19 février 2022

Alex von Schlippenbach Sven Åke Johansson Alan Tomlinson & Wolfgang Fuchs/ Urs Leimgruber Axel Dörner Roger Turner Oliver Schwerdt/Tristan Honsinger Talk/ Pandit Pran Nath Terry Riley LaMonte Young Marian Zazeela

Alex von Schlippenbach & Sven Åke Johansson Scheinwerfer Suite w Alan Tomlinson & Wolfgang Fuchs SÅJ digital
https://saj-rec.bandcamp.com/album/scheinwerfer-suite

Enregistré le 4 décembre 1990, on aurait aimé avoir découvert ce concert très remarquable lorsque le label FMP s’est mué en compact disc, à l’ombre de la massive boîte exhaustive et légendaire de Cecil Taylor Total qui eut un impact retentissant à l’époque. Le label FMP fut un peu avare en rencontres de ce type après ce coup d'éclat. Quatre individualités bien distinctes qui excellent à se stimuler, s’émuler et tirer parti de leurs points forts en dialoguant tout en maintenant le cap de leur recherche individuelle dans l’instant. Le pianiste virtuose Alex von Schlippenbach et l’improbable batteur Sven Åke Johansson s’amusent tout autant réciproquement que l’un , impénitent farfadet déjanté des fûts, dérègle le flux constant des grandioses et dynamiques effets d’arpèges et cadences polyphoniques en cascade de l'autre. Avec un souffleur aussi explosif et rageur que Wolfgang Fuchs au sax sopranino ou à la clarinette basse, deux instruments à anche aussi éloignés l’un de l’autre qu’il puisse paraître, la communauté FMP – l’axe Wuppertal – Berlin a gagné une recrue de choix. En y adjoignant l’extraordinaire tromboniste britannique et personnage de scène excentrique qu’est Alan Tomlinson, on a mis la main sur l’équipe idéale dans la droite ligne de l'atypique trio Brötzmann – Van Hove – Bennink augmenté du tromboniste Albert Mangelsdorff qui sévit en Europe durant une décennie. Si la musique improvisée libre est un éternel challenge de créations de formes continuellement remises en question , d’expansivité ludique instrumentale (extraordinaire pianiste, souffleur inouï dans l’éclatement total du souffle et de tous ses éléments de base), de délire poétique (les poèmes fous de SAJ), des échanges de haut vol, connivence et mise au défi, interactions subtiles ou obstructions contrastées et cette formidable énergie, vous en avez ici pour tous les goûts. Les deux souffleurs font éclater les limites de leurs instruments avec excès et un contrôle du son magistral. La puissance du tromboniste est gargantuesque et son sens de l’humour carnavalesque est sous tendu par une maîtrise instrumentale quasiment inégalée de la masse sonore vocalisée et borborygmique à souhait. L’art de Wolfgang Fuchs se situe dans le sillage et la logique de la démarche d’Evan Parker dont il adopte le sens de l’extrême, des bruissements explosifs avec des effets de coup de langue qui fragmentent le flux du souffleur en scories, gravats, craquements des notes et l’intrusion des bruits au cœur du langage musical. Le degré d’écoute mutuelle se situe au niveau de l’invention individuelle qui fait se coïncider les changements d’humeur de chacun en jouant ce qui semble leur passer par la tête tout en calibrant leurs énergies en profonde relation avec l'état d'esprit individuel. Ils semblent parler une autre langue en se comprenant sans détour. Des passages au piano ébouriffants qui s’estompent régulièrement pour s’ouvrir aux trouvailles – collisions des trois autres. Sven Åke Johansson s’impose comme un commentateur sarcastique inspiré avec des frappes singulières qui tentent de désarçonner les deux imperturbables souffleurs, le bagout du tromboniste pouvant suggérer des fragments de mélodie, surréalistes dans ce contexte, alors que Wolfgang exacerbe multiphoniques, growls comme un danseur fou sur une corde raide tendue par-dessus une improbable scène de cirque. Il en cisaille l’atmosphère avec ses extrêmes aigus. Mais Tomlinson est aussi celui dont les interventions se situent au niveau du silence. Toutes les notes jouées au sopranino par Fuchs sont tordues, faussées, pliées, étirées ou compressées : un véritable phénomène ! Une hybridation non sensique de la musique de chaque individualité qui la rend plus attractive, délirante, jouïssive. L’auditeur a le loisir d’orienter son écoute sur l’un des protagonistes qui, tous, semblent suivre leur cheminement individuel (ou course effrénée) pour nous surprendre par les instants inopinés de convergence avec son alter ego. Avec deux longs morceaux de 19:45 (Obnoxia) et de 22:59 (Marsch der Waldgnome 1) et deux très courts de trois et deux minutes, on tenait là le LP de free-music parfait au niveau de l’équilibre instable, de la rage de jouer, de la folie et du désir. Mais il en a été autrement. Donc rattrapez-vous, car malgré tous les efforts réalisés parmi les plus jeunes générations, vous ne trouverez pas si facilement un tel assemblage aussi convaincant aujourd’hui !!

Urs Leimgruber Roger Turner Ribo Flesh (Oliver Schwerdt) Axel Dörner London Leipzig Luzern Euphorium CD EUPH 060a
http://www.euphorium.de/rubriken/records/ulondonleipzigluzern.htm
Axel Dörner (Untitled) Euphorium EUPH 060b (mini-CD) http://www.euphorium.de/rubriken/records/uberlin.htm
Urs Leimgruber (Untitled) Euphorium EUPH 060c (mini-CD) http://www.euphorium.de/rubriken/records/uluzern.htm
Leipzig London Berlin Axel Dörner Roger Turner Ra Ra da Boff (Oliver Schwerdt) Euphorium EUPH 047
http://www.euphorium.de/rubriken/records/ulondonleipzigberlin.htm

Publication originale (c’est le moins qu’on puisse dire) du label Euphorium de Leipzig, dirigé par le pianiste Oliver Schwerdt de Leipzig. Oliver est connu pour avoir travaillé et enregistré (sur le même label) avec Gunther Sommer, les bassistes Daniel Landfermann et John Edwards, le batteur Christian Lillinger en compagnie de qui il a travaillé et enregistré aux côtés d’Ernst Ludwig Petrowsky et de Peter Brötzmann. Plusieurs albums en trio ou quintet sont parus documentant ces collaborations. Comme je ne peux pas ratisser large vu les limites de mes finances, je vous ai dégotté quelques curieux témoignages de ce label Euphorium. Une espèce de quadriptique composé de deux minis CD solos et de deux improvisations réunies sur un vrai CD, London Leipzig Luzern, réunissant deux trios où alternativement le trompettiste Axel Dörner et le saxophoniste Urs Leimgruber sont confrontés aux paysages sonores de Rada Da Boff ou de Ribo Flesh et de la percussion raréfiée de Roger Turner. Rada Da Boff = Ribo Flesh = Oliver Schwerdt, vous l’avez compris. Les deux mini CD’s contiennent des solos « absolus » : Untitled (Berlin) de Dörner et Untitled (Luzern)de Leimgruber et le tout fut enregistré en 2015 à Leipzig avec des durées respectives de 17’49’’ et 13’59’’. Mini , c’est vraiment mini. Afin de meubler l’intérêt, Euphorium m’a gratifié d’un autre CD de 2013, Leipzig Berlin London avec Dörner/ Schwerdt/ Turner. Dans ces deux CD’s format « normal » emballé dans un simple pochette de papier fort ornée de photos de fleurs sauvages, Oliver Schwerdt joue des orgues électriques et des petits instruments dans l’EUPH047. On y trouve Leimgruber et Dörner dans leur démarche radicale de « méta-souffleurs » et un Roger Turner appliqué et ultra-précis percutant légèrement (avec baguettes de riz chinoises ou aiguilles à tricoter ? ), gratouillant ou secouant légèrement ses instruments métalliques. Oliver Schwerdt a, lui, adopté une démarche zen – drone, laissant le champ au trompettiste ou au percussionniste d’y insérer un brin d’animation un instant ou l’autre. J’entends quand même un peu de piano dans le trio EUPH047… ? Bref, il s’agit d’une musique avec des intentions radicales et jouées avec une belle décontraction et un sens déraisonnable du minimalisme. Il y a une certaine spontanéité… Les bruissements nuageux ou brumeux et les suraigus compressés de Dörner à la trompette varient clairement entre chaque enregistrement (2013 et 2015) et le saxophone soprano de Leimgruber est poussé à la limite de ses possibilités acoustiques. Des fragments de dialogues impromptus surgissent entre Turner et les effets de timbre et de souffle de Dörner, lesquels suggèrent des mouvements plus amples. Roger Turner est un musicien incontournable et exemplaire au niveau de la percussion dans ce type de musique improvisée ouverte et détaillée à l'infini. Après l’écoute qui commence dans l’interrogation curieuse, on se trouve agréablement surpris, satisfait et envieux de se replonger dans cet univers somme toute délicat et singulier où la musique naît de riens pour incarner sens et intentions sans défaut. J’espère ne pas égarer les deux mini-disc en solo d’une contenance presqu’égale à une face de LP vinyle, assez pour servir de carte de visite sonore au cas où vous voudriez fous faire une idée de la démarche instrumentale individuelle peu commune de ces deux souffleurs essentiels de l’improvisation, explorateurs émérites des timbres secrets de leurs tuyaux d’air… Le jeu d’Urs Leimgruber dans Untitled fausse et dérègle la colonne d’air en contraignant les aigus comme s’il s’agissant d’une machine venue d’ailleurs. Souffle organique, singulier, âpre, volatile et terrien. Le côté joli et décoratif auquel nombre de souffleurs cantonnent cet instrument est complètement oblitéré, pour une espèce de diatribe de canard sauvage ou de cacatoès perdu en haute mer… merveilleux.

Tristan Honsinger Small Talk Cristina Vetrone, Vincenzo Vasi, Luigi Lullo Mosso, Enrico Sartori, Edoardo Maraffa, Antonio Borghini, Cristiano De Fabriitis Setola di Maiale S4330 https://www.setoladimaiale.net/catalogue/view/SM4340

Tristan Honsinger a résidé longtemps en Italie et a travaillé assez souvent avec une joyeuse bande de musiciens italiens improvisateurs irrévérencieux et impliqués dans des collectifs, comme ceux de Bologne dont font partie la plupart des musiciens présents lors de cette session enregistrée à Radiotre à Rome le 11 décembre 2007. Si la plupart des titres sont signés par le violoncelliste Tristan Honsinger, on y trouve de ci de là des « Small Talks » délirants inventés et dits par Vincenzo Vasi qui joue aussi de la theremin, Luigi « Lullo » Mosso,aussi contrebassiste et Cristina Vetrone. Leurs interventions théâtrales et textuelles improvisées sont typiquement péninsulaires et la musique est conçue pour coïncider avec la diction (parfois chantée) et la métrique, dans une forme narrative que ma connaissance active de l’italien ne permet pas d’en relever le cheminement. Mais j’en devine la bouffonnerie. Cristina Vetrone est créditée organetto et voix, Enrico Sartori, clarinette, Edoardo Marraffa, sax contralto et ténor, Antonio Borghini, contrebasse et Cristiano De Fabritiis, batterie. Il y a de courts passages free goûteux, une certaine légèreté et un sens de l’espace afin de mettre en valeur les dialogues. Borghini, Maraffa, De Fabritiis, Honsinger et Sartori alternent et rivalisent d’inspiration dans l’instant. Il leur suffit parfois d’un seul trait pour faire passer une idée ou un sentiment. On est là dans la suggestion, le narquois, le burlesque, le sournois et l’amusement sans prétention. On retrouve les traits marquants des compositions de Tristan Honsinger lorsque son archet suscite la pulsation avec son accentuation tout à fait particulière, catalysatrice. Certains de ses morceaux sont chantés par les deux joyeux drilles. La pochette est dessinée par Gianluca Varone, lequel a collaboré avec Tristan Honsinger dans une bande dessinée dont le musicien a écrit l’histoire (Wild Rice/ JBP). J’ajoute encore que plusieurs de ces musiciens sont des solides improvisateurs. Vincenzo Vasi est un super bassiste électrique et vient de publier un album fou avec « Lullo » Mosso, et Massimo Simonini dont je viens de rendre compte dans ces lignes (Fuoriforma/ Angelica). Antonio Borghini est devenu un des contrebassistes demandés sur la scène germanique (Kaufmann, Schlippenbach , Sequoia, Braxton Standards Quartet, Cristiano Calganile etc..). Edoardo Maraffa joue régulièrement en duo avec le pianiste Nicolà Guazzaloca et en trio avec Thollem McDonas et Stefano Giust, le responsable de Setola di Maiale. Quant au batteur, Cristiano De Fabritiis, il a acquis une véritable jeu free avec la dynamique nécessaire et intentionnelle. Un beau projet mélangeant la joie irrépressible, le délire ou la mélancolie.

Pandit Pran Nath Midnight – Raga Malkauns Just Dreams JD003 2CD 2002 avec Terry Riley et LaMonte Young
https://prannath.bandcamp.com/album/midnight-raga-malkauns

Double CD publié en 2002 par le compositeur LaMonte Young et l’artiste Marian Zazeela et trouvé par hasard dans un des magasins de disques et cd’s d’occasion parmi les plus légendaires en Europe : Hors – Série , rue du Midi 67 – 1000 Bruxelles. Ils vendent aussi DVD, livres (rares), bandes dessinées, partitions et CD's / vinyles classques, jazz , rock, musiques du monde, chansons etc.... C’est dans cette caverne d’Ali Baba qu’on peut faire des découvertes inespérées et à des prix tout à fait abordables. Ce magnifique témoignage du chant Khyal de la Kirana Gharana par Pandit Pran Nath son plus illustre et mystérieux chamane m’a seulement coûté 20 euros (80 € via discogs !!) contient deux versions du Raga Malkauns, enregistrées respectivement les 4 juillet 1971 à San Francisco et le 21 août 1976 à New-York City aux alentours de minuit et produites / publiées par LaMonte Young et Marian Zazeela sur leur label ultra-rare Just Dreams. Les enregistrements de ce chanteur puriste de la musique classique d’Inde du Nord se comptent sur les doigts de la main gauche, la droite marquant les temps avec la paume et le revers. Cet artiste exigeant insiste ardemment que chaque raga « interprété » le soit à l’heure requise, car il y a des ragas du matin, des ragas de mi-journée, de l’après-midi, du soir ou du milieu de la nuit. Ce double CD est un véritable scoop : la performance de juillet 1971 à San Francisco est accompagnée par Terry Riley aux tablas avec l’épouse de ce dernier, Ann Riley et la danseuse Simone Forti aux tamburas. Celle d’août 1976 nous le fait entendre avec le tabliste K.Paramjyoti et le tandem Marian Zazeela et LaMonte Young aux tamburas. Il faut dire que ces cinq artistes américains sont des élèves de Pran Nath. Il y a donc une filiation esthétique entre la musique de Riley et Young et la pratique de la musique indienne. Olivier Messiaen lui-même reconnaissait avoir été marqué par la musique de Raga et surtout JOHN COLTRANE qui imposait à son batteur, Elvin Jones, de s'inspirer du tabliste Alla Rakha, compagnon des défunts Ravi Shankar et Ali Akbar Khan. Dans un enregistrement de 1968 publié en 1982 par Gramavision (Ragas of the Morning and Night), le chanteur Pran Nath était accompagné par un joueur de sarangi, ce qui est aujourd’hui devenu tout à fait exceptionnel. Il existe aussi un autre CD de Pran Nath , Raga Cycle, publié cette fois par Terry Riley sur son label shrimoonshine et enregistré au Palace Theatre à Paris en 1972 en compagnie de Terry Riley aux tablas avec Zazeela et Young aux tamburas. Ce CD fut d’ailleurs trouvé chez Hors-Série , tout comme le vinyle U.S. Earth Groove de 1969 du même Pran Nath publié par le producteur Alan Douglas (Last Poets, J.Hendrix, Ellington-Mingus-Roach, Wildflowers Loft Jazz sessions). C’est vous dire le niveau de la boutique !! Riley et Young avaient vu leurs œuvres publiées dans deux albums mémorables du label parisien Shandar, lequel avait Albert Ayler à son catalogue (Fondation Maeght vol 1 et 2) mais aussi Cecil Taylor (Second Act of A), Sun Ra et .. un LP de Pandit Pran Nath… enregistré à Paris avec LaMonte Young et qui s'échange en bon état pour une somme entre 70 et 200 € . Un quidam réclame 104 USD pour une copie pirate... a-t-il la moindre idée de cette musique ?
Que dire de plus que ce chant indien classique dit « khyal » qui gravite et oscille indéfiniment autour d’une tonique et d’une dominante immuable en s’insinuant irrésistiblement sur les trois, quatre ou cinq notes de la gamme du raga en glissant d’une à l’autre par des cheminements – arcanes à la fois simples et complexes, est assurément une des manifestations les plus extraordinaires de la voix humaine et du chant musical. Que dire alors du chant Dhrupad, plus « archaïque » ? Mais cela est une autre histoire. Cette faculté vocale qui consiste à tenir une note en l’augmentant ou la descendant presqu’insensiblement avec un glissement d’une infime fraction de la tonalité en utilisant certains intervalles spécifiques à chaque Raga est absolument fascinante et constitue la base de cette musique dans ses facettes instrumentales. Le Raga Malkauns est un des Ragas parmi les plus essentiels et les notes de pochette sont très précises à ce sujet ainsi que pour le contenu culturel et sémantique, le texte du chant. On comprend très vite que l'artiste et les producteurs sont infiniment concernés avec le sens profond et les valeurs spirituelles constitutives de cette musique et des faisceaux de sens qui en émanent. Le public mélomane occidental connaît évidemment les instrumentistes Ravi Shankar, Ali Akbar Khan ou Hariprasad Chaurasia et un peu moins un chanteur comme Bhimsen Joshi. Mais il ignore des phénomènes comme Pandit Pran Nath ou les « frères » Dagar, les quels furent quatre et, avec leurs cinq autres cousins, les maîtres du Dhrupad de la Dagarvani, une des musiques les plus fondamentales de l’humanité. Bref, dans un temps où certains producteurs U.S. osent publier des double, triple ou même septuple vinyles coûteux voire luxueux d’artistes essentiels du free-jazz (Cecil Taylor & Bil Dixon, NYAQ – Tchicaï/Rudd/Workman/Graves ou Frank Lowe Out Loud ! chez Triple Point Records, Brötzmann-WParker-Milford Graves aux Black Editions Archives, l'intégrale Albert Ayler à la Fondation Maeght intitulée Revelation d'Elemental Records en 5LP's pour le Record Store Day) dont les coûts d’importation font « skyrocketter » leurs prix au-delà du raisonnable pour le commun des mortels, je préfère consacrer mon budget disques à dénicher des merveilles de ce genre chez des commerçants humanistes qui veillent à ce que leurs prix affichés ne constituent pas une moquerie sarcastique des conditions d’existence étriquées de nombre d’entre nous, musiciens improvisateurs compris. Et cela pour découvrir des artistes qui n'en n'ont que faire du bourdonnement de la réussite sociale et des convenances, tant ils sont plongés de leur univers sans aucune concession mercantile, mondaine, ni la moindre prétention
Thierry Syfer, réputé pourtant être un solide homme d’affaires, et son collègue d’Hors-Série, Luc, proposaient ce magnifique CD Midnight Raga Malkauns à un prix tout à fait raisonnable de 20 € , vu sa rareté, quatre fois moins élevé que sur le marché des vendeurs indépendants fédérés par la plate-forme Discogs ou E-Bay. Au diable, les snobs, les spéculateurs et collectionneurs complétistes obsessionnels ! J’ai aussi trouvé la boîte The Heavy Weight Champion – John Coltrane Complete Atlantic 7CD pour 35 € quasi-neuve chez Pêle-Mêle Waterloo, ainsi que 1963 : New Directions de John Coltrane 3CD Impulse avec des enregistrements de concert en bonus pour 12€, le double CD Impulse Love Supreme avec l’enregistrement live de Love Supreme d’Antibes 1965 pour 10 € et l'extraordinaire 80 Minutes Raga 2CD d'Ali Akbar Khan de 1969 jouant le majestueux Raga Darbari Kanada publié sur son label AMMP pour la somme de 7,50 €. Thierry d’Hors Série m’a vendu The Final Tour Bootlegs Series Vol.6 de Miles Davis – John Coltrane (4 CD CBS – Sony) avec les concerts de la tournée de 1960 à l’Olympia, Tivoli Gardens et Stockholm pour seulement 22 €. On n'a jamais fini d'écouter Coltrane et les grands chanteurs d'Inde du Nord !! Camarades improvisateurs, révoltez-vous ! Conspuez la cuscunisation chronologiste complétiste aveugle des albums préférés de nos grands maîtres à jouer disparus (Coltrane, Ornette, etc..) et l’élitisme hyper luxueux « posh » vinylique (aiiiie les frais d’envois et de douane !) de ce réseau sélect de Prof d’Univ pontifiants, vedettes rock « d’avant-garde », collectionneurs obsessionels fortunés, spéculateurs avides, galeristes friqués, et autres fils à papa qui trustent les trésors sonores (et trébuchants) de nos artistes légendaires à la lueur de leurs projets mythomanes. On se souvient de la boîte "Holy Ghost" bourrée d'inédits d'Albert Ayler, parfois inaudibles et/ou dispensables avec quelques perles... publiées d'ailleurs avec un texte qui ignorait volontairement ... Sunny Murray... très mal vu par le représentant légal des ayant droits malgré le fait que ce batteur a joué un rôle incontournable dans la saga aylérienne
D'abord, le modèle vinylique cossu va à contre courant des circonstances économiques qui font que le coût des transports est en hausse constante et que le poids du vinyle renchérit les frais d'envoi, surtout par delà l'Atlantique. Un exemple concret: le label Black Editions Archives facture 30 USD l'envoi du double album Historic Concert Past Present Future de Peter Brötzmann - William Parker - Milford Graves (2LP à 40€ d'une grande qualité si j'en crois la seule face du double album en streaming). En y ajoutant les frais de douane et la TVA douanière, on arrive à un total qui avoisine les 100€ et cela pour une heure de musique qui peut être contenue sur un seul CD beaucoup plus léger et nettement moins coûteux. Les documents sur la musique de Milford Graves sont assez clairsemés ... cette édition limitée inaccessible est assez frustrante par rapport à l'amour inconditionnel qu'on porte à un artiste qui a défini le free drumming de manière aussi virtiginieuse qu'irrévocable. Question : Milford jouait-il pour les riches ??
J’ai grandi à l’époque où de nombreux artistes rebelles comme Peter Kowald, Alex von Schlippenbach, Han Bennink, Misha Mengelberg, Evan Parker, Derek Bailey, Harry Miller et Leo Smith tenaient absolument à ce que leurs albums - manifestes publiés sur leur propre label soient disponibles à des prix raisonnables, distribués intelligemment et réédités régulièrement. Cette attitude était sous tendue par un esprit solidaire et une réflexion sociale engagée. Je me souviens avoir payé 220 francs belges (5,50€) pour un album du label ICP (Bennink- Mengelberg) et à peine 300 bef, ou même 2,99 £, pour les vinyles Incus (Evan Parker-Derek Bailey). L’art pour le peuple, les improvisateurs étant pour la plupart issus de la classe des travailleurs !! Aujourd’hui encore, Martin Davidson d’Emanem proposent ses CD’s à 11 ou même 7 euros et un tarif d'envoi postal minime. Certains acteurs actuels du marché du disque « free-jazz » ont une vision issue directement du « marché de l’art » en complète contradiction avec les fondements et les valeurs de cette musique improvisée dont la grande majorité des praticiens rament avec beaucoup de difficultés. Ajoutons encore que les zélateurs exclusifs et maniaques des "artistes géniaux" au détriment des artisans de première grandeur peu connus (d'eux mêmes à cause de leur inculture, bien souvent) méprisent ou maltraitent avec une condescendance bourgeoise les musiciens "qui n'ont pas réussi", - on se demande bien quoi, d'ailleurs. Faisons vibrer leurs tours d’ivoire discographiques mercantiles jusqu’à ce qu’elles s’effritent irrémédiablement et s’effondrent dans les eaux glacées du calcul égoïste. Plus un balle aux marchands du Temple ! Vive la musique vivante ! À bas sa réification élitiste et idolâtre !

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