1 décembre 2018

Runcible Quintet : John Edwards - Marcello Magliocchi - Neil Metcalfe - Adrian Northover - Daniel Thompson/ Steve Gibbs & Christian Vasseur/ Frederik Leroux & Kris Vanderstraeten / Sophie Agnel - John Edwards & Steve Noble

The Runcible Quintet Four : John Edwards Marcello Magliocchi Neil Metcalfe Adrian Northover Daniel Thompson FMR CD489-0618 

 Pourquoi ces artistes improvisateurs travaillent-ils ensemble ? C’est parfois une question que l’on se pose sans être certain de trouver une réponse valable, car les voies de cette musique librement improvisée sont parfois – souvent impénétrables, même pour ses praticiens. Expérience, background, références, études, autodidacte, amitié, rencontre etc…. John Edwards et Adrian Northover ont joué longtemps dans le groupe B-Shop for The Poor (avec David Petts dans les années 80-90) bien avant que John ait émergé comme contrebassiste de choc avec Evan Parker, Coxhill, Butcher, Lovens etc... On les retrouve depuis peu dans les Remote Viewers avec David Petts, le compositeur du groupe. Neil Metcalfe, flûtiste de jazz webernien et un des musiciens favoris de Paul Dunmall, un des plus grands saxophonistes vivants, entretient une relation étroite avec le guitariste acoustique Daniel Thompson. Adrian qui a joué intensivement avec Daniel (deux albums à leur actif), est un saxophoniste issu du jazz (John E joue dans ses projets) et passionné par la polytonalité avec son saxophone soprano. Neil Metcalfe et lui ont réalisé que leur appétit de microtonalités (altérations minimes et précises des intervalles de notes créant de « nouvelles »  gammes ) convergeait vers une véritable synergie. Neil et Adrian ont siégé à quelques dizaines de centimètres de Lol Coxhill au sein du London Improvisers Orchestra durant une décennie et cela a sans douté été une influence. L’instrument de Neil, une flûte baroque, permet de modifier très légèrement la hauteur des notes, créant l’aura particulière de ses improvisations mélodiques inspirées du dodécaphonisme, immédiatement reconnaissables. Adrian Northover se sent donc très concerné par la subtile sensibilité du flûtiste. À la recherche de collaborateurs à la hauteur de son talent et plus particulièrement d’un percussionniste, le hasard a mis Marcello Magliocchi sur sa route, un batteur jazz professionnel et improvisateur de haut vol, Pugliese vivant près de Bari dans le talon de la botte italienne. Une fois que la crème des percussionnistes londoniens jeta son dévolu sur quelques camarades saxophonistes incontournables, cela devient compliqué et illusoire pour quelqu’un d’aussi doué (le jazz moderne, Mingus, Monk, Konitz ou Desmond ont peu de secrets pour Adrian et il souffle régulièrement avec des musiciens traditionnels d’Inde du Nord ou de Turquie). Mark Sanders joue avec Dunmall, Parker, Butcher etc… Steve Noble jouait avec Coxhill et Simon Rose, et joue avec Alan Wilkinson, Brôtzmann, Parker et Roger Turner avec Coxhill et Urs Leimgruber. Et donc, la rencontre de Northover avec le percussionniste Marcello Magliocchi en 2015 fut une aubaine pour chacun d’eux. Batteur rompu aux rythmes les plus diversifiés, MM est le compagnon de Roberto Ottaviano depuis les années 70. Il a longtemps joué dans les tournées d’Enrico Rava, et de ces pianistes italiens en or massif, Franco D’Andrea, Enrico Pieranunzi et Stefano Bollani dans le Sud de l’Italie de festivals en concerts prestigieux. On l’a entendu avec Steve Lacy (il avait 19 ans), Mal Waldron, William Parker. Marcello a développé une capacité d’improviser librement en utilisant ses talents de batteur, beaucoup de logique et sa sensibilité imaginative. On songe à l’approche de Paul Lovens ou de Martin Blume. Les paramètres sonores et la géographie de la batterie sont altérés, chamboulés et en perpétuelle mouvance. Une grosse caisse de la taille d’un tom moyen, un hi-hat miniature, une cymbale rectangulaire créée par UFIP à sa demande et des accessoires originaux. Sa gestuelle intégrée à la moindre de ses intentions en impose immédiatement. Une prolifération de sons métalliques et de crépitements délicats, de frappes millimétrées et asymétriques, amorties, finement accentuées, alternant accélérations et ralentissements de leurs fréquences – battements dans des incurvations magiques. Dans ce sous-bois bruissant de timbres feux follets insaisissables, les sautillements arachnéens des cordes de Daniel Thompson et ses timbres pointillistes s’échappant hors de toute logique guitaristique dans le flux sauvage et étonnamment maîtrisé du Runcible Quintet,  traduit sur sa guitare la déraison Magliochienne et crée un  paradoxe avec la puissance des doigts surpuissants sur la touche du magistral John Edwards, un des contrebassistes les plus physiques et le moins référentiel par rapport à tous ses illustres collègues qui font la gloire de l’instrument dans l’univers de l’improvisation libre. Les gestes tous azimuts du batteur italien sont mus par un sens infaillible du rythme et des pulsations. Cette qualité innée acquise par le travail de toute une vie, cette disposition du cœur parle à celui du contrebassiste lequel est gros comme çà. D’ailleurs, John Edwards ne joue que dans les morceaux 3 et 4 ouvrant par son absence un champ à la sagacité de Daniel Thompson dans les deux premières improvisations. À quatre, on s'enfonce dans une jungle éthérée où s'évanouissent les références. Chez ces cinq, il y a une obstination à se remettre à l’ouvrage sans faiblir et en assumant leur choix.  Ce quintet  ludique est un challenge et une mise en commun poétique des sons et des phrases musicales qui renvoient sans doute à l’idéal traqué sans faiblir par John Stevens et le Spontaneous Music Ensemble. À écouter très fort au casque, leur volume étant loin d’être excessif, insect music oblige. Vouloir jouer à cinq une musique libre multiplie les problèmes d’agencements des sons, des textures, des élans et parasite les détails du jeu de l’un ou l’autre. Comment s’accorder dans une conversation à cinq où le dénominateur commun se rétrécit en fonction des personnalités différentes et d’inévitables divergences ? Le discours individuel est tributaire de la masse critique du collectif qui occulte certaines ocurrences  ludiques, mais dans les vagues et soubresauts infinis, on découvre des perspectives folles que j’aurais souvent peine à décrire. Des formules instrumentales en duo ou en trio permettraient à chacun une plus grande lisibilité qui éclairerait leur savoir faire individuel pour sanctifier le talent de chaque « soliste », c'est une évidence. Mais pourquoi faire simple ? Avec ces cinq-là enchevêtrés - hérissés dans l'effort et leur foi de charbonnier, le jeu en vaut la chandelle. Brûlons une bougie à St Thomas… sur l’autel ses soutiers de la free-music ! 

FWWU Steve Gibbs – Christian Vasseur Jungle Gentle Jig Alina Records.

Download gratuit qui ravira tous les amateurs de guitare folle, acoustique bien sûr, mais préparée avec on ne sait quel objet (aiguilles à tricoter ?), pincée, grattée, frottée et résonnante. Steve Gibbs (Bruxelles) et Christian Vasseur  (Lille) jouent respectivement de la guitare classique 8 cordes, objets, voix (SG) et de l’archiluth 12 cordes, objets, voix (CV). Tous deux ont un solide pedigree dans le domaine de la guitare classique, contemporaine, du luth baroque etc… et ont un faible pour les extemporisations bruissantes et l’art de transformer leurs vingt cordes combinées en machine à bruit, les réaccorder dans des gammes surprenantes, et d’en jouer avec des objets insolites. S’ajoutent à leur pandémonium leurs voix inintelligibles, des moulinets au bottleneck sarcastiques. Ça frise fréquemment le bordélique, mais avec goût. Comme ce qui ressemble à une harpe déglinguée en glissandi foutraque dans Tottooed Tit Toot, jouée à quatre mains avec une synchronie télépathique. On ne va pas se référer à Derek Bailey, Fred Frith, Keith Rowe, Chadbourne ou Hans Reichel pour faire sérieux ou joli, mais constater qu’ils ont une solide imagination et surtout qu’ils jouent comme si leurs cerveaux, leur imagination et leurs gestes d’instrumentistes et ne faisaient qu’un, du moins se complètent dans leur fantaisie débridée. Sérieux s’abstenir. Chaque pièce offre une musique originale et une démarche différente avec des titres un brin surréaliste. Un super album pour découvrir les cordes pincées autrement. Pincez-vous !

Frederik Leroux & Kris Vanderstraeten zonder webben Aspen 004

Je connais le percussionniste Kris Vanderstraeten depuis des décennies, il est sans doute un des deux ou trois improvisateurs avec qui j’ai le plus joué à la guitare et ensuite chanté dans ses différentes demeures (Louvain, Heverlee, Veltem, Zichem et Herent) et dans quelques concerts des années 80, 90, etc… avant de lancer notre trio Sureau avec le contrebassiste Jean Demey. Kris est aussi un artiste graphique de grand talent. Ses dessins ont illustré quelques uns de nos / mes albums et des centaines d’affiches de concerts de jazz et de musique improvisée. À ma connaissance, c’est un des rares connaisseurs et praticiens belges d’improvisation libre à s’être impliqué sans interruption pour cette musique depuis les années 70 en s’intéressant le plus possible à la diversité de la scène. Frederik Leroux est un remarquable guitariste de jazz professionnel et enseignant qui pratique l’improvisation libre par goût et avec beaucoup d’enthousiasme. Je découvre le jeu de Kris au plus près des micros se mêlant adroitement avec les infimes détails des manipulations sonores du guitariste. C’est très fin du début jusqu’à la fin. Frederik Leroux exploite intelligemment les multiples possibilités de la guitare électrique sans élever le ton. On est plus proche ici du volume et de la dynamique de Derek Bailey, Ian Brighton ou Fred Frith que de Sonny Sharrock ou Hendrix. Tout en s’écoutant très attentivement,  les deux artistes explorent et font vivre les sons avec un sens presqu’infini du détail en jouant calmement avec une certaine douceur tout en étant relativement bruitiste. Il faut nécessairement une écoute approfondie au casque pour découvrir ces sons qui se cachent derrière les autres et qui surgissent de nulle part, parfois dans une fraction de seconde. Question dynamique, c’est un modèle du genre. Le guitariste a vraiment compris tout le parti qu’il pouvait tirer de son partenaire tant leurs improvisations s’interpénètrent avec succès. En musicien accompli, Leroux propose des idées de jeu différentes sur une ou deux plages maintenant l’attention de l’auditeur et en assurant la cohérence musicale du projet. Il y a des tonnes de percussionnistes en musique improvisée et beaucoup  sont des batteurs professionnels qui ont parfois de la peine à évacuer des relents de batterie « normale » et qui tapent  toujours un peu trop fort. Kris avait étudié les rudiments de la batterie et s’est ensuite ingénié à construire une installation personnelle atypique et évolutive. Elle est faite d’une grosse caisse assemblée avec seulement les deux peaux et leur bords collés l’un à l’autre en excluant le fût sur le quel sont montés des accessoires tels que tambour chinois, woodblock, deux toms jouets, objets métalliques, gadgets. Une caisse claire souvent amortie avec un tissu ou des plaques et une cymbale Paiste assez fine avec une résonance intime et limitée. On trouve aussi un vieux globe terrestre, une guitare électrique Hohner / Steinberger en bois brut couchée et une quantité exponentielle d’objets les plus insolites (parfois motorisés) et malgré tout le sérieux auquel il s’applique, il y a un côté humoristique pince-sans-rire un peu involontaire. Son jeu exerce une fascination indiscutée sur les connaisseurs ou les néophytes et cela lui vaut d’être fréquemment invité dans le Nord de la Belgique par plusieurs artistes et organisateurs sérieux. À mon avis, le jeu intuitif  de ce poète de la percussion, a des qualités essentielles similaires à celles des meilleurs praticiens réputés et qui crée un univers très personnel. Comme disait en français un percussionniste professionnel de l’improvisation « Kris c’est comme la pluie », dans la nature voulait-il dire. Un excellent duo qui aborde une dimension capitale dans le domaine de l’improvisation libre, la dynamique. Disponible en cd et en vynil. 

Aqisseq Sophie Agnel John Edwards Steve Noble ONJ Records

Trois parmi les improvisateurs qui comptent aujourd’hui. Sophie Agnel, piano, John Edwards, contrebasse et Steve Noble, percussions. Le travail sonore de Sophie Agnel dans les cordes du piano et leurs résonances dans la caisse est devenu une référence comme l’a souligné l’extraordinaire duo avec Phil Minton, Tasting (another timbre) il y a déjà dix ans. Edwards et Noble ont collaboré dans de nombreux projets et c’est en compagnie de la pianiste qu’ils dévoilent leur sensibilité pour le sonique, l’invention bruissante. Le trio privilégie la mise en parallèle des improvisations individuelles alimentant chacun leur propre cadence personnelle en combinant les divergences de leurs modes de jeux respectifs, créant des coïncidences inattendues. La batterie est en partie encombrée d’objets percussifs et tout courts et de cymbales et gongs que Steve Noble enfonce sur les peaux. John Edwards frotte ses cordes avec des timbres boisés et presque grinçants en faisant trembler le plancher ou percute puissamment la corde et la touche comme si c’était la grosse caisse. Tout cela convient bien aux préparations de la pianiste et aux mouvements adroits dans la table d'harmonie, entre marteaux, cordes,  étouffoirs, parois et structure métallique. L’aspect sauvage des empoignades au clavier d’Agnel pirouette des répétitions d’accords distendus ou consonants selon l’angle de vue ou des fracas soudains. Le friselis minimal côtoie la bourrasque, le perlé du toucher au clavier se mêle aux glissandi du gong et des cordes du piano et les ongles du bassiste grattent avec application une corde étranglée. Ad infinitum. Deux improvisations de 17 minutes enregistrées au Brighton Alternative Jazz Festival en septembre 2016 et un bref encore à Nickelsdorf dont il est impossible  de faire le décompte de tous les mouvements sans devoir réécouter encore avec un plaisir croissant. Album court mais qui contient les trames et la densité suffisantes pour qu’on s’égare indéfiniment dans le cheminement de leur interaction instantanée complètement ravi. 
Petite remarque : l'improvisation radicale s'invite dans une institution comme l'ONJ (Orchestre National de Jazz). Tant mieux !

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