10 octobre 2021

Birgit Ulher & Petr Vrba/ Jerome Bryerton & Damon Smith/ Roger Turner & Kazuo Imai/ Miako Klein Magda Mayas Biliana Voutschkova/ Samuel Rodgers – Richard Scott

Schallschatten Birgit Ulher Petr Vrba inexhaustible editions ie – 043
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/schallschatten

Deux trompettes ! Et tous les effets sonores possibles, imaginés, trouvés par hasard ou convoités après des centaines d’heures d’exercices et de recherches. Suivant Birgit Ulher à la trace depuis de nombreuses années, j’avoue n’être pas encore lassé de ses enregistrements en duo tant elle (semble) renouvelle(r) son matériau sonore et son inspiration tout en restant fidèle à sa trajectoire musicale. Comme l’année dernière en compagnie du trompettiste Franz Hautzinger (Kleine Trompetenmuzik Relative Pitch ), Birgit Ulher a trouvé le partenaire trompettiste idéal en Petr Vrba. Comme son nom onomatopéique l’indique pour une oreille française, ce musiciens cultive les effets sonores les plus étonnants et les stases de timbres déchirants les plus austères. Une superbe découverte ! Le mariage des deux sonorités est d’une exceptionnelle richesse, couverte d’une aura nimbée de mystères, de sons secrets. S’échangent harmoniques acides, effets de souffles, bourdonnements insolites, percussions ouatées des pistons, chuchutements dans l’embouchure, bruitages tuyautés, échappements de gaz fragiles, froissements de la colonne d’air, déflagrations d’oxygène concentré dans l’espace, vocalisations surréelles. Le tandem agrémente ses processus d’electronics (PV) et de radio, haut-parleur et de voice changer (BU). Démarche sensitive et sensible autant qu’intellectuelle et descriptive, cfr les titres reflexion, refraction, dissipation, absorption, transmission, schallschatten… On est sidéré par l’extraordinaire bestiaire sonore, l’étendue quasi sans limites de leur palette de timbres rares ou introuvables et toujours en constante mutation. Et surtout on retiendra la synchronisation remarquable qui relie leurs inventions et le subtil travail d’enregistrement de Gunnar Lettow, condition indispensable de leur réussite. Un album majeur dans la masse des albums majeurs provenant de l’improvisation libre.

There must be a reason for generating sounds Jerome Bryerton / Damon Smith Duo 11 duos for Wolfgang Fuchs (1949 – 2016) bpaltd 14014
https://balancepointacoustics.bandcamp.com/album/there-must-be-a-reason-for-generating-sounds

Il y a plus d’une vingtaine d’années entre la fin des années 90 et le début des 2000, le batteur Jerome Bryerton et le contrebassiste Damon Smith ont joué, tourné et enregistré avec le légendaire clarinettiste basse et contrebasse Wolfgang Fuchs (1949 – 2016), aussi saxophoniste sopranino. Fuchs fut le leader du King Übü Orchestrü, une extraordinaire formation d’improvisateurs dont Philipp Wachsmann, Radu Malfatti, Marc Charig, Günter Christmann, Peter Van Bergen, Erhard Hirt, Hans Schneider, Torsten Müller, Paul Lytton. W.F. fut un personnage central de l’aile la plus radicale de la scène improvisée germanique et un clarinettiste doué d’une projection du son décoiffante, cisaillant l’articulation de la colonne d’air de manière démente et subtile dans le sillage de l’Evan Parker des seventies – eighties. Un véritable phénomène alliant la rage véhémente du free brötzmanniaque et les spasmes des infra sons et harmoniques post evan parkeriens des Doneda, Butcher, Leimgruber avec affinités avec Hans Koch et Louis Sclavis. En fait, LE clarinettiste basse ahurissant par excellence. Les onze duos du tandem percussion – contrebasse Bryerton – Smith sont intitulés par des bouts de phrases prononcées un jour par Wolfgang Fuchs lors de tournées mémorables. Le duo avait réussi à inviter leur camarade en tournée aux États-Unis. Il en est résulté le CD Three Octobers publié par Balance Point Acoustics. D’autres albums réussis avec Fuchs virent le jour aux U.S.A. comme Six Fuchs (Rastascan) et Mount Washington (Reify Records) avec d’autres musiciens, créant ainsi un intérêt au-delà de l’Atlantique pour cet improvisateur sous-estimé. Fuchs a enregistré et travaillé dans un quartet d’anches avec Sclavis, Parker et Koch, avec Sven Åke Johansson et Alex von Schlippenbach, Fred Van Hove et Paul Lytton, Paul Lovens et Harri Sjöström etc … et le groupe X-Pact avec Hans Schneider, Erhard Hirt et Paul Lytton, sans parler du percussionniste Peter Hollinger, décédé récemment dans le dénuement.
Je trouve super que l’excellent duo contrebasse - percussions de Smith et Bryerton rende hommage à musicien qui fut à l’avant-poste fédératif de la musique improvisée libre tout comme son ami Peter Kowald, lequel avait été le mentor de Damon.
Cela dit, on ne peut pas dire que le duo suive à la lettre la direction musicale précise de Wolfgang Fuchs, mais plutôt qu’ils sont inspirés par le courant de la free-music européenne et le free-jazz afro-américain. On entend dévaler chocs et frappes en cascades dans l’orbe pagailleur des Bennink – Lovens du bon vieux temps et une véritable rage ludique qui emporte tout sur son passage comme dans le morceau qui ouvre l'album. Une insistance sur les pulsations et la physicalité frénétique plutôt qu’une construction espacée et pointilliste. Les duos enregistrés convaincants avec cette instrumentation originale ne sont pas légion : Léon Francioli et Pierre Favre (L’Escargot), 13 Definitions of Truth de Peter Kowald et Tatsuya Nakatani (Quakebasket) et Nisus de John Edwards et Mark Sanders (Emanem). Cette singularité et l’énergie empathique qui unit les deux improvisateurs font que There must be a reason for generating sounds dépasse le niveau du document intéressant. Le cheminement de leurs improvisations ludiques ouvre un espace qui invite l’imagination comme si vous étiez invité à jouer en leur compagnie. Même si c’est l’énergie qui prédomine, de multiples arrêts sur image durant lesquels ils se concentrent sur la face cachée de leurs instruments, une percussion détaillée, de légères frappes de cymbales, des glissandi métalliques et ces frottements grognements des notes graves de la contrebasse, le crin de l’archet comprimé à proximité du chevalet sous pression (3 – I don’t want to go to Porky’s) ou des doigtés insistants (4 One Minute , One Expresso, One Cigarette).Le percussionniste recherche vraiment les combinaisons sonores audacieuses et bruissantes autant que le contrebassiste conjugue tout le potentiel de son gros violon par le menu. Un vrai plaisir d’écoute. Défilent ainsi plusieurs occurrences sonores sensibles, disparates, affalement d’objets percussifs à même les peaux, combinaisons d’actions sonores excellemment coordonnées et ô combien complémentaires. Un album palpitant qui vaut son pesant de Sauerkraut, de Schnaps ou mieux de Riesling … car ça pétille !!

Roger Turner – Kazuo Imai Molecules Ftarri – 983 2CD
https://ftarrilabel.bandcamp.com/album/molecules

Voici un super concert du guitariste acoustique Kazuo Imai et du percussionniste Roger Turner enregistré le 11 octobre 2017. Deux sets de 32:09 et 36:15 répartis en deux CD’S pour la simple et bonne raison que Roger Turner considère que le premier set était leur première rencontre et que, dans le deuxième set, leur musique est devenue plus aboutie et leurs échanges plus conséquents. En effet, on aurait pu tout concentrer sur un seul CD de 68 : 24. Mais l’art est l’art : a-t-on idée d’encadrer deux œuvres distinctes dans le même cadre ? Question sons et prise de sons, nous sommes servis. Musique d’énergie, de dynamiques, d’explorations sonores – gestuelles, d’équilibres instables et d’écoute intense. L’interpénétration de leurs jeux est fascinante, le batteur réalise un exploit de micro-percussions sur ses « snare drum, tom tom, cymbals, metal and wood » afin qu’on puisse entendre le plus clairement possible les développements arachnéens volatiles des dix doigts du guitariste sur le manche et les six cordes. Pour ceux qui ont écouté les deux cd’s Emanem où Roger improvise avec feu John Russell (Birthdays et Skyless), ces Molecules sont plus qu’un prolongement, mais un achèvement dans son travail de piqueteur, gratteur, frotteur, secoueur, trépigneur, tourneur de métaux sur peaux, agitateur de vibrations en résonance. Son activité de pivert fou hyperactif contraint son acolyte à des prouesses expressives , zigzags inextricables, en tirant les cordes comme un dératé avant qu’un égarement soudain le laisse égrener une rêverie de notes ondulantes. Les roulements éperdus et sauvages reprennent, micro-frappes obsessionnelles et improbables sur toutes les recoins de ses ustensiles et frissons de ferraille et les doigtés du guitariste tournoient convulsifs, agrippant le manche avec des intervalles insensés, des cavalcades dans des gammes insolites pour aboutir à des comptines surréalistes commentées par le strict nécessaire percussif, harmoniques à l’appui. Une sacrée histoire assez étonnante où chacun va jusqu’au bout à la recherche de chaque atome de ces étranges Molécules.

Jane in Ether Spoken / Unspoken Miako Klein Magda Mayas Biliana Voutschkova confront core series core 22 https://www.confrontrecordings.com/jane-in-ether

Piano préparé (Magda Mayas), recorders (Miako Klein), violon et voix (Biliana Voutchkova). Confront, le label de Mark Wastell, se singularise par la profonde originalité de ses projets d’enregistrement. Le n°22 de leur catalogue, Spoken / Unspoken me laisse sans voix. Ce n’est pas le tout de jouer avec des techniques alternatives dans une démarche pointue pour cultiver des sonorités rares, extrêmes, inouïes. Leur combinatoire de timbres, leur assemblage interactif dans l’instant précis et le temps qui court, l’imprévisible coordination des éléments sonores individuels et l’audibilité du moindre détail dans les impulsions est constitutif d’un mystère, inouï, secret, imagé. Se distingue le souffle intériorisé dans le bec des flûtes qui s’échappe frêle et nasillard, dans les résonances métalliques des tintements de la table d’harmonie. Le violon murmure vibrations empathiques et harmoniques diaphanes. Pour chaque séquence, les trois musiciennes choisissent un mode de jeu particulier, flottant en suspension dans l’espace, imbrication organique de sons filés, égrenés, grattés, éléments de surprise, sensations aussi transparentes que brumeuses. Éthéré. Tout l’intérêt de leur musique repose sur cette manière sensible, délicate et audacieuse de faire corps l’une à l’autre, imprévisible et familière une fois l’auditrice ou l’auditeur immergé(e). La virtuosité instrumentale est oblitérée par une dimension onirique, soyeuse favorisant une autre perception de la musique, finalement peu descriptible. Ayant déjà écouté et ruminé des enregistrements de Magda Mayas et de Biliana Voutschkova par le passé, il me semble découvrir ici un univers sonore poétique qui transcende l’acte d’improviser collectivement. Magnifique. On peut dire que Mark Wastell de Confront cultive un instinct et un savoir-faire peu commun à nous proposer des enregistrements emblématiques et de haute qualité.
Veuillez noter qu'on retrouve Miako Klein dans l'album Warble en compagnie de Brad Henkel chez inexhaustible editions.

Samuel Rodgers – Richard Scott Oxygen Room inexhaustible editions ie-037
https://inexhaustibleeditions.bandcamp.com/album/oxygen-room

Confondu par le patronyme et le prénom, j’ai compulsivement commandé ce nouvel album inexhaustible editions via leur bandcamp. Mais quelle fut ma surprise quand je me suis rendu compte que ce Richard Scott joue du violon alto, de la mandoline, des e-bows et des objets. Son homonyme installé à Berlin, le Richard Scott était un saxophoniste et est devenu un des manipulateurs de synthétiseurs les plus emblématiques de la scène improvisée (plus exactement modular synth). Mais ça ne fait rien, cet autre Richard Scott et son acolyte Samuel Rodgers, un pianiste qui joue aussi des objets, s’adonnent à une musique expérimentale dans une direction diamétralement opposée. Ils font durer les frottements et leurs résonances dans une atmosphère au bord du murmure mettant en léger relief la vibration de l’espace où ils jouent. Les frottements légers au départ se transforment insensiblement en fragiles rebonds sur les cordes pour s’éteindre ensuite dans le silence après avoir oblitéré le sentiment de durée, celui du temps qui passe (1 - 9 :08). Un art secret, discret, fragile, une concentration focalisée sur une activité minimaliste, gratuite et tendue d’une (très longue) traite vers un seul point pré-défini. C’est à peine si on entend résonner les câbles du piano préparé et l’inerminable et oscillante vibration des cordes de la mandoline. Ici, on joue littéralement le plus près du silence en touchant à peine les instruments et les cordes dans lesquelles s’insèrent les objets (2 - 7 :25). On entend d’ailleurs à peine gémir l’e-bow. Il faut être bien en chemin du 3 – 20 :53 pour entendre poindre crissements et matières, résonances de cordes « à vide » ou et sentir la surface du sol se mouvoir lentement, un souffle gronder au loin ou disparaître. Cette musique introvertie et observatrice de phénomènes insoupçonnés de la perception demeure une belle expérience (école) d’écoute des propriétés acoustiques des microphones, de l’espace de jeu et de l’action très mesurée de musiciens profondément impliqués. Car si la musique paraît « simple » non démonstrative, il y a un réel savoir-faire clairement communicatif d’intentions esthétiques bien précises. Remarquable et à écouter en vivant.

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