11 juin 2024

Tony Buck John Edwards Elisabeth Harnik Harri Sjöström/ Tom Jackson & T.J. Borden/ John Butcher + 13 /Udo Schindler Eric Zwang Eriksson Sebastiano Tramontana

Flight Mode Live in Berlin 2023 Tony Buck John Edwards Elisabeth Harnik Harri Sjöström Fundacja Sluchaj FSR 14/ 2024
https://sluchaj.bandcamp.com/album/flight-mode-live-in-berlin-2023
Depuis Cream et Crosby, Stills Nash and Young, est né le concept de "super-groupe". Dans le free européen de ma jeunesse, il y avait le Cecil Taylor Unit, Brötzmann Van Hove Bennink et Alex von Schlippenbach Evan Parker Paul Lovens. Je parle ici de groupes avec piano. Quelques décennies plus tard, cette association toute récente, se révèle être un groupe « super » avec trois « vieux renards » de la scène et une intéressante étoile montante du piano, Elisabeth Harnik, entendue avec Joëlle Léandre, Steve Swell, Dave Rempis, Michael Zerang, etc… Avec Tony Buck, on a affaire à un drumming hyper-actif vivace et original qui laisse de l’espace et bien des nuances pour que ses collègues puissent s’inscrire valablement dans l’ensemble. Tony Buck a aussi une solide carrière derrieère lui (the Necks). Rien de tel pour inspirer un contrebassiste interactif et puissant comme John Edwards, même si dans les moments très intenses du concert enregistré ici, sa contrebasse est « couverte ». John est sans doute un des bassistes les plus demandés. Le saxophoniste soprano (et sopranino) Harri Sjöström est la fine fleur de cet instrument qui s’est développé dans l’avant-garde avec Steve Lacy, Lol Coxhill, Evan Parker et aussi Anthony Braxton. Le nom d’Harri Sjöström me rappelle ce superbe premier disque où j’avais découvert Elisabeth Harnik : 10.000 Leaves avec la violoncelliste Clementine Glassner et le saxophoniste Gianni Mimmo avec qui Sjöström cumule duo et projets communs. Harri soufflant avec batteur, pianiste et contrebassiste me rappelle aussi de l’avoir écouté au sein de l’illustre Cecil Taylor Quartet. C’est dire s’il est un saxophoniste soprano à la fois impressionnant, racé et sauvage tout en furie expressionniste et cette classe musicienne que partagent tous ces saxophonistes soprano depuis Steve Lacy : Evan Parker, Lol Coxhill, Urs Leimgruber, Michel Doneda, John Butcher et Gianni Mimmo, quelque soient leurs identités musicales propres. La dimension ludique est ici hypertrophiée et la liberté est au rendez-vous. Les improvisations collectives de Flight Mode transitent entre des tournoiements extrêmes et intenses et des passages où les quatre musiciens ouvrent et espacent le jeu pour s’écouter et trouver un nouveau terrain d’entente. Quatre Flight numérotés de 1 à 4 et s’échelonnant sur 26 :33, 5 :27, 18 :42 et 12 :17. Durant quasi tout le concert le saxophoniste nous livre un tour de force dans les aigus avec des croisements de doigtés, des spirales compressées, des ostinati frénétiques truffés de glissandi, morsures ou harmoniques ou des ressassements d’aigus en decrescendo. Avec une technique sophistiquée, Harri Sjöström joue sauvagement avec une intensité surhumaine et une approche expressionniste. Mais sa démarche n’est celle d’un « soliste », mais plutôt l’affirmation d’une démarche collective. Il se fait que le registre du sax soprano se détache clairement de l’ensemble malgré la densité et la puissante intensité du jeu. C’est d’ailleurs bien pour cette raison que Cecil Taylor l’a fait membre de ses groupes pendant des années. Pivotant sur tous les axes de pulsations croisées et de roulements violents mais feutrés ainsi que de subtils rebonds de mailloches, Tony Buck et son drive hypnotique propulse le quartet dans la stratosphère. Elisabeth Harnik démontre la classe de son jeu cristallin et l’excellence de son toucher lesquels subtilement allègent le jeu collectif avec des cadences en carillons tournoyants. Comment alimenter le feu intérieur sans surcharger : ce besoin de lisibilité ajoute autant ou même plus encore de puissance que si elle « pilonnait » son clavier à tout va. Et bien sûr si on devine plus la présence de John Edwards au sein du groupe plutôt que d distinguer ses notes clairement quand cela tourne à tout berzingue, celui-ci profite de moments d’accalmie pour attirer ses collègues dans des nuances plus délicates en les régalant de fines zébrures à l’archet. Flight Mode bien sûr et quelle escadrille !!

Tom Jackson & T.J. Borden Parr’s Ditch Confront Records core 41
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/parrs-ditch
Album masterisé par le superbe clarinettiste Alex Ward. Une belle recommandation indirecte de la part d’Alex, un clarinettiste proéminant de la scène britannique, pour un de ses meilleurs collègues clarinettistes, Tom Jackson, ici confronté au violoncelliste T.J. Borden et qui se bonifie au fil des ans. Confront Records ajoute à son merveilleux catalogue, un article fétiche supplémentaire. Merci Mark Wastell de Confront ! La communication et l’inspiration conjointes des deux improvisateurs est plus que remarquable. De l’improvisation libre de haut vol issue de la pratique de la musique contemporaine et le produit de leur imagination. Chacun joue sa partie avec ferveur, le clarinettiste soufflant autant en nuances éthérées qu’avec une désarmante volubilité et le violoncelliste dérapant avec intensité sur ses cordes en en griffant – grinçant – saturant le son. La qualité de la dynamique du souffleur et l’ingénuité de ses roucoulades et spirales « dodécaphoniques » n’ont de cesse de contraster avec ses bruissements, grognements, sons saturés et des incartades de T.J. Borden. Nombre de registres des deux instruments et leurs occurrences sonores sont investigués avec passion, précision et un brin de folie. La musique peut devenir par moment délirante, accidentelle et atteinte par la danse de Saint Guy ou tout à fait sérieuse, même si toujours ludique. Trois longues improvisations (Parr’s Ditch I, II & III) avec des durées respectives de 21:25, 26:03 et 18:52 n’arrivent pas à user leur matériau et leur potentiel, ni à fatiguer leur endurance créative dans la direction musicale qu’ils se sont choisies. Certains diront « On a déjà entendu ça, ce genre de musique » . Je réponds à cela que si vous n’avez pas tellement ou peu d’albums de ce « genre de musique » improvisée sous la main et que vous avez ce Parr’s Ditch à votre portée , vous n’allez pas vous ennuyer. On peut écouter cet album à répétition sans se lasser. Il n’y là aucun tape à l’œil. De la musique honnête de grande classe dont l’inspiration créative se renouvelle constamment. La richesse de son contenu, l’émerveillement simultané de Tom Jackson et de T.J. Borden, leurs magnifiques inventions sans fin font de ce document un must qui vous fera oublier bien des choses. Une exceptionnelle réussite.

John Butcher + 13 Fluid Fixations Weight of Wax 06
https://johnbutcher1.bandcamp.com/album/fluid-fixations

Credits : dieb13 ~ turntables
Liz Allbee ~ trumpet
Sophie Agnel ~ piano
Hannah Marshall ~ cello
Angharad Davies ~ violin
Pat Thomas ~ electronics
Mark Sanders ~ percussion
John Edwards ~ double bass
Ståle Liavik Solberg ~ drums
Matthias Müller ~ trombone
Isabelle Duthoit ~ voice, clarinet
Pascal Niggenkemper ~ double bass
Aleksander Kolkowski ~ stroh viola, musical saw
John Butcher ~ saxophones, recordings, composition
Avec ce grand orchestre à l’instrumentation variée et une équipe d’improvisateurs soigneusement sélectionnée, John Butcher marque des points. Quoi de plus difficile de faire coexister 14 improvisateurs « libres » de manière créative avec lisibilité et un objectif musical commun. Un pour tous, tous pour un. J.B. a écrit – devisé une composition qui, sans doute, laisse une marge de manœuvre individuelle et catalyse la créativité collective et personnelle. C’est tellement plus facile de jouer à deux ou trois : beaucoup moins de souci. Mais le jeu en vaut la chandelle surtout à la lueur de ce que je suis en train d’écouter. On se délecte des sonorités s’associant et se dissociant au fil des morceaux, des différentes voix instrumentales qui se distinguent avec une superbe précision entre contrastes marqués et certaines similitudes. Des agrégations intéressantes. J’ai un jour entendu Butcher louanger la vocaliste Isabelle Duthoit il y a longtemps. Rarement, j'aurai entendu Isabelle s’exprimer de façon aussi irrévocable à proximité des gargouillis vocalisés de Matthias Müller et de la trompette électrisée de Liz Albee. La grande qualité de cet orchestre est l’inexorable dynamique alliée avec une recherche de sonorités « alternatives » spécifiques à chaque instrument. Plusieurs « directions » esthétiques cohabitent entre pointillisme, atomisation, minimalisme, un peu de spectralisme, distance retenue et physicalité affirmée. Ce lutin incontournable de la percussion free qu’est Mark Sanders se concentre à ajouter des couleurs et livrer quelques frappes à des moments importants. Certains plongent dans l’anonymat en soutenant une note avec des cordes frottées et un souffle monocorde créant un drone légèrement ondoyant jusqu’à ce que l’ensemble se réunisse dans un agrégat statique et venteux en un long et lent crescendo. On entend par exemple siffler la scie musicale d'Alex Kolkowski avec un instrument électronique. Cet album est donc truffé de trouvailles sonores qui éclosent au meilleur moment. Quand un des improvisateurs a une fenêtre de quelques dizaines de secondes pour imprimer sa marque sur l'ensemble il donne ici le meilluer de lui même avec une idée sonore bien typée. C'est par exemple le cas de Sophie Agnel avec la caisse de résonance du piano dont vibrent les mécanismes ou John Edwards qui frotte un objet (grattoir en bois ou sourdine de contrebasse ?) sur ses cordes au bas de la touche. Aussi, il semble que Ståle Liavik Solberg percute légèrement des woodblocks alors que résonne le fameux tambourin de Sanders lorsque John Butcher improvise un solo granuleux au ténor… et ça bruite un peu partout avec parcimonie. Impossible de pouvoir les multiples figures et occurrences. Pas moins de huit morceaux de durées sensiblement différentes qui apportent chacun une dimension différente à ce fantastique orchestre aussi volatile que « discipliné ». Un enregistrement remarquable pour une super musique « improvisée » « dirigée »…

Allegria : Canto Senza Parole Udo Schindler – Eric Zwang Eriksson – Sebastiano Tramontana FMR CD675-0423
https://udoschindler.bandcamp.com/music

Parmi les nombreux CD’s publiés par le multi-instrumentiste Udo Schindler pour le label FMR Records, j’ai relevé ce "Chant Sans Parole - Alégresse" en compagnie du tromboniste Sebastiano "Sebi" Tramontana et du percussionniste Eric Zwang Eriksson. Canto Senza Parole est le nom du trio et Allegria est le titre de l’album ! Udo est un vrai phénomène de la musique improvisée jouant de multiples instruments : clarinettes, trompette ou cornet, trombone et tuba, saxophones. Ici aux sax ténor et basse ainsi qu’au cornet, il nous propose une belle session de six improvisations. Évidemment, il n’est sûrement pas un grand virtuose du saxophone, mais comme cela se dit en Belgique, Udo tire son plan de manière efficace et improvise à très bon escient avec quasi tous les instruments avec lesquels il a l’audace de se confronter face à des improvisateurs « spécialistes » tels Damon Smith, Jaap Blonk, Ove Volquartz, Peter Jacquemyn etc… Il faut le faire et surtout oser ! L’excellent et sensible percussionniste Eric Zwang Eriksson départage et commente les échanges des deux souffleurs ou, comme il le fait dans le n°2, dialogue subtilement un moment avec le saxophoniste avant de se livrer à un jeu très imaginatif. Sebi Tramontana est un vrai poète du trombone, chaleureux et faisant un usage merveilleux de la voix, du growl de manière originale et toute en finesse. Il suffit d’écouter ce deuxième morceau où le cornet d’Udo Schindler se joint à lui tout à son avantage. Sebi Tramontana est peut – être un tromboniste moins « expansif » que les Bauer, mais son registre sensuel, intimiste et vocalisé whah-whah fait mouche. Cette musique est une véritable musique de partage d’émotions et d’évolutions dans l’expression avec de nombreux changements de registres sonores tant au niveau des deux souffleurs que celui de la batterie. Eric Zwang Eriksson ne se contente pas de jouer du free drumming lambda, il sollicite toutes les surfaces de ses instruments, différents types de frappes en essayant de raconter une histoire et en explorant plusieurs dimensions ludiques en question-réponses avec ses collègues. Comme dans ces passages où le cornet et le trombone se rencontre dans le n° 4, lequel se termine dans un blues décalé foutraque avec des accents de kermesse et puis... funèbres… De beaux moments en perspective, et une belle rencontre où chacun a le loisir de s’exprimer en partageant une écoute mutuelle et sensible. Pratiquement, je n’ai pas trouvé de lien pour cet album qui n’est pas renseigné, comme beaucoup d’autres, sur le site du label FMR. Mais comme Udo Schindler a une production d’enregistrements prolifique, vous trouverez votre bonheur en cherchant un peu.

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