12 décembre 2024

Hans Schneider contrebassiste improvisateur R.I.P. (1951 – 2024)

Hans Schneider contrebassiste improvisateur R.I.P. (1951 – 2024)

Parmi les improvisateurs pionniers du free – jazz et des musiques improvisées qui ont contribué à l’explosion de la free – music en Allemagne de Cologne à Berlin, on compte deux contrebassistes incontournables : Peter Kowald et Buschi Niebergall, compagnons de la première heure de Peter Brötzmann, Alex von Schlippenbach, Fred Van Hove, Manfred Schoof, Gerd Dudek, Sven Åke Johansson. La pratique de cette musique s’est développée dans de nombreuses villes régionales dans les régions du Rhin, de la Ruhr (Wuppertal) , Hesse, Hannover, Bremen Hamburg etc… jusque Berlin même où ces musiciens se sont fédérés au tour du Globe Unity Orchestra et l’organisation Free Music Production avec ses Total Music Meeting et Workshop Freie Musik. Ces événements se sont perpétués d’année en année de 1968 jusque dans les années 2000. Et il y a toujours le festival de Moers, fondé en 1974, avec l’aide du tromboniste Günter Christmann, lui-même organisateur à Hannover (Hohe Ufer Konzerte). Mais ceci n’est que le sommet de l’iceberg. Il y eut les orchestres de Gunther Hampel et l’alors très jeune Alfred Harth et Just Music qui fut sans doute le plus ancien groupe de « musique improvisée libre dès 1965-66 à Frankfurt am Main. Peter Kowald est devenu une figure culte et ces nombreux enregistrements et concerts en solo, avec Brötzmann, le Schlippenbach Quartet, Leo Smith, Gunther Sommer, Charles Gayle et plusieurs duos avec des contrebassistes comme Barre Phillips, Maarten Altena Barry Guy et Damon Smith. Ses albums en Duos Europe America Japan avec de nombreuses personnalités sont une solide référence.

Il y eut très vite une deuxième vague et parmi les contrebassistes, il y avait l’embarras du choix : Torsten Müller, Hans Schneider, Georg Wolf, Ulrich Philipp, Rainer Hammerschmidt et plus tard Alexander Frangenheim. Parmi tous les contrebassistes, Hans Schneider incarnait une voie diamétralement opposée à la voie « propre », claire, lisible, ronde, détachée venant du classique et du jazz. Et cette démarche est partagée par ces autres collègues, spécialement Torsten Müller et plus tard Alexander Frangenheim. De nombreux bassistes free aiment à déraper, jouer des harmoniques, des glissandi, frictionner les cordes avec une pression plus forte de l’archet ou les frapper col legno presqu’occasionnellement par diversion par rapport à un jeu « normal » bien rond, « lisible » dans la tradition du pizzicato du jazz. Hans Schneider jouait souvent sans ampli et cherchait uniquement la nature profonde ligneuse du bois, de la caisse de résonance et dévoiler l’âpreté des frottements âpres, physiques un jeu qui dévoilait la nature organique de la contrebasse et de l’archet et des matières mises en œuvre dans l’instrument. Il ne passait pas d’une technique « normale » aux techniques alternatives : il vivait sa musique par-delà cette limite sans arrière-pensée. Une vision bruissante, ligneuse, sauvage, grinçante sans concession pour la facilité digitale des pizzicati ou la grâce du coup d’archet stylé d’obédience classique. On aurait aimé avoir de lui un souvenir audio de sa contrebasse jouée en solo. J’avais conservé un catalogue du label Random Acoustics du pianiste Georg Gräwe et daté de 1993. Il y était indiqué que Hans Schneider avait un CD en préparation : Ventil RA 013. J’avais mentionné l’existence de cette référence via Facebook lorsqu’on annonça le décès d’Hans Schneider en novembre dernier. Le saxophoniste Stefan Keune, un de ses proches amis et collaborateurs en fut étonné ainsi que la trompettiste Birgit Ulher et après quelques recherches, Georg Gräwe a confirmé qu’il n’y aurait aucune trace de ce futur album jamais publié. A-t-il été enregistré ?

C’est d’ailleurs au sein du Georg Gräwe Quintet que le nom d’Hans Schneider est mentionné pour la première fois : les deux LP’s FMP New Movements & Pink Pong (1976 – 1978) qui contiennent une musique vraiment intéressante. À la batterie, Achim Krämer qui continuera à jouer avec Hans par la suite. Mais le choc provient du trio FUCHS – SCHNEIDER – HUBER : Momente LP FMP 0670 1979. https://destination-out.bandcamp.com/album/momente Le clarinettiste basse et saxophoniste sopranino prodige Wolfgang Fuchs est aussi impressionnant avec sa grosse clarinette (l’instrument d’Éric Dolphy) qu’avec son saxophone sopranino.
La musique est âpre, tendance "bruitiste" , vitriolique, ravageuse avec une PROJECTION DU SON miraculeuse et hallucinante. On entendra plus tard que le moindre des effets sonores inédits, brefs et discrets glissandi claquent dans l’espace sonore. Wolfgang explore la colonne d’air, les secrets cachés du bec et de l’anche dans le sillage du jeu révolutionnaire d’Evan Parker, lui-même à la base des élucubrations des John Butcher, Urs Leimgruber, Michel Doneda ou Stefan Keune. Aussi expressionniste qu’introspectif. La démarche ardue d’Hans Schneider est le complément idéal d’un tel phénomène tant il sculpte, lézarde, craque, exaspère les résonances et vibrations ligneuses de sa contrebasse appréhendée sur sa face sombre, occulte, magique. L’archet arrachant les tréfonds de cellulose « lignans » de son grand violon est conçu comme le vecteur du bruissement, équivalent sonore de l’abstraction picturale « matiériste », délivrant les textures inouïes enfouies par des siècles de pratiques baroque et romantique. Un philosophe extrémiste du son. Hans n’essaie pas d’esbaudir l’auditeur par des figures fulgurantes. Il nourrit et inspire la recherche de son collègue en approfondissant des interférences infinies. Le troisième membre du trio, le batteur Klaus Huber carbure allègrement en faisant chavirer et éclater la polyrythmie pour faire osciller le souffleur sur orbite. On trouve là la folie Brötzmannnienne et l’atomisation explosive de la colonne d’air EvanParkerienne conçue et extériorisée de manière complètement originale avec un contrôle du son phénoménal. FMP organise alors un Berlin Jazz Workshop Orchestra sous la houlette de John Tchicaï réunissant les « jeunes » talents : Who is Who ? SAJ-24. Parmi les nombreux participants, sont réunis les pianistes Bernhardt Arndt et Georg Gräwe, Wolfgang Fuchs, Hans Schneider, Andreas Boje, Thomas Wiedermann, Friedmann Graef, Harald Dau…. Un album intéressant qui témoigne de la vivacité et du niveau de qualité de la pratique du free-jazz en Allemagne en 1979.
Quelques années se passent et la pratique sonore d’Hans et de ses proches collègues évoluent. Les Germaniques ont dans leurs rangs un personnage extraordinaire, un découvreur de sons radical et percussionniste délirant qui a construit la batterie de percussions la plus étonnante de l’époque : Paul Lytton. Celui-ci habite à la frontière belge non loin d’Aix la Chapelle où vit le batteur Paul Lovens. Les deux amis jouent dans un duo légendaire et sont les deux collaborateurs les plus proches d’Evan Parker avec qui Lytton joue en duo et d’autres improvisateurs radicaux comme Günter Christmann, Paul Rutherford, Maarten Altena, Radu Malfatti. Ils produisent leurs vinyles d’improvisation radicale sur leur label Po Torch. Le duo Lovens - Lytton est un modèle d’intrication sonore où il est quasi impossible de distinguer qui joue quoi (le titre du 1er album = Was It Me ?) exemplifiant le son collectif « télépathique » plutôt que l’exploit individuel « soliste ». Peu après, le nouveau trio d’Evan Parker avec Barry Guy et le même Paul Lytton inaugure son parcours par l’album Tracks/ Incus où on entend encore les live electronics low-fi du batteur alors que l’interaction du trio est nettement lisible… pour chacun des instruments… et fascinante. On y entend distinctement le jeu exceptionnel de chaque instrumentiste mis en valeur dans le moindre détail et c’est époustouflant. Un peu plus tard à l’occasion d’une tournée américaine, Paul Lytton va adopter la batterie traditionnelle tout en conservant des accessoires lyttoniens disposés sur les fûts et qu’il déplace tout en jouant avec une aisance déconcertante.
Il faut dire que les live electronics – cordes de guitare et objets amplifiés et triturés de Lytton sont alors le summum du bruitisme au sein du « free-jazz ». Et c’est tout à fait la stratégie du nouveau groupe qui réunit Wolfgang Fuchs et Hans Schneider avec Paul Lytton et un guitariste nouveau venu : Erhard Hirt. X-PACT. Aussi Wolfgang Fuchs est à la base d’un nouveau label, Uhlklang, dédié à l’aventure sonore radicale des outsiders locaux. On y trouve un album solo d’Erhard Hirt, Zwischen Der Pause, B-A-D (Berliner Austauch Dienst) avec Fuchs , Schneider, le guitariste Frans De Byl, le batteur Knut Remond et le tromboniste Andreas Boje, une association de joyeux drilles : Echo. Mais aussi le premier album noise du duo Norbert Moslang et Andy Guhl : « Knack On ». Et le super album de free-music – improvisation radicale de X-PACT : Frogman’s View. https://destination-out.bandcamp.com/album/frogmans-view

C’est alors un document magistral de cette approche plus proche de la tendance AMM où les sons s’interpénètrent ou de la future EAI que celle du Spontaneous Music Ensemble. Au sein du SME, le jeu et les actions sonores de chacun se distinguent tout en étant interactives à la nano-seconde près (Cfr Face to Face Stevens - Watts / Emanem ou The Longest Night Parker - Stevens/ Ogun). Cette approche sert de modèle à toute une génération d’improvisateurs libres british et germaniques. Chez XPACT, on entend avant tout l’aspect électro – acoustique bruitiste de Lytton, avec son cadre métallique amplifié et ses manipulations d’objets hétéroclites qui sont étroitement mêlés aux frictions et sifflements sonores produits par la guitare d’Erhard Hirt, reliée à un réseau de pédales d’effets dont il entrecroise les outputs et les inputs au point qu'il est impossible de distinguer son jeu de guitare proprement dit et qui fait quoi dans le groupe. Le placide Hans Schneider tout aussi à l’écoute que les autres joue avec précision à l’archet à moitié enfoui dans ce pandémonium opaque où surnagent les canarderies subtiles de Fuchs à la clarinette basse. Quand celui-ci s’excite de plus en plus tout en restant dans la bonne dynamique, les trois autres demeurent impassibles formant un agrégat sonique sombre et industriel. Quand l’un s’agite, l’autre émet quelques sonorités bien à son aise. Parfois l’archet prends l’initiative cahin-caha une fois que l’intensité et le bruitage s’estompent. Ou, finalement Fuchs et Lytton interagissent quelques minutes en fin de la deuxième face : fragmentation éclatée du souffle vs éparpillement des frappes millimétrées sur toutes les surfaces (bois, peau, métal, plastique) sans pour autant augmenter le volume sonore, juste l’intensité. À quoi s’ajoute les shrapnels oscillants de la guitare électrique et les grondements de la contrebasse de Hans Schneider, qui lui garde son calme. Dans le chaos apparent, se dégage un véritable sens de la construction après leur enfouissement parmi des strates sonores brutes. Ce n’est peut-être pas le « meilleur » des albums au goût de certains, mais à l’époque postpunk, de Einsturzende Neubauten, du noise naissant et du Locus Solus de John Zorn, cet album atypique avait bien fière allure en 1984.

Mais, l’improvisation libre radicale initiée par les British et relayée par les Allemands s’étend à d’autres pays. On a entendu parler du violoniste portugais Carlos Zingaro, du percussionniste italien Andrea Centazzo, et d’un pianiste grec, Sakis Papadimitriou. Voilà que celui-ci joue avec un tubiste allemand, Pinguin Moshner, et Hans Schneider à Thessalonique. Finalement, un comparse de Papadimitriou, le clarinettiste Floros Floridis, réunit un quartet comprenant Hans Schneider, Pinguin Moshner et Paul Lytton pour un concert en octobre 83 au théâtre Adônis, deux mois avant l’enregistrement du disque d’ X-PACT. Un disque sera publié par le label grec j n d records sous le titre Adônis 21.10.1983 avec le nom de groupe L.S.F.M., soit 42 minutes ininterrompues sur deux faces. Au moment du concert, Lytton ignorait que Floros est un clarinettiste, alors qu’ici il ne joue que du saxophone. Cela le fait dans le cadre du "free-jazz". Dans cet album, toute la place est laissée à l’exploration sonore du tubiste qui investigue une série d’options alors que le saxophoniste triture et expectore des sonorités compressées, vocalisées, mordantes, sauvages allant jusqu’au bout des possibilités expressives free de l’anche, du bec et de la colonne d’air. Le batteur allonge de ci de là des bruitages. Le bassiste s’infiltre patiemment dans les interstices, fait vibrer les cordes dans la pénombre et attend son tour pour proposer une nouvelle idée alors que le souffleur s’écarte un moment. Jusqu’à ce que Lytton se déchaîne avec des frappes surmultipliées et disruptives plus tard dans la performance à laquelle se mêle le bassiste avec de petits coup d’archet. Le souffleur insiste avec des ostinati désespérés en soufflant de toutes ses forces dans son soprano. Le batteur joue autant des peaux que du cadre amplifié sans qu’on comprenne où il veut en venir. Les roulements commencent une fois le souffleur bien relancé et s’amplifient pour ensuite éclater alors que l’intensité du souffle décroit graduellement pour finir par des petits sons suraigus. Face 2 le tubiste et le sax étirent les sons, la contrebasse reste à l’ombre et imprime un mouvement lent imperturbablement adopté par le tubiste, le percussionniste laisse un espace considérable afin qu’on puisse entendre le dialogue de Hans et de Pinguin ? Il parsème des sons isolés ou secoue légèrement son attirail en arrière-plan, le souffleur étant tout en son affaire. Il donne ensuite dans le souffle continu de manière chatoyante en évoluant vers une autre étape. Comme Hans préfère jouer sans amplification, il ne passe pas bien dans les micros contrairement à Momente où son jeu polymorphe crève l’écran. Une première rencontre réussie hors des sentiers battus.
Mais les musiciens d’XPACT voient grand. Sous la houlette de Hirt et de Fuchs, un orchestre plus imposant est formé, rassemblant Fuchs, Hirt, Lytton et Schneider, le tromboniste Radu Malfatti, les trompettistes Guido Mazzon et Marc Charig, le saxophoniste Norbert Möslang, le violoniste Phil Wachsmann et le violoncelliste Alfred Zimmerlin. Le groupe fut invité au Workshop Freie Muziek les 22 et 23 décembre 1984 et l’enregistrement publié par Uhlklang : Music Is Music is… en l’absence de Charig. Mais celui-ci m’a narré la gestation du groupe. Après un de leurs premiers concerts, les musiciens fêtent l’événement avec force bières et schnaps tout en cherchant un nom pour leur nouveau groupe. Jusqu’à ce que tout le monde ou presque est fin saoul, l’un d’entre eux (mais lequel ?) se lève devant l’assemblée son dernier verre à la main en éructant la bouche pâteuse : King Übü Örchestrü ! Et ainsi fut fait. Le premier album de King Übü est un modèle du genre qui pourrait servir d’étalon aux Company de Derek Bailey. C’est resté un des meilleurs documents où on improvise collectivement à plus de cinq ou six. Il sont dix ! https://destination-out.bandcamp.com/album/music-is-music-is

La Face A fait entendre sept improvisations très courtes intitulées short pieces – someone’s missing. Le plus long est seulement de 4’34’’. Chacun raconte une histoire et se distingue clairement des autres. Ils ont la discipline intuitive pour s’arrêter de jouer un instant et d’insérer des silences. Les rôles dévolus à chaque instrument sont distribués alternativement et simultanément à ceux des autres. Des sonorités étranges fusent d’ici et là et ils jouent avec des « vitesses » et des intensités différentes, les éclats épars laissent découvrir des micro-sons et des détails, les idées fusent en écho … La face 2 est une longue construction étalée dans le temps, patiemment construite et toute en nuances. Il y règne une écoute mutuelle évidente : on a presque l’impression qu’il y a une ligne de conduite, une partition. Et quand il faut, cela grouille de toute part, ça s’envole avec des dissonances remarquables. On y entend des crescendos contrôlés ou des decrescendo vers des détails insignifiants à faible volume. L’un joue de manière atomistique ultrarapide (le sopranino de Fuchs) alors qu’un autre applique patiemment deux notes au milieu des petites sonorité qui fusent ici et là ou de toute part. Le final emporté et tournoyant est, comme la longue introduction, une pièce d’anthologie avec la paire Charig / Mazzon compressant leurs embouchures en réitérant un motif survolté par-dessus le tourbillon de l’orchestre dont le son finit par mourir magiquement. Je me souviens avoir dit à Paul Lytton et Wolfgang Fuchs lors d’un déplacement en camionnette que leur musique rivalisait avec celle de Xenakis. J’étais jeune et assez impressionnable. Mais en réécoutant cet album, je suis vraiment saisi, happé dans l’écoute. Magistral.

J’ai rencontré une seule fois Hans Schneider. En 1985, je voulais programmer Evan Parker AVEC Paul Rutherford (ABSOLUMENT !), Barry Guy et Paul Lytton, le fameux trio élargi avec le tromboniste, lequel a, à mon avis, beaucoup d’affinités musicales dans les échanges avec Parker. Mais étant alors assez novice, je me suis emmêlé les pinceaux. Par ma faute Barry Guy n’était pas disponible pour Evan, les deux Paul et moi, ni pour Tony Oxley et Wachsmann une semaine plus tôt à Anvers. Donc, sans doute sur la recommandation de Paul Lytton, Parker m’annonça qu’ils joueront avec le contrebassiste Hans Schneider du groupe X-PACT. X-Pact ?? En fait à mon avis dans ce contexte le choix d’Hans Schneider était parfait. Le concert a été publié : Waterloo 1985/ Emanem 4030. Soixante minutes ininterrompues d’une seule improvisation subdivisée en parties distinctes aux proportions presqu’identiques question durée, mais différentes dans le contenu musical. Dans cet album mémorable, les deux souffleurs alternent leurs interventions en se répondant et s’échangeant les fragments mélodiques, les harmonies, les intervalles, les accents, les inflexions dans une symbiose gémellaire en prenant le temps de jouer. Paul Lytton imprime sa marque avec ses frappes sur les tambours chinois en créant un espace pour inclure ses trois camarades dans le champ sonore. Ainsi, règne un équilibre parfait pour les rendre audibles de manière strictement égalitaire et que l’auditeur puisse distinguer le moindre détail dans la musique. Détail qui a son importance : Hans Schneider joue complètement acoustique en explorant les vibrations, le corps de la contrebasse, la résistance et la tension des cordes comme un sculpteur. Quoi qu’il arrive. Subitement, les souffleurs s’écartent et un duo bruitiste irrégulier s’établit entre la contrebasse malmenée et les crissements et soubresauts des live- electronics qui laissent incrédules le public habitué au (free) jazz stricto sensu. Au final, c’est à mon avis un des meilleurs enregistrements très réussis d’un groupe d’Evan Parker et Paul Lytton, surtout grâce à la présence lumineuse de Paul Rutherford qui apporte une rare dimension supplémentaire. Le parti pris ludique discret d’Hans Schneider a alors orienté la musique dans une autre direction que s’il y avait eu Barry Guy et son jeu virtuose et hyperactif. C’est l’évidence même. Mon souvenir d’Hans Schneider est celui d’un homme sensible, amical et aussi déterminé qu’il était aimable. Durant toute la performance, il n’a pas dévié de son chemin comme s’il savait où l’aventure le mènerait, développant ses idées et sa conception de l’improvisation d’un seul tenant du début à la fin. De devoir lui permettre d’être entendu comme il le souhaite sans devoir forcer le ton et faire des signaux activistes, il a engendré une contrainte pour les trois autres qui a été en fait salutaire pour l'équilibre groupe, contrebalançant aussi la facette lyrique de Paul et Evan enfin réunis. La dynamique sonore des musiciens dans cet enregistrement signé Michel Huon est exceptionnelle vu les circonstances, les musiciens ayant joué vers minuit après une série d’autres concerts : Lol Coxhill/Mike Cooper/ Roger Turner, Fred Van Hove/ Marc Charig/ Ernst Reyseger, Christian Leroy, Tom Bruno-Eddy Loozen. J’avais contacté Emanem pour faire publier ce concert : Martin Davidson a hésité et Evan m’a d’abord répondu en disant que je voulais le faire publier parce que c’était « mon concert ». Mais une fois l’avoir écouté soigneusement, il a insisté auprès de Martin pour qu’il sorte deux mois plus tard.

Fort heureusement, Schneider et Lytton étaient retournés en Grèce pour jouer (et enregistrer) avec Floros Floridis un peu après Waterloo 85. Et cette fois avec un grand copain de Lytton, le violoniste Phil Wachsmann qui, à l’époque, joue autant avec Fred Van Hove qu’avec Tony Oxley. Ce quartet intitulé L S F W grave un excellent document : Ellispontos / jnd. Dans ce concert remarquable, Floros Floridis se concentre sur sa clarinette : son style est aérien mais charnu, lyrique mais hérissé dans les aigus qu’il distord à souhait avec un parfum de la musique grecque et une fluidité musicale. Avec le travail à l’archet de Wachsmann et Schneider, la combinaison sonore et ludique est parfaite avec les apports du clarinettiste et du percussionniste. Dans ce disque on entend clairement les grincements frottés par Hans au plus près du chevalet ou la vibration grave et ombrée proche de drones. Le tout est commenté adroitement et ponctuellement par Lytton à coups de woodblocks, cymbales chinoises renversées, de tam-tams touchés ou heurtés parcimonieusement laissant beaucoup d’espace aux trois autres. Cet album est superbe !
Mais, tout ne fonctionne pas toujours quand vous faites de l’improvisation libre dans un cadre professionnel. Certains groupes continuent durant des années voire des décennies. Une discussion intervient entre Fuchs et Hirt, et X-PACT est remisé aux oubliettes. Hirt quitte King Übü, un projet d’album Hirt – Lytton en duo est abandonné (un enregistrement a vu le jour récemment via Corbett vs Dempsey sous le titre Borne on a Whim - Duets 1981). Plus tard, c’est Torsten Müller qui jouera de la contrebasse dans King Übü et Günter Christmann rejoint l’Örchestrü. Mais pour Hans Schneider la vie continue. Un jeune saxophoniste pointe le bout de son nez : Stephan Keune. Avec Lytton à la percussion, il grave « Loft » par le Stefan Keune Trio pour Hybrid Music Productions, un micro-label qui nous fera découvrir de nouveaux artistes comme Agusti Fernandez & Christoph Irmer, Birgit Ulher & Wolfgang Ritthof, Harald Kimmig, Dirk Marwedel, Ursel Sclicht & Hans Tammenn, Giessen Improvisers Pool, Wiesbadener Improvisations Ensemble, Martin Speicher ou le trio CHW avec mon copain Paul Hubweber etc… Comme Lytton explore son attirail en live electronics et parsème l’espace de micro frappes et manipulations d’accessoires sur ses peaux ou cymbales, le jeu singulier de Hans Schneider est largement audible, approfondissement de sa démarche radicale. Malgré la configuration en trio sax ténor – basse batterie assez explicite, on est ici loin du free-jazz mais plutôt dans l’exploration sonore. Stefan Keune, dont ce sont les débuts, semble bien prometteur. Hans et Stefan deviendront amis pour la vie.
Dans les années 80, un trio British incontournable voit le jour : le saxophoniste John Butcher, le violoniste Phil Durrant et le guitariste John Russell. Il représente ce courant Londonien introspectif pointilliste sans batterie basé sur les techniques de jeu alternatives. Inévitablement, ils tournent en Allemagne au début des années 90 invités par des collectifs germaniques de cette jeune génération « post FMP ». Non contents de jouer en trio, ces trois-là se joignent à leurs collègues allemands. Deux albums séminaux enregistrés en 1991-92 paraissent sur un autre nouveau label lancé par le pianiste Georg Gräwe : Random Acoustics. Hans Schneider est responsable de l’«artwork & design ». Le design original de Hans conçoit une pochette de papier fort monochrome coloré à rabas élégante et soignée qui tranche largement sur le jewel box ou le digipack par son originalité, reconnaissable entre mille. Premier numéro (RA001), le quartet Frisque Concordance réunissant John Butcher, Georg Gräwe, Hans Schneider et le percussionniste Martin Blume. Le titre de ce « classique » incontournable de la scène improvisée est Spellings (Énoncés) ou l’art d’énoncer toutes les variations, nuances et interactions d’un quartet saxophone – piano – contrebasse – percussions contemporain. La musique est basée sur une écoute et des réactions minutieuses, équilibrées dans la répartition de chaque instrumentiste dans l’espace auditif avec un esprit musique de chambre. Les spirales fracturées de John Butcher tant au soprano qu’au ténor, le grain organique de l’archet d’Hans Schneider, les pianismes cristallins à la fois anguleux et ondulés de Georg Gräwe et les friselis et micro-frappes de Martin Blume s’unissent magistralement faisant de Spellings un album révélateur. À ce joyau, s’ajoute Concert Moves du trio Butcher – Durrant – Russell enregistré la même année après quoi ces trois musiciens deviennent des références. Profitant de la présence de Russell dans une nouvelle tournée de 1993, un autre concert rassemble Paul Lovens et son pote Johnny « Guitar » (Russell), avec Hans Schneider et ce nouveau venu, le saxophoniste Stefan Keune à Bochum où Georg Gräwe organise des concerts.
Bien plus tard, quelqu’un retrouve la cassette de l’enregistrement. Publié en 2019, l’année même où John Russell nous a quitté, Live in Bochum ’93 porte un titre supplémentaire : Nothing Particularly Horrible - Keune Russell Schneider Lovens / FMR. Notez que Lovens et Russell se connaissent très bien, ayant joué avec les mêmes collègues -amis : Evan Parker, Günter Christmann et Maarten Altena. Le son est littéralement « échoïque » - réverbérant « caverneux » bien qu’on distingue clairement chaque instrumentiste. Le saxophoniste, excellent au sopranino et le batteur jouent au départ parcimonieusement pour permettre à l’auditeur de ne pas perdre une goutte des sons et harmoniques pointillistes et espacées de John Russell sur sa guitare archtop aux cordes métalliques datant de l’époque jazz-swing. Les frappes éclair et les manipulations sonores de Lovens sont étincelantes et Keune s’avère à la hauteur du guitariste et du batteur. Concentré dans une écoute intense, le bassiste ajoute petites touches et murmures graves rappelant les trois lurons à l’ordre « au bord du silence ». Si la musique de Frisque Concordance est fluide dans son jeu, raisonnée dans sa constructions et équilibrée au niveau collectif bien que kaléïdoscopique, Nothing Particularly Horrible explore des possibilités sonores étirées et plus extrêmes : hyper aigus hargneux du sopranino, cymbales et crotales frottés, crissement ou grattage bruitiste de la guitare avec un plectre en pierre, frappes maniaques sur les cymbales renversées sur les peaux, scie musicale sifflante, jeu espacé ou drone de la contrebasse et des accès et éclats rageurs. Il en résulte que, suite à ce concert, Keune et Russell forment un duo permanent qui fera plusieurs enregistrements (Excerpts & Offerings , Frequency of Use etc…) et que Schneider et Keune confortent leur collaboration future. Et aussi des amitiés profondes. Hans Schneider est sans doute le plus discret, intervenant du tac-au tac à l’intérieur ajoutant un geste, un son dans le sillage de chacun des trois autres créant le ciment qui imprime une cohérence au groupe ou indique une direction avec trois coups d’archet répétés autour duquel les autres évoluent (en 2). Un concert sensationnel qui nous fait transiter dans de multiples occurrences comme on l’entend trop rarement avec une dimension collective et exploratoire exemplaire. Hans figure aussi dans quelques plages d’un album intéressant du label Random Acoustics : Chamber Works qui réunit plusieurs artistes dans différentes formations et compositions de Georg Gräwe.

Hans figure aussi dans quelques plages d’un album intéressant du label Random Acoustics : Chamber Works de Georg Gräwe. Mais le pianiste et le bassiste s’éloignent dans des directions différentes : GG avec Gerry Hemingway et Ernst Reyseger dans un trio qui fera florès en Europe et aux USA et HS dans les arcanes de la scène « locale », devenue une véritable pépinière de talents inventifs à l’échelle de l’Europe. Le talent réel n’ayant rien à voir avec la notoriété.
Suite à ces deux ou trois réussites exemplaires que sont Ellispontos, Spellings et ce concert de Bochum 93, on va trouver Hans Schneider dans des groupes faits pour durer. Parmi ceux – ci, le QUATUOHR , un quartet qui ressemble au « jazz » par son instrumentation trompette, sax/clarinette, contrebasse et batterie, mais qui navigue dans les eaux incertaines de l'improvisation libre collective. Le trompettiste Marc Charig est un vétéran du Brotherhood of Breath et du free-jazz british (Elton Dean, Mike Osborne, Keith Tippett, Barry Guy) et un fidèle partenaire du pianiste Fred Van Hove. Le clarinettiste basse et sax soprano Joachim Zoepf est un chercheur pointu proche de Günter Christmann et joue souvent avec le batteur Wolfgang Schliemann. Hans a réalisé amoureusement les pochettes en papier fort monochrome et collé les photos tirées sur papier des musiciens (KJU - 2002) ou des instruments sans les musiciens (KJU : too – 2003). Ces deux merveilles collectives intimistes toutes en nuances sont publiées par le label Nur Nicht Nur. Son catalogue exponentiel et artisanal rassemble un grand nombre d’artistes peu ou très peu connus où brillent des perles fantastiques signées Paul Hubweber, Uwe Oberg, Ulli Philipp avec Birgit Ulher et Roger Turner ou en duo de basses avec Georg Wolf, Schliemann & Zoepf en duo, Erhard Hirt, Georg Wissel, Malcolm Goldstein, Ute Wassermann, Michal Vorfeld, Claus Van Bebber, Carl Ludwig Hübsch etc… Incontournable !! La musique de Quatuohr est la quintessence de la musique improvisée libre et dans cette atmosphère presque feutrée où chacun relaie adroitement l’autre par petites touches, accents bien placés, sons étranges, usage du silence et un sens de l’espace rare, la contrebasse de Hans Schneider opère par à coups répondant ou proposant avec cohérence juste ce qu’il faut pour que chacun occupe un angle égal dans la géographie des paysages – tableaux évolutifs et jouit d’une dynamique sonore propice qui autorise tout ce qui est possible sans entraver la liberté individuelle. Dans un des albums (KJU :) , Hans joue de la basse électrique comme le ferait un émule de John Russell. Mais ici c’est (KJU : too) que j’épluche et il y joue de la contrebasse en bonne et due forme. Il appert qu’on y entend que quelques sons épars de chacun sur lesquels s’appuient le clarinettiste pour jouer quelque note. À un moment précis, c’est le bassiste qui s’agite de courts instants sollicitant les autres à alterner à contre-courant et à répondre de plus belle et l’archet alors oscille en glissandi sur lesquels oscillent le souffle spiralé en sourdine du trompettiste. Une quantité de figures/ motifs ou actions différentes s’emboîtent comme les mots dans une phrase dans un constant renouvellement d'idées et de mouvements. Ailleurs Hans fait grincer ses cordes avec insistance comme si le moteur de la voiture était en panne, c’est là que les drôles canardent et chahutent de bonne humeur (4). C’est absolument remarquable et d’une grande richesse. L’ego du soliste « expressionniste » est complètement annihilé pour une collaboration instantanée fructueuse. Être capable d’improviser sans interruption six improvisations à ce niveau durant près d’une heure est l’achèvement de toute une vie.
Pour les fines bouches, je mentionne un des deux albums "Live Tempera" initiée par le peintre Marcus Heesch, celui-ci improvisant son art en direct en compagnie de musiciensimprovisateurs. Nur Nicht Nur (encore lui !) avait déjà publié deux extraits de concerts de Heesch avec Simon H.Fell et Lol Coxhill. Le deuxième Live Tempera sur N N N réunit le clarinettiste basse Joachim Zoepf et Hans Schneider à la guitare basse, le CD étant emballé dans une belle pochette jaune canari à rabas et du texte imprimé sur un feuillet. Un bel objet audio à déguster ! Mais direz-vous, le free-jazz « rentre-dedans » s’en est allé ? Et là vous serez surpris ! Il y a à Cologne un saxophoniste alto qui ne craint personne question outrance : rien à envier à Peter Brötzmann, à l’explosif Alan Wilkinson ou le Daunik Lazro à-l’alto-de-notre-jeunesse. J’ai parlé de Jeffrey Morgan, un sujet Américain installé à Cologne. Celui-ci, malade a abandonné son sax alto il y a une dizaine d’années et joue maintenant de la clarinette alto et du piano entre autres avec Lawrence Casserley. Avec le bassiste poids lourd – ceinture noire Peter Jacquemyn et le volatile batteur Mark Sanders, il a gravé The Raven, un brûlot à la gloire du free-free jazz agressif. Violent ! Mais sous le pseudonyme des The Flying Pyjama Fishers (Konnex) en compagnie d’Hans Schneider et de l’électronicien Konrad Doppert, il faut avoir écouté une fois dans sa vie Jeffrey Morgan. C’est à la fois musical vu l’extraordinaire contrôle du souffle dans l’anche (chauffée à blanc) et la colonne d’air et expressionniste avec une disposition d’esprit unique et une expressivité qui égale celle d’Albert Ayler sans lui ressembler le moins du monde. Et là, le travail d’Hans ne crée pas la surenchère, mais calme le jeu en finesse afin que le saxophoniste garde un cap, capte un moment de grâce. Idem pur le travail fin,discret et intéressant de Konrad Doppert. Comme il se doit dans l'improvisation libre intelligente, le souffle brûlant et les harmoniques extrêmes sont audibles dans tous leurs détails. Flamboyant !

On arrive presqu’à la fin ! Mis à part un trio avec le tromboniste Paul Hubweber et à nouveau, Erhard Hirt dont le titre, The Funny Side of Discreet évoque à la fois un standard de jazz, le titre d'un solo enregistré de Paul Rutherford, le label de Frank Zappa et le trio Iskra 1903 de Paul Rutherford par son instrumentation trombone guitare contrebasse (Acheulian Handaxe 2018), les enregistrements d’Hans Schneider se concentrent sur son travail avec Stefan Keune. En pleine vague « réductionniste », le label phare de cette tendance, Creative Sources publie The Long and The Short of It (2007) : Stefan Keune alto et sopranino sax, Hans Schneider contrebasse et le batteur Achim Krämer, son vieux copain des années Gräwe des seventies. S’ouvrant dans la fureur du free-free jazz dans le premier morceau, cet album constitue une belle carte de visite autant pour l’ensemble des facettes du souffle de Keune et la cohérence de ses deux coéquipiers. Les échanges peuvent autant se situer au bord du silence dans une démarche égalitaire (tout le monde au même niveau et dans une écoute mutuelle précise). Dans cet album dont certains morceaux semblent minimalistes, on entend clairement les affinités partagées par Stefan et Hans. Le souffle au sax soprano éclate l’articulation dans les suraigus dans de multiples cadences sauvages ou un jeu ultraprécis et asticoté au fil du rasoir qui sollicitent des instants de silence entre chaque spasme électrisant et un démarche pointilliste sophistiquée du bassiste. Celui-ci exprime avec « peu » un « beaucoup » avec de nouvelles idées qui changent constamment de registre ou d’affect relançant discrètement le souffleur. Quand le batteur se joint à eux, on songe par moment à John Stevens. Sur la lancée, c’est le label FMP lui-même qui publie No Comment sous le nom Keune - Schneider - Krämer l’année suivante. No comment ! Si ce n’est que, ça va vous changer du sax maison FMP, Brötzm. Vous n’y perdez rien au change. En effet, dans cet album Keune joue aussi du sax baryton et la musique est (un peu) plus musclée – énergétique que dans le précédent, dans la ligne dure FMP de l'époque vinyle.


https://creativesources.bandcamp.com/album/the-long-and-the-short-of-it-2
https://destination-out.bandcamp.com/album/no-comment

Mais le vieux copain de Hans, le clarinettiste et saxophoniste Wolfgang Fuchs décède malheureusement un peu plus tard après des déboires dans la gestion de FMP. Quelques années se passent. Et bouf ! Tout à trac, XPACT ressuscite sous le nom de XPACT II, soit Erhard Hirt, Hans Schneider et Paul Lytton … et le saxophoniste Stefan Keune. Concerts en vue dont un, enregistré en 2020, est publié chez FMR, le label british Future Music Records. Avec la paire sonique électro-acoustique de Lytton et Hirt s’intègre à l’esprit ludique austère du tandem Keune – Schneider. Dans cet enregistrement, Hans Schneider prend parfois les devants ou temporise adroitement alors que s’éclatent sax et batteur dans de brefs instant successifs. Toujours aux aguets, la guitare bourrée d’effets de Hirt injecte, disjoncte, soustrait, s’efface ou explose en jouant au chat et à la souris dans les interactions des trois autres. Ou scintille incognito. Mais est-ce Lytton ou Hirt ? Toujours est-il, ce qui survient avec surprise est excellement calibré en fonction du jeu collectif. On appréciera la discrète inventivité anarchiste de Paul Lytton, qui bien avancé dans la septantaine, est resté vert, bien en verve avec les ustensiles percussifs posé sur deux tables de camping brinquebalantes et son installation amplifiée (Trobriander laptop + miscellaneous table top objects). Stefan est crédité tenor sax mais on entend la folle articulation «atomistique» au sax soprano dont il cultive le registre au-delà de sa tessiture normale et en concasse les sonorités, les contorsionne, étire, explose tout en imprimant sa marque personnelle. Son "style" ets reconnaissable entre milles. La diversité des sons, des ambiances et des intrications est phénoménale. Elle peut très bien se raréfier dans avec un archet frottant légèrement le bord d’une cymbale et le ronflement à peine perceptible de l’électronique ou les cordes de la contrebasse frôlées par l’autre archet celui de Hans. Convergent plusieurs tendances de l’improvisation libre (je vous passe les qualificatifs redondants) en une seule musique, celle d’XPACT : du grand art.
https://lytton1.bandcamp.com/album/xpact-ii
Mais comme cette musique est avant tout collective et que c’était le leitmotiv de sa vie de musicien improvisateur, le dernier enregistrement d’Hans Schneider paru le réunit avec le bon vieux King Übü Örchestrü qui en 2021 a adopté Stefan Keune au saxophone sopranino (comme W Fuchs) en compagnie des vétérans Marc Charig, Lytton, Phil Wachsmann, Malvyn Poore, Alfred Zimmerlin, Phil Minton, Axel Dörner et le « plus » jeune tromboniste Matthias Muche. Titre : ROI Deux sets : ROI 3 et ROI 4 (27 :05 et 35 :06) d’une musique à nulle autre pareille. Onze musiciens improvisant ensemble en se faisant de la place à chacun d’eux pour créer un flux sonore aussi lisible qu’inextricable.
https://lytton1.bandcamp.com/album/roi

Ce parcours serait incomplet si je ne faisais pas un petit retour de trois années en arrière. J'avais mentionné plus haut l'existence de The Funny Side of Discreet, enregistré en 2018 par surprise par le trio de Paul Hubweber - Hans Schneider - Erhard Hirt. soit la formule instrumentale trombone - contrebasse - guitare du groupe Iskra 1903 de Paul Rutherford avec Derek Bailey et Barry Guy (double vinyle Incus 3/4 enregistré en 1970-71) dont les prestations radicales durant la première tournée du London Jazz Composer's Orchestra de Barry Guy en 1972 sont à l'origine de l'expression "British Disease". https://handaxe.bandcamp.com/album/the-funny-side-of-discreet
D'ailleurs le titre de ce compact est un clin d'oeil à un titre du légendaire vinyle en solo de Paul Rutherford, The Gentle Harm of the Bourgeoisie. Tout comme Rutherford (R.I.P.), Paul Hubweber souffle avec un maximum de dynamique et de nuances juste à l'opposé de la démarche ultra-puissante et quasi expressionniste de son collègue Hannes Bauer. Paul H. est sûrement un des artistes les plus sous-estimés de la scène internationale alors même qu'il a formé un magnifique trio avec John Edwards et Paul Lovens, deux des improvisateurs les plus demandés (trio PaPaJo). Depuis que Lovens a remisé ses fameux mocassins usés et ses baguettes, Paul H et John E continuent en duo (Where's My Girl ? Nur Nicht Nur). Qui plus est, le tromboniste a le chic pour proposer exclusivement des projets musicaux avec des collègues différents et qui ont une identité musicale, sonore et une esthétique chaque fois bien distincte et une qualité au sommet de la profession avec respectivement Philip Zoubek, Georg Wolf, Claus van Bebber, Ulli Böttcher, DJ Sniff, PaPaJo et ses albums solos Tromboneos,Lurix & Paranoise et Loverman. Au sein du trio Funny Side of Discreet, est associée la connivence évidente contrebasse - trombone, celle qui n'a pas échappé aux astucieux (Barry Guy et Paul Rutherford à Moers 1976, Rutherford et Paul Rogers plus tard, ou Harry Miller et Radu Malfatti) ET les tripatouillages électroniques d'Erhard Hirt, l'occasion d'écouter en détail toutes les extrapolations et métamorphoses sonores, micro-pulsatoires et frictionnelles de l'e-guitar d'Erhard Hirt ou l'humour et la poésie intrinsèque du dobro dans ce contexte. Pas de batterie, car il faut qu'on en entende le moindre détail. D'ailleurs, Erhard a publié sous l'étiquette FMP - Own, Two Concerts d'un super trio sans batteur, avec Phil Minton et John Butcher, une des meilleures productions de FMP de lère compact. Et fort heureusement, ce compact Funny Side permet d'entendre le jeu "DiscReet" d'Hans Schneider sous toutes ses coutures, boisé-ligneux, grinçant, jamais rond, mais accidenté, craquelé, frictionnel, contrasté et hyper attentif avec cette logique imparable qui associe des sonorités variées et éparses en un clin d'oeil. Et comme toujours, il est le facteur d'unité structurant du trio qui intègre autant le lyrisme aérien d'Hubweber, les grattages obsessionnels des cordes, les tirebouchonneries audacieuses de l'embouchure et de la colonne d'air au trombone,les phases de jeu à l'orée du silence salvateur, le bruitisme maniaque,les timbres électroniques de l'e-guitar et la curieuse gaucherie au dobro de Hirt, jusqu'au bout de leurs extrémités ludiques et imaginatives. La classe des vrais "super-groupes" et une fleur au chapeau des trois artistes. Cela dit, je recommande d'investiguer les labels Nur Nicht Nur, Acheulian Handaxe, Hybrid, Concepts of Doing, Edition Explico, Impakt, etc.. trop méconnus et pleins à craquer d'enregistrements essentiels.
Malheureusement, la santé d’Hans Schneider s’est affaiblie vers un état alarmant les derniers mois, jusqu’à ce qu’il nous quitte au cours du mois de novembre dernier. Il avait encore pu jouer avec son ensemble VENTIL avec Ute Wassermann, Birgit Ulher, Stefan Keune et Erhard Hirt au Festival de Moers en juin 2020. J’ai eu l’idée d’écrire ce parcours d’Hans Schneider simplement parce qu’il est évident que cette musique existe autant (si pas plus) par l’activité passionnée d’un grand nombre de praticiens que des notoriétés sur lesquels les média et certains journalistes, groupies ou cognoscenti informés se concentrent bien souvent. La liste des artistes jouant à ce niveau est absolument exponentielle et défie l'imagination à l'instar de ces musiques
https://lytton1.bandcamp.com/album/roi

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