19 juin 2021

Richard Barrett & Evan Parker / Antonio Acunzo Tony Hardie Bick Tom Mills N.O. Moore/ Richard Comte solo/ Luis Vicente Marco Franco Marcelo Dos Reis José Miguel Pereira & Albert Cirera

Evan Parker Richard Barrett 2001 digital
https://evanparkerrichardbarrett.bandcamp.com/


Face aux manipulations sonores électroniques inouïes et complexes de Richard Barrett, Evan Parker nous donne à entendre sa dimension expérimentale aventureuse tout en maintenant son style personnel. Dès les premières minutes de alpha, on entend de suite qu’il s’agit d’un des meilleurs duos d’Evan Parker de ces vingt dernières années. Au départ (1/ 2001 𝛼) chacun élabore une construction sonore et temporelle individuelle et dont les deux musiciens font coïncider – dialoguer par intermittence, l’interaction fonctionnant subjectivement sur des éléments épars et souvent surprenants de leurs sons dans l’instant.
Enregistré en 2001 quelques années après leur première rencontre dans un projet parisien de George Lewis en 1994 mis à profit par Barrett pour rencontrer Iannis Xenakis. Je le cite : “When we were discussing how to give titles to the five tracks, Evan suggested just the year that gave the album its title, followed by the first five Greek letters, as a “sort of implicit homage to Xenakis”. Which reminded me that, back in Paris in 1994, I’d taken the opportunity to visit Iannis Xenakis in his studio, where we drank tea and talked about the poetry of John Donne (about which he knew a great deal more than me). When Evan and I recorded this music, Xenakis had died a matter of weeks before. He’s justly celebrated for having revolutionised many aspects of musical composition, from the statistical calculation of orchestral sound-masses to new concepts of digital sound synthesis, but actually these innovations could all be said to focus on the same aim: to grasp and make composable the evolutions of natural sonic (and other) phenomena, to find ways of participating actively in (to use Cornelius Cardew’s words) “the musical composition of the world”. And of course we can conceive of the freely improvisational method of musical creation in precisely the same way”. (Richard Barrett 21 May 2021).
Ce duo nous offre à la fois les trouvailles sonores uniques en leur genre de Richard Barrett, compositeur, musicien électronique et improvisateur extraordinaire et le jeu le plus en pointe et le plus subtil d’Evan Parker dans les fréquences et les sonorités les plus rares du saxophone soprano, ici utilisé dans les morceaux 1-3-5 : 2001 𝛼 – 2001 𝛾 – 2001 𝜀. Les morceaux 2 et 4, 2001 𝛽 – 2001 𝛿, sont joués au sax ténor, instrument avec lequel Evan est aussi compétent et créatif qu’au soprano, les deux instruments couvrant l’entièreté des registres et méandres soniques de sa musique avec la même puissance et créativité inouïes. Au fur et à mesure que la rencontre évolue, les deux musiciens établissent un dialogue en profondeur, d’un raffinement saisissant dans une multitude de détails sonores et de configurations formelles. Tout créateur électronique se doit d’écouter Richard Barrett, simplement parce que ce musicien place la barre très haut, jonglant avec une maximum de possibilités sonores, de paramètres de dynamiques, de textures, de mouvements, etc… avec la plus grande cohérence et un sens de la complexité dans l’approche bruitiste quasiment inconnu ailleurs. Je trouve inconcevable qu’Evan Parker n’ait pas publié cet album il y a vingt ans, un nombre conséquent de ses productions des deux dernières décennies n’ont pas l’attrait incontournable de cette œuvre, publiée ici en digital. Accrochez-vous !

The Birds of Four Mirrors – Improvisers Inside Electronics Antonio Acunzo, Tony Hardie Bick, Tom Mills, N.O. Moore dxdyrecordings.com
https://breakingupintheatmosphere.bandcamp.com/album/the-birds-of-four-mirrors


Cinq improvisations intitulées Part One, Part Two, Part Three, Part Four et Part Five. Teste de pochette rédigé par Eddie Prévost. Un extrait de son texte : « Herein this CD – hearing this symphony of synergy – there are echoes of the common cause that too rarely articulates its own philosophy. This oppositional voice – which we hear so certainly in the work of Eric Dolphy and Devid Tudor – has to counter the deleterious determinist use of language. The sounds of this CD are representative of – and achieve cogency by – common effort informed by an unified practice of collective induiry $. Ironically, the positive sense of “the common” is all too rare. It is time to make its presence more common”. Quatre musiciens “électriques” – “électroniques” : Antonio Acunzo (electric bass and objects), Tony Hardie Bick (acoustic guitar and modified tape echo), Tom Mills (theremin and ring modulator), N.O. Moore (stereo field and dark energy). Dark Energy !! Ce qui étonne ici c’est une synergie – complémentarité de manipulations de sons très diversifiées, une multiplication de sources sonores formant un tout aussi cohérent qu’anarchique et une constante : un sens admirable de la dynamique et de la lisibilité du moindre élément. Drones changeants, splashes, oscillations, bruits roses, vibrations, boucles perturbées, frottements insidieux, sifflements ponctuels, grondements assourdis, cordes percutées, mouvements suggérés ou suggestifs etc… Le paysage sonore est en permutation relativement constante, parfois à la limite de l’audibilité au fur et à mesure que la production sonore s’intensifie ou s’évanouit. Franchement, un album remarquable de musique électronique expérimentale avec une belle richesse sonore focalisé sur l’écoute et l’empathie du collectif. Les oiseaux des quatre miroirs n’ont pas la berlue, ils retrouvent le chemin du nid après avoir convolé hors des chemins de ronde. Bravo !!

Richard Comte Dérive de la base et du sommet NUNC 022
https://nunc-nunc.bandcamp.com/album/d-rive-de-la-base-et-du-sommet

Disque de guitare solo. Photo de pochette : Tempête de poussière dans le désert (Afrique ? 1905/1015). Quatre pièces : AL (14:27), OD (07:21), IM (07:57), IS (11:32). Enregistré et mixé par Richard Comte, 2018-2019. AL est un curieux drone grave en léger crescendo qui attire petit à petit des harmoniques évasives et oscillantes et une contorsion du son à peine perceptible alors que les graves semblent enfler. La constante vague sonore se fragmente intérieurement, comme si le moteur d’un aéronef inconnu se déplaçait dans les airs, menaçant : il s’enraie et la nef s’enfonce dans l’éther en changeant de régime. OD : oscillations du drone grave en suspension dans l’espace de granit, granuleux, rotor braqué en perte de vitesse, vibrations de la carcasse dans l’air chaud de l’immensité, tentatives d’élévations et à-coups d’une tuyère disjonctée, battements vers l’infini, moteur crachant sa bave sourde. IM : silence ausculté sur la tension des cordes légèrement réverbérée. Un accord indifférent meurt dans l’écho du silence, la résonance renouvelée au fil des secondes qui s’épuisent. Je pourrais continuer la litanie et décrire maladroitement cette Dérive millimétrée comme une installation sonore per se ou un missive sonore d’un Rothko d’outre-tombe. Messages muets de l’espace des signes et du temps. Richard Comte fait plus qu’explorer la physique de l’instrument, il installe un paysage vivant, à la fois sous tension et apaisé, grondant dans l’instant et glissant vers l’éternité.
Excellent travail réalisé avec une grande maîtrise et produit sur son label NUNC.

Fail Better The Fall Luis Vicente Marco Franco Marcelo Dos Reis José Miguel Pereira Albert Cirera JACCRecords41
https://jaccrecords.bandcamp.com/album/the-fall

Ce n’est pas le premier album du groupe Fail Better ! et la formule du quintet continue avec le saxophoniste tenor et soprano Alberto Cirera remplaçant l’alto de Joao Guimaraes et le batteur Marco Franco au lieu de João Pais Philippe, le trompettiste Luis Vicente, le guitariste Marcelo Dos Reis et le bassiste José Miguel Pereira assurant si on veut la continuité évolutive du projet. On entre de plein pied dans l’activité expressionniste d’un free-free jazz bouillonnant (01 Ground Floor et 02 Rise Up) dans lequel des idées orchestrales / sonores éclosent subtilement une fois l’énergie consumée : 03 Falling Stars. Dans ce morceau, des notes tenues se maintiennent sur la ligne de flottaison alors que des bulles sonores (Vicente) éclatent subtilement sur la surface des eaux troubles. Un solo de guitare étrangement bluesy surnage entouré de souffles étouffés et d’étranges sifflements. La sonorité du groupe se déplace vers l’improvisation à base d’effet sonores et d’exploration d’un no man’s land formel où chacun, percussionniste, bassiste, trompettiste, guitariste et saxophoniste explore textures, timbres, « techniques alternatives » dans un remarquable continuum collectif. Impossible de déterminer qui joue quoi (14 :50). Soudainement, 04 Sky Fall explose : le ton précédent est conservé et le trompettiste ricochète et crache/vocalise dans on embouchure alors que son pavillon sature. Le guitariste bat la cadence sourde en isorythmie alors que le sax grinçant fait rager la colonne d’air. Fail Better manigance un agrégat sonore bouillonnant qui chavire vers la quarante deuxième minute de ce concert. Émotions de vivo. Les Fail Better ! ont le chic de couronner la performance dans un tout autre registre fait de bruissements inquiets, d’étirements de la matière sonore : un dialogue Vicente – Cirera en duo part en spirale avec des attaques désarticulées une fois que les acolytes se mettent à frotter, grincer, tournoyer. Vocalisations irréelles des deux souffleurs qui s’estompent peu à peu. Une musique communale, spontanée, fureur de l’instant et déperdition d’énergie ad libitum. Une certaine cohérence dans leur démarche organique et ouverte apporte une véritable authenticité. Poésie des sons en liberté.

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