17 mai 2024

Maggie Nicols : Are You Ready? / Kim Dae Hwan Choi Sun Bae Shonosuke Okura & Junji Hirose/ Jean-Marc Foussat Xavier Camarasa/ String Trio Harald Kimmig Alfred Zimmerlin Daniel Studer

Are you ready ? Maggie Nicols Otoroku ROKU032CD
https://maggienicols.bandcamp.com/album/are-you-ready-2

Diptyque partagé en chansons (Songs) engagées chantées – jouées (au piano) sans apprêt par Maggie Nicols et en musiques ressenties dans l’instant, improvisations vocales et/ou parlées aux inspirations multiples (Whatever Arises) ancrées dans son jeu dissonant au piano d’essence webernienne avec une dose de multi-tracking où les mots et les vocalises se complètent ou se bousculent. Plusieurs réflexions me viennent en tête. Il y est question de John Stevens qui l’invita il y a une cinquantaine d’années à chanter dans le Spontaneous Music Ensemble. Stevens et Trevor Watts étaient alors, entre autres, fort concernés par la musique de Webern et il en reste quelque chose dans l’univers de la chanteuse. Son univers esthétique est fondé sur sa vie de militante associative, féministe et libertaire de manière immédiate, son engagement communautaire, tel qu’il s’exprime dans les Gathering, cour des miracles anarchiste que son énergie et sa foi catalysent au jour le jour. Différents centres d’intérêts musicaux, sociaux et esthétiques se mélangent et se télescopent sans plan préconçu avec une extraordinaire conviction et une agilité mentale qui brise les barrières de la raison commune. Impossible de résumer - expliquer sa démarche en quelques idées force ou un manifeste. Il ne s’agit pas de formes musicales per se mais plutôt d’un témoignage vécu de son engagement vital. Tranches de vie et réflexions tout azimut, improvisations vocales fascinantes, chanté-parlé avec une articulation virtuose. Sa voix merveilleuse met en valeur ses aigus extirpés du larynx sans douleur, des fragments de mélopée ou un hypothétique « free-folk ». Élève-t-elle la voix qu’elle projette une rare énergie sans crier. Elle module sa pensée ad-lib avec l’articulation affolante d’un(e) saxophoniste free. Le piano : Maggie Nicols a joué et enregistré avec plusieurs pianistes comme Peter Nu (Nicols ‘n Nu 1985 et Don’t Assume 1988 Leo Records),Peter Urpeth (Other Worlds 2012 FMR) ou, bien sûr Irene Schweizer dans le trio Les Diaboliques avec Joëlle Léandre (label Intakt). On peut dire que ce présent album se situe dans le prolongement intimiste des duos avec les deux précités. Les Songs sont des ébauches de chansons engagées, critiques, dénonciatrices de faux semblants, d’idées toutes faites et d’injustices, comme si le contenu avait bien plus d’importance que le contenant – forme musicale. La démarche de Maggie Nicols échappe aux descriptions réductrices qui voudrait séparer la vie profonde de son être et la musique qu’elle chante et joue. Plus qu’une artiste engagée, elle incarne irréductiblement un engagement quotidien sans aucune arrière-pensée. Il ne s’agit pas d’une harangue où on agite un drapeau rouge ou noir, mais un lucide courant de conscience qui grignote de nombreux sujets et d’urgentes préoccupations. Entre ses nombreuses réflexions et messages, éclosent de superbes inventions vocales tout à tour étourdissantes, mélancoliques, chaleureuses ou pointues musicalement. NB : essayez de chanter avec certains intervalles de notes aussi étendus avec autant de grâce et d’énergie. C’est surprenant. Un magnifique double album disponible en double CD, double vinyle et digital chez OtoRoku, le label lié au Café Oto qui a récemment invité Maggie Nicols pour plusieurs dates. Viva MagicalMaggie!!

Kim Dae Hwan: Echoes of Empty / Live at Gallery MAI 1994 Chap-Chap Records CPCD 027

Kim Dae Hwan percussions – Choi Sun Bae trompette et harmonica – Shonosuke Okura othzusumi – Junji Hirose saxophones sax tenor et soprano. Le percussionniste coréen Kim Dae Hwan est disparu en 2003, nous laissant quelques enregistrements, dont ceux publiés par le label Lithuanien No Business sous l’égide de Takeo Suetomi, producteur du label japonais Chap-Chap, en duo avec le trompettiste coréen Choi Sun Bae ou en trio avec le même et le légendaire saxophoniste Mototeru Takagi : Sei Shin Seido et Korean Fantasy. Suetomi est aussi fasciné par Kim Dae Hwan qu’il l’est par le légendaire batteur japonais Sabu Toyozumi, dont il produit ou coproduit les nombreux enregistrements à tour de bras. Mais ces deux artistes se situent aux antipodes l’un de l’autre. Autant Sabu est imprégné par l’expérience afro-américaine et celle de la free-music européenne que la pratique percussive de Kim Dae Hwan découle de la musique traditionnelle coréenne, celle-ci se prêtant étonnamment à la musique contemporaine. Les percussions de Kim Dae Hwan proviennent de l’instrumentarium coréen et ses conceptions de la polyrythmie sont un écho des Sanjo, Sinawi et P’ansori. Aussi sa voix hèle, crie et harangue les esprits réveillés par les frappes disjointes et les pulsations mouvantes sur ses tambours çanggo, exhalant un furia intériorisée en râpant littéralement l'intérieur de sa gorge. On pense à un Milford Graves sans le déferlement inexorable de celui-ci. La musique coréenne « classique » d’origine « antique » est liée au bouddhisme et est donc assez zen. Il actionne aussi des cymbales coréenne. Le n°2 Pulse of the Heart est un beau témoignage de son jeu rythmique – percussif en solo jusqu’à ce qu’il soit rejoint par le souffle hymnique de Junji Hirose. Cette influence coréenne prépondérante ne doit pas vous faire imaginer que Kim Dae Hwan a conservé l’aspect hiératique de cette musique traditionnelle. Il n’hésite pas à bousculer ses interlocuteurs sur scène pourqu’ils enflamment leur discours tout en s’attachant à conserver la logique des rythmes coréens dont la métrique est étonnamment élastique et décalée. Certains passages sont joués au bord du silence avec un harmonica à peine audible, des frappes isolées sur l' ohtsuzumi (Shonosuke Okura), introduisant les sonorités errayées de Hirose au sax soprano en appliquant le pavillon de son instrument contre le molet d’une de ses jambes qu’il replie pour l’occasion (n° 3 Gate of the Heart). Là encore, la conception rythmique varie sensiblement tout en restant fidèle à l’esprit zen coréen et à une volonté de lisibilité sonore. Au n° 4, Jouney of Impermanence sous la houlette vocale de Kim, Choi Sun Bae et Junji Hirose alternent leurs interventions lyriques ou tortueuses, ostinatos ou dérapages, le trompettiste particulièrement agile et vif-argent dans cet exercice. Le percussionniste s’introduit finalement dans les échanges avec ses frappes aux cadences subtilement changeantes où s'insèrent celles de Shonosuke Okura avec un emétrique différente mais complémentaire. Le final, Winds of Impermanence est un magnifique concentré d’énergies centrifuges en apothéose pour quatre minutes hyper actives. Cet album étonnant nous fait découvrir l’évolution ultime, à la fois minimaliste, post-traditionnelle et énergiquement expressive, de la free-music dans cette contrée de l’Extrême-Orient. Un document fascinant et bienvenu représentant une belle incursion dans un univers inconnu mais pas obscur.
N.B : cet album ne se trouve pas encore sur le compte bandcamp et le site de Chap-Chap. Patience !

Jean-Marc Foussat Xavier Camarasa Marc Maffiolo Seuil de Feu Fou Records FRCD-58
https://www.fourecords.com/FR-CD58.htm

J’avoue ne pas parvenir à chroniquer tous les albums de Fou Records, le label de Jean-Marc Foussat, le fervent de l’électronique analogique « obsolète » (paraît-il). Il joue d’un vieux AKS des années 70 (l’instrument de Brian Eno, Tangerine Dream et Jean-Michel Jarre) et au fil des albums, certains auditeurs de la free-music moins réceptif à l’électronique pourraient se lasser. Mais avec l’aide du piano électrique Fender Rhodes de Xavier Camarasa, sa démarche est entièrement renouvelée. C’est évident dans « Profondément caché» (24’47), un duo hanté et un brin chahuteur enregistré au Caméléon de Toulouse et dont la cohérence étonne vu les répertoires sonores et la démarche divergente des deux improvisateurs. Le deuxième morceau capté dans ce lieu nous fait entendre aussi le mystérieux saxophoniste basse Marc Maffiolo, Milieu de nuit (16’03’’). Sa participation et ses effets de souffle ajoutent encore plus de mystère et de recherche sonore, complétant merveilleusement l’excellente démonstration de l’improvisation différente. Il faut noter que J-MF utilise sa voix « dans le lointain ». Ça bourdonne, plane, s’envole, grésille, oscille, crache, tournoie, sursaute ; les sons s’enhardissent, entrecroisent leurs destins, saturent, meuglent dans la nuit… avec parfois des ostinatos bruissants et obsessionnels jusqu’au trop plein… dérapages gras dans d’épaisses flaques d’huiles cosmiques qui giclent dans l’espace multicolore avec des effets de bruitages - effets sonores de cinéma aux prises d’un scénario sci-fi embourbé. Le sax basse morsure et hulule dans les tréfonds. Les trouvailles sonores électroniques se suivent sans se ressembler.
La veille, le 26 juin 2023 à l’Impromptu à Bordeaux, les 32’49’’ de Passage Découvert s’initient avec des doigtés perlés au clavier du piano et des voix de fantômes. Le jeu du pianiste gire imperturbablement alors que J-MF, encore une fois, sort de nouvelles idées de son sac à malices. Le dialogue s’établit, des oiseaux imaginaires sifflent par-dessus nos têtes et on est parti pour une belle aventure. Des sons de marimba cosmique, des contrepoints lunatiques, les rebondissements au clavier… la musique tournoie, giration effrénée, polyphonie d’un troisième type, l’improvisation s’inscrit dans la durée pour en effacer le ressenti du temps, rapide, svelte et immobile. Les sonorités évoluent, les sifflements renouvellent leurs dynamiques, leurs densités et leurs textures, le synthé vocalise… et on n’est qu’au tiers du voyage… Au-delà des « Tangerine » rêvés, le goût acide et maudit des fruits défendus et un constant renouvellement sonore et formel qui rend cette musique attrayante sans lassitude aucune avant qu’on revienne s’encanailler à l’omega du « free-jazz » avec un piano joyeusement martelé. Super album dépaysant ! Quelle équipe !

String Trio Harald Kimmig Alfred Zimmerlin Daniel Studer Black Forest Diary Wide Ear Records.
https://www.wideearrecords.ch/releases/wer074-black-forest-diary
https://wideearrecords.bandcamp.com/album/black-forest-diary

Le trio à cordes du violoniste Harad Kimmig, du violoncelliste Alfred Zimmerlin et du contrebassiste Daniel Studer s’envole en mode « électrique » amplifié et « trafiqué ». Ils nous ont habitué à des albums haut de gamme : Im Hellen (hat Now ART 201), RAW avec John Butcher (Leo Records CDLR766), K-S-Z And George Lewis (ezz-thetics 1010), leur implication dans Extended et Extended II For Strings and Piano de Daniel Studer sur le même label. Ce journal de la Forêt Noire (enregistré dans l’antre de Hans Brunner-Schwer, le légendaire producteur du label MPS à Villingen qui berça notre jeunesse) se situe à contre-courant de leurs précédents albums tant par ses textures, son approche électrifiée que par l’adéquation intense à l’esprit du projet au plus fin des possibilités sonores bruiteuses, murmurantes, rhizomiques toutes en glissandi, saturations, friselis, bruits blancs et vrombissements, qu’offrent l’amplification forcenée avec un sens supérieur de la dynamique. Six improvisations intitulées entry one, entry two >> entry six avec des durées raisonnables entre 4, 5, 6, 7 et 9 minutes. Une musique d’une grande concision ouverte à tout ce qui peut arriver en exploitant tout ce qui est à la portée des doigts, des archets, des cordes, des « transducers » et des probabilités alternatives. Une approche kaléidoscopique d’une grande ouverture. Cela s’entend clairement : Kimmig et Zimmerlin ajoutent aussi des « electronics » à l’usage de leurs electric violin et electric violoncello pour étendre la palette. Souvent difficile de distinguer qui fait quoi et comment. Cet aspect des choses est suggéré par les courtes notes de pochette de Jacques Demierre. Le trio n’hésite pas à chambouler l’aspect musique de chambre « raisonné » pour faire déferler une furia hendrixienne explosive (entry five) pour ensuite laisser couver la rage brûlante sous la cendre à demi-mot émettant des ondes quasi subsoniques (entry six). Black Forest Diary s’impose comme une solide référence de plus au crédit de ce String Trio, trio à cordes frottées essentiel à l’instar du Stellari Quartet de Wachsmann Hug Mattos Edwards. Wide Ear est aussi un label qui compte !

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