The Balderin Sali Variations : Matthias Bauer Emilio Gordoa Teppo
Hauta-aho Veli Kujala Paul Lovens Libero Mureddu Dag Magnus Narvesen Evan
Parker Harri Sjöström Sebi Tramontana Philipp Wachsmann Leo Records double CD LR 870-871.
Non, vous ne rêvez pas ! Un tel
rassemblement d’improvisateurs à-la- Company.
Non, ils ne jouent pas toujours tous ensemble : un seul tutti pour chacun des
deux CD's. En début du premier (Balderin Sali 1, 12 :58) et en fin du
second (Balderin Sali 13, 12 :41). Pour le reste, onze improvisations en
duos, trios, quartettes etc... répartis de manière équilibrée en offrant des
configurations instrumentales différentes. L’accordéoniste Veli Kujala en duo
avec Harri Sjöström ou Evan Parker, le vibraphoniste Emilio Gordoa avec le
bassiste Teppo Hauta-aho, le batteur Dag Magnus Narvesen et Evan Parker. Paul
Lovens avec le pianiste Libero Mureddu
et le tromboniste Sebi Tramontana. Gordoa, Mureddu et le violoniste
Philipp Wachsmann ou le contrebassiste Matthias Bauer avec Narvesen, Parker,
Sjöström, Tramontana et Wachsmann etc… Il y eut sans doute d’autres
combinaisons lors de ces concerts du 8 et 9 septembre 2018 à Helsinki. La
sélection proposée offre sans doute les morceaux ou extraits les plus
convaincants. Saxophone ténor, deux sax soprano, trombone, violon, deux
contrebasses, deux percussions, un accordéon, un piano et un vibraphone, de
quoi faire des Variations avec une
instrumentation changeante. Des vétérans (Parker, Lovens, Wachsmann,
Hauta-aho), des « jeunes » (Narvesen, Gordoa, Libero Mureddu) et des
entre les deux (Bauer, Kujala). Il manque des joueuses, mais une belle
diversité quand même : Finlandais, Mexicain, Allemand, Norvégien,
Italiens, Britanniques. Un fil conducteur, la libre improvisation et aussi
l’alternance des deux saxophonistes aisément reconnaissables entre eux sur huit
morceaux. De beaux échanges. Les mauvaises langues diront que ces sentiers sont
battus et rebattus. Je répondrai que dans le flux intarissable des nouveaux projets
« identifiables » et
enregistrés que de nombreux artistes lancent sur le marché des concerts,
clubs et festivals, depuis quand avons nous l’occasion d’entendre sur deux
compacts bien fournis des libres associations instantanées entre improvisateurs
et souhaitées par chacun d’eux ? C’est ici que l’éphémère et le
« parfois » miracle se révèle dans son unicité, dans le sens de
l’imprévu, de la rareté. Un éclair de bon sens : ah oui X, Y et Z :la
plus belle constellation auquel personne n’avait songé. Les compétences de ces
musiciens le permettent de calibrer leurs extravaganzas dans des durées
moyennes entre les sept et douze minutes et de créer très souvent un momentum,
un événement sonore remarquable sans devoir s’échauffer et ni tâtonner. Du sur
mesure dans l’imprévu, une réaction immédiate dans l’instant. On y découvre
toutes sortes d’atmosphères, d’intensités, de langueurs et de trouvailles. Une
manière de dialoguer qui se renouvelle et évolue de plage en plage. Le n°5, par
exemple, est une petite merveille de métamorphose des sons : l’accordéon
de Veli Kujala, la contrebasse de Teppo Hauta-aho et la percussion de Paul
Lovens nous font oublier l’instrumentation et ses caractéristiques propres pour
un joyeux kaléidoscope de sons en liberté s’affranchissant des langages codés
ou de ce qui semble libéré des conventions en se promenant comme dans un rêve. Le
deuxième cd débute avec une nouvelle édition de Quintet Moderne où Sebi Tramontana remplace Paul Rutherford auprès
de Teppo Hauta-aho, Paul Lovens, Harri Sjöström et Phil Wachsmann pour une improvisation collective véritablement réussie. Lovens y déconstruit le
drumming conventionnel pour passer en revue des frappes, grattements,
grincements, sifflements transformés en tracés pointillistes , ondes sonores,
couleurs cuivrées, … Un duo Parker-Wachsmann nous fait regretter qu’ils n’aient
pas encore publié un album en duo. Pour
ces raisons et bien d’autres, je décrète que la parution de ces Variations de Balderin Sali est
salutaire.
Eugene Chadbourne Duck Baker Randy Hutton The Guitar Trio in Calgary 1977 Emanem.
En 1977, nous étions en train d’écouter,
réécouter, décortiquer Lot 74,
Improvisations, the London Concert de Derek Bailey que déjà sur le
continent américain Eugene Chadbourne créait son propre univers. Je découvrirai
quelques années plus tard ce Guitar Trio dans un album de Chadbourne, Guitar Trios (Parachute P-003) dont la
face A réunissait Eugene, Henry Kaiser et Owen Maercks aux guiatres électriques
la face B, les musiciens suscités en tout acoustique : Randy Hutton,
Richard Duck Baker et E.C. Cette face B est ici rééditée (Two Peafowl version studio 27 :
22), il s’agit du dernier morceau de ce nouveau CD
Emanem 5049 que je vous recommande vivement. Emanem fut le label qui fit un tabac
avec le Duo d’Anthony Braxton et Derek Bailey, réédité à plusieurs reprises, et
le fabuleux solo de Derek, Domestic and
Public Pieces. Par la suite, Martin Davidson, le boss d’Emanem, publia des
albums en pagaille de Roger Smith, de John Russell et l’inoubliable perle
acoustique d’Elliott Sharp, The Velocity
of Hue. Créant ainsi un
engouement sans précédent pour l’improvisation radicale à la guitare souvent en
solo, Derek Bailey, sa pratique musicale et ses enregistrements ont poussé de
nombreux jeunes auditeurs enthousiastes de l’époque à partir à la recherche d’autres guitaristes étranges et innovateurs en solo bien souvent, lesquels
furent sans nul doute encouragés à développer leur propres univers musicaux à
la six cordes grâce à son exemple intransigeant. Fred Frith, dont deux albums présentaient aussi le travail
d’autres collègues (Hans Reichel, Derek Bailey, G.F. Fitzgerald, entre autres), Hans Reichel,
Raymond Boni, Ian Brighton, Eugene Chadbourne, Henry Kaiser, Davey Williams. De tous les albums de cette époque, je pense
que ce magnifique Guitar Trio 1977 vaut
vraiment le détour et devrait figurer en tête de liste des incontournables aux côtés du Spanish Guitar de Roger Smith, Domestic and Public Pieces de Bailey ou Le Soleil l’Arbre le Béton de Raymond
Boni etc… Leur musique est un superbe
exemple des possibilités de la guitare acoustique dans le domaine du free-jazz. Duck Baker, qui joue une acoustique en
nylon, en fait la démonstration la plus convaincante qui soit dans White
with Foam, une composition personnelle de 2 :51 pleine d’un swing
décalé ahurissant et qui devrait figurer dans une anthologie. Des doublements
de tempo avec descente chromatiques, accents marqués en tempo élastique et
intervalles casse-cou à faire pâlir les exégètes de Django et de Egberto
Gismonti.
Il y a aussi
Cards de Roscoe Mitchell,
un solo d’Eugene Chadbourne bien enlevé où on entend poindre la personnalité du compositeur. Ces deux solos permettent de situer le
style de chacun et d’extrapoler celui de Randy Hutton qui n'apparaît que dans
les pièces en trio. EC et DB jouent aussi en duo sur Mary Mahoney. Même si de nombreux passages de Two Peafowl ont de fortes
accointances avec la free music librement improvisée européenne, on pourrait
qualifier pratiquement tous les morceaux ici joués de free – jazz. En effet,
outre le Cards de Roscoe Mitchell qui a une carrure musique
contemporaine, on a droit à un mystérieux Ornette Coleman Mashup, variation
cubiste en medley avec Lonely Woman
et Comme Il Faut d’Ornette et le Song
For Che de Charlie Haden.
Étrange. Pour démarrer, on a droit à un super morceau entraînant de la
plume de Randy Hutton, KJ is a DS. Dès les premières mesures (vite chahutées, bien
entendu), on sait directement qu’on a affaire à des pointures qui déménagent en
acoustique comme rarement on avait pu l’entendre avant eux. La coordination
entre les trois guitaristes laisse rêveurs. La version live de Two
peafowl en 2/ est nettement plus courte (11 :11). Cette pièce est
une suite dans laquelle les trois guitaristes interprètent assez librement les
instructions souvent très contrastées de Chadbourne. On est ici dans une
démarche plus musique contemporaine qui fleure bon le délire de la free-music
made in Europe, même si le parfum expressionniste est indéniablement américain.
On les y entend aussi glisser de concert
leurs doigts mouillés sur la surface de leur caisse, ce qui produit des sons
vocalisés. Bref, un album haut de gamme qui n’est pas qu’un album d’archives, et aurait mérité véritablement une publication à l’époque. Je dirais même qu’il
est largement plus intéressant que le premier album d’Eugène pour Parachute –
P-001. À écouter attentivement,
passionnément et…
Anton Mobin
Benedict Taylor Close
/ Quarters New Wave of Jazz nwoj/0021
New Wave of
Jazz, le label du guitariste Dirk Serries prend une orientation vraiment
intéressante, mettant entre autres l’usage du bruit, des sons produits par des
instruments détournés de leurs conventions ou de leur usage traditionnel ou par
des instruments, inventés – construits avec des objets et éventuellement
amplifiés. Et Close / Quarters est à cet égard plus que digne d’intérêt.
L’artiste sonore français Anton Mobin
joue d’une prepared chamber, ou en
français, une chambre préparée. Il s’agit d’une caisse en bois rectangulaire
ouverte par le dessus et qui sert à la fois de support et de caisse de
résonance d’une installation d’éléments métalliques, plastiques ou de matières
diverses, ressorts de toutes formes et dimensions, tiges, fils tendus sur les
parois, objets. Ceux-ci sont amplifiés au moyen de micro-contacts avec un sens
de la dynamique et actionnés au moyen des doigts, d’objets, brosses, tiges,
etc… et produisent des sons, des timbres, des textures. Frottements,
percussions, agitations, grattages, picotements, secouages, tensions ou
relâchements subits de cordes, sonorités industrielles ou parfois quasi-vocales
concourent à créer un univers sonore bruitiste distinct de celui d’un
instrument de musique. On devine la surface de ces objets, tour à tour leur
grain, la densité, leur épaisseur, leur légèreté, la volatilité. On songe bien entendu à Hugh
Davies, un artiste exceptionnel dont il fait revivre l’esprit autant que le
fort contenu signifiant. L’altiste Benedict Taylor improvise en trouvant
le parfait contrepoint, la dynamique idéale, et nous fait découvrir les
ressources sonores étendues de son jeu exploratoire. Il transforme le timbre de
son alto en forçant ou relâchant le frottement de l’archet, frappant avec le
bois de celui-ci sur les surfaces de l’instrument, jouant en frôlant les cordes
de la point de l’archet, vocalisant avec une qualité timbrale en constante variation
et des secousses légères par dessus le chevalet. Il pratique un jeu à la fois
très rapide avec des changements subits d’intensités, de cadences, et une
concentration maniaque du détail, sur un son particulier, des grincements qui
nous parlent. Il possède une « voix » personnelle immédiatement
identifiable, autant que ses meilleurs collègues comme Mat Maneri, Szilard
Mezei ou Charlotte Hug, tous altistes comme lui, ou comme des violonistes de
l’envergure de Phil Wachsmann ou Malcolm Godstein. Mettant à l’écart la
virtuosité trop évidente, il se consacre à trouver les sons les plus adéquats
avec un sens du timing remarquable pour s’insérer, interpénétrer les
ronflements, secousses, tremblements, étirements de son collègue, tout en se
servant de sa profonde science harmonique. Il offre ainsi une vision
instrumentale idéale pour le l’univers bruitiste insolite et curieux d’Anton
Mobin. J’avais déjà entendu leur précédent opus, Stow Phasing pour le label Raw
Tonk. Close / Quarters atteint une dimension supérieure.
Vraiment
leur duo est une affaire à découvrir, à suivre, à réécouter, à méditer. Toutes
mes félicitations !
Music for Bass Clarinets Christian
Wolff Iancu Dimitrescu Thanos Chrysakis Hannes Kerschbaumer Georges Aperghis. Jason Alder Chris Cundy Tim Hodgkinson
Heather Roche Yoni Silver Shadanga duo Aural Terrains TRRN 1341 http://auralterrains.com/releases/41
Compositions
de Wolff, Dimitrescu, Chrysakis, Kerschbaumer et Aperghis.
Interprètes selon les morceaux : quintet ou quartet de clarinettes
basses : Alder, Cundy, Hodgkinson, Silver et Roche pour Isn’t This A Time
de Wolff et Gnomon de Chrysakis. Hogkinson solitaire à la clarinette pour Nuclear Aura de Dimitrescu, Shadanga
Duo, soit Alder à la clarinette alto et Katalin Szanyi à la flûte alto pour gryet.debris de Kerschbaumer et Entwined Equinox de Chrysakis. Yoni
Silver seul à la clarinette basse pour Simulacre
IV d’Aperghis.
J’apprécie
les ensembles subtilement décalés des clarinettes basses chez Wolf, une
composition qui découpe et restructure le temps, la durée avec des mouvements
amples et verticaux. La Nuclear Aura
de Dumitrescu, avec qui Hodgkinson a travaillé il y a quelques années à
Londres, est l’occasion de redécouvrir ce musicien à la clarinette en solo.
Onze minutes dans lequel il nous fait découvrir le spectre sonore de quelques
notes en intensifiant ou altérant la dynamique, glissant très lentement une
note aigue ou cherchant d’un seul trait une
harmonique secrète. D’un rien, d’un glissement, d’un effort subit surgit
une ombre, un cri, une lumière diffuse. Gnomon
de Chrysakis, le responsable d’Aural Terrains, est le point de rencontre de
notes tenues, de voicings fantômes, d’insistants grasseyements, répétitions
d’une note sous différentes attaques… à deux ou trois voix simultanées qui
passent de main durant toute l’exécution.
Les sons et les timbres flottent dans l’espace tel un nuage en
transformation permanente. Je pourrais continuer à décrire cet album singulier.
Je veux en signaler la cohérence des compositions les unes par rapport aux
autres, complémentant chacune le propos de la précédente sous un autre angle,
d’autres impressions. Les deux pièces allouées au Duo Shadanga mettent en
valeur la volubilité et les registres secrets des flûte alto et clarinette alto,
une combinaison instrumentale à laquelle il fallait penser et qui ouvre un
autre champ des possibles et un agréable contraste avec le côté sombre presque
macabre des basses. Harmoniques fantomatiques… Quant à Yoni Silver sa maîtrise
des alternances d’intensité d’une note à l’autre, d’un staccato précis et
soudainement interrompu mettent en valeur les pépiements vocalisés qui
s’insèrent mystérieusement dans le phrasé instauré au début de la partition. Le
développement d’Aperghis consacre une vision musicale empreinte de recherches
sur le langage, la prononciation, syllabes immatérielles qui s’évanouissent...
Dans le
prolongement de la série Music for…. d’Aural Terrains , un album
excellemment conçu, réalisé et vécu avec des musiques de compositeur essentielles.
À recommander.
PS - D’autres
albums de cette série ont été chroniqués ici récemment. Il y eut Music for Two Organs and Two Bass Clarinets avec Peer Schlechta, Thanos Chrysakis, Chris Cundy et Ove Volquartz, et Music For Baritone Saxophone, Bass Clarinets and Electronics with Jason Alder, Thanos Chrysakis, Caroline Kraabel et Yoni Silver.
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