12 août 2024

Spécial Guitares : Otomo Yoshihide with Roger Turner et Masahiko Satoh/ NO Moore James O’Sullivan Ross Lambert with Eddie Prévost/ Olaf Rupp & Udo Schindler/ Eric Mimosa & Christian Vasseur

Quatre albums avec des guitaristes en toute liberté !!

The Sea Trio Live in Munich and Bonn Masahiko Satoh – Otomo Yoshihide – Roger Turner Confront Records Core 43
https://confrontrecordings.bandcamp.com/album/live-in-munich-and-bonn

Un bien curieux assemblage de talents. Le pianiste Masahiko Satoh est sans doute le premier improvisateur free japonais venu jouer et enregistrer en Europe dès 1971. On lui doit l’album Spontaneous en quartet pour le label Enja avec Albert Mangelsdorff , Peter Warren et le batteur Allen Blairman, lequel a joué dans les derniers concerts d’Ayler à la Fondation Maeght en 1970, ainsi que Trinity en trio avec Warren et Pierre Favre. Son jeu est fortement influencé par la musique contemporaine sérieuse de Bartok et Messiaen à Cage ou Stockhausen. Il est encore aujourd’hui un des deux ou trois pianistes free les plus demandés au Japon : on l’a entendu en duo avec Joëlle Léandre et Sabu Toyozumi ou se commettre au sein d'un étrange trio avec Midori Takada et Kang Tae Hwan . Otomo Yoshihide fut l’élève de Mazayuki Takayanagi, le guitariste pionnier du noise, et est devenu un acteur incontournable tant comme guitariste, platiniste, concepteur de projets en cassant les codes avec Ground Zero, Filament et son New Jazz Ensemble. Il lui arrive fréquemment de travailler avec le percussionniste Roger Turner, lequel s’est créé une légende avec Lol Coxhill et Mike Cooper, Phil Minton, John Russell, Michel Doneda, Phil Wachsmann, Thomas Lehn & Tim Hodgkinson, Pat Thomas etc… La confrontation Satoh et Yoshihide semble contradictoire vu que leur manière de jouer et de concevoir l’improvisation semble aux antipodes. Autant Satoh se concentre sur le clavier du piano avec un magnifique toucher et des improvisations logiques basée sur une pra C’est heureusement par le truchement des facéties sonores et rythmico-percussives libérées de Roger Turner que la communication entre ces deux pôles est largement bonifiée. C’est le genre de situations risquées auxquelles s’intéressait particulièrement Derek Bailey avec sa Company qui réunissait des improvisateurs qui n’avaient pas ou n’auraient jamais joué ensemble. Il se fait que Roger Turner évite particulièrement les associations d’improvisateurs « qui sont trop faciles ou évidentes ». Au fil des cinq longues improvisations de 28, 33, 24, 31 et 6 minutes et quelques, l’empathie s’affirme et se concrétise épousant différents modes de jeux et d’interactions collectifs. Il y a inévitablement des phases d’observation et de recherches qui mènent à des passages tout à fait remarquables. Dans un premier temps lors du concert de Munich du 27 avril 2023, guitariste et pianiste assument leurs différences sous l’arbitrage et les commentaires ludiques du percussionniste, lequel avec un volume modéré prend soin de ne pas surjouer ses collègues, accélérant les pulsations un moment pour tout à coup se singulariser avec quelques frappes étonnamment coordonnées et trouvailles sonores qui attirent l’attention. C’est alors qu’Otomo insère des sonorités bruitistes un instant tout en laissant le pianiste s’ébattre dans ses pianismes modernistes sophistiqués. Mais au fil des minutes, l’affaire se complique, s’intensifie, les cadences du piano et son cheminement inspirant des débordements soniques à la guitare électrique alors que Turner joue son grand jeu de saltimbanque de la batterie. Les phases de jeu se succèdent sans se ressembler replongeant soudain dans ce classicisme contemporain face aux effets électroniques ondulant et striant les fréquences saturées. Roger se laissant aller allègrement dans le free drumming éclaté et parfois tapageur tout en gravant de superbes et inventifs interludes percussifs entre différentes phases de jeu. Mention spéciale pour le jeu brillant et savamment détaillé et inventif du pianiste au niveau qualité de toucher, suite dans les idées et son extraordinaire sens rythmique. J’ai toujours pensé que Satoh est un des pianistes parmi les plus exceptionnels de la scène improvisée à l’instar de Fred Van Hove Le deuxième morceau acquiert encore plus d’intensité jusqu’à une forme de transe implacable. Fort heureusement, il semble que les trois improvisateurs aient tenu compte du déroulement de ce premier concert pour proposer une autre vision et une stratégie différente, à la fois plus introspective et plus sensiblement interactive où la force intérieure de chacun et leurs intuitions et expériences aboutissent à une véritable réussite d’un point de vue créatif « improvisé » et une communion d’intentions, de perceptions et d’échanges. Et cela malgré la longueur infinie de chacun des deux morceaux – plats de consistance (24:26 et 31:37) et l’ajout du final de 6 :31. On est proche ici de l’inventivité paradoxalement dramatique et sereine du groupe AMM (Rowe Tilbury Prévost) dont l’instrumentation est identique , le Messiaenno-Bartokisme de Satoh et l’hyperactivité de pivert survolté de Turner crée une belle différence. Tout l’art ici tient à cette faculté inouïe de jouer ensemble avec une véritable cohérence alors que chacun reste fidèle à son langage personnel. On découvre aussi que si Roger Turner est un formidable épigone du free-drumming le plus éclaté, il manifeste un don inné de rythmicien et une rare imagination. Cela détonne sur le jeu sonique noise et sophistiqué d’Otomo Yoshihide lequel est un véritable caméléon de la six cordes : on apeine à croire qu'il s'agit du même guitariste tout au long de ces improvisations somme toute passionnantes. On trouvera peut – être que ces enregistrements souffrent d’une certaine longueur, mais il faut s’y résoudre : les méandres infinis de leurs improvisations collectives aboutissent à des instants, des séquences d’une très grande finesse. Le sel de la terre de l’improvisation musicale.

Eddie Prévost NO Moore James O’Sullivan Ross Lambert Chord Shrike Records.
https://shrikerecords.bandcamp.com/album/chord

Eddie Prévost, le percussionniste légendaire du groupe AMM, a joué très longtemps avec le guitariste Keith Rowe, le pionnier de la guitare sur table préparée avec des objets, accessoires et effets électroniques, radio etc… C’est un peu dans cette direction « métamusicale» « minimaliste » radicale que se situe la musique enregistrée ici par Eddie et pas moins de trois guitaristes électriques audacieux qui tous jouent comme un seul homme dans sept compositions – improvisations particulièrement requérantes. Croyez-moi, trois guitaristes avec les frottements de cymbales et de gongs de Prévost, cela aurait pu être barbant et « encombré », mais rien de tel n’est le cas ici. C’est avec surprise que je découvre ces inexorables sculptures sonores collectives qui flottent dans l’espace. Chaque guitariste contribue méthodiquement et subtilement à un flux sonore où le moindre détail apparaît sur le meilleur jour. Qui de Nathan Moore, James O’Sullivan ou du fidèle Ross Lambert, lequel collabore depuis longtemps avec Eddie Prévost, parviendrons-nous à distinguer l'un de l'autre ? Même si je les ai tous les trois vus et entendus sur scène, cet album est littéralement imprévisible à cet égard et aussi, indescritible. De la "méta-musique" ultra- détaillée, raffinée ou parfois saturée. Du son qui se veut sourd, cristallin, scintillant, bourdonnant, minutieux et finit par frôler le chaos un instant ou frictionner – gratter les cordages avec une atavique obstination sans jamais s'étendre dans des longueurs embarrassantes. Concis et kaléidoscopique, le terme n'est pas galvaudé, je vous prie de me croire. Un instant, toujours, car le quartet évite la moindre réitération, l’inutile resucée, la redite. Ça vibre à l’infini et jamais de la même façon. S’insère brillamment dans ces échanges intergalactiques, les interventions dosées d’Eddie à l’archet sur sa cymbale « fixe » appliquée avec pression sur la caisse claire, unique tambour de son austère attirail, ou des frappes ouatées sur son grand tam-tam (ou « gong »). On l’entend aussi frapper sur des cordes tendues sur un tambour qui évoquent une guitare trafiquée. Et ceka avec un peu de frénésie, laquelle fait imploser joyeusement le collectif… Le paysage sonore défile avec délectation, acuité et une créativité collective optimale. De toute ma carrière d’auditeur maniaque de l’improvisation libre, je n’ai jamais entendu un tel orchestre à trois guitares… en compagnie d’un tel visionnaire, intitulé CHORD.

Udo Schindler & Olaf Rupp HerzAtmungen Creative Sources CS 833CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/herzatmungen

Olaf Rupp est un guitariste volatile dont il faut écouter plusieurs albums pour commencer à cerner l’étendue et la pertinence de son travail avec la six cordes acoustique ou électrique à laquelle il joint une remarquable palette d’effets électroniques. Mais aussi les cinq doigts de la main gauche et surtout les cinq doigts de la main droite. Que ce soit en solo, avec Tristan Honsinger, Lol Coxhill, Shoji Hano, Tony Buck, Joe Williamson, Rudi Mahall, Ulrike Brand, Rudi Fischlehner, Paul Rogers et Frank Paul Schubert, Olaf Rupp est un étonnant musicien. Quoi de plus naturel pour lui de découvrir un nouvel horizon avec cet obstiné pluri-instrumentiste chercheur qu’est Udo Schindler, lequel a enregistré avec une kyrielle d’improvisateurs de tous bords dont Jaap Blonk, Peter Jacquemyn, Damon Smith, Irene Kepl, Erhard Hirt, Wilbert De Joode, Xu Feng Xia, Nikolaus Neuser, Andreas Willers, Meinrad Kneer, Eric Zwang Eriksson… . Dans ces HerzAtmungen enregistrés à Munich en juin de l’année dernière , on l’entend au cornet, à la clarinette basse, au sax alto et au tuba avec un amour pour le son, les glissandi curieux, la pâte sonore, le mystère. Tous deux construisent patiemment et spontanément des événements sonores auxquels notre écoute imaginative et notre imaginaire se joignent aux leurs pour voyager, rêver, ressentir, se libérer de nos idées toutes faites. Les effets de durée et de résonnance de la guitare amplifiée , de ses harmoniques se mêlent au scintillement de la colonne d’air pressée à l’embouchure par les sifflements et sussurements d’Udo. Les gargouillis de la clarinette basse, ses grasseyements trouvent un écho dans les oscillations et tremblements électriques. La photo de pochette nous montre Olaf à l’archet sur les cordes de sa fender et Udo engagé dans un growl vibrant dans le pavillon de sa clarinette basse. Leur mise en commun de tous ces éléments sonores voisins, miroités ou contrastés crée un univers sonore unique, onirique, suspendu dans l’espace du silence, à la fois mouvant et statique. Tous deux sont immergés dans la marge de leurs instruments, au-delà des limites d’un jeu « normal » Leur approche a toute la sensibilité du meilleur jazz sans que les formes ne relèvent d’aucune musique formelle ou programmée. Sauf peut-être le phrasé du sax alto en 4/ où Olaf Rupp alterne deux approches, une en cascade qui coïncident avec l’articulation du sax et une autre qui détonne à ravir. J’avais déjà bien apprécié le travail d'Udo Schindler avec le guitariste Gunnar Geisse et le clarinettiste Ove Volquartz ainsi que son duo avec un autre guitariste, Andreas Willers. Cela se confirme ici avec un autre guitariste, Olaf Rupp qui le transporte aux confins de l’imaginaire. Un magnifique dialogue inattendu entre deux improvisateurs chevronnés…

Eric Mimosa et Christian Vasseur Les Sans Ombre Creative Sources CD831CD
https://creativesources.bandcamp.com/album/les-sans-ombre

Deux « archtop » guitares maniées artistement et audacieusement par deux improvisateurs expérimentés, soit deux guitares acoustiques sur lesquelles les six cordes sont tendues sur un chevalet. Il n’y a pas de « s » au pluriel des « Sans Ombre » car, quand il y a zéro ombre c’est comme s’il y en avait une, la langue française ayant déjà commencé son chemin avant que nos ancêtres aient adopté le zéro comme valeur numérale avant le chiffre « un ». Aussi, aucun des deux guitaristes ne fait de l’ombre à l’autre, car ils jouent à égalité sans qu’on puisse distinguer lequel joue ceci et l’autre cela. Eric Mimosa et Christian Vasseur improvisent ensemble neuf morceaux aux titres nonsensiques, à la fois béats et intriguant, comme Serpent Pois-Chiche, Tonitruant Mangemots, Sanglant Papy Roulette, Papillon Biscotte ou Roule Sans-Tête, en forme de contrepoints anarchiques, d’écarts géométriques sauvages, d’obsessions hyperactives, d’ostinatos ribouldingues, de zigzags forcenés, avec force harmoniques, intuitions automatiques, imbrications alambiquées, bruitages détaillés à l’extrême ou rêves suspendus résonnant par-dessus le vide du silence. Mantra ludique du délire guitaristique. Tous deux utilisent des techniques alternatives non conventionnelles pour obtenir une expressivité inédite dans une dimension exploratoire. J’aime particulièrement le Sanglant Papy Roulette, construction collective où leurs doigtés et imaginaires fusionnent merveilleusement , nous donnant ainsi les clés pour que notre écoute plonge plus aisément dans les autres pièces ici proposées, certaines guidées par de véritables narratifs « visuels ». Roule Sans Tête est une autre paire de manches. Christian Vasseur est un activiste incontournable de Mons en Baroeul dans la grande banlieue de Lille. Il nous a déjà livré plusieurs témoignages sonores gratifiants et décortiqués dans ces lignes. Fantastique d’avoir rencontré un super alter-ego comme Éric Mimosa, car la somme de leurs talents est superlative ! Quelle équipe ....

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