes s’imbrique dans le jeu improvisé du pianiste. Dans ce contexte, les canardages nasillards et saugrenus de Paulo Chagas au hautbois font merveille apportant une aura d’originalité insoupçonnée à ce trio pas comme les autres. On l’entend aussi à la flûte, dont il fait parfois éclater la colonne d’air d’une rage sourde. C’est donc un excellent témoignage d’une action librement improvisée qui se singularise de nombreux lieux communs avec une belle énergie et une lucidité intense.
Le genre d’albums qu’on a envie de réécouter pour en relever les subtilités et le pourquoi de son urgence. Tout y est aussi intensément soupesé et millimétré que sincèrement spontané et créé dans l'instant. Et quels instants !!

17 avril 2021

Ivo Perelman & Matthew Shipp : EMBRACE OF THE SOULS Essay by Jean - Michel Van Schouwburg translated by Andrew Castillo



Ivo Perelman – Matthew Shipp Special Edition Box
CD - Procedural Language - Tenor saxophone & Piano duo of Perelman – Shipp
Blu-ray - Live in Sao-Paulo at SESC - directed by Jodele Larcher
Book - Embrace of the Souls - Ivo Perelman & Matthew Shipp by Jean-Michel Van Schouwburg. Translated by Andrew Castillo.
Limited Edition of 360 issued by Hannes Selig’s SMP Records https://smprecords.bandcamp.com/album/special-edition-box

For decades, Brazilian tenor saxophone great Ivo Perelman and Delaware-born piano visionary Matthew Shipp have shared an intimate and deep dialogue dedicated to free improvisation and instant composition. Their acclaimed duet albums of recent years reveal a subtle, yet substantial extension of their intuitive interactions, their brand of musical telepathy: Corpo, Callas, Complementary Colors, Live in Brussels, Saturn, Oneness (a triple CD), Efflorescence (4 CDs) and Amalgam total eighteen compact discs. There are no themes, nor compositions; the pair create their duo music spontaneously, listening to each other intensely in the moment, avoiding “solos” and “accompaniment.” Included in this box set, Procedural Language crowns their magnificent recorded output with much fire, sensitivity, and lyrical abandon.

Perelman blows his singular overtones on tenor sax, often in the altissimo range, practically singing in a style equally inspired by Brazilian saudade and legendary players like Ayler, Coltrane, Griffin, Webster and Getz. On piano, Shipp operates at the confluence of Jazz, African-American music, Western Classical and Avant-Garde, with poise, energy and brilliance. His virtuosic pianism shifts as necessary to complement and challenge his colleague’s voice, forming an ephemeral and ever-fascinating equilibrium. Their duo work is enhanced by an impressive series of recordings and concerts with like-minded improvisers - including bass players William Parker & Mike Bisio, drummers Gerald Cleaver, Whit Dickey and Bobby Kapp, violist Mat Maneri, and guitarist Joe Morris – that form a compelling body of work.

The full-length essay Embrace of the Souls delivers an inside view to the creative dialogue between Ivo Perelman and Matthew Shipp, highlighting the pair’s shared experiences and tracing the various elements at work in their joint musical practice. More than a technical breakdown, it accentuates their human interaction, and situates the duo within the cultural and historical context of the evolution of (free) jazz. The author, J-M Van Schouwburg, is a noted free-improvising singer and critic of improvised music. Completing the audio-visual experience of the Special Edition Box set is Live in Sao-Paulo at SESC, a remarkable concert film captured by director Jodele Larcher and his consummate team.



One excerpt of the essay :

But how embarrassing it would be to proclaim which of these recordings is the most essential. Unlike the trio albums - The Foreign Legion with Gerald Cleaver, Butterfly Whispers with Whit Dickey, The Gift with Michael Bisio – Shipp provides the cadences and rhythms in the duo setting, in a unique way that, to my knowledge, has no equivalent in a group with a drummer and/or bassist. In a duo, Matthew Shipp creates imposing foundations, interweaving complex metrics, masterfully alternating and interlocking, embracing themes and intervals, accents and pulsations. He distances himself from the jazz pianist, whose accompaniment/solo oscillation, he rejects. His play is one with that of his comrade, while standing apart emotionally and effectually. Freedom, individual independence, is as important as close collusion.

I intimated above that the music of the duo differs depending on whether it’s played in the studio or in concert. Studio albums contain shorter tracks, and often have more clearly defined structures and atmospheres. A succession of numbered parts (1, 2, 3, etc.) or titles that poetically invoke colors or color combinations (Contemporary Colors) help set the parameters.

The live albums reveal an illuminated chain of sequences, some well formed, some more mysterious, which are improvised on the spot, and change directions in a matter of nanoseconds. They attest to a musical telepathy, on full display on Live in Nuremberg, the duo’s latest concert CD, recently released on SMP. It contains strong, superbly expressive moments, the pair almost raging in the face of the Germanic audience that surround them in a semi-circle. However, this does not necessarily characterize their live shows. In fact, the single CD Live in Nuremberg and the double disc Live in Brussels are hardly similar. Even within the instinctively sequenced set list of the latter, there is a clear separation of modes, though the end of the first set does seem to segue into the beginning of the second set.

The two pieces that make up the first set at L’Archiduc are of a pair, ethereal twenty-minute explorations. The long second set, an extraordinary journey, embarks with an ample stride, a clear pulse upon which the saxophonist flows and pivots, the piano overlaying sequences of riffs punctuated with odd rhythms, sketching motifs that are haunted, chained. In real time, the duettists investigate the ruptures in the beat, Perelman playing the introverted partner. Slowly, methodically, they build to a crescendo that begins to take its demonic shape, Shipp striking the keyboard with all the force of his shoulders and forearms, vibrating the strings like a typhoon would a skiff at sea. Frenzied, hallucinatory, Perelman pushes the cry of his reed to its upper-limit, unleashing a dense, ultra-powerful altissimo. Not a cry or a howl, but a fiery, heartbreaking song, an extraordinary musical vibration. It clearly forms a melodic element, an eruption of the harmonic substrata that unearths unspeakable emotions.

The more direct, assertive energy of the 55-minute Nuremberg set can be compared to that of the second set at L’Archiduc. The resemblance between these two long pieces, in construction and integral elements, is so much that it seems planned, thought out: the trajectory of the sequences, the vacillation between intensity and repose, the crescendos of energy, the raw melodic material, the feeling, the implied atmospheres. Still, somehow, there is not a single moment where the music played in Nuremberg can be mistaken for that played in Brussels. On both, but even more so on the former, a close listen reveals a treasure of musical leaps forward, intimated desires, hidden suggestions. For this reason, Live in Nuremberg is my live album trump card, just as Callas is the most balanced collection of studio recordings, the one that best captures the pair’s endlessly fascinating qualities in that context.

But alas, shocked buyer, there is nothing to fear; all their albums are worthwhile, these as much as the others. And we have an embarrassment of choices. At first glance, the music may sound similar, even repeated from one CD to another. Then, suddenly, inevitably, we are overwhelmed by the Afro-Latin generosity of the two players, by their fierce desire to create once again, to produce something new.

Let’s listen, shall we?

https://ivoperelman.bandcamp.com/album/amalgam

https://taoforms.bandcamp.com/album/garden-of-jewels

https://smprecords.bandcamp.com/album/live-in-nuremberg

16 avril 2021

Philippe Lemoine Anil Eraslan Michel Doneda Simon Rose/ Sue Lynch N.O.Moore Crystabel Riley/ John Butcher/ Andrea Centazzo Giancarlo Schiaffini/ Adam Bohman Keisuke Matsui & Graham McKeachan

Philippe Lemoine Sax Ténor
Solo : Matière Première - Philippe Lemoine
Duo : Deserteafication - Anil Eraslan & Philippe Lemoine
Trio : Bow and Arrows - Michel Doneda Philippe Lemoine Simon Rose



Reçu dans mon courrier ces trois CD’s de Philippe Lemoine inclus chacun dans une pochette « individuelle » en carton et ornée d’un dessin à l’encre de Chine de Cécile Picquot. Initiative originale, créative et sans label. Si ce n’est la mention du site de l’artiste Cécile Picquot www.cecilepicquot.fr . Les dessins de chaque pochette forment des territoires imaginaires, géographie de l’instinct, topologie dans l’espace et chacun d’eux font sans doute partie d’un ensemble dont nous ignorons les contours. Fiché à l’intérieur de l’étui en carton léger brun clair un papier rouge vif signale avec l’indication Matière Première qu’il s’agit bien de l’album solo de Philippe Lemoine. Chacun de ces dyptiques ont été dessinés à l’encre à même la surface du papier cartonné. Des pièces uniques à 20 € pièces obtenues uniquement via le créateur, Philippe Lemoine. À mon avis, du point de vue de la scène improvisée, ces trois albums ainsi produits incarnent l’esprit même de cette musique. Remarquable saxophoniste ténor, Philippe Lemoine travaille le son, le souffle, les phrasés, l’articulation, les effets de timbre les plus délicats ou, parfois quand le besoin se fait sentir, des outrances quasi-expressionnistes, des inflexions lyriques ou des motifs abstraits. Ce bagage musical étendu, cette Matière Première complexe, subtile et qui vient droit du cœur, constitue le matériau d’une recherche-dérive intensive d’un parcours vivant au creux de l’instant. Une fois étalé dans le temps et transmis via son compact, l’auditeur peut se délecter d’une nourriture musicale substantielle, florissante, à la quelle on peut revenir sans se lasser. Il y a tant de tours, de détours, de recoins, d’ombre, de lumière et de clair-obscur qu’on mesure au fur et à mesure de l’écoute, quelle belle merveille est parvenue dans nos mains. D’un point de vue analytique, si la démarche de Philippe est profondément intime et personnelle, et sincère entre toutes, on dira qu’il n’a pas un style « distinctif », clairement défini qui fait qu’on reconnaît immédiatement (Steve Lacy, Evan Parker, Roscoe Mitchell, Lol Coxhill). Philippe maintient une excellente justesse au sax ténor et ne s’aventure pas dans le microtonal et ces écarts infimes et expressifs dans les gammes « occidentales » par rapport aux notes précisément « justes », écarts qui forment la « voix », la marque de fabrique de ces illustres saxophonistes reconnaissables entre mille. Néanmoins, les alternances des pluralités de timbres, sonorités, effets et sa capacité à parler – chanter dans le bec en faisant résonner doucement la colonne d’air comme une voix d’outre-tombe font de Philippe Lemoine un sérieux client qu’on n’hésitera pas à inviter pour remplacer un éventuel collègue saxophoniste « solo » qui aurait fait défaut dans un festival. On pense au niveau musical des Urs Leimgruber, John Butcher, Michel Doneda, Daunik Lazro ou Joe McPhee. Qualité exceptionnelle !!
D’ailleurs, si l’album solo vous effraie et que vous penchez plutôt pour les groupes, quoi de plus original , fascinant et mystérieux que ce trio de saxophones, Bows and Arrows dont c’est le deuxième enregistrement. Tous les possibles du souffle, scories, difractions, bruissements, vibrations graveleuses, méandres infinis, résonances magiques s’ouvrent à nos oreilles. Les sons tournoient, s’amalgament, s’enrichissent, s’égarent dans des zones imprévues, champs magnétiques de l’imagination. Le parfait exemple de l’improvisation collective dite non idiomatique qui échappe aux pronostics. Très fort et très beau. Le troisième opus « Deserteafication » est un superbe dialogue avec le brillant et chatoyant violoncelle de Anil Eraslan. Le violoncelle et le saxophone ténor conjugués est une magnifique occurrence instrumentale. On se souviendra des gigs de 1976/77 d’Ernst Reyseger et de Sean Bergin (R.I.P.). Leur périple en deux chapitres (1/ Flying Tea Leaves (butterflies invasion) 2/ Unexpectedly. Time Is over) transite par des territoires musicaux différents et complémentaires. Le spectre sonore du violoncelle d’Anil Eraslan est d’une grande richesse issue de la pratique classique et des traitements contemporains de la matière sonore. En s’écoutant mutuellement et par l’émulation de leurs imaginaires, les deux improvisateurs créent de magnifiques coïncidences, des correspondances poétiques par une multiplication sagement dosée de tous les éléments sonores et musicaux à leur disposition. Un travail mélodique s’établit dès les premiers instants pour se développer dans des extrapolations plus audacieuses qui s’insinuent comme un paysage impromptu. N’y manque pas l’intensité, l’émotion, une énergie renouvelée et une constante recherche à étendre les formes musicales jusqu’aux contorsions et crissements les plus abstraits. Trois albums d’une haute tenue musicale.

Secant / Tangent Sue Lynch N.O.Moore Crystabel Riley CD dx/dy recordings 2020
https://breakingupintheatmosphere.bandcamp.com/album/secant-tangent


Un trio essentiel dans cette formule très usitée du binôme saxophone et percussions, ici avec guitare électrique. On se réfère souvent au légendaire Topography of the Lungs (Bennink Bailey Parker) comme le fait Steve Beresford dans ses remarquables notes de pochette où il cite aussi John Stevens … Face to Face et le Spontaneous Music Emsemble. Une évidence : Sue Lynch (sax ténor, clarinette et flûte), Cristabel Riley (percussions) et N.O. Moore (guitare électrique) ne se contentent pas de jouer sans réfléchir. Ces trois – là incarnent chacune et chacun un point de vue personnel, démarche basée à la fois sur les possibilités de leur instrument et sur les rapports intenses qui s’imposent à leur imagination et à leur ressenti individuel. Sue Lynch applique des morsures brûlantes et déchiquète les sons du ténor par-dessus les rebondissements des baguettes sur les peaux de Crystabel Riley et les vibrations pneumatiques qui font gronder les cylindres des tambours. Son jeu très particulier opère aux antipodes du free drumming British (Oxley, Stevens, Lytton, Turner) qui exploraient les extrêmes aigus, les métaux, les cliquetis, la vitesse, … C’est dans la masse des sons graves et oscillants du tambour, une polyrythmie tournoyante et décalée et des cycles de pulsations elliptiques qu’elle cherche passionnément son inspiration en syncope avec les cris de la souffleuse. Frappes tactiles à mains nues qui surgissent sous les cris perçants du ténor. Électron libre et ludion électrisant, N.O.Moore saccage les watts normatifs qui alimentent sa six-cordes explosive dans une variété saisissante de contractions, de sons rebelles, d’éclairs vitriolés, de riffs atomisés, de rafales spasmodiques. Une fois planté le décor, le trio n’a de cesse de différer la déflagration finale en poursuivant toutes les pistes sonores et ludiques qui s’offrent à lui (et elles !). Des moods très variés se succèdent, divergent, et s’engouffrent dans une ligne du temps tranchées au hachoir ou abordées subrepticement par la tangente avec précaution et en un clin d’œil. Et c’est là qu’on mesure l’art d’improviser en restant soi-même, lui – même, elles – mêmes spontanées dans cet état second de surprise, urgence ludique de l’instant en ébullition permanente. Mention très bien pour la pochette et toutes mes félicitations à cette nouvelle équipe que j’espère bien croiser un jour.

John Butcher The Turn Things Take
http://westdenhaag.nl/thuistezien/216

Surprenante performance solo de John Butcher au sax soprano filmée à l’intérieur du pavillon de son instrument. Un extraordinaire concentré musical d’un des plus grands saxophonistes improvisateurs – compositeurs de notre époque dans une dimension visuelle inédite. L’intérieur du tube du saxophone soprano, un cône droit, s’illumine par la lumière qui pénètre au travers des orifices qui s’ouvrent graduellement par les doigtés de l’instrumentiste. À regarder, à écouter, à méditer. Du grand art.

Andrea Centazzo Giancarlo Schiaffini. Reloaded Ictus 180 Dark Noise 191

https://ictusrecords.bandcamp.com/album/reloaded

Le free jazz afro-américain s’est distingué par des formes musicales nouvelles tant au point de vue composition et que dans recherche sur le timbre et les sonorités instrumentales et une plus grande liberté rythmique par rapport au style « moderne » be-bop ou modal. Les instrumentistes clés sont le plus souvent des saxophonistes ou des trompettistes. Par la suite , parmi les improvisateurs européens se sont distingués des trombonistes parmi lesquels Giancarlo Schiaffini (avec ses collègues Paul Rutherford, Günter Christmann, Radu Malfatti, les frères Bauer etc…) et des percussionnistes comme Andrea Centazzo (on peut citer Bennink, Oxley, Lovens, Lytton etc…). Après plusieurs décennies d’attente, voici une rencontre inattendue de Centazzo et Schiaffini , le percussionniste étant armé de claviers et de sampling et le tromboniste d’un tuba. Reloaded présente des enregistrements réalisés à Rome en 2013, Chicago en 2017 et Los Angeles en 2018 dans un bel esprit de continuité et une cohérence dans le point de vue de la prise de son assez distante. Plutôt que se résigner à être un amalgame de pièces disparates, l’ensemble s’affirme à l’écoute comme un œuvre aboutie dans des paysages sonores mouvants, climatiques, en demi-teinte, où des sonorités électroniques s’insinuent dans la matière des timbres acoustiques. Le travail de sourdines du souffleur fait écho aux échantillonnages flottants de Centazzo, lesquels ajoutent des ombres et des contrejours qui modulent curieusement les fréquences des deux instruments. Une expérience bien intéressante d’ambient improvisé. Cette démarche trouve un aboutissement plus technologique avec Dark Noise, enregistré en 2019 à Rome et où Schiaffini est crédité electronics. À suivre assurément !!

Tommy Rot Trio : Adam Bohman Keisuke Matsui & Graham McKeachan CD HYG 2
https://hundredyearsgallery.bandcamp.com/album/tommy-rot-trio


Où le grattage des objets « instruments » et des instruments « objets » s’affirment comme un art à part entière et son évanouissement. Ça grince, frotte, irrite, gémit, vibre, enfle : le bruitisme radical dans sa plus belle manifestation. Adam Bohman : prepared strings, amplified objects - Keisuke Matsui : electric guitar, electronics, objects - Graham MacKeachan : double bass, metal, plastic. Keisuke Matsui m'étais encore inconnu, par contre qui ne connaît pas Graham McKeachan ? Il tient un rôle incontournable dans la scène londonienne : dans son espace Hundred Years Gallery, Graham programme chaque semaine des concerts de musiques improvisées et expérimentales avec une très grande ouverture d' esprit en se mettant littéralement au service de l'ensemble des musiciennes et musiciens impliqués dans ces musiques. Tommy Rot Trio est sans doute le plus musicalement bohmanien des albums avec Adam Bohman, l’artiste sonore improvisateur dont l’instrument est une table amplifiée par micro-contacts branchés sur un petit ampli de guitare et recouverte d’une carcasse de violon et des cordes tendues sur du plastic ou des petites boîtes métalliques, des ressorts vibrant sur un verre à bière ou une boîte à cigare. On y trouve des fourchettes, cuillères, lames, cartes de crédit, élastiques, un archet, une lime, des tiges, des débris, des carrelages, tous ces objets ont un rôle à jouer dans un cérémonial des frottements, des grattages et vibrations. Adam a trouvé deux acolytes en phase, concentrés à s’insérer dans la dynamique en usant des procédés similaires dans le toucher menu de la guitare électrique et d’une contrebasse fantôme. On distingue bien les vibrations de la six cordes de Keisuke Matsui mise en sourdine, grésillante, bruissante, titillée par des phalanges expertes et un sens de l’écoute admirable. Je me demande souvent qui fait quoi, car il y a une belle unanimité à multiplier et activer les ressources sonores, parfois traversées par des drones discrets ou des grondements de murmures indécis. L’apothéose du noise cool, maintenu sous contrôle, du scratching intégral d’une étonnante diversité sonore, ludique auquel il arrive à s’agiter par instants, seulement pour en changer l’humeur comme dans le final de the Revenge of the Killer Mermaids. Et quelle entente musicale entre chacun des protagonistes !! Les titres des quatre improvisations semblent être de la plume inspirée de Bohman, lui-même poète collagiste surréaliste. Hautement recommandable. Le CD va arriver d'ici peu, mais je ne pouvais attendre une minute !!

5 avril 2021

Lol Coxhill & Pat Thomas / Zsolt Sörès & Rudi Fischerlehner/ Andrea Massaria/ Franziska Baumann & Udo Schindler/ Roberto Miranda Home Music Ensemble feat. Bobby Bradford, John Carter, James Newton & Horace Tapscott

Lol Coxhill & Pat Thomas Duos and Solos scätter
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/duo-and-solos
https://scatterarchive.bandcamp.com/album/duo-and-solos

N’y aurait-il aucun label prêt à ouvrir ses fenêtres et sa porte à un oiseau rare tel que Lol Coxhill, disparu il y a presque 9 ans ? CD’s, vinyles récents ? Emanem a arrêté ses activités après avoir publié pas moins de dix CD’s de notre inclassable farfadet du soprano sax, aujourd'hui disparu. Pour certains de ses collègues saxophonistes improvisateurs, des promoteurs n’hésitent pas à déployer l’artillerie lourde sur tous les fronts, au point que cette surproduction dépasse nos capacités auditives et temporelles. Ou alors, il n’y a plus de temps et de place pour d’autres musiciens. Il s’agit ici du cinquième ou sixième album en digital à télécharger avec Lol Coxhill à bord et de très solides collègues. J’ai relevé Andrea Centazzo, Franz Koglmann, Olaf Rupp, Lindsay Cooper (le bassiste !) et maintenant ce super concert live de 1991 avec le pianiste Pat Thomas . Je dis pas ça pasque Lol Coxhill était un artiste « connu », mais surtout pasque il était ORIGINAL entre tous. On dira qu’Evan Parker a incarné l’aspect le plus révolutionnaire des nouvelles musiques improvisées au sommet de l’originalité au saxophone, il y a 40-50 ans, c’est indéniable. Mais il faut ajouter que Lol Coxhill est bien aussi original qu’Evan question « style », prouesses saxophonistiques, pensée musicale, dans un registre tout à fait différent, mais aussi, éminemment compatible avec celui d’Evan, improvisationellement, je cause. Bref ! Écoutons ces cinq improvisations en solo et en duo avec Pat Thomas, sans doute un des deux ou trois pianistes britanniques parmi les plus remarquables et originaux actifs aujourd'hui, figurant dans le panthéon historique des pianistes improvisateurs British : Keith Tippett, Howard Riley, John Tilbury, Steve Beresford, Veryan Weston, Gordon Beck, Stan Tracey... Deux solos de Lol Coxhill de 10 et 8 minutes et trois duos avec Pat Thomas de durées un peu plus courtes. Dès les premières notes de son premier solo, nous sommes captivés par les fabuleux glissements de notes coxhilliens, ses accents de canard éberlué et intrépide, sa sonorité unique inimitable, ses sursauts et rengorgements de volatile déglutisseur de pale-ale poivrée, d’acrobate titubant au travers des gammes les plus insolites.Gammes impossibles à jouer - rensignez vous ! Si seulement cet album était publié par tous les Intakt, NotTwo, Fundacja Sluchaj, No Business, Clean Feed ou Relative Pitch du monde ! Le pianiste laisse tomber de la table de brusques avalanches de notes éclatées, fracassées, incendiaires face auxquelles son acolyte oppose toute sa narquoise ingénuité. Ce duo fonctionne comme une rencontre familière et un événement imprévisible. J’arrête de continuer à le décrire pour vous exhorter télécharger les albums du label scätter de Liam Stefani, car et en plus, vous pouvez acquérir le fichier son pour le montant que vous désirez payer, votre contribution étant libre. Quelques pennies suffisent. La musique n’a pas de prix !
Et scätter propose d’autres albums avec LOL COXHILL !!

Zsolt Sörès & Rudi Fischerlehner Attention Span Reset hinge thunder HT-002
https://hingethunder.bandcamp.com/album/attention-span-reset

En lisant le court texte de présentation du duo Zsolt Sörès et Rudi Fischerlehner, je constate qu’il est question de psychogeography sound journey qui n’est rien moins qu’une « psychedelic journey into …. ». il y a aussi le mot « catharsis »… je vous passe le reste de la phrase, on en devinera facilement son contour à l’audition de leur musique. Psychédélique. Ayant été jeune fin des années soixante et début septante, j’ai été fortement attiré par la musique « pop » rock électrique de cette époque avec une soif insatiable pour toutes les sonorités et les incursions guitaristiques et instrumentales audacieuses (Hendrix, Santana, Grateful Dead, Pink Floyd, Jefferson Airplane, King Crimson, Allman Brothers etc…). J’ai aussi entendu répéter le mot psychédélique au début de cette période, sans trop savoir… Mais , je peux dire que si Zsolt décrit sa musique comme étant psychédélique, il a tout à fait raison, en ce qui me concerne. Il y a je ne sais quoi dans la projection, les textures, la dynamique et l’excitation électrique des sons et sonorités, drones et bruitages de Attention Span Reset qui justifie pleinement cette appellation (psychédélique), galvaudée ailleurs. Une espèce de cri déchirant, de dérive spasmodique, une approche « industrielle » , scories, harmoniques abrasives sauvages, vibrations vénéneuses, enregistrées live at Aurora, B.P. Et le point fort de la conception de leur duo se situe dans la manière légère, pointilliste, sensible avec laquelle le percussionniste Rudi Fischerlehner manie ses ustensiles (les cymbales) comme un véritable improvisateur libre, nous évitant de supporter le pilonnage – matraquage des fûts qui aurait cassé irrémédiablement l’atmosphère créée par son camarade. Le genre électrique « psyché » noise « danubien » auquel s’adonne ce pilier incontournable de la scène hongroise et est-européenne est un jeu dangereux où beaucoup ne peuvent éviter de sombrer dans la caricature, les effets faciles, la lourdeur et l’ennui au bout de cinq minutes… Cathartique, expressif, Zsolt a une volonté d’acier trempé, un enthousiasme instinctif indestructible et une extraordinaire sixième sens du fignolage organique pour configurer son bric-à-brac de jouets et appareils électroniques, micro-contacts où trône son alto (viola en english) couché et préparé (avec parfois une cymbale !). L’inventif Rudi F. et Zsolt S. se sont trouvés les compères idéaux dans cette démarche : on entend les textures évoluer, flamboyantes, contorsionnées, nasillardes, fulminantes, incendiaires envahir l’air ambiant… Le passage entre les minutes 27’ et 32’ est en soi un morceau d’anthologie « post-rock » assumé. Ça déchire …

Andrea Massaria New Needs Need New Techniques Leo Records CDLR 896
http://www.andreamassaria.com/
https://andreamassaria.bandcamp.com/releases

De nouveaux besoins ont besoin de nouvelles techniques, dit le titre de cet album solo du guitariste italien Andrea Massaria, entendu avec les percussionniste Marcello Magliocchi , Fernando Farao ou Bruce Ditmas, avec Evan Parker et Walter Prati, ainsi qu’avec la violoncelliste Clementine Glasser (The Spring of My Life – Amirani Records). Je dirais aussi le contraire : de nouvelles techniques engendrent de nouveaux besoins et …. de nouvelles formes musicales. Le sujet, l’objet, les intentions et les contours d’une démarche musicale forment finalement un tout indivisible dont chaque élément est interdépendant ; chacun de ses aspects se nourrit d’un autre parmi eux. C’est bien cette impression que donne l’œuvre d’Andrea Massaria, basée sur l’empilement interactif d’effets électroniques et de techniques de guitare amplifiée, d’amplification trafiquée, à la base de sa démarche complexe (contrepoints), laquelle suggère des impressions dynamiques de collages …instantanés et enregistrés sans artifice. On songe au meilleur d’Henry Kaiser ou de Raymond Boni, et de leurs illusions plastiques mouvantes en 3D. L’inclusion de la voix de Francesco Forges récitant un texte sur l’art sur le deuxième morceau ajoute à la gravité de sa démarche. Celle-ci tend à se fondre dans l’esprit et le processus créatif de peintres comme Jackson Pollock, Robert Rauschenberg, Mark Rothko dont des œuvres sont reproduites en des dimensions fort réduites genre mini – timbre-poste et ont inspiré les créations sonores d’Andrea Massaria, ici enregistrées. Les notes de Ettore Grazia, lui-même un fin critique musical, saisissent astucieusement et en quelques lignes l’essentiel de la démarche du guitariste liée à la peinture, à la fois colorée, dense, stratifiée, électronique, insaisissable. Dans son domaine, au croisement de la guitare amplifiée et de l’électronique, Andrea Massaria nous fait découvrir la richesse de son univers sonore et ses capacités techniques et technologiques, dans des constructions musicales convaincantes, réussies et substantielles. Substantiel signifie pour moi qu’on peut plonger et replonger dans l’écoute attentive sans arrière-pensée, car il y a un réel contenu qui évolue ou se distingue clairement au fil des neuf morceaux dédiés alternativement – successivement aux trois peintres précités. PO 1, 2 et 3 pour Pollock, RA 3, 2 et 1 pour Rauschenberg et RO 2, 3 et 1 pour Rothko. On peut s’amuser à deviner lequel des trois artistes chaque morceau s’inspire. Cela me donne même une idée pour mon prochain album solo. Excellent !

Blue Sonic Vibrations Franziska Baumann & Udo Schindler Creative Sources

Sous-titré The Improx #3 Concert, un album avec le souffleur multi-instrumentise Udo Schindler dont ce n’est pas le premier que je décris ici. Et pour cause ! La vocaliste Franziska Baumann est à mon avis irrésistible, surtout si comme moi, on adore la voix humaine et la libre improvisation. En sept tableaux soniques de durées différentes – maximum : 11’36’’ , minimum 3’26’’ avec affects variés et changements d’instruments dans le chef de Schindler, les deux artistes dépeignent des instants subtils, expressifs, intenses, chatoyants, chamaniques…. L’engagement intense et sans concession de la chanteuse convoque de multiples techniques vocales avec une grande pureté et une inventivité spontanée qui transcende tous les registres dont elle dispose dans une unité d’intention. C’est le miracle de la voix humaine personnifié comme on le trouve chez Maggie Nicols, Ute Wassermann, Guyslaine Cosseron. Elle y ajoute quelques live electronics. Udo Schindler sollicite les harmoniques de son sax soprano, les soubresauts de la colonne d’air et les éclats de son cornet. Au fil des plages se dessine un échange non idiomatique. Cette qualité « non-idiomatique » de cette musique tant décrite provient avant tout des interférences non prévisibles d’une rencontre. Et celle-ci défie assez bien le sens commun par la pluralité de ses formes et des envies qu’elle suscite. On y raconte des histoires, des filets de voix, babils et tocades se succèdent, jodels et fractals cosmiques de soprano d’une aisance sidérante, phonèmes audacieux à bouche semi fermée ou hululements suraigus à gorge déployée. Un no (wo)man’s land imaginaire propice à toutes les mues occupent le temps suspendu. Des changements de registre impromptus font éclater le sens de la forme pour ouvrir les fenêtres et les portes des sens à une catharsis impalpable. Des sifflements ténus entre les lèvres et des borborygmes improbables de l’embouchure, des effets respiratoires, des bruissements électrogènes prolongent encore plus cet état leur méta-conscience onirique. Et le final est encore à venir. Qu’augure t-il ? Cela grogne, maugrée, vaporise, séduit, le 6 contient une belle démonstration de cornet extrême et « vocalisé ». Et encore …
Si tu me lis , mon cher Pierre – Michel Z. (un super vocaliste), n’hésite pas à me réclamer ce magnifique album, il est pour toi. Cadeau !!

Roberto Miranda Home Music Ensemble Live at Bing Theatre Los Angeles 1985 Dark Tree DT (RS)14.
https://www.darktree-records.com/roberto-mirandas-home-music-ensemble-%E2%80%93-live-at-bing-theatre-los-angeles-1985-%E2%80%93-dtrs14

Il faut vraiment louer le remarquable est scrupuleux travail d’édition du label Dark Tree autour de la scène « free-jazz » sud californienne. Bobby Bradford et John Carter, Horace Tapscott, Vinny Golia, dans des enregistrements soignés et quasi incontournables. Roberto Miranda est un contrebassiste qu’on a découvert il y a longtemps au sein des premiers groupes de Vinny Golia (label Nine Winds en vinyle) et qui joue aussi dans ce magnifique chef d’œuvre de Bradford et Carter publié par Dark Tree : NO U TURN, un album incontournable. Et voici son Home Music Ensemble qui n’avait jamais transpiré dans les médias jazz internationaux même les plus futés. Outre les légendaires John Carter à la clarinette, Bobby Bradford au cornet, James Newton à la flûte, Horace Tapscott au piano et un saxophoniste – clarinettiste basse inconnu, Thom David Mason, il y a une équipe « rythmique » bien étoffée : Louis Miranda Jr, batterie, David Bottenbley , guitare, basse électrique, percussion et voix, Elias Buddy Toscano batterie et timbales, Cliff Brooks, timbales, congas, bongos. À ce beau monde s’ajoute Luis R. Miranda Sr, crédité voix et percussion : sur l’envers de la pochette un respectable septuagénaire face à un micro avec un tambourin. La musique a une inspiration latino avec ses rythmes caractéristiques et nous distille une série de solos de James Newton (aisance infinie) et de John Carter (sinueux à l’extrême). Un remarquable Agony in the Garden où Tapscott et les percussionnistes échangent brièvement de soudaines imprécations. On a droit à une excellente musique "à programme" enjouée, grave et joyeuse à la fois dont les remous sont puisés dans l’expérience « Mexicali », celle des Chicanos d’origine Mexicaine dont nombre de leurs ancêtres sont installés en Californie bien avant que cet état américain ne fasse partie de l’Union. La superbe performance des invités de marque, Bradford, Carter , Newton et Tapscott fait honneur à la cohésion de l’Home Music Ensemble, les compositions de Roberto Miranda et ses cadences polyrythmiques guidée de main de maître par le pianiste d’ensemble essentiel qu’était Horace Tapscott. Il suffit d’entendre Bobby Bradford à la fin de Prayer ou dans Deborah Tasmin pour être convaincu. Un cornet afro-américain, c’est une chose rare ( !) : ce n’est pas une "vulgaire" trompette. La rythmique fluctue entre des tempos stricts, des déhanchements typiquement latino et des séquences relâchées dans lesquels se déchaînent congas et timbales. C’est donc, un excellent document, vivant et souvent incisif, plein de moments ensoleillés et d’instants surprenants qui lève le voile sur cette mouvance mexicaine SoCal quasi-inconnue. Tout au long du concert, le narratif de Miranda se développe avantageusement dans des scènes colorées, des cascades de rythmes, des échanges de plus en plus chaleureux, une réelle inventivité de l’Ensemble… et un ensemble vocal de la-la-la touchant... Le livret inclus dans la pochette nous relate les circonstances exactes de ce superbe concert en 1985. Encore un bon point pour Dark Tree !!