Trompettiste à la fois expressif et retenu, Brian Groder a le chic d’écrire des compositions swingantes et recherchées qui vont comme un gant à la formule instrumentale choisie, le trio trompette, contrebasse et batterie. Le contrebassiste Michael Bisio et le percussionniste Jay Rosen, ses comparses habituels sont des musiciens improvisateurs de jazz superlatifs. Depuis l’époque où il jouait avec Ivo Perelman , Dominic Duval, Joe Mc Phee ou Sonny Simmons, Rosen a encore bonifié son jeu et sa précision, créant un bel espace pour la contrebasse puissante et chaleureuse de Michael Bisio, un compagnon de Perelman, Matt Shipp, Mc Phee etc… Plutôt friselis et balais que roulements en variant son jeu dans les détails d’une pièce à l’autre… À la fois élégant, lyrique et mesuré le jeu de Brian Groder se distingue particulièrement par la manière de faire chanter son instrument et de développer son matériel sans fioriture et avec une tendresse pour le timbre de l’instrument. Ses improvisations prolongent adroitement la thématique et le canevas mélodique. Il peut accélérer le débit en sautant d’un accord à l’autre, lorsque le drive du batteur conjugue des rythmes croisés à bonne allure et jouer tout en laissant son acolyte s’exprimer en première ligne. La plupart de ses improvisations sont épaulées et agrémentées par une puissante partie de contrebasse jouissive et enthousiaste, superbement musicale dans le sens de l’improvisation authentiquement collective. La sûreté du tempo dans les différentes cadences et type de pulsations fait merveille. Sans jouer au cordeau et en force, les trois musiciens développent une belle énergie. Le trompettiste a réellement une voix personnelle aisément reconnaissable qui, puisant dans le lignage de la trompette jazz, cultive son propre style avec une sonorité et des intervalles spécifiques. Du Brian Groder, tout simplement. Rappelons qu’il avait enregistré un bel album avec Sam Rivers en personne et cela signifie beaucoup. Ses compositions font allusion « aux mots oubliés de nos grands-parents qu’ils utilisaient pour décrire le monde de la nature qui les entourait ». Un beau disque de jazz moderne sans prétention mais profondément juste et pleinement ressenti.
En compagnie d’un batteur échappé du jazz, Gilles Dalbis, Raymond Boni nous livre une collaboration bien sentie avec sa guitare branchée sur des effets, loops, pédales créant une expression multiple en variant les effets sonores, en se mouvant avec une belle assurance rythmique sur les vagues des moulinets du batteur et une cohérence dans l’usage dosé et millimétré des différents types de sonorités électriques – électroniques. Un fameux jongleur. Dalbis joue l’essentiel en variant continuellement pulsations et balancements, laissant le clair de l’espace sonore aux métamorphoses du guitariste. Cette musique devrait attirer les amateurs de rock prog audacieux et de la mouvance post-rock. Boni ne peut s’empêcher aussi de faire vibrer l’air dans les anches libres de son harmonica avec une expressivité inspirée free vraiment emballante. Je dois dire que cette approche pédalière de la guitare n’est au départ pas ma tasse de thé, mais il faut avouer que le métier et l’inspiration de Boni et la spontanéité et la solidité rythmique de Dalbis dans ces excursions emmènent sûrement l’attention de l’auditeur dans les méandres de leur imagination. La gamme « psyché » de Selenite Blues et le phrasé impétueux oriental du guitariste font preuve d’originalité : du Boni assumé. On voudrait entendre une influence flamenca, je dirais plutôt un avatar destroy du sitar indien. Boni manie l’électricité avec une belle lisibilité jouant des sons électroniques qui se distinguent en deux voix simultanées et différentes via son ampli. C’est exécuté avec une belle précision et une solide maîtrise qui ferait rougir une armada de casse-pieds de la six cordes y compris des pointures internationales qui s’essaient au noise. Boni, tout poète qu’il est, est un maître du noise avec-de-la-dynamique et un superbe découpage du son qui confère à ses « divagations » une redoutable efficacité. La qualité de l’enregistrement rencontre parfaitement les intentions des deux artistes. On applaudit.
Squidlux Wolfgang Seidel Adam Goodwin Samuel Hall Philippe Lemoine Creative Sources CS279 CD
2015, ça fait déjà un bail. Mais Philippe Lemoine, sax ténor improvisateur de talent, m’a envoyé cet ovni bien dans la lignée Creative Sources. Adam Goodwin joue de la contrebasse, Wolfgang Seidel des synthés, guitare préparée, percussion, batterie, vibraphones et Samuel Hall, batterie, percussion, objets et vibraphones. Le son du groupe est composite, mouvant, insituable, fait d’électricité, de frictions de la guitare couchée, de sonorités bruitistes avec le grondement rauque du sax ténor qui surgit entre les effets sonores. Typique d’une démarche déstabilisante, « industrielle », caverneuse, grouillante, électro. Pleine de bonnes choses. Question articulations hachées et sonorités « sales » morsures du bec et harmoniques, volutes aériennes, le saxophoniste est excellent dans son rôle avec de tels trouble- fêtes. Un Warne Marsh cosmique pointe son nez par-dessous sur l’électricité saturée et mordante du guitariste (noise) et le foisonnement léger de bruissements et froissements subtils. Richesse sonore et direction indéfinie qui si elle ne crée pas à proprement de surprises, pose des questions et relance l’attention. Le saxophoniste prend le parti de soloïser free en survolant les éléments un peu chaotiques et les roulements constants d’un des batteurs. Trouble, étrange, déconstruite, hybride la musique de Squidlux se refuse à adopter une esthétique franchement, mais agglutine des pratiques, des sons, des univers sensibles. Recherche de sons méritantes et imbrication réussie, sons frottés de percussions... Lemoine s’avance de plus en plus convaincant , la sauce prend et la musique prends corps. Une belle ambiance …
Jazz ? Sautillant avec des idées originales. L’excellent violoncelliste d’avant-garde Hugues Vincent, révélé dans le quartet de violoncelles octopus (avec Elisabeth Coudoux, Nathan Bontrager) et avec des cds improvising beings : Fragment en duo avec le violoncelliste Yasumune Morishige ou Tagtraum avec le pianiste John Cuny, deux pépites radicales du label tout terrain de Julien Palomo. Six pièces composées par Kumi Iwase, souffleur capable au sax alto et à la clarinette, et deux par Vincent. Le batteur Colin Neveux fait tout à fait l’affaire. Quelques incursions dans le sonore (Conte de fée) , allusion à un compositeur hongrois (Bar Tock), écriture originale (Saute-Mouton), riffs efficaces et amplification destroy (Distance), contorsions free (le même Distance), emboîtements de thèmes de rythmes, d’effet sonores, médiévalisme assumé, et ensuite, fragmenté/ accéléré (Yasaiologie). Pas la révolution, ni du jazz fascinant, mais une sorte de saute-mouton ludique et des contrepoints - guigues efficaces au tempo bien placé avec des changements de décor subits. Rafraîchissant, amusant, une manière de folklore imaginaire pour le plaisir de jouer ensemble et de surprendre au moins une fois ou deux par morceau. Pas vraiment prévisible, et facétieux. Auto-édition sans prétention qui a le bonheur de déniaiser la pratique du jazz sans se (la) prendre au sérieux. Inventif.
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Bonne lecture Good read ! don't hesitate to post commentaries and suggestions or interesting news to this......